Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] Le Tribunal rejette l’appel.

Aperçu

[2] L’appelante, V. A. (prestataire), a présenté une demande initiale de prestations d’assurance-emploi. Après un réexamen de la demande, l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a procédé à la répartition d’une indemnité de congé, d’une indemnité de fin d’emploi et d’une indemnité de retraite sur les prestations d’assurance-emploi de la prestataire. Ceci a entraîné un trop-payé de 18 625,00 $. La prestataire a demandé à la Commission de procéder à une révision, mais cette dernière a maintenu sa décision. La prestataire a interjeté appel de la décision auprès de la division générale.

[3] La division générale a conclu que la Commission pouvait procéder au réexamen de la demande de la prestataire dans un délai de 72 mois au motif que cette dernière a raisonnablement estimé que la prestataire a fait une déclaration fausse ou trompeuse. De plus, la division générale a conclu que les sommes reçues par la prestataire constituaient une rémunération qui a été répartie par la Commission conformément aux exigences règlementaires.

[4] La permission d’en appeler a été accordée par le Tribunal. La prestataire fait valoir que la division générale a omis d’exercer sa compétence en refusant d’analyser la conduite de la Commission durant son enquête.

[5] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a omis d’exercer sa compétence en refusant d’analyser la conduite de la Commission durant son enquête au titre de l’article 52(5) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), si elle a erré en n’appliquant pas la doctrine de laches ou la défense d’acquiescement et si elle a erré en ne concluant pas qu’il y a eu déni de justice naturelle, en raison du délai d’enquête de la Commission.

[6] Le Tribunal rejette l’appel de la prestataire.

Questions en litige

Question en litige no 1 : Est-ce que la division générale a omis d’exercer sa compétence en refusant d’analyser la conduite de la Commission durant son enquête au titre de l’article 52(5) de la Loi sur l’AE?

Question en litige no 2 : Est-ce que la division générale a erré en n’appliquant pas la doctrine de laches ou de la défense d’acquiescement et en refusant d’imposer une fin de non-recevoir à la réclamation de la Commission?

Question en litige no 3 : Est-ce que la division générale a erré en ne concluant pas qu’il y a eu déni de justice naturelle en raison du délai d’enquête de la Commission?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[7] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)Note de bas de page 1.

[8] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[9] En conséquence, à moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle ait erré en droit ou qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Dispositions préliminaires

[10] Durant l’audience, la prestataire a informé le Tribunal qu’elle ne contestait pas la répartition de la rémunération effectuée par la Commission, bien qu’elle souligne les erreurs de calcul depuis le début des procédures afin de démontrer la conduite fautive de la Commission dans son dossier.

[11] La prestataire a également informé le Tribunal qu’elle ne contestait pas l’application par la Commission de l’article 52(5) de la Loi sur l’AE qui permettait à cette dernière de procéder au réexamen de la demande de la prestataire dans un délai de 72 mois si elle estimait que la prestataire a fait une déclaration fausse ou trompeuse.

Question en litige no 1 : Est-ce que la division générale a omis d’exercer sa compétence en refusant d’analyser la conduite de la Commission durant son enquête au titre de l’article 52(5) de la Loi sur l’AE?

[12] La prestataire reproche à la division générale de ne pas avoir considéré la conduite de la Commission durant son enquête. Elle fait valoir que la conduite fautive de la Commission durant l’enquête a occasionné des délais déraisonnables et inacceptables.

[13] La prestataire a travaillé pour X où elle a cessé de travailler le 13 septembre 2011. Sur le relevé d’emploi de la prestataire daté du 22 septembre 2011, on ne retrouve aucune mention de sommes versées à la prestataire lors de la cessation d’emploi.

[14] La prestataire a reçu des prestations d’assurance-emploi du 18 septembre 2011 au 14 juillet 2012, ce qui représente un total de 41 semaines de prestations régulières payées.

[15] Le 21 mars 2014, à la suite de la réception de renseignements en provenance de l’Agence du Revenu du Canada concernant une demande de numéro d’entreprise, la Commission a demandé à la prestataire de fournir sa déclaration de revenus pour les exercices 2011 et 2012. La prestataire les a fait parvenir à la Commission dès avril 2014.

[16] Le 8 mai 2014, la Commission a fait parvenir à la prestataire une demande de renseignements supplémentaires concernant notamment les sommes de 140 443,98 $ et de 11 267,58 $ apparaissant dans ses déclarations de revenus de 2011 et de 2012 sous la rubrique « autres revenus ».

[17] Le 12 juin 2014, la prestataire a rempli et signé un « questionnaire – autres montants d’argent » de la Commission. À la question de savoir quel employeur lui a versé cette autre somme, la prestataire a simplement répondu ne pas avoir d’employeur depuis son départ de l’entreprise X. À la question « Cet argent vous a-t-il été versé parce que vous avez cessé de travailler pour votre employeur? », elle a inscrit « ᴓ N/A ».

[18] Le 5 novembre 2015, un courriel est expédié au procureur de la prestataire l’avisant que le dossier d’enquête est terminé et que le cas est transféré pour décision. Le procureur est alors avisé que la prestataire recevra une lettre pour le trop-payé d’environ 760,00 $. La prestataire ne reçoit aucune décision écrite à cet effet.

[19] Le 30 novembre 2016, la Commission a contacté l’employeur afin d’obtenir des précisions sur les sommes versées à la suite à la cessation d’emploi. La Commission a déterminé que les sommes que la prestataire a reçues lors du premier versement le 12 octobre 2011, soit 11 383,33 $ versé à titre d’indemnités de congé, 127 280,00 $ versé à titre d’indemnité de fin d’emploi ainsi que 11 600,00 $ versé à titre d’allocation de retraite, constituaient une rémunération au titre de l’article 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement) et que les sommes versées par un employeur en raison d’un licenciement ou d’une cessation d’emploi devaient être réparties en vertu des articles 36(9) et 36(10) du Règlement.

[20] Le 29 décembre 2016, la Commission a avisé la prestataire qu’à la suite de la réception de nouveaux renseignements, elle a procédé au réexamen de la demande de prestations de la prestataire qui a commencé le 18 septembre 2011.

[21] Le 14 janvier 2017, un avis de dette de 18 625,00 $ a été expédié à la prestataire puisqu’elle n’a pas déclaré adéquatement son revenu ce qui a causé un trop-payé. Le trop-payé correspond au total des prestations d’assurance-emploi versées à la prestataire pour la période du 18 septembre 2011 au 14 juillet 2012.

[22] Comme l’a déterminé la division générale, il ressort clairement de la preuve que la Commission pouvait raisonnablement estimer qu’une fausse déclaration a été faite relativement à la demande de prestations de la prestataire et qu’elle était justifiée de procéder à un réexamen de cette demande dans un délai de 72 mois au titre de l’article 52(5) de la Loi sur l’AE.

[23] Contrairement aux représentations de la prestataire, le Tribunal constate à la lecture de la décision de la division générale que cette dernière a considéré la conduite de la Commission et l’argument de la prestataire relatif aux délais déraisonnables de l’enquête.

[24] La division générale a reconnu que les délais pour procéder au réexamen de la demande de la prestataire avait été plutôt long.  Cependant, elle a conclu que l’enquête initialement déclenchée en lien avec le travail indépendant de la prestataire, s’était prolongée à la suite de la découverte ultérieure de sommes non déclarées révélées par la communication des déclarations de revenus de 2011 et de 2012 de la prestataire.

[25] La division générale a également tenu compte du fait que la prestataire, après communication de ses déclarations de revenus, n’a pas déclaré avoir reçu de montant d’argent en lien avec sa séparation d’emploi dans le « questionnaire – autres montants » expédiée par la Commission, ce qui a également contribué à la longueur de l’enquête. La division générale a considéré qu’il était donc raisonnable d’envisager que l’enquête ait pu se prolonger dans ce contexte.

[26] La division générale a également conclu que la Loi sur l’AE n’imposait aucun délai particulier à la Commission pour mener ou terminer une enquête dans la mesure où celle-ci était complétée selon les délais prévus par la Loi sur l’AE.

[27] Le Tribunal est donc d’avis que la division générale n’a pas refusé d’exercer sa compétence. La division générale a effectivement décidé de la question soulevée par la prestataire et il ne revient pas à la division d’appel de juger à nouveau une affaire.

[28] Le Tribunal est également d’avis que la division générale n’a pas erré en droit en concluant que la Commission avait le droit de répartir les sommes versées par l’employeur en raison du licenciement ou d’une cessation d’emploi de la prestataire, au titre de l’article 52(5) de la Loi, pourvu que la révision et la modification soient effectuées dans les délais prévus à l’article 52(5) de la Loi sur l’AE, à savoir, six ans.

[29] Le prestataire fait valoir que le courriel du 5 novembre 2015 de la Commission a eu pour effet de boucler l’enquête instituée par la Commission. Elle soutient que la décision du 5 novembre 2015 liait la Commission pour l’ensemble de l’enquête, soit relativement au travail indépendant et aux autres sommes reçues par la prestataire de la part de son employeur.

[30] Le Tribunal ne peut souscrire à cet argument.

[31] La jurisprudence énonce clairement que la Commission peut, à n’importe quel moment, c’est-à-dire aussi souvent que la Commission le désire, revenir sur sa décision au sujet de n’importe quelle demande de prestations, que les paiements aient été faits ou non, si elle détermine qu’une personne a reçu une somme versée pour des prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible ou n’a pas reçu la somme d’argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, sous réserve évidemment des limites prévues par la Loi, soit 36 mois ou 72 mois.Note de bas de page 2

[32] Même si le Tribunal devait considérer l’enquête par la Commission sur le travail indépendant de la prestataire comme terminé en novembre 2015, la Commission, à la suite des informations obtenues de l’employeur en novembre 2016, pouvait procéder au réexamen de la demande de prestations de la prestataire en vertu de l’article 52(5) de la Loi sur l’AE, puisqu’elle était toujours dans le délai de 72 mois.

Question en litige no 2 : Est-ce que la division générale a erré en n’appliquant pas la doctrine de laches ou de la défense d’acquiescement et en refusant d’imposer une fin de non-recevoir à la réclamation de la Commission?

[33] La prestataire fait valoir qu’il y avait lieu d’appliquer la doctrine de laches ou de la défense d’acquiescement et d’imposer une fin de non-recevoir à la réclamation de la Commission puisque cette dernière a été fautive dans l’exercice de ses droits, ce qui a occasionné des délais déraisonnables dans l’enquête et a causé des effets préjudiciables à la prestataire.Note de bas de page 3

[34] La Loi prévoit clairement que le recours de la Commission doit être exercé dans un délai de 36 ou 72 mois, selon les circonstances. En l’espèce, la Commission a agi dans le délai prévu par la Loi sur l’AE.

[35] De plus, la Cour d’appel fédérale a déjà établi que les principes d’équité de la common law ne sont pas applicables à la Loi sur l’AE et à ses règlements.Note de bas de page 4 La Commission se devait ici d’appliquer la Loi sur l’AE, car elle ne lui accorde aucune discrétion lorsqu’une prestataire a reçu une somme au titre de prestations au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible.

[36] Le Tribunal est également lié par la Loi sur l’AE. Il ne peut, même pour des considérations d’équité, refuser de l’appliquer.

[37] De plus, le Tribunal est d’avis que la preuve devant la division générale ne démontre pas que la Commission a agi de manière à laisser croire à la prestataire, par des gestes clairs ou des paroles non équivoques, qu’elle ne prendrait aucun recours contre elle à la suite des renseignements reçus de l’employeur.

[38] Finalement, le Tribunal est d’avis que la prestataire n’a pas rempli son fardeau devant la division générale qui consistait à démontrer qu’elle avait subi des effets préjudiciables ou un préjudice important occasionné par les délais de l’enquête de la Commission.

[39] Il n’y avait donc pas lieu d’imposer une fin de non-recevoir à la réclamation de la Commission sur la base de la doctrine de laches ou de la défense d’acquiescement.

Question en litige no 3 : Est-ce que la division générale a erré en ne concluant pas qu’il y avait eu déni de justice naturelle en raison du délai d’enquête de la Commission?

[40] Le prestataire fait valoir qu’il y a eu déni de justice naturelle en raison des délais d’enquête de la Commission. Elle fonde sa demande de réparation sur les principes applicables en droit administratif.

[41] Comme souligné précédemment, la Commission a conclu son enquête dans le délai de 72 mois prescrit par la Loi sur l’AE. Le Tribunal n’a pas le pouvoir de modifier la Loi sur l’AE.

[42] Le principe de justice naturelle se rapporte aux règles fondamentales de procédure exercées par les personnes et les tribunaux ayant compétence judiciaire ou quasi judiciaire. Ce principe existe pour que l’on s’assure que toute personne assujettie à la compétence d’une instance judiciaire ou quasi judiciaire reçoit un avis de comparution adéquat et la possibilité raisonnable de défendre sa cause, et qu’elle peut s’attendre à ce que la décision soit rendue de façon impartiale et sans crainte raisonnable ni apparence de partialité.

[43] La prestataire a reçu communication de la décision en révision de la part de la Commission le 14 mars 2017. Elle a déposé son appel devant la division générale le 5 avril 2017. Un avis d’audition a été expédié à la prestataire le 5 septembre 2017. La division générale a entendu la cause le 31 octobre 2017 et a rendu sa décision le 29 novembre 2017. Un délai total d’environ sept mois s’est écoulé entre le dépôt de l’appel et l’audition de l’appel devant la division générale.

[44] La Cour d’appel fédérale nous indique qu’un délai ne constitue pas en soi un abus de procédure justifiant un arrêt des procédures. Pour justifier un arrêt dans le contexte du droit administratif, la Cour mentionne qu’il faut prouver qu’un délai inacceptable a causé un préjudice important.Note de bas de page 5

[45] Il peut y avoir un déni de justice naturelle et manquement à l’obligation d’agir équitablement lorsqu’un délai compromet la capacité d’une partie de répondre aux plaintes portées contre elle, notamment parce que ses souvenirs se sont estompés, des témoins essentiels sont décédés ou des éléments de preuve ont été perdus. En résumé, le délai excessif doit compromettre l’équité de l’audience.

[46] Un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise. Ainsi, pour constituer un abus de procédure dans les cas où il n’y a aucune atteinte à l’équité de l’audience, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important. Le délai doit, outre sa longue durée, avoir causé un préjudice réel d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public.

[47] Le Tribunal est d’avis que le délai dans les procédures n’a pas compromis la capacité de la prestataire de répondre aux plaintes contre elle, notamment parce qu’elle ne conteste pas avoir reçu les sommes de l’employeur et la répartition de la rémunération effectuée par la Commission.

[48] Le Tribunal conclut que la prestataire n’a pas rempli devant la division générale son fardeau qui consistait à démontrer que le délai dans les procédures était inacceptable et qu’elle avait subi un préjudice important d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public.

[49] Rien ne justifiait d’ordonner une réparation fondée sur les principes applicables en droit administratif.

Conclusion

[50] Pour les raisons précédemment mentionnées, le Tribunal rejette l’appel.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 25 juillet 2018

Téléconférence

V. A., appelante

Me Christian Dubé-Rousseau, procureur de l’appelante

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