Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté sur les deux questions en litige.

Aperçu

[2] L’appelant travaillait en tant qu’assistant-directeur pour l’entreprise X. Le 13 février 2016, il a été suspendu de son emploi pour une durée d’un mois. Il a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi le 3 mai 016 en lien avec cette suspension. Une période de prestations a été établie à partir du 1er mai, mais la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a refusé d’antidater la demande au 7 février 2016, tel que l’appelant le demandait, puisqu’il n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard dans le dépôt de sa demande initiale de prestations.

[3] L’appelant a été congédié de son emploi le 6 septembre 2016. Il a attendu jusqu’au 27 octobre 2017 avant de présenter une demande de renouvellement de ses prestations. La Commission a refusé d’antidater la demande au 4 septembre 2016, tel que l’appelant le demandait, puisqu’il n’a pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard dans le dépôt de sa demande de renouvellement de prestations.

[4] L’appelant soutient qu’il avait un motif valable justifiant le retard dans les deux cas. Il soumet qu’il était très affecté émotionnellement par son congédiement et sa suspension. De plus, il contestait déjà les décisions de l’employeur devant la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (les « normes du travail ») et ne se croyait pas éligible aux prestations, puisqu’il est pensionné depuis quelques années.

Questions en litige

[5] La demande initiale de prestations d’assurance-emploi peut-elle être antidatée au 7 février 2016? L’appelant avait-il un motif valable justifiant le retard de plus de deux mois dans le dépôt de sa demande?

[6] La demande de renouvellement de prestations d’assurance-emploi peut-elle être antidatée au 4 septembre 2016? L’appelant avait-il un motif valable justifiant le retard d’environ 13 mois dans le dépôt de sa demande?

Analyse

[7] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe à la présente décision.

Antidate de la demande initiale

La demande initiale de prestations d’assurance-emploi peut-elle être antidatée au 7 février 2016? L’appelant avait-il un motif valable justifiant le retard de plus de deux mois dans le dépôt de sa demande?

[8] Une demande initiale de prestations tardive sera considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu’il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations à cette date antérieure et qu’il avait durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard. (Art. 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi)

[9] Selon la Cour d’appel fédérale, afin de démontrer un motif valable pour le dépôt tardif d’une demande de prestations, le prestataire doit démontrer qu’il a agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances similaires tout au long de la période du retard. (Canada (Procureur Général) c Burke 2012 CAF 139)

[10] La Cour d’appel fédérale a aussi confirmé que l’obligation de présenter avec célérité sa demande de prestations est considérée comme étant très exigeante et très stricte. C’est la raison pour laquelle l’exception relative au « motif valable justifiant le retard » est appliquée parcimonieusement. Ainsi, l’antidatation est un avantage dont l’application doit être exceptionnelle. (Canada (PG) c Brace 2008 CAF 118)

[11] À moins qu’il y ait des circonstances exceptionnelles, le demandeur a l’obligation de prendre des mesures raisonnablement promptes pour déterminer son droit aux prestations et pour garantir ses droits et obligations en vertu de la Loi. L’ignorance de la loi, même si elle est jumelée à la bonne foi, n’est pas suffisante pour établir un motif valable. (Canada (Procureur général) c Kaler 2011 CAF 266)

[12] Il est clair, selon l’information au dossier, que l’appelant rencontrait les conditions de base pour recevoir des prestations au moment de sa suspension, soit en février 2016. La question en litige dans le présent dossier est plutôt reliée à la présence ou non d’un motif valable justifiant le retard de quelques mois dans le dépôt de la demande de prestations. Le Tribunal considère que l’appelant n’avait pas de motif valable justifiant son retard pour les raisons suivantes.

[13] Dans ce dossier, l’appelant a été suspendu de son emploi pour une période d’un mois à partir du 13 février 2016. Il a déposé une demande de prestations seulement le 3 mai 2016, soit deux mois et demi après le début de sa suspension. La période de prestations a été établie par la Commission à partir du 1er mai 2016, par conséquent, l’appelant n’a jamais reçu de prestations en lien avec sa période de suspension.

[14] Afin de justifier ce retard, l’appelant soutient qu’il était très affecté émotionnellement par sa suspension. Il a d’ailleurs longuement témoigné lors de l’audience de son environnement de travail qui se dégradait au cours de la dernière année, du fait que l’employeur semblait voulait se débarrasser lui malgré ses 32 années de service et du fait qu’on lui attribuait faussement certaines erreurs.

[15] L’appelant soutient aussi qu’il contestait sa suspension devant les normes du travail pendant cette période. De plus, il croyait qu’il n’avait pas droit aux prestations, puisqu’un ami lui avait dit que les personnes pensionnées comme lui n’étaient pas éligibles à l’assurance-emploi.

[16] Le Tribunal croit que l’appelant est sincère lorsqu’il soutient que sa suspension l’affectait grandement et qu’il était nerveux et stressé pendant cette période. Toutefois, le dépôt d’une demande de prestations est une activité qui prend peu de temps, et qui est relativement simple. Le Tribunal a de la difficulté à concevoir que l’appelant, même affecté par sa suspension, n’était pas en mesure de prendre quelques minutes pour déposer une demande dans les délais.

[17] Ceci est d’autant plus vrai que l’appelant a été en mesure de prendre le temps, pendant cette période, de consulter un avocat et de déposer une plainte aux normes du travail pour sa suspension qu’il considérait comme injustifiée (GD7-37 à 47).

[18] Comme le représentant le soutient, il est vrai que, historiquement, les juges-arbitres ont fait preuve d’une certaine flexibilité relativement aux prestataires qui étaient en attente d’une décision ou d’un versement relativement à des indemnités et qui déposaient une demande de prestations en retard pour cette raison (voir notamment les CUB 12762, 20094 et 19371).

[19] À cet effet, la Cour d’appel fédérale a toutefois confirmé à plusieurs reprises le principe selon lequel une demande de prestations doit être présentée le plus rapidement possible. Le but de cette exigence est de permettre à la Commission de bien administrer le versement de prestations et de lui permettre d’être en mesure de déterminer efficacement si un prestataire était disponible pour exercer un nouvel emploi dès le moment où il a cessé de travailler. (voir notamment Chalk c Canada (PG) 2010 CAF 243 et Shebib c Canada (PG) 2003 CAF 88)

[20] Ainsi, le Tribunal considère qu’il était de la responsabilité de l’appelant de déposer sa demande de prestations le plus tôt possible, même s’il était en attente du règlement de sa plainte devant la CNESST; ce qui peut être très long. Le dépôt de cette plainte ne l’empêchait pas de déposer une demande de prestations d’assurance-emploi; il s’agit d’ailleurs de deux processus très différents, qui ne visent pas le même objectif.

[21] La Cour d’appel fédérale a confirmé à plusieurs reprises que le fait pour un prestataire de se fier à des rumeurs, à des renseignements non vérifiés ou à des hypothèses non confirmées ne constitue pas un motif valable. (Voir notamment Trinh c Canada (PG) 2010 CAF 335 et Procureur général du Canada c Rouleau A-4-95.)

[22] Ainsi, le fait que l’appelant se soit fié à l’avis d’un ami qui lui avait dit qu’il n’était pas admissible aux prestations, car il était pensionné ne constitue pas un motif valable à un retard dans le dépôt d’une demande de prestations. À cet effet, il convient aussi de noter que la Cour d’appel fédérale a aussi établi que le fait pour un prestataire d’ignorer qu’il est admissible aux prestations parce qu’il touche une pension ne constitue pas un motif valable (Canada (PG) c Somwaru 2010 CAF). L’appelant a confirmé, lors de l’audience, qu’il n’avait fait aucune vérification ou demande d’information à la Commission pendant la période du retard.

[23] Le Tribunal ne doute pas de la bonne foi de l’appelant dans ce dossier, mais ce n’est pas l’objet du présent litige. Comme la jurisprudence l’exige, le Tribunal doit plutôt se demander si, à la lumière des faits au dossier, l’appelant a agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans des circonstances similaires. Le Tribunal considère que ce n’est malheureusement pas le cas.

[24] En effet, aux yeux du Tribunal, une personne raisonnable se serait empressée de s’informer auprès de la Commission ou auprès d’autres sources fiables afin de connaître ses droits et obligations en lien avec le programme d’assurance-emploi, plutôt que de se fier à l’opinion d’un ami. Le Tribunal ne considère pas que le stress ou la nervosité vécue par l’appelant en raison des mesures prises contre lui par son employeur constitue une circonstance exceptionnelle l’exemptant de l’exigence voulant qu’un prestataire doive normalement vérifier assez rapidement s’il a droit à des prestations d’assurance emploi et quelles sont ses obligations en vertu de la Loi. (Kaler, précitée)

[25] Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas démontré un motif valable au retard dans le dépôt de sa demande initiale. La demande ne peut pas être antidatée. L’appel sur cette question est rejeté.

Antidate de la demande de renouvellement de prestations

La demande de renouvellement de prestations d’assurance-emploi peut-elle être antidatée au 4 septembre 2016? L’appelant avait-il un motif valable justifiant son retard d’environ 13 mois dans le dépôt de sa demande?

[26] La Loi prévoit qu’un prestataire doit fournir un « motif valable » justifiant son retard lorsqu’il présente une demande de prestations, autre qu’une demande initiale, après le délai prévu par règlement, afin que cette demande puisse être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure à la date à laquelle il a présenté cette demande. (par. 10(5) de la Loi)

[27] Pour prouver qu’il avait un motif valable pendant toute la durée de la période de retard, le prestataire est tenu de démontrer que, à moins de circonstances exceptionnelles, il s’est conduit comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblables pour s’assurer de ses droits et des obligations que lui impose la Loi. (Canada (PG) c Persiiantsev 2010 CAF 101, Canada (PG) c Kokavec 2008 CAF 307, Canada (PG) c Paquette 2006 CAF 309)

[28] L’appelant a perdu son emploi le 6 septembre 2016. Il était, à l’époque, encore couvert par la période de prestations établie le 1er mai 2016 suite à sa demande initiale. Sa demande de renouvellement de prestations a toutefois été déposée seulement le 27 octobre 2017, soit plus de treize mois après la fin de son emploi.

[29] Les motifs invoqués par l’appelant afin de justifier le retard dans le dépôt de sa demande de renouvellement de prestations sont similaires à ceux invoqués pour justifier le retard dans le dépôt de sa demande initiale. L’appelant soutient qu’il était très affecté émotionnellement par son congédiement après 32 années de service. De plus, il était en pleine contestation de son congédiement devant les normes du travail pendant cette période.

[30] Additionnellement, l’appelant soutient qu’il croyait qu’il n’avait pas droit aux prestations, d’abord parce qu’un ami lui avait dit que les personnes pensionnées comme lui n’étaient pas éligibles à l’assurance-emploi, mais aussi parce que la Commission n’avait jamais fait de suivi avec lui concernant sa demande de prestations déposée en mai 2016. Ainsi, en l’absence d’une réponse ou d’un suivi de la Commission suite à sa demande initiale, il a assumé que son ami avait raison et qu’il était bel et bien inadmissible aux prestations.

[31] Le Tribunal ne doute pas de la version des faits de l’appelant lorsqu’il soutient que son congédiement lui a causé un choc émotionnel et lui a fait vivre beaucoup de stress. Toutefois, il aurait été très simple pour l’appelant de demander à la Commission de réactiver sa demande de prestations. Même s’il était clairement affecté par la situation, le Tribunal considère peu probable que l’appelant était dans un état si grave qu’il devenait impossible pour lui de présenter sa demande renouvellement de prestations, et ce, pendant près de 13 mois.

[32] Ceci est d’autant plus vrai que l’appelant a été en mesure, pendant cette période, de poursuivre un processus de plainte aux normes du travail en lien avec son congédiement qu’il considérait comme injustifié (GD7-3 à 7).

[33] Comme à la section précédente, le Tribunal ne voit pas comment le dépôt de cette plainte l’empêchait de déposer une demande de prestations d’assurance-emploi. Il s’agit de deux processus différents qui ne visent pas le même objectif. De plus, comme l’a confirmé la jurisprudence précitée, il est important que la Commission soit informée le plus tôt possible de la fin de l’emploi d’un prestataire afin qu’elle soit en mesure d’administrer adéquatement le programme d’assurance-emploi. Il n’était donc pas raisonnable d’attendre le règlement d’un processus de plainte pouvant prendre des mois, voire des années, avant de déposer la demande de prestations.

[34] Tel que mentionné précédemment, le fait que l’appelant se soit fié à l’avis d’un ami qui lui avait dit qu’il n’était pas admissible aux prestations, car il était pensionné ne constitue pas un motif valable au un retard dans le dépôt de sa demande de prestations. Une personne raisonnable se serait renseignée sur ses droits et obligations auprès de sources fiables.

[35] Le fait que l’appelant n’ait reçu aucune réponse de la Commission suite à sa demande initiale déposée en mai 2016 ne peut pas, non plus, être considéré comme un motif valable au retard de la demande de renouvellement de prestations. En effet, le Tribunal considère que devant cette absence de réponse, une personne raisonnable aurait rapidement contacté la Commission afin de faire un suivi concernant la demande de prestations.

[36] Le retard en cause est de plus de 13 mois, ce qui est considérable. Au cours de cette période, l’appelant n’a pas contacté la Commission ou fait de suivi auprès de celle-ci concernant ses droits et obligations relativement au programme d’assurance-emploi. Ce n’est que lorsque l’appelant a contacté la Commission en octobre 2017 pour une toute autre raison (GD3-21) qu’on l’aurait avisé qu’il était potentiellement éligible aux prestations et qu’il pouvait demander l’antidate de ses demandes.

[37] Encore une fois, le Tribunal ne doute pas de la bonne foi de l’appelant dans ce dossier, mais ultimement il faut se demander si, à la lumière des faits au dossier, l’appelant a agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans des circonstances similaires. Le Tribunal considère que ce n’est malheureusement pas le cas.

[38] Aux yeux du Tribunal, une personne raisonnable n’aurait pas attendu 13 mois avant de tenter de s’informer auprès de la Commission concernant son éligibilité aux prestations. Ceci est d’autant plus vrai en considérant que l’information que l’appelant avait en sa possession provenait d’un ami, n’était pas vérifiée, et que l’appelant n’avait eu aucune réponse de la Commission depuis le dépôt de sa demande initiale.

[39] Comme dans le litige précédent, le Tribunal ne considère pas que le stress ou la nervosité vécue par l’appelant en raison des mesures prises contre lui par son employeur ne constitue une circonstance exceptionnelle l’exemptant de l’exigence voulant qu’un prestataire doive vérifier assez rapidement s’il a droit à des prestations d’assurance emploi et quelles sont ses obligations en vertu de la Loi. (Kaler, précitée)

[40] Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas démontré un motif valable au retard dans le dépôt de sa demande de renouvellement de prestations. La demande ne peut pas être antidatée. L’appel sur cette question est rejeté.

[41] Finalement, à titre d’argument commun aux deux questions en litige, l’appelant a fait valoir dans sa demande de révision qu’il était immigrant et que sa première langue n’est pas le français, c’est pour cette raison qu’il n’aurait pas contrevérifié les informations données par son ami (GD3-27). Cet argument a, en partie, été repris par son représentant lors de l’audience afin de mettre en contexte les faits au présent dossier.

[42] Pourtant l’appelant habite au Canada depuis 1981 et y travaille depuis 1984; il est un immigrant très bien établi au pays. De plus, il parle et comprends bien le français, même si ce n’est pas sa langue maternelle, et il a démontré qu’il était capable d’utiliser les différentes ressources à sa disposition pour faire valoir ses droits. Par conséquent, le Tribunal ne considère pas que cet argument constitue une circonstance exceptionnelle susceptible d’exempter l’appelant des exigences mentionnées précédemment.

Conclusion

[43] L’appel est rejeté sur les deux questions en litige.

Date de l’audience :

Le 20 juin 2018

Mode d’audience :

Téléconférence

Comparutions :

J. M., appelant

Me Alain Béliveau en tant que représentant de l’appelant.

Annexe

Droit applicable

Loi sur l’assurance-emploi

10 (4) Lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu’à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

10 (5) Lorsque le prestataire présente une demande de prestations, autre qu’une demande initiale, après le délai prévu par règlement pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si celui-ci démontre qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

Règlement sur l’assurance-emploi

26 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le prestataire qui demande des prestations pour une semaine de chômage comprise dans une période de prestations présente sa demande dans les trois semaines qui suivent cette semaine.

(2) Le prestataire qui n’a pas demandé de prestations durant quatre semaines consécutives ou plus et qui en fait la demande par la suite pour une semaine de chômage présente sa demande dans la semaine qui suit cette dernière.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.