Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. La mise en cause a été congédiée en raison de sa propre inconduite et doit être exclue du bénéfice des prestations.

Aperçu

[2] La mise en cause a transmis à l’appelant une lettre datée du 24 janvier 2017 lui réclamant une somme de 175 000$ en contrepartie du retrait de plainte en cours le concernant et de l’abandon de plaintes futures. À la suite de la réception de cette lettre, l’appelant a mis fin à l’emploi de la mise en cause en raison du bris du lien de confiance. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (ci-après « la Commission ») a accepté de verser des prestations d’assurance-emploi à la mise en cause. La Commission a révisé cette décision à la demande de l’appelant, mais elle a maintenu sa décision initiale. L’appelant a donc interjeté appel de la décision. Le Tribunal doit déterminer si l’appelante doit être exclue du bénéfice des prestations pour avoir perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

Question préliminaire

[3] La mise en cause était absente à l’audience. Selon son représentant, elle ne souhaitait pas participer à l’audience.

Questions en litige

[4] Il a été admis par les parties que l’acte reproché à la mise en cause est l’envoi de la lettre datée du 24 janvier 2017(GD2-12 à15).

[5] De plus, il n’est pas contesté que la mise en cause a transmis cette lettre à l’employeur par le biais de la Commission des Normes, de l’Équité, de la Santé et de la Sécurité du Travail (ci-après « la CNESST »). Par conséquent, il y a 2 questions en litiges et celles-ci sont les suivantes :

[6] L’envoi de la lettre à l’employeur constituait-il une inconduite?

[7] Si oui, existe-t-il un lien de causalité entre l’envoi de la lettre et la perte de l’emploi?

Analyse

[8] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe à la présente décision.

[9] Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il est congédié en raison de son inconduite (article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, ci-après « la Loi »). La notion d’inconduite n’est pas définie dans la Loi et s’analyse donc en fonction des principes jurisprudentiels. 

[10] L’inconduite nécessite la preuve d’un élément psychologique. Ainsi, l’acte menant au congédiement doit être volontaire et intentionnel ou le résultat d’une insouciance ou d’une négligence telle qui démontrerait que « l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail. » (Procureur général du Canada c. Tucker, A-381-85)

[11] Plusieurs années plus tard, la Cour d’appel fédérale a précisé ce concept de caractère volontaire dans le cadre d’une inconduite :

« Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié. » (Mishibinijima c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 36)

[12] Le fardeau de prouver l’inconduite selon la prépondérance de la preuve, repose sur les épaules de l’employeur (Bartone A-369-88;  Procureur général du Canada c. Larivee, 2007 CAF 312; Meunier c. Procureur général du Canada, A-130-96).

[13] Pour déterminer s’il y a une inconduite, le Tribunal doit examiner et apprécier l’ensemble des faits et des circonstances pertinentes ayant conduit au congédiement (Larivee, supra; Mishibinijima, supra).

[14] Une inconduite n’est pas qu’un simple manquement à une obligation dans le cadre de son emploi. Il doit être d’une portée telle que le prestataire pouvait raisonnablement prévoir qu’il serait congédié (Meunier, supra). Ainsi, la faute commise doit être assez sérieuse pour constituer de l’inconduite (Procureur général du Canada c. Langlois, A-94-95).

[15] Une inconduite est « un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail. » (Procureure générale du Canada c. Nolet, A-517-91)

[16] Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une condamnation criminelle pour que l’acte soit qualifié d’inconduite (Procureur général du Canada c. Granstrom, 2003 CAF 485; Larivee, supra).

L’envoi de la lettre à l’employeur constituait-il une inconduite ?

[17] Comme le cœur du litige est l’envoi par la mise en cause de la lettre datée du 24 janvier 2017, il convient d’en résumer les éléments importants :

  1. La mise en cause a mandaté son conjoint, également son représentant à l’audience, pour écrire la lettre.
  2. La mise en cause a informé le propriétaire de l’appelant que des plaintes ont été déposées à la Commission des normes du travail du Québec - CNTQ (CNESST), à la Commission des droits de la personne et à l’ordre des audioprothésistes.
  3. De plus, la mise en cause l’a avisé qu’elle était en attente de plainte à la Sûreté du Québec, au centre d’aide de victime d’agression sexuelle et à l’ordre des comptables agréés.
  4. La mise en cause a également informé le propriétaire de l’appelant qu’une firme d’avocats était informée du dossier, les conseillait et dirigeait le dossier. De plus, cette firme était en attente pour enclencher une poursuite sévère au civil, selon le déroulement des événements.
  5. La mise en cause a encouragé le propriétaire de l’appelant à lire calmement la suite des accusations.
  6. La mise en cause a expliqué avoir été victime de harcèlement psychologique et sexuel de la part de du propriétaire de l’appelant. Elle a décrit des événements dont elle a été victime au bureau de l’appelant.
  7. Par conséquent, la mise en cause allègue que le propriétaire de l’appelant l’a traumatisée, déstabilisée et l’a rendue inconfortable. De plus, sa santé mentale et physique ont grandement régressé. La mise en cause a continué en expliquant son problème cardiaque et son diabète.
  8. La mise en cause a également expliqué le bris de promesse de S. L., ancien propriétaire de l’appelant. Selon la lettre, S. L. aurait contrevenu à une promesse de garantie d’emploi à la mise en cause et à son conjoint. Ainsi, il a contrevenu à sa promesse en vendant son entreprise à l’appelant.
  9. Vu ces accusations, la mise en cause a proposé 2 scénarios au propriétaire de l’appelant :
    1. 1) La mise en cause déposera une plainte à la Sûreté du Québec pour harcèlement sexuel. Un dossier criminel sera ouvert et le propriétaire de l’appelant pourrait éventuellement être mis en arrestation. Donc, cette démarche lourde entrainerait une poursuite civile contre le propriétaire de l’appelant. L’ordre des audioprothésistes serait au courant des détails de la plainte. Quel serait l’impact de cette plainte sur l’avenir de la clinique? La mise en cause invoque également la possibilité que les médias sociaux soient informés « par inadvertance de la plainte ». La mise en cause questionne également l’appelant sur la réaction des organismes qui militent pour le droit des femmes.
    2. Ou, la mise en cause a demandé au propriétaire de l’appelant de faire preuve d’ouverture d’esprit pour le deuxième scénario.
    3. 2) La mise en cause abandonnerait les plaintes et poursuites déjà intentées et celles en attente contre le propriétaire de l’appelant, S. L., le comptable de l’appelant, la mère du propriétaire de l’appelant. De plus, la mise en cause et son conjoint s’engagerait à ne pas divulguer et intenter de poursuites judiciaires relativement au harcèlement sexuel et psychologique; au manque de régularité dans le paiement des salaires; aux formes d’intimidation utilisées; aux problèmes de santé provoqués; à l’insécurité, et ce en échange d’un montant pour se rendre à sa retraite de 175 000$, libre d’impôt et en un seul versement accompagné d’une lettre d’excuse. En effet, le propriétaire de l’appelant a rendu la mise en cause dans un épuisement physique et mental extrême. De plus, selon son médecin, la mise en cause ne sera plus apte au travail pour très longtemps.
  10. La mise en cause a rappelé au propriétaire de l’appelant qu’elle serait facilement capable de requérir le double du montant dans le cadre d’une poursuite civile.
  11. La mise en cause a signé cette lettre et elle a autorisé la CNESST à la transmettre à l’appelant.

[18] À la suite de la réception de cette lettre, l’appelant a mis fin à l’emploi de la mise en cause. L’appelant a remis une lettre de congédiement datée du 31 janvier 2017 qui relate les faits précédant la fin de l’emploi (GD2-9 à 11) :

  1. 13 janvier 2017 : la CNESST a informé l’appelant que la mise en cause avait déposé 3 plaintes, soit une plainte de harcèlement psychologique, une plainte pécuniaire et une plainte relativement au bulletin de paie.
  2. 16 janvier 2017 : la mise en cause est revenue de vacances et d’une absence pour raison familiale et elle a demandé à l’appelant si elle pouvait travailler ou si elle devait partir. L’appelant a répondu qu’elle pouvait travailler et qu’il était ouvert à discuter des plaintes.
  3. 18 janvier 2017 : l’appelant a accepté de participer à une médiation à la CNESST afin de connaître les faits relativement aux plaintes pour les régler. Cependant, la mise en cause a exigé la présence du propriétaire de l’appelant qui n’était pas disponible à la date prévue de la rencontre.
  4. 20 janvier 2017 : l’appelant a suggéré une nouvelle date au médiateur/enquêteur de la CNESST qui l’a informé que la mise en cause ne souhaitait plus participer à une rencontre de médiation. Elle rencontrera seule le médiateur avec son conjoint.
  5. 20 janvier 2017 : comme la mise en cause avait une attitude négative et commettait des erreurs, l’appelant a proposé par le biais du médiateur de la suspendre avec solde jusqu’à la date prévue de la rencontre.
  6. 20 janvier 2017: le conjoint de la mise en cause a téléphoné pour aviser l’appelant que des fleurs seraient livrées au bureau relativement au décès de la mère de la mise en cause, survenue quelques semaines auparavant et qu’ils viendraient les chercher plus tard.
  7. 20 janvier 2017 : la mise en cause est venue chercher les fleurs à la réception et s’est rendue à son bureau. Après son départ, l’appelant a constaté que la mise en cause avait placé bien en vue une carte de souhaits provenant de sa belle-famille juriste.
  8. 26 janvier 2017 : la CNESST a transmis à l’appelant la lettre datée du 24 janvier 2017.
  9. Selon l’appelant, cette lettre de propositions basées sur des allégations mensongères et de menaces de poursuites non fondées a irrémédiablement rompu le lien de confiance essentiel entre un employeur et son employée.

[19] À l’audience, la partie appelante a fait entendre plusieurs témoins pour démontrer que les allégations décrites dans la lettre du 24 janvier 2017 étaient fausses et que le propriétaire de l’appelant n’avait pas commis des actes de harcèlement sexuel sur la mise en cause.

[20] Pour sa part, le représentant de la mise en cause a tenté de démontrer que la mise en cause avait été victime de harcèlement sexuel. Ainsi, il a soumis que l’envoi de la lettre était justifié par le vécu de la mise en cause.

[21] Le Tribunal tient à préciser qu’il n’a pas à déterminer si la mise en cause a été victime ou non de harcèlement sexuel. Le Tribunal doit déterminer si la mise en cause a volontairement envoyé la lettre du 24 janvier 2017 et si, en se faisant, elle savait ou elle aurait dû savoir qu’elle serait congédiée. 

Caractère volontaire de l’acte

[22] L’appelant est d’avis qu’il a rempli son fardeau de preuve quant au caractère volontaire de l’acte puisque la mise en cause a volontairement remis la lettre à la CNESST pour qu’elle soit transmise à l’appelant.

[23] La Commission est plutôt d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, la mise en cause n’a pas délibérément posé un geste qui avait pour but de nuire à la relation employeur-employé.

[24] La mise en cause n’a fourni aucun argument quant au caractère volontaire de son geste.

[25] Le Tribunal est d’avis que la mise en cause a volontairement transmis la lettre datée du 24 janvier 2017 à l’appelant.

[26] Tout d’abord, la preuve démontre que la mise en cause avait mandaté son conjoint pour rédiger la lettre datée du 24 janvier 2017 et qu’elle l’a elle-même signée.

[27] Par la suite, cette lettre a été transmise à l’appelant à sa demande par le biais de la CNESST. La transmission de la lettre n’était donc pas le résultat d’un acte involontaire, mais bien celui de la volonté de la mise en cause de la transmettre à l’appelant.

[28] Ensuite, le Tribunal a identifié de l’ensemble des témoignages entendus, que la mise en cause n’était pas dans son état mental habituel depuis le retour de son congé relativement au décès de sa mère en janvier 2017. Est-ce que cet état a rendu l’envoi de la lettre involontaire? Le Tribunal ne le croit pas, puisque son conjoint l’assistait dans cette démarche. En effet, le conjoint de la mise en cause jouait un rôle actif dans les diverses revendications et il était au courant de l’ensemble de son dossier. Son conjoint connaissait le milieu de travail, connaissait les intervenants en cause et connaissait les problématiques vécues par la mise en cause. Ainsi, l’envoi de la lettre était conscient, car non seulement la preuve de l’état mental de la mise en cause ne démontre pas que la transmission de la lettre était involontaire, mais en plus, la mise en cause était assistée de son conjoint.

[29] Le Tribunal est donc d’avis que la mise en cause a volontairement transmis la lettre à l’appelant (Tucker, supra).

Savait ou aurait dû savoir que l’envoi de la lettre mènerait à son congédiement

[30] À cette étape, il faut déterminer si la mise en cause savait ou si elle aurait dû savoir qu’elle pouvait être congédiée si elle transmettait la lettre à l’appelant.

[31] Selon la Commission, la chronologie décrite dans la lettre de congédiement datée du 31 janvier 2017, soit le processus de suspension avec solde et le congédiement a débuté à la suite du dépôt des plaintes de la mise en cause. Également, la lettre datée du 24 janvier 2017 est une tentative plutôt malhabile de régler le problème avec son employeur puisqu’elle était en congé forcé depuis le 20 janvier 2017. Les faits démontrent une mésentente grave entre l’appelant et la mise en cause qui a engendré une cascade d’actions qui ont mené au congédiement. Selon la Commission, il n’est pas possible de démontrer que les gestes posés étaient intentionnels ou négligents au point de constituer un manquement à une obligation découlant explicitement ou implicitement du contrat de travail.

[32] Selon la mise en cause, la lettre datée du 24 janvier 2017 n’est qu’une simple proposition ou suggestion faite à l’appelant. Le représentant de la mise en cause a fait valoir qu’il fallait avoir l’esprit tordu et malsain pour conclure que la lettre était une tentative d’extorsion. Par ailleurs, pourquoi auraient- ils rencontré la Sûreté du Québec avec tous les documents s’il s’agissait d’une extorsion; ils se seraient tirés dans le pied. Selon la mise en cause, leurs intentions étaient louables. D’ailleurs, l’appelant n’avait tout simplement qu’à répondre non à leur proposition. Le représentant de la mise en cause a soulevé que le montant de 175 000$ était le résultat d’une demande de la CNESST de chiffrer le montant de leur réclamation.

[33] Selon l’appelant, la mise en cause savait que l’envoi de la lettre entrainerait la fin de son emploi, puisqu’elle a pris soin de vider son bureau avant l’envoi, comme si elle ne retournerait pas au travail. De plus, la lettre datée du 24 janvier 2017 est une tentative pour lui soutirer 175 000$ et constitue une faute suffisamment grave pour que la mise en cause puisse savoir qu’elle serait congédiée en agissant de la sorte. De plus, la mise en cause et son conjoint étaient en colère contre l’appelant et S. L., en raison de la vente de la clinique, de changements dans les tâches de travail, des changements dans la méthode de paie, du déménagement de la clinique, du fait que le propriétaire de l’appelant était stagiaire et de la perte des contrats de ménage du conjoint de la mise en cause. 

[34] De plus, l’appelant a mis en doute la crédibilité du représentant de la mise en cause qui a témoigné dans le présent dossier. Ayant entendu l’ensemble des témoignages avant de lui-même témoigner, le représentant a modulé sa version des faits en fonction des faits mis en preuve. Par ailleurs, l’appelant a invité le Tribunal à faire preuve de réserve quant au témoignage du représentant puisque celui-ci a majoritairement relaté les paroles de la mise en cause, n’ayant pas constaté personnellement les faits. Finalement, l’appelant a soulevé que la preuve présentée par la mise en cause n’était pas corroborée et que le représentant a refusé de répondre aux questions qui auraient pu confirmer sa version des faits. Selon l’appelant, ce refus de répondre a affecté la crédibilité du représentant de la mise en cause. En effet, le représentant de la mise en cause a refusé de donner le nom du fleuriste qui a livré les fleurs le 20 janvier 2017 et le nom des membres de sa famille juriste.

[35] Pour déterminer si la mise en cause savait ou aurait dû savoir qu’elle serait congédiée, le Tribunal doit en premier évaluer la nature de la lettre en cause; s’agit-il d’une tentative de négociation ou d’extorsion? La nature de la lettre démontrera l’intention de la mise en cause et par conséquent son degré de connaissance que son congédiement était possible.

[36] Le Tribunal est d’avis que la lettre datée du 24 janvier 2017 n’est pas une tentative de négociation ou d’une offre de règlement, mais bien d’une tentative d’obtenir 175 000$ de l’appelant par la menace de poursuite criminelle, civile, disciplinaire et l’atteinte à sa réputation. 

[37] Premièrement, le fait que la mise en cause ait soumis à l’appelant 2 scénarios possibles démontre clairement qu’il ne s’agit pas d’une offre dans le cadre d’une négociation. En effet, dans le premier scénario, la mise en cause met la table sur l’ensemble des poursuites qu’elle entendait intenter et sur les conséquences possibles sur le propriétaire de l’appelant et la clinique. Par ce scénario, la mise en cause ne fait aucune proposition pour régler le conflit avec l’appelant, elle n’a fait qu’étaler les poursuites possibles.

[38] Dans le deuxième scénario, la mise en cause renonçait à intenter les poursuites décrites au premier scénario si l’appelant lui remettait une somme de 175 000$. La mise en cause et son conjoint ont donc menacé de poursuivre l’appelant pour obtenir un montant d’argent. Cet élément milite en faveur de l’extorsion.

[39] Le représentant de la mise en cause a tenté de diminuer la portée de la lettre en soulevant qu’il ne s’agissait que d’une simple suggestion, et que l’appelant n’avait qu’à la refuser. Le Tribunal ne peut retenir la prétention de la mise en cause, car la lettre expose clairement une demande d’argent en contrepartie de ne pas mettre les menaces à exécution.

[40] Deuxièmement, la lettre ne propose pas d’issue pour mettre fin au conflit avec l’appelant ou à tout le moins pour entamer un processus de discussion.

[41] D’une part, les 2 scénarios ne visent pas le conflit en lien avec les plaintes déposées à la CNESST. À vrai dire, la mise en cause s’est simplement engagée à retirer lesdites plaintes (et à ne pas déposer d’autres plaintes) en contrepartie du montant de 175 000$. Donc, la lettre n’a pas été rédigée pour entamer une discussion dans le but de résoudre le conflit, puisqu’elle ne le vise que superficiellement. Ainsi, le Tribunal ne peut retenir la simple affirmation du représentant de la mise en cause que le montant de 175 000$ avait été fixé à la demande de la CNESST.

[42] D’autre part, la mise en cause n’explique pas ce que représente le montant de 175 000$ autrement que pour l’abandon des plaintes existantes et la renonciation au dépôt de plaintes subséquentes. Le montant de 175 000$ n’a pas été ventilé ou même sommairement expliqué. Une présentation du montant de 175 000$ aurait pu permettre à l’appelant de mesurer la raisonnabilité du montant pour faire une contre-offre à la mise en cause. La mise en cause a simplement mentionné dans la lettre qu’il s’agissait d’un montant pour se rendre à sa retraite. Or, non seulement la mise en cause était toujours employée de l’appelant à cette époque, mais en plus elle n’explique pas comment ce montant lui permettrait de se rendre jusqu’à sa retraite.

[43] D’ailleurs, le montant de la réclamation de 175 000 $ n’est pas expliqué en fonction des plaintes déposées à la CNESST. Dans la lettre, la mise en cause ne présente aucun lien entre le montant pour se rendre à sa retraite et les plaintes à la CNESST qui traite plutôt de harcèlement psychologique, de plainte pécuniaire et de plainte relative au bulletin de paie. Comme le montant réclamé n’est pas en lien avec le conflit de travail, il ne peut donc pas constituer une offre.

[44] Le Tribunal est d’avis que le fait que la lettre ne soit pas envoyée dans un contexte de règlement de conflit démontre qu’il ne s’agit pas d’une tentative de négociation, mais une tentative d’extorsion ou de menace.

[45] Troisièmement, le Tribunal considère que le caractère plutôt agressif et directif dans la lettre démontre l’intention de la mise en cause de soutirer de l’argent en contrepartie de son silence et du retrait des plaintes.

[46] En effet, le choix des mots dans la lettre lui donne une portée menaçante et intimidante.

[47] Par exemple, la mise en cause et son conjoint ont informé l’appelant qu’une firme d’avocats était informée du dossier, conseillait et dirigeait le dossier et que la firme d’avocats était en attente pour enclencher une poursuite sévère au civil selon le déroulement des événements. Ainsi, la mise en cause voulait que l’appelant sache qu’elle était représentée par plusieurs avocats. Pour le Tribunal, cette mention apporte une teinte d’intimidation à la lettre plutôt qu’une ouverture à la discussion.

[48] De plus, lors de la description du premier scénario, la mise en cause a menacé l’appelant d’aller rencontrer un enquêteur de la Sûreté du Québec et que le propriétaire de l’appelant «sera-t-il mit sous arrestation, il s’agit d’une éventualité. […] De plus, comment réagirait le public si par inadvertance certains médias sociaux seraient informés de cette histoire pathétique. » Selon le Tribunal, il s’agit clairement d’une menace de porter atteinte à la réputation de l’appelant sur les médias sociaux.

[49] Également, à la toute fin de la lettre, la mise en cause et son conjoint ont rappelé à l’appelant qu’une poursuite en matière civile pourrait facilement leur rapporter le double du montant de 175 000$.

[50] Ces trois citations démontrent le caractère agressif de la lettre qui correspond plus à une lettre ou l’on cherche à soutirer des montants par la menace plutôt qu’à une lettre qui expose une offre.

[51] Quatrièmement, la crédibilité de la partie mise en cause quant à la qualification de la lettre est douteuse. En effet, le représentant de la mise en cause a prôné l’importance de la dénonciation des agressions de nature sexuelle et a déploré le fait que les victimes étaient souvent les dernières personnes à être crues. Or, le représentant de la mise en cause était prêt à museler sa conjointe et à chiffrer son silence à 175 000$.  Pour le Tribunal, il s’agit d’une contradiction majeure dans la prétention de la partie mise en cause. Le représentant de la mise en cause ne peut se prétendre défenseur du droit des victimes d’agressions sexuelles et vendre le silence de sa conjointe à son propre agresseur allégué. Cette contradiction milite quant au fait que la lettre n’est pas une tentative de négociation.

[52] Par ailleurs, le représentant de la mise en cause a plaidé qu’il serait insensé de rédiger une lettre d’extorsion et de la remettre à l’enquêteur de la Sûreté du Québec lorsqu’ils sont allés déposer leur plainte. Cependant, le Tribunal n’a pas la preuve que la lettre a été déposée à un agent de la Sûreté du Québec et dans quel contexte se serait fait ce dépôt.

[53] Ainsi, l’analyse de la lettre du 24 janvier 2017 démontre que, contrairement à la prétention de la mise en cause et de la Commission, elle n’était pas une tentative, même maladroite, de négocier la fin d’un conflit de travail. 

[54] Considérant que la lettre envoyée n’est pas une tentative de négociation, mais s’assimile plutôt à une tentative d’extorsion le Tribunal est d’avis que la mise en cause savait ou aurait dû savoir qu’elle serait congédiée.

[55] En effet, le dépôt de la lettre n’est pas qu’un simple manquement à une obligation au contrat de travail (Langlois, supra). La mise en cause ne pouvait donc pas ignorer qu’elle serait congédiée en raison de la gravité de l’acte commis (Meunier, supra; Nolet, supra). Un employé ne peut menacer son employeur de déposer des plaintes criminelles, disciplinaires et d’intenter des poursuites sévères au civil s’il ne lui verse pas un montant d’argent et penser conserver son emploi.

[56] Le comportement de la mise en cause est un acte d’une gravité importante qui a rompu le lien de confiance entre elle et l’appelant. Le propriétaire de l’appelant a témoigné il ne pouvait plus avoir confiance en l’appelante pour l’accomplissement de ses tâches de travail.

[57] Par ailleurs, le Tribunal considère que le comportement de la mise en cause démontre qu’elle connaissait la teneur et la gravité de la lettre datée du 24 janvier 2017. Dans le cadre de sa demande initiale, la mise en cause n’a pas avisé la Commission de l’envoi de cette lettre pour expliquer son congédiement. La mise en cause a déclaré à la Commission qu’elle a été congédiée en raison d’une plainte déposée à la CNESST, à la Commission des droits de la personne, à l’ordre des audioprothésistes et à la Sûreté du Québec. Non seulement la preuve a démontré que l’appelant connaissait uniquement l’existence des plaintes à la CNESST au moment du congédiement, mais en plus, la mise en cause a fait totalement abstraction de la lettre du 24 janvier 2017 qui pourtant, était clairement identifiée dans la lettre de congédiement comme étant la raison de la fin d’emploi. Le Tribunal considère que la mise en cause a omis de mentionner la lettre, car elle savait qu’elle n’était pas à son avantage pour le traitement de son dossier. Par conséquent, elle connaissait la teneur de celle-ci et elle devait donc savoir qu’elle serait congédiée (Mishibinijima, supra, Langlois, supra).

[58] La Commission a soulevé que la mise en cause ne pouvait savoir qu’elle serait congédiée, car la lettre s’inscrivait dans une chronologie d’événement tel que mentionné dans la lettre de congédiement. Il est vrai que la mise en cause et l’appelant avaient un conflit de travail qui avait débuté par une plainte à la CNESST. À cet effet, la mise en cause a soulevé que l’appelant était fermé à la médiation en lien avec ses plaintes.

[59] Or, contrairement à la prétention de la mise en cause, la preuve démontre que l’appelant s’est montré ouvert au règlement du conflit avec la CNESST. En effet, l’appelant a accepté de participer à une rencontre de médiation avec la mise en cause, mais a dû reporter la date, car le propriétaire de l’appelant n’était pas disponible à cette date. Quelques jours plus tard, alors que l’appelant a contacté la CNESST, celui-ci l’a avisé que la mise en cause ne souhaitait plus qu’il participe à la médiation. Au surplus, lorsque l’appelant a suspendu la mise en cause avec solde, il l’a fait avec l’accord de la CNESST.

[60] Donc, l’implication de l’appelant dans la médiation démontre que les plaintes à la CNESST ne sont pas le point de départ du congédiement et ne s’inscrit pas dans une chronologie d’événements qui a mené au congédiement.

[61] De plus, le Tribunal a déjà conclu lors de l’analyse de la nature de la lettre qu’elle ne s’inscrivait pas dans un processus de négociation pour régler le conflit de travail.

[62] Le représentant de la mise en cause a soulevé que la lettre n’est pas une inconduite, car les agressions sexuelles ont eu lieu. Cependant, le Tribunal n’a pas à déterminer si la mise en cause était justifiée d’envoyer la lettre; le Tribunal doit déterminer si la mise en cause savait ou aurait dû savoir qu’elle pouvait être congédiée en envoyant la lettre.

[63] Ainsi, le Tribunal n’a pas à déterminer si les faits relatés dans la lettre sont vrais ou non. D’ailleurs, même si les allégations dans la lettre étaient vraies, la mise en cause savait qu’elle serait congédiée en envoyant une lettre menaçante de cette ampleur à son employeur (Mishibinijima, supra).

[64] Considérant que la lettre datée du 24 janvier 2017 a volontairement et consciemment été transmise à l’appelant, que la lettre est une tentative d’obtenir 175 000$ de l’appelant par la menace de poursuite judiciaire et que cette lettre constitue un manquement grave, la mise en cause savait ou aurait dû savoir qu’elle serait congédiée. L’appelant s’est déchargé de son fardeau de preuve de démontrer que la mise en cause a commis une inconduite (Bartone, supra; Larivee, supra; Meunier, supra).

[65] Le Tribunal doit donc déterminer s’il existe un lien de causalité entre l’inconduite et la perte de l’emploi.

Si oui, existe-t-il un lien de causalité entre l’envoi de la lettre et la perte de l’emploi

[66] La preuve d’une inconduite n’entraine pas automatiquement une exclusion au sens de la Loi. Il doit exister un lien de causalité entre cette inconduite et le congédiement du prestataire. L’inconduite doit être la cause du congédiement et non un simple prétexte pour congédier un employé (Procureur général du Canada c. Brissette, A-1342-92).

[67] Le Tribunal doit analyser objectivement la preuve pour déterminer si l’inconduite est vraiment la cause du congédiement (Meunier, supra). « Le lien entre l’emploi et l’inconduite est un lien de causalité et non un lien de simultanéité (Procureur général du Canada c. Mc Namara, 2007 CAF 107). »

[68] Ainsi, le Tribunal « doit être convaincu que l’inconduite était le motif et non l’excuse du congédiement, et pour satisfaire à cette exigence, il doit arriver à une conclusion de fait après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve. » (Davlut c. Procureur général du Canada, A-241-82)

[69] La Commission a prétendu que la mise en cause avait été congédiée en raison des plaintes à la CNESST. Il n’y a donc pas de lien de causalité, il s’agit plutôt d’un lien de simultanéité.

[70] Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prétention de la Commission. Tout d’abord, le Tribunal a déjà expliqué que l’envoi de la lettre ne s’est pas fait dans un contexte de règlement de plaintes déposées à la CNESST. Au surplus, l’appelant a démontré une ouverture à régler ce conflit. Le comportement de l’appelant ne démontre pas qu’il a profité de l’envoi de la lettre pour congédier la mise en cause en raison des plaintes (Davlut, supra; Meunier, supra).

[71] L’appelant a mis fin à l’emploi de la mise en cause, car elle avait brisé leur lien de confiance. Il s’agit d’un manquement à une obligation implicite du contrat de travail (Brissette, supra; Nolet, supra). Le propriétaire de l’appelant a témoigné qu’après la réception de cette lettre, il ne pouvait plus garder la mise en cause à son emploi, car il ne pouvait plus se fier à elle pour préparer des commandes, pour prendre des rendez-vous et pour s’assurer que les patients de la clinique étaient bien servis. Ainsi, en raison du bris du lien de confiance par l’envoi de la lettre datée du 24 janvier 2017, l’appelant ne pouvait plus laisser la mise en cause accomplir ses tâches de travail. Le congédiement est donc la conséquence de l’inconduite et non une simultanéité (Mc Namara, supra). 

[72] Comme l’appelant ne pouvait garder la mise en cause à l’emploi, car l’envoi de la lettre datée du 24 janvier 2017 a brisé le lien de confiance. La mise en cause a donc été congédiée en raison de l’envoi de cette lettre. Le Tribunal est d’avis qu’il existe un lien de causalité entre l’inconduite et le congédiement.

Conclusion

[73] L’appel est accueilli. Le Tribunal conclut que la mise en cause a commis une inconduite qui a occasionné son congédiement.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 25 et 29 mai 2018

En personne et par téléconférence

X, appelant

L. A., propriétaire de l’appelant

Me Suzanne Potier, représentante de l’appelant

Michel Blouin, représentant de la mise en cause

Annexe

Droit applicable

Loi sur l’assurance-emploi

  1. 29 Pour l’application des articles 30 à 33 :
    1. a) emploi s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
    2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
    3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
      1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
      2. (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
      3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
    4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
      1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
      2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
      3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
      4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
      5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
      6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
      7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
      8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
      9. (ix) modification importante des fonctions,
      10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
      11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
      12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
      13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
      14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.
  2. 30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :
    1. (a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
    2. (b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.
  3. (2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.
  4. (3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.
  5. (4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.
  6. (5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.
  7. (6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.
  8. (7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations - qu’elle soit initiale ou non - n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.
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