Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Décision et motifs

Décision

[1] La décision de la division générale est accueillie.

Aperçu

[2] L’appelant, M. R. (le prestataire), a été congédié le 4 septembre 2016 et s’est rendu dans un bureau de Service Canada pour poser des questions au sujet des prestations d’assurance-emploi. D’après ce qu’un agent de Service Canada lui a dit, le prestataire a compris qu’il devait obtenir son relevé d’emploi avant de pouvoir demander des prestations. Il a quitté le bureau dans le but d'obtenir ce document. Le prestataire a eu de la difficulté à obtenir son relevé d’emploi parce que son employeur avait cessé ses activités, mais son relevé d’emploi a finalement été préparé le 7 novembre 2016 et lui a été posté. Il est retourné à Service Canada où on lui a dit de présenter sa demande en ligne, ce qu’il a fait. La demande en ligne du prestataire était datée du 23 novembre 2016, mais il a ultérieurement demandé que sa demande initiale soit antidatée au 5 septembre 2016. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission), a refusé sa demande d’antidatation parce qu’il n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le retard.

[3] La Commission n’a pas modifié sa décision en réponse à la demande de réexamen du prestataire. Celui-ci a interjeté appel devant la division générale, mais son appel a été rejeté. Il porte maintenant cette décision en appel devant la division d'appel.

[4] La division générale a conclu à tort que le prestataire n’avait posé des questions au sujet de ses droits et obligations qu’à la fin d’octobre 2016. Elle a également commis une erreur de droit en omettant de se demander si ses circonstances étaient exceptionnelles. Par conséquent, l’appel est accueilli. J’ai revu les conclusions de la division générale pour rendre la décision que celle-ci aurait dû rendre. Je conclus que le prestataire a démontré un motif valable justifiant le retard et j’accueille la demande d’antidatation de la demande du prestataire. La demande initiale sera considérée comme ayant été présentée le 5 septembre 2016.

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte du témoignage du prestataire selon lequel il s’est rendu dans un Centre Service Canada pour la première fois afin de se renseigner sur les prestations dans la semaine suivant son congédiement?

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit :

  1. en omettant de déterminer si l’incompréhension du prestataire quant à l’exigence d’un relevé d’emploi constituait un motif valable;
  2. en omettant de se demander si le prestataire a agi comme une personne raisonnable pour s’enquérir de ses droits et obligations;
  3. en omettant de tenir compte de circonstances exceptionnelles justifiant le retard?

Analyse

Normes de contrôle

[7] Les moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS ») sont semblables aux moyens habituels de contrôle judiciaire, ce qui laisse entendre que l’analyse des normes de contrôle appliquée par les tribunaux pourrait également s’appliquer à la division d’appel.

[8] Toutefois, je ne crois pas que l’application des normes de contrôle soit nécessaire ou utile. Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica,Note de bas de page 1 la Cour d’appel fédérale estimait que les normes de contrôle ne devraient s’appliquer que si la loi habilitante prévoit leur application. Les appels administratifs de décisions relatives à l’assurance-emploi sont régis par la Loi sur le MEDS, qui ne prévoit pas que les appels doivent être menés conformément aux normes de contrôle. L’arrêt Huruglica a également mentionné que les principes qui ont guidé le rôle des tribunaux dans le contrôle judiciaire des décisions administratives ne s’appliquent pas dans un cadre administratif multiniveau.

[9] L’arrêt Canada (Procureur général) c. JeanNote de bas de page 2 porte sur le contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel. La Cour d’appel fédérale n’était pas tenue de se prononcer sur l’applicabilité des normes de contrôle, mais elle a reconnu dans ses motifs que les tribunaux d’appel administratifs ne possèdent pas les pouvoirs de révision et de surveillance qui sont exercés par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale lorsque les normes de contrôle sont appliquées. La Cour a également fait observer que la division d’appel possède autant d’expertise que la division générale et n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence.

[10] Certaines autres décisions de la Cour d’appel fédérale semblent approuver l’application des normes de contrôleNote de bas de page 3. Je suis néanmoins convaincu par le raisonnement de la Cour dans Huruglica et Jean. J’examinerai donc le présent appel en me référant uniquement aux moyens d’appel prévus par la Loi sur le MEDS.

Principes généraux

[11] La tâche de la division d’appel est plus restreinte que celle de la division générale. La division générale est tenue d’examiner et de soupeser la preuve dont elle est saisie et de tirer des conclusions de fait. La division générale doit appliquer le droit à ces faits afin de tirer des conclusions sur les questions de fond soulevées par l’appel.

[12] Pour que la division d’appel intervienne dans une décision de la division générale, la division d’appel doit conclure que la division générale a commis l’un des types d’erreurs décrits par les « moyens d’appel » au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

[13] Les seuls moyens d’appel sont décrits ci-après :

  1. la division générale n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Preuve de la première visite à Service Canada

[14] Un prestataire doit démontrer qu’il a un motif valable de retarder sa demande pendant toute la période du retardNote de bas de page 4. Comme je l’ai indiqué dans la décision sur la permission d’en appeler, l’ampleur du retard initial du prestataire avant sa visite dans un Centre Service Canada semble avoir été largement prise en compte dans la décision selon laquelle le prestataire n’a pas démontré un motif valable pour toute la période du retard.

[15] La division générale a calculé que la première visite du prestataire à Service Canada était d’environ sept semaines à compter de la date de sa mise en disponibilité. Pour en arriver à cette date, la division générale a utilisé la date du relevé d’emploi comme point de départ et a travaillé à rebours, selon le témoignage du prestataire selon lequel il a reçu le relevé d’emploi entre deux et trois semaines après sa visite. Ainsi, la division générale n’a pas tenu compte du témoignage du prestataire selon lequel il s’est rendu à Service Canada « immédiatement », le « 9 ou le 10 septembre », ou dans la première semaine suivant son licenciement. La division générale n’a fourni aucune raison de préférer la date qu’elle a obtenue au témoignage précis du prestataire.

[16] La division générale n’a pas fourni les raisons pour lesquelles elle a résolu l’apparente incohérence en faveur de la date à laquelle elle a été établie et il est donc impossible de savoir si elle a tenu compte du témoignage précis du prestataire concernant la date de sa première visite. Ainsi, soit la division générale a commis une erreur en tirant une conclusion de fait sans tenir compte de la preuve du prestataire en contravention de l’alinéa 58(1)c), soit elle a commis une erreur de droit en fournissant des motifs insuffisants en contravention de l’alinéa 58(1)b).

Omission de déterminer si les motifs du prestataire constituent un « motif valable »

[17] Pour que la Commission considère une demande initiale de prestations comme ayant été présentée antérieurement à la date de la demande, le paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) exige que le prestataire démontre qu’il avait « durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard ».

[18] La Commission a fait valoir qu’il n’était pas clair que la division générale s’était penchée sur la question de savoir si l’hypothèse erronée du prestataire selon laquelle il avait besoin de son relevé d’emploi pour l’appliquer satisfaisait à l’exigence d’avoir un motif valable.

[19] En fait, la division générale a tenu compte du fait que le prestataire ne connaissait pas la loi ou les prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 5, qu’il avait demandé conseil au sujet de la demande de prestations auprès de Service Canada, et qu’on lui avait posé des questions concernant le relevé d’emploi. La division générale a conclu que le prestataire avait présumé qu’il avait besoin du relevé d’emploi pour présenter une demandeNote de bas de page 6, qu’un prestataire ne peut se fier à des renseignements erronés pour démontrer l’existence d’un motif valable, et qu’un prestataire a le devoir de comprendre ses obligations.

[20] Il est clairement implicite que la division générale s’est penchée sur la question de savoir si l’opinion erronée du prestataire selon laquelle il avait besoin du relevé d’emploi pour présenter une demande équivalait à un motif valable et a conclu que non. Je ne considère pas que la division générale a commis une erreur de droit à cet égard.

Omission de déterminer si le prestataire a agi comme une personne raisonnable pour s’enquérir de ses droits et obligations

[21] La Cour d’appel fédérale a statué que, sauf dans des circonstances exceptionnelles, le prestataire qui se trouve dans cette situation doit prendre des mesures raisonnablement rapides pour comprendre ses obligations en vertu de la LoiNote de bas de page 7

[22] La division générale n’a pas tiré de conclusion précise quant à savoir si les actions du prestataire étaient raisonnablement rapides. Toutefois, elle a tenu compte de la nature « tardive » de l’enquête initiale pour établir que le prestataire n’a pas agi comme une personne « raisonnable et prudente ». Dans l’arrêt Quadir c. Procureur général du CanadaNote de bas de page 8, la Cour d’appel fédérale a statué que l’obligation d’agir comme une personne raisonnable et prudente aurait agi dans les circonstances et que l’obligation de prendre des mesures raisonnablement rapides sont essentiellement le même critère. En fin de compte, la question est « une question de caractère raisonnable, éclairée par l’appréciation subjective par le demandeur des circonstances, évaluée selon une norme objective »Note de bas de page 9. L’arrêt Quadir a déterminé que le « caractère raisonnable » de la conduite du prestataire était une question mixte de fait et de droit, dans laquelle un droit établi est appliqué aux faits. Par conséquent, la division d'appel n'a pas compétence et je ne peux pas examiner cette question.

Omission de déterminer si la situation du prestataire était « exceptionnelle »

[23] Comme nous l’avons déjà mentionné, pour déterminer s’il existe un « motif valable », il faut nécessairement établir si les circonstances étaient exceptionnelles, c’est-à-dire qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’un prestataire ait agi rapidement.

[24] La division générale a déclaré qu’elle s’était penchée sur la question de savoir s’il y avait des « circonstances exceptionnelles », en soulignant que le prestataire n’avait signalé aucune difficulté particulière qui l’empêchait de poser des questions supplémentaires sur l’incidence de son relevé d’emploi manquantNote de bas de page 10. Toutefois, cette vision est trop restreinte. Dans l’affaire Procureur général du Canada c. GauthierNote de bas de page 11, la Cour d’appel fédérale a rejeté une approche qui exigerait que les circonstances empêchent la présentation d’une demande, même en admettant que dans certaines circonstances, il est raisonnable qu’un prestataire retarde consciemment la présentation de sa demande. De plus, les circonstances dont, le cas échéant, la division générale a effectivement tenu compte pour conclure qu’il n’a « présenté aucune circonstance exceptionnelle pour justifier le retard » n’ont pas été établies clairementNote de bas de page 12.

[25] La division générale a appliqué un critère injustifiablement rigoureux pour déterminer la situation du prestataire. De plus, ses motifs étaient insuffisants.  La division générale a également omis d’analyser la situation particulière du prestataire ou d’expliquer de façon adéquate pour quels motifs elle les a jugés non exceptionnels.  Pour ces motifs, je conclus que la division générale a commis une erreur de droit en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS.

[26] J’ai conclu que la division générale avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, à savoir que la division générale n’avait pas tenu compte du témoignage du prestataire quant à la date de sa première visite à Service Canada. J’ai également conclu que la division générale avait commis une erreur de droit en omettant d’analyser si les circonstances du prestataire étaient exceptionnelles. Par conséquent, l’appel est accueilli.

Redressement

[27] Ayant accueilli l’appel, je dois maintenant examiner le redressement approprié. En vertu de l’article 59 de la Loi sur le MEDS, j’ai le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou de confirmer, annuler ou modifier la décision de la division générale en tout ou en partie.

[28] Lorsqu’un prestataire cherche à faire antidater une demande, il doit démontrer qu’il a un motif valable pour le retard qui s’est écoulé tout au long de la période commençant le jour précédent et se terminant le jour où la demande initiale a été présentée et que le prestataire était admissible à des prestations le jour précédentNote de bas de page 13. En l’espèce, le prestataire demande une antidatation au 5 septembre 2016 et il a présenté une demande initiale le 23 novembre 2016.

[29] Il n’est pas contesté que le prestataire aurait été admissible à des prestations la veille. Il a perdu son emploi sans faute de sa part, en raison de la fermeture de l’entreprise de son employeur. Il avait manifestement accumulé amplement d’heures pour être admissible aux prestations dans le délai qui aurait été sa période de référence, s’il avait présenté une demande de prestations à la date antérieure.

[30] Pour établir que le prestataire avait un motif valable pour le retard, il lui incombe de démontrer également « qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer des droits et obligations que lui impose la Loi »Note de bas de page 14. Ses obligations comprennent l’obligation de prendre des « mesures raisonnablement rapides » pour déterminer l’admissibilité aux prestations et de s’assurer de ses droits et obligations en vertu de la LoiNote de bas de page 15, à moins de circonstances exceptionnelles.

Délai avant la première visite à Service Canada

[31] La division générale s’est appuyée sur le fait que le prestataire a retardé de près de sept semaines sa visite à Service Canada pour conclure que le prestataire n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente pendant toute la période du retard.

[32] Toutefois, je conclus que le délai initial n’était pas supérieur à une semaine. Le prestataire a témoigné qu’il s’est rendu à Service Canada le 9 ou le 10 septembre ou dans la semaine suivant son congédiement en date du 4 septembre. Toutefois, ses estimations de la date à laquelle il a reçu son relevé d’emploi se situaient entre deux et quatre semaines après sa visite à Service Canada, et il n’était manifestement pas certain du temps écoulé entre sa visite à Service Canada et la date à laquelle il a reçu le relevé d’emploi.

[33] Je conclus que le prestataire est généralement crédible, mais qu'il a de la difficulté à se souvenir de dates particulières. Je considère que son estimation de la date de sa première visite à Service Canada est plus susceptible d’être fiable que son estimation de la date à laquelle il a reçu son relevé d’emploi par la poste. Sa visite à Service Canada était une visite que le prestataire a faite en personne relativement à l’événement important de son congédiement et qui a eu lieu peu de temps après cet événement. À l’inverse, la réception de son relevé d’emploi par la poste n’est pas mise en corrélation avec une date ayant une importance particulière et se situait au moins deux mois après son congédiement. Je préfère le témoignage du prestataire selon lequel il a demandé conseil à Service Canada dans la semaine suivant son congédiement à n’importe quelle date découlant de son estimation du temps qu’il lui a fallu pour recevoir le relevé d’emploi.

[34] Je conclus que le délai entre le congédiement du prestataire et sa première visite à Service Canada est insuffisant pour étayer une conclusion selon laquelle il n’avait pas de motif valable pour justifier le retard au cours de cette période. Bien que je reconnaisse que la raison du retard est plus importante que la durée du retardNote de bas de page 16, le retard à ce stade-ci ne représente qu’une semaine de travail. À mon avis, les prestataires doivent avoir le temps d’évaluer leur situation et de déterminer leurs droits et responsabilités. Il s’agit d’une explication suffisante et raisonnable d’un délai si court.

[35] Toutefois, le prestataire doit avoir un motif valable pour toute la période du retard. Par conséquent, le prestataire doit également avoir un motif valable de retarder sa demande à partir du moment où il a parlé à un agent de Service Canada jusqu’à la date à laquelle il a finalement déposé sa demande, soit le 23 novembre 2016.

Retard jusqu’à la réception du relevé d’emploi

[36] Dans ses observations écrites à la division générale, la Commission n’a pas contesté le fait que le prestataire avait effectué la première visite au Centre Service Canada, mais elle a bel et bien laissé entendre que la visite était de la nature d’une « demande de renseignements généraux » seulement. Toutefois, le représentant de la Commission n’avait aucune connaissance personnelle ni aucun enregistrement de la conversation que le prestataire avait eue avec l’agent de Service Canada. La seule preuve à laquelle la Commission pouvait faire référence était un résumé dans les notes d’un agent d’une conversation téléphonique d’avril 2017 entre un agent et le prestataire. Cette conversation a eu lieu près de sept mois après que le prestataire eut visité Service Canada, et les notes ne sont que le résumé de la conversation de l’agent, et non une transcription. D’après ces notes, le prestataire a dit qu’un agent de Service Canada lui a demandé s’il avait un relevé d’emploi, ce qu’il n’avait pas fait, et qu’il a pris cela pour dire qu’il avait besoin d’un relevé d’emploi pour présenter une demande. Le prestataire aurait également dit qu’il n’avait pas demandé si un relevé d’emploi devait être produit et qu’il avait supposé que c’était nécessaireNote de bas de page 17.

[37] Le prestataire a témoigné qu’il s’est rendu à Service Canada pour présenter une demande de prestations et qu’il en a fait part à l’agent. Le prestataire a dit que l’agent de Service Canada lui a alors demandé s’il avait son relevé d’emploi, ce à quoi le prestataire a répondu « non ». Le prestataire a témoigné que l’agent a dit : [traduction] « Présentez une demande lorsque vous aurez [le] relevé d’emploiNote de bas de page 18. » Le prestataire a ajouté que l’agent lui a dit qu’il avait besoin de son relevé d’emploi pour présenter une demande. Toutefois, à la suggestion du membre de la division générale, il a admis qu’il avait peut-être mal compris ce qu’on lui avait dit parce que son anglais n’est pas très bonNote de bas de page 19.

[38] La division générale a jugé plus probable que les conseils reçus par le prestataire n’étaient pas suffisamment précis ou que le prestataire avait mal compris ces conseilsNote de bas de page 20, et je n’ai aucune raison de m’ingérer dans cette conclusion. Toutefois, j’estime invraisemblable que le prestataire se soit rendu à Service Canada pour déposer sa demande, qu’il ait expressément indiqué qu’il avait perdu son emploi et qu’il souhaitait présenter une demande de prestations, que l’agent lui demande son relevé d’emploi, qu’il ait dit à l’agent qu’il n’avait pas son relevé d’emploi (aucun de ces éléments de preuve n’a été contredit) et que la conversation se terminerait là, qu’il quitterait à ce moment sans compléter le processus de demande.

[39] À mon avis, le départ du prestataire sans remplir sa demande n’est logique que si le témoignage du prestataire est accepté et que d’autres discussions ont eu lieu au cours desquelles le prestataire a été amené à croire que le relevé d’emploi était nécessaire. De plus, à moins que l’agent de Service Canada ne croit qu’il était raisonnable pour le prestataire de reporter le dépôt de sa demande jusqu’à ce qu’il puisse revenir avec son relevé d’emploi, il est invraisemblable que l’agent lui ait permis de partir sans l’informer qu’il pouvait présenter sa demande même sans le relevé d’emploi.

[40] Malgré l’anglais imparfait du prestataire et son admission qu’il a pu mal comprendre ce qu’on lui a dit, le prestataire a maintenu que la personne au bureau d’information lui a fourni des renseignements trompeursNote de bas de page 21 et il a dit que [traduction] « la seule raison pour laquelle tout est retardé est la réponse » (se référant à ce qu’on lui a dit à Service Canada)Note de bas de page 22.

[41] J’accepte donc que ce que l’agent de Service Canada a dit au prestataire était conforme au témoignage du prestataire selon lequel on lui a dit de présenter une demande ou de revenir lorsqu’il aurait son relevé d’emploiNote de bas de page 23. Il se peut que le prestataire ait « interprété que cela signifiait » Note de bas de page 24 qu’il ne pouvait pas présenter de demande avant d’avoir reçu le relevé d’emploi, mais cette hypothèse n’est pas sans fondement. Elle pourrait être décrite plus précisément comme une inférence raisonnable.

[42] La division générale a fait observer qu’[traduction] « [e]lle espérait que [le prestataire] aurait reçu tous les renseignements dont il avait besoin au cours de sa seule visite à Service Canada et de sa demande de renseignements limitée, mais on ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un agent prédise la situation de chaque personne »Note de bas de page 25. Cela semble avoir été dit en ce qui concerne le fait que le prestataire n’a pas fait part de ses difficultés à obtenir son relevé d’emploi et qu’il n’a pas demandé expressément s’il devait attendre son relevé d’emploi avant de présenter sa demande.

[43] Le prestataire a convenu avec le membre de la division générale qu’il n’a pas dit à l’agent de Service Canada qu’il pourrait avoir de la difficulté à produire le relevé d’emploi et qu’il n’a pas demandé d’aide pour l’obtenirNote de bas de page 26. Par conséquent, il est fort possible que l’agent n’ait eu aucune raison de croire que le prestataire ne pouvait pas simplement rentrer chez lui et revenir avec son relevé d’emploi.

[44] Toutefois, on s’attendrait à ce que l’agent ait compris que le prestataire aurait pu déposer sa demande sans relevé d’emploi, qu’il comprenne le préjudice que pourrait subir le prestataire s’il devait retarder sa demande et qu’il fasse attention de ne pas décourager le prestataire de déposer sa demande de quelque façon que ce soit. En se présentant au bureau de Service Canada dans un délai aussi court suivant son congédiement, le prestataire a agi correctement pour faire appliquer son droit de demander des prestations conformément à ses obligations en vertu de la Loi. À mon avis, le prestataire n’aurait pas dû être tenu de prévoir qu’un agent de Service Canada puisse le détourner de la voie qu’il emprunterait, à moins qu’il n’ait fourni volontairement les renseignements supplémentaires dont l’agent pourrait avoir besoin.

[45] Je suis d’accord avec la division générale que l’on ne devrait pas demander à l’agent de « prédire » la situation individuelle d’un prestataire, mais je ne suis pas d’accord avec le fait que les circonstances en l’espèce exigeaient que la Commission « prédise » quoi que ce soit. Les intentions du prestataire étaient claires : il s’est rendu à Service Canada pour demander des prestations et il a dit à un agent qu’il voulait demander des prestationsNote de bas de page 27. L’agent de Service Canada n’avait pas besoin de savoir à quel point il pourrait être difficile pour le prestataire d’obtenir son propre relevé d’emploi parce que l’agent de Service Canada n’est pas responsable de gérer les risques auxquels le prestataire pourrait faire face en raison de ces retards. L’agent n’avait pas besoin de ces renseignements pour donner instruction au prestataire de remplir sa demande, ou pour l’encourager ou lui permettre de le faire.

[46] Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans Pirotte c. Le sous-procureur général du CanadaNote de bas de page 28 et de nombreux cas qui ont suivi, « l’ignorance de la loi n’est pas une excuse ».Toutefois, il était également exprimé ce qui suit dans Pirotte :

À mon avis, le seul critère qui permette de répondre à cette question est celui qui résulte du devoir de prudence qui impose à tout réclamant l’obligation de s’informer auprès de la Commission elle-même des exigences de la loi et des règlements. Mais alors ce qui expliquerait le retard du réclamant ne serait pas tant son ignorance de la loi que les fausses représentations faites au nom de la Commission. On pourrait alors considérer le retard comme étant justifié parce qu’il serait attribuable à la Commission plutôt qu’au réclamant. [Non souligné dans l’original.]

[47] Non seulement le prestataire a-t-il présenté une « demande de renseignements à la Commission », mais il a en fait tenté de faire une demande de prestations à la Commission dans des circonstances dans lesquelles la Commission aurait pu recevoir sa demande, mais ne l’a pas fait. L’agent de Service Canada a déclaré que le prestataire pourrait présenter une demande lorsqu’il aurait son relevé d’emploi – ce qui n’était pas faux, jusqu’à présent –, mais c’était une déclaration faite en réponse à la tentative du prestataire de demander des prestations. Quelle que soit la compréhension ou l’intention de l’agent, une telle déclaration laisse entendre, du moins, que le prestataire ne pouvait présenter de demande à moins d’avoir son relevé d’emploi. À mon avis, l’information fournie (selon laquelle le prestataire avait besoin de son relevé d’emploi pour présenter une demande), combinée à l’information omise (selon laquelle le prestataire pouvait tout de même produire immédiatement sa demande, même sans le relevé d’emploi), est un genre de « renseignements erronés ».

[48] Dans Procureur général du Canada c. RouleauNote de bas de page 29, la Cour d’appel fédérale a conclu que la mauvaise information ne constituait pas un motif valable, mais que la source de la mauvaise information dans cette affaire était une « rumeur actuelle ». La fausse information a également été rejetée dans l’affaire Le procureur général du Canada c. TrinhNote de bas de page 30, mais la prestataire n’avait pas identifié la source de ses renseignements erronés, et la Cour a conclu que la prestataire n’avait pas fait « effectu[é] les démarches nécessaires pour vérifier l’information ». En l’espèce, la source est la Commission elle-même. Le prestataire venait de demander s’il pouvait produire sa demande et on lui a dit qu’il avait besoin de son relevé d’emploi. Je ne peux conclure que le prestataire est tenu de reformuler explicitement sa requête en vue de demander s’il pourrait quand même être autorisé à présenter une demande, même s’il n’avait pas son relevé d’emploi, ou que son défaut de le faire équivaut à un défaut d’effectuer les démarches nécessaires. 

[49] Comme on l’a vu dans l’affaire Le Procureur général du Canada c. Albrecht, « chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard,, il n’existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d’un critère exclusivement objectifNote de bas de page 31 ». Suivant ma compréhension des faits, le prestataire a compris qu’il ne pouvait déposer sa demande sans son relevé d’emploi manquant. Peu importe si on lui a tenu de tels propos en termes précis et explicites, je conclus que sa conviction et sa compréhension étaient raisonnables dans les circonstances. Je considère également qu’il était raisonnable pour lui d’avoir demandé et obtenu son relevé d’emploi avant de faire une deuxième tentative de demande de prestations, pourvu qu’il ait agi raisonnablement en cherchant à obtenir le relevé d’emploi.

[50] Le prestataire a eu de la difficulté à obtenir son relevé d’emploi parce que son ancien employeur était en faillite, mais il l’a finalement obtenu environ deux mois et demi après avoir visité Service Canada. Il a déclaré dans son avis d’appel qu’il avait tenté à plusieurs reprises d’appeler son ancien employeur pour obtenir une copie de son relevé d’emploi. Questionné par le membre de la division générale, il a convenu que les appels téléphoniques ne l'auraient pas aidé si le téléphone était débranché, mais il n'y avait aucune preuve quant au nombre de fois qu'il a tenté de joindre le numéro, que c'était le téléphone d'affaires qu'il appelait ou que le téléphone était débranché.

[51] Quoi qu’il en soit, le prestataire a admis qu’il n’avait rien fait d’autre pour obtenir le relevé d’emploi, si ce n’est de tenter d’appeler. Son relevé d’emploi a été préparé et lui a été posté seulement après l’achat et la réouverture du magasin de son ancien employeur le 1er novembre 2016, et le nouveau propriétaire a communiqué avec lui pour qu’il revienne au travail.

[52] Je ne considérerais pas que la persistance du prestataire à faire des appels téléphoniques improductifs pendant deux mois et demi sans demander l’aide de la Commission était soit raisonnable, soit prudente, mais à mon avis, la situation du prestataire était exceptionnelle.

Existence de circonstances exceptionnelles

[53] Le prestataire avait appris de Service Canada qu’ils n’accepteraient pas sa demande sans son relevé d’emploi, de sorte qu’il avait peu de raisons de tenter de présenter une autre demande sans d’abord obtenir son relevé. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle un prestataire s’est fié à des renseignements d’un tiers, a demandé des conseils généraux ou hypothétiques, ou même s’est fié de manière insouciante à ce qu’il avait compris à la suite d’une demande occasionnelle présentée à la Commission au sujet du processus de dépôt de la demande. Le prestataire s’est rendu dans un Centre Service Canada dans le but exprès de présenter une demande de prestations à un moment où il était admissible à présenter une demande et, quelle que soit la précision de l’information, il a été dissuadé de le faire par ce qu’on lui a dit.

[54] La Cour d’appel fédérale a admis qu’il pouvait y avoir des cas exceptionnels dans lesquels « l’inaction et l’attente pourraient être compréhensibles malgré tout » si le prestataire avait démontré qu’il avait fait ce qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait dans les mêmes circonstancesNote de bas de page 32

[55] Le prestataire a agi avec diligence en présentant initialement une demande de prestations, mais il a ensuite été dissuadé de remplir cette demande par ce que Service Canada lui a appris au sujet des prérequis de la Commission. Le prestataire n’a pas visité le Centre Service Canada pour obtenir des renseignements ou des conseils. Il a plutôt cherché à déposer sa demande de prestations, comme il en avait le droit et l’obligation. Au lieu de l’aider à déposer sa demande, un agent de Service Canada lui a offert des conseils ou lui a proposé un plan d’action qui ne comportait pas le dépôt immédiat de sa demande. Bien qu’il soit difficile de définir précisément l’obligation de diligence de la Commission envers les prestataires, je suis convaincu que la Commission devrait veiller à ce que ses agents ne dissuadent pas les prestataires de déposer leurs demandes lorsqu’ils sont admissibles à le faire, particulièrement lorsque le prestataire visite un Centre Service Canada et exprime l’intention actuelle de déposer une demande. Si le prestataire a quitté Service Canada sans avoir rempli sa demande parce qu’il a été induit en erreur ou parce qu’on a semé de la confusion dans son esprit, cela ne devrait pas lui porter préjudice.

[56] À mon avis, la façon dont le prestataire a été détourné de son objectif de demander des prestations est une circonstance exceptionnelle justifiant son inaction relative pendant qu’il cherchait à obtenir son relevé d’emploi. Son défaut de retourner à la Commission pour avoir de l’aide afin d’obtenir le relevé d’emploi est tout aussi compréhensible compte tenu de son expérience auprès de Service Canada.

[57] Je constate que le prestataire a également témoigné qu’il s’est rendu à Service Canada une deuxième fois, ce qui mérite une certaine considération. Le prestataire a déclaré qu’on lui avait dit à ce moment-là qu’il pouvait présenter une demande sans le relevé d’emploiNote de bas de page 33 et qu’on lui avait également dit qu’il pouvait présenter une demande en ligneNote de bas de page 34, mais il n’est pas clair s’il s’agissait de directives sur la façon dont il devait traiter sa demande ou s’il s’agissait d’un avis de type « référence future ».

[58] Le prestataire n’a pas dit quand cette deuxième visite a eu lieu. Si le prestataire s’est fait dire qu’il pouvait présenter une demande sans son relevé d’emploi avant d’avoir obtenu son relevé, alors un autre retard ne pouvait être justifié. Toutefois, je n’accepte pas que cette deuxième visite ait eu lieu avant qu’il reçoive le relevé d’emploi. Je reconnais que le prestataire s’était rendu à Service Canada auparavant dans l’intention et dans le but de déposer sa demande et que la seule raison pour laquelle il ne l’avait pas fait à ce moment-là était qu’on lui avait fait comprendre qu’il avait besoin du relevé d’emploi. Il est donc invraisemblable qu’il n’ait pas présenté de demande tout de suite après avoir été informé qu’il n’avait pas besoin du relevé d’emploi pour produire une demande.

[59] Je reconnais que la deuxième visite a eu lieu soit après que le prestataire a déjà déposé sa demande, soit après son retour chez lui pour déposer sa demande en ligne, conformément aux instructions qu’il a reçues à Service Canada. Par conséquent, je ne considère pas que la deuxième visite à Service Canada soit un facteur pertinent pour déterminer si le prestataire avait un motif valable justifiant le retard.

Retard après que le prestataire a obtenu le relevé d’emploi

[60] Le relevé d’emploi est daté du 7 novembre 2017, mais le prestataire a déclaré l’avoir reçu par la poste. D’après sa demande de réexamen datée de février 2017, le prestataire a reçu le relevé d’emploi à la fin de novembre. Selon son avis d’appel daté d’avril 2017, il l’a reçu à la mi-novembre 2016Note de bas de page 35, et il a présenté sa demande « peu après ». Dans son témoignage à la division générale, le prestataire a dit qu’il ne se souvenait pas quand il l’avait reçu, mais il se souvenait qu’il avait demandé des prestations le jour même où il a reçu le relevé d’emploiNote de bas de page 36. À un autre moment, il a dit avoir reçu le relevé d’emploi un jour avant de présenter sa demandeNote de bas de page 37. La demande en ligne a été soumise le 23 novembre 2016.

[61] Le relevé d’emploi n’aurait pu être posté qu’après la date du 7 novembre. Selon le moment où il a été posté, il est plausible que le relevé d’emploi ne soit pas parvenu au prestataire avant une ou deux semaines, voire davantage. Ce serait conforme à l’estimation de la mi-novembre faite dans l’avis d’appel ou à l’estimation de la fin de novembre contenue dans la demande de réexamen. Le prestataire a témoigné de diverses façons : il a dit qu’il a présenté sa demande immédiatement après avoir reçu le relevé d’emploi, le jour même où il a reçu le relevé d’emploi et le lendemain de sa réception. Compte tenu de la date de la demande du 23 novembre, son témoignage laisse entendre qu’il a présenté une demande le 22 ou le 23 novembre.

[62] Je ne considère pas qu’il s’agit d’une divergence importante, et j’accepte le témoignage du prestataire selon lequel il a reçu le relevé d’emploi le 22 ou le 23 novembre. La seule preuve qui pourrait être considérée comme contraire est son estimation de la « mi-novembre » figurant dans son avis d’appel. Toutefois, son témoignage concorde avec sa première déclaration enregistrée (contenue dans sa demande de réexamen), dans laquelle il a déclaré avoir présenté une demande à la fin de novembre. Il n’y a effectivement aucun retard entre la réception du relevé d’emploi et la date de la demande, et le prestataire a agi comme une personne raisonnable et prudente lorsqu’il a déposé sa demande de prestations après avoir reçu le relevé d’emploi.

[63] En résumé, je conclus que le prestataire a pris des mesures raisonnablement rapides pour se familiariser avec ses obligations en vertu de la Loi d’abord en se rendant au Centre Service Canada, puis en déposant sa demande une fois qu’il a obtenu son relevé d’emploi. Je considère que le délai entre sa visite à Service Canada et la réception de son relevé d’emploi est justifié par des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, je conclus que le prestataire a un motif valable pour justifier le retard tout au long de la période du retard.

[64] Le prestataire a travaillé le 4 septembre 2016, donc le premier jour où il a subi un arrêt de rémunération est le 5 septembre 2016. Le prestataire peut antidater sa demande au 5 septembre 2016.

Conclusion

[65] L’appel est accueilli.

[66] J’exerce ma compétence en vertu de l’article 59 de la Loi sur le MEDS pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. La demande initiale sera considérée comme ayant été présentée le 5 septembre 2016.

 

Date de l’appel :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 19 juin 2018

Téléconférence

M. R.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.