Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant, J. B. (prestataire), a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, en date du 30 mai 2016, après avoir travaillé pour l’employeur X, du 29 novembre 2015 au 14 mai 2016, à titre de gérant de salle de quilles. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a informé le prestataire qu’elle ne pouvait pas lui verser des prestations à compter du 1er août 2016. La Commission a expliqué qu’elle considérait que le prestataire n’était pas en chômage puisqu’il participait à l’exploitation d’une entreprise à compter de cette date. Le prestataire a contesté la décision rendue à son endroit par la Commission auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

[3] La division générale a conclu que, pour la période du 1er août 2016 au 27 avril 2017, l’imposition au prestataire d’une inadmissibilité aux prestations d’assurance-emploi, parce qu’il n’avait pas démontré qu’il était en chômage, était justifiée conformément aux articles 9 et 11 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi), et à l’article 30 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement). 

[4] La division générale a conclu qu’au cours de la période en litige, le prestataire n’exerçait pas son emploi ou exploitait son entreprise « […] dans une mesure si limitée que cet emploi ou cette activité ne constituerait pas normalement le principal moyen de subsistance d’une personne […] », comme le prescrit le paragraphe 30(2) du Règlement.

[5] La permission d’en appeler a été accordée par le Tribunal. La prestataire fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Plus précisément, il fait valoir que la division générale s’est maintes fois fondée sur des jugements sans fondement factuel, sans tenir compte des éléments qui ont été portés à son attention dans son analyse des six facteurs prévus par le Règlement. Il fait valoir que la division générale a refusé de regarder les faits objectivement et que la majorité des arguments au soutien de sa décision se fondent sur des possibilités ou du virtuel.

[6] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré en concluant que l’inadmissibilité imposée conformément aux articles 9 et 11 de la Loi et à l’article 30 du Règlement était fondée.

[7] Le Tribunal rejette l’appel du prestataire.

Questions en litige

[8] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré en droit dans son analyse des six critères relatifs à l’état de chômage et en fondant sa décision sur l’état de chômage du prestataire sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte d’éléments portés à sa connaissance.

Analyse

Mandat de la division d’appel

[9] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. 

[10] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel au regard des décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure. 

[11] En conséquence, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Question en litige no 1 : Est-ce que la division générale a erré en droit dans son analyse des six critères relatifs à l’état de chômage?

Question en litige no 2 : Est-ce que la division générale a erré en fondant sa décision sur l’état de chômage du prestataire sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte d’éléments portés à sa connaissance?

[12] La Commission a informé le prestataire qu’elle ne pouvait pas lui verser des prestations à compter du 1er août 2016. La Commission a expliqué qu’elle considérait que le prestataire n’était pas en chômage puisqu’il participait à l’exploitation d’une entreprise de salle de quilles à compter de cette date.

[13] Un individu qui exploite une entreprise est un travailleur indépendant au sens du Règlement.

[14] Il ressort clairement de la preuve devant la division générale que le prestataire a exploité une entreprise selon les dispositions du Règlement. Le prestataire est l’unique actionnaire de l’entreprise 9345-1516 Inc. et exploitant de cette entreprise depuis sa création, en date du 1er août 2016.

[15] Un prestataire qui exploite sa propre entreprise au sens du Règlement est présumé travailler une semaine entière de travail à moins qu’il puisse démontrer que son niveau d’implication dans cette entreprise est si limité qu’une personne ne pourrait normalement compter sur cette activité comme principal moyen de subsistance.

[16] La division générale devait se poser la question de savoir si, objectivement, la mesure dans laquelle le prestataire participait à son entreprise pendant la période de prestations, déterminée à la lumière des facteurs prévus au paragraphe 30(3), était telle qu’elle n’aurait pu constituer son principal moyen de subsistance.

[17] Lorsqu’elle a rejeté l’appel du prestataire, la division générale a conclu ce qui suit :

[37] Le Tribunal souligne que « le temps consacré » représente en outre, l’élément le plus important et le plus pertinent à considérer pour déterminer si un prestataire effectue une semaine entière de travail (Martens, 2008 CAF 240, Jouan, A-366-94).

[93] Le Tribunal souligne que les éléments se rapportant à cet aspect (volonté de se chercher et d’accepter sans tarder un nouvel emploi) revêtent une « importance primordiale » (Charbonneau, 2004 CAF 61).

[18] Le Tribunal est d’avis que la division générale a erré en droit en accordant une importance démesurée au critère du temps consacré à l’entreprise et à celui de la volonté de se chercher et d’accepter sans tarder un nouvel emploi. 

[19] Tel que l’a souligné à maintes reprises la division d’appel du Tribunal, il existe une jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, plus récente que celle sur laquelle se fonde la division générale, établissant qu’il y a lieu de procéder à une analyse globale des six critères, sans accorder de prépondérance à l’un ou plusieurs d’entre eux, et que chaque dossier doit être évalué sur le fond.Note de bas de page 1

[20] Le Tribunal est d’avis que le texte du Règlement doit être considéré dans sa totalité considérant qu’une personne pourrait consacrer peu de temps à son entreprise et néanmoins en faire son principal moyen de subsistance. De plus, le fait de ne pas générer un revenu suffisant ne veut pas nécessairement dire que le prestataire est sans emploi.

[21] Le Tribunal constate également que la division générale ne s’est pas réellement prononcée sur l’un des six critères prévus au paragraphe 30 du Règlement, à savoir, la réussite ou l’échec financier de l’entreprise du prestataire.

[22] Finalement, la division générale n’a pas tenu compte de certains éléments portés à sa connaissance dans son analyse du critère concernant le maintien de l’entreprise, notamment la caducité du bail commercial et l’échec manifeste de l’entreprise.

[23] Pour ces raisons, le Tribunal est justifié d’intervenir et de rendre la décision qui aurait dû être rendue par la division générale.

[24] Le paragraphe 30(3) du Règlement détaille les six facteurs à considérer pour déterminer si l’exploitation de l’entreprise est à ce point limitée que le prestataire n’en ferait pas normalement son principal moyen de subsistance. Les circonstances qui permettent de déterminer si le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise dans la mesure décrite au paragraphe (2) sont les suivantes :

  1. a) le temps qu’il y consacre;
  2. b) la nature et le montant du capital et des autres ressources investis;
  3. c) la réussite ou l’échec financiers de l’emploi ou de l’entreprise;
  4. d) le maintien de l’emploi ou de l’entreprise;
  5. e) la nature de l’emploi ou de l’entreprise;
  6. f) l’intention et la volonté du prestataire de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi.

Le temps consacré

[25] Le prestataire souligne qu’il ne consacrait que dix heures par semaine à son entreprise pendant la période en litige et qu’il n’a commencé à travailler qu’au début du mois de septembre 2016.

[26] Pourtant, la preuve démontre que dès le moment où son entreprise a été constituée, soit le 1er août 2016, le prestataire a assumé seul la totalité des responsabilités au sein de son entreprise.

[27] Il est celui qui prenait toutes les décisions touchant les activités de l’entreprise puisqu’il était actionnaire et administrateur unique. Il a adopté et signé de nombreuses résolutions en tant qu’administrateur de l’entreprise dès le 1er août 2016. Il a ouvert un compte de banque et contracté un prêt auprès d’une institution financière. Il a négocié avec le locateur les termes et conditions de l’engagement de son entreprise. Il s’est présenté chez un notaire pour révision et signature de documents juridiques. Il a réembauché d'anciens employés de la salle de quilles. Il a revigoré la salle de quilles en vue de son ouverture. Il a effectué des démarches de publicité afin de solliciter de la clientèle pour la saison de quilles à venir, en accordant notamment une entrevue à un journal.

[28] Un extrait de la page du compte Facebook du prestataire, en date du 8 août 2016, annonce qu’il est l’administrateur principal et seule partie à l’aventure.Note de bas de page 2

[29] Dans une déclaration faite à la Commission, en date du 19 octobre 2016, le prestataire a déclaré que la salle de quilles avait été complètement fermée jusqu’à la mi-août 2016.Note de bas de page 3

[30] Un extrait de la page du compte Facebook du prestataire, en date du 16 août 2016, annonce que la salle allait être ouverte à partir du lundi 22 août 2016, de 18 heures à 21 heures, et que le début de la saison des ligues de quilles allait s’effectuer le 30 août 2016.Note de bas de page 4

[31] Compte tenu des déclarations antérieures du prestataire, ainsi que des pièces versées au dossier, le Tribunal considère comme peu crédible la position du prestataire voulant qu’il ne consacrait que dix heures par semaine à son entreprise jusqu’au début du mois de septembre 2016. Il y était plutôt très investi en vue d’assurer la réussite de son entreprise.

[32] Le Tribunal conclut que la participation du prestataire aux différentes tâches liées à l’exploitation de cette entreprise revêtait une importance beaucoup plus grande qu’il ne le laisse entendre, et ce dès le début du mois d’août 2016.

La nature et le montant du capital et des autres ressources investis

[33] Le prestataire fait valoir qu’il n’a jamais pris possession de l’équipement de l’entreprise et qu’il n’a donc rien payé pour en faire l’acquisition. Il souligne que le bail commercial est devenu caduc au mois de novembre 2016 pour cette raison en vertu de la clause 6.2 du bail signé entre les parties mais que les parties ont cependant accepté de poursuivre l’aventure sur la base d’une entente verbale jusqu’à la fin officielle des activités en avril 2017.

[34] La preuve non contestée devant le Tribunal démontre que le prestataire a contracté un prêt personnel en août 2016 pour la somme de 20 000 $ auprès d’une institution financière dans le but d’avoir un fonds de roulement pour son entreprise.Note de bas de page 5

[35] Le prestataire s’est également porté personnellement garant en relation avec le bail de l’entreprise jusqu’à concurrence de l’équivalent de trois (3) mois de loyer et de tout loyer additionnel, soit l’équivalent d’une autre somme de 20 000 $.Note de bas de page 6

[36] Le Tribunal conclut que le montant du capital et des autres ressources investis dans l’entreprise était important.

La réussite ou l’échec financier de l’emploi ou de l’entreprise

[37] La division générale ne s’est pas réellement prononcée sur cette question. Il ressort clairement de la preuve que l’entreprise n’a jamais vraiment pris son envol et qu’elle s’est avérée un échec financier.

Le maintien de l’emploi ou de l’entreprise

[38] Comme précédemment mentionné par le Tribunal, il ressort clairement de la preuve que l’entreprise n’a jamais vraiment pris son envol. Les activités de l’entreprise auraient manifestement cessé dès le mois de novembre 2016, soit trois mois après son ouverture, n’eût été la volonté des parties de les prolonger malgré tout l’aventure jusqu’à la fin du mois d’avril 2017.

La nature de l’emploi ou de l’entreprise

[39] Le prestataire a agi comme gérant de la salle de quilles pour la période du 29 novembre 2015 au 14 mai 2016, avant de finalement faire l’acquisition de la salle de quilles en août 2016.

[40] La nature de l’entreprise était donc identique à l’emploi précédent du prestataire dans son domaine d’expertise.

L’intention et la volonté de l’appelant de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi

[41] Le prestataire a avisé son employeur durant l’été 2016 qu’il ne reprendrait pas son emploi habituel de chauffeur d’autobus à la fin de son congé sans solde, prévue le 19 août 2016.

[42] Dans une déclaration faite à la Commission, en date du 19 octobre 2016, le prestataire a déclaré qu’il ne recherchait plus d’emploi depuis qu’il savait qu’il serait administrateur de son entreprise.Note de bas de page 7

[43] Le prestataire a adopté et signé une résolution en date du 1er août 2016 le nommant personnellement administrateur de l’entreprise. Un extrait de la page du compte Facebook du prestataire, en date du 8 août 2016, annonce qu’il est l’administrateur principal et seule partie à l’aventure.Note de bas de page 8 

[44] Dans une déclaration subséquente faite à la Commission, en date du 6 décembre 2016, le prestataire a déclaré qu’il n’avait pas effectué de recherche d’emploi pendant le mois d’août 2016.Note de bas de page 9

[45] Il ressort clairement de la preuve que le prestataire a concentré ses énergies sur son entreprise pendant la période en litige plutôt que de chercher et d’accepter un emploi sans tarder.

Exploitation d’une entreprise dans une mesure si limitée

[46] L’application du test objectif prévu au paragraphe 30(2) à la situation du prestataire nous révèle qu’au moins quatre des facteurs pertinents conduisent à la conclusion que l’engagement du prestataire dans l’entreprise pendant sa période de prestations n’était pas dans une mesure si limitée. La preuve démontre que l’implication du prestataire dans l’entreprise était suffisamment importante, et ce, dès le 1er août 2016, pour en faire son principal moyen de subsistance.

Conclusion

[47] L’appel est rejeté.

[48] Pour la période allant du 1er août 2016 au 27 avril 2017, l’imposition au prestataire d’une inadmissibilité aux prestations d’assurance-emploi, parce qu’il n’avait pas démontré qu’il était en chômage, était justifiée conformément aux articles 9 et 11 de la Loi et à l’article 30 du Règlement.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 26 juin 2018

Téléconférence

J. B., appelant

Sylvain Bergeron, représentant de l’appelant

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