Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] La demande de permission d’en appeler est rejetée.

Aperçu

[2] Le demandeur, M. P., infirmier auxiliaire autorisé, a quitté son emploi chez X le 23 octobre 2016. Il prétend avoir été victime d’intimidation, de harcèlement et d’homophobie au travail, au point où il est devenu dépressif et anxieux. Il se sentait forcé de quitter son emploi.

[3] Le demandeur a présenté une demande de prestations régulières d’assurance-emploi. La défenderesse, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission), a initialement rejeté sa demande parce qu’elle a conclu qu’il n’avait pas accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable pour être admissible aux prestations.

[4] Le demandeur a présenté une demande d’antidatation, ce qui lui permettrait d’obtenir suffisamment d’heures. Dans sa décision en réexamen, la Commission a rejeté la demande d’antidatation du demandeur parce qu’il n’avait pas prouvé qu’entre le 24 octobre 2016 et le 15 mars 2017, il avait un [traduction] « motif valable de présenter une demande tardive de prestationsNote de bas de page 1 ».

[5] Le demandeur a interjeté appel de la décision de réexamen de la Commission devant la division générale. La division générale a déterminé que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il avait un motif valable de présenter une demande tardive entre le 23 octobre 2016 et le 15 mars 2017 et que sa demande de prestations ne pouvait donc pas être antidatée.

[6] Le demandeur demande la permission d’en appeler de la décision de la division générale. Il soutient que la division générale a commis [traduction] « des erreurs importantes concernant les faits atténuants » contenus dans son dossier d’appel. Il fait valoir que, compte tenu de ses problèmes de santé débilitants, il n’aurait pas dû être tenu responsable d’avoir à négocier ce qu’il décrit comme un processus complexe, astreignant et injuste. Je dois maintenant décider si l’appel a une chance raisonnable de succès, c’est-à-dire s’il existe une cause défendable selon laquelle la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ou si elle n’a pas observé un principe de justice naturelle?

[7] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès.

Question préliminaire

[8] Le demandeur a déposé des documents à l’appui de sa demande. Ils comprennent une lettre datée du 10 juillet 2018 de son médecin de famille, une lettre d’appui d’un témoin datée du 21 juin 2018 et des copies de son rapport de l’Ontario faisant état de l’historique du remboursement des médicaments, des reçus de produits pharmaceutiques, ainsi que des renseignements sur son état de santé. Il se fonde sur ces dossiers médicaux pour établir la gravité de son état de santé. Il se fonde également sur la lettre du témoin pour étayer sa prétention selon laquelle il a effectivement tenté de présenter une demande de prestations d’assurance-emploi entre le 23 octobre 2016 et le 15 mars 2017. La division générale n’avait pas de copies de ces dossiers ou de la lettre du témoin.

[9] Le Tribunal de la sécurité sociale a écrit au demandeur le 20 juillet 2018 pour l’informer qu’il avait la possibilité de présenter une demande distincte d’annulation ou de modification de la décision de la division générale – sur la base de la nouvelle preuve – d’ici le 7 août 2018. Sinon, la division d’appel procéderait à sa demande de permission d’en appeler, probablement en se fondant uniquement sur les documents dont la division générale était saisie.

[10] Le demandeur a répondu le 7 août 2018, affirmant qu’aucun de ces éléments de preuve ne représentait une nouvelle preuve, car il avait longuement discuté de tous ces renseignements avec la Commission et la division générale. Il a déclaré que la seule nouvelle information était liée au refus de son employeur de fournir une référence verbale, qu’il juge essentielle pour obtenir un emploi futur en soins infirmiers.

[11] Comme la Cour fédérale l’a déterminé, de nouveaux éléments de preuve ne sont généralement pas permis en appel, sauf dans des circonstances limitéesNote de bas de page 2. Le demandeur n’a présenté aucun motif justifiant l’admission de ces documents additionnels en vertu d’aucune des exceptions à la règle générale. Quoi qu’il en soit, comme le fait remarquer le demandeur, ces documents supplémentaires n’ajoutent pas sensiblement au dossier dont la division générale était saisie. De plus, le fait que l’ancien employeur du demandeur refuse de fournir une référence verbale n’a aucune incidence sur la question de savoir si la division générale a correctement examiné si le demandeur avait un motif valable de retarder la présentation de sa demande initiale de prestations.

Questions en litige

[12] D’après les observations du demandeur, les questions en litige sont les suivantes :

  1. Y a-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas agi comme une personne raisonnable et prudente le ferait?
  2. Y a-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle lorsqu’elle a conclu qu’il incombait au demandeur de présenter une demande d’assurance-emploi dans les délais prescrits, malgré ses problèmes de santé?

Analyse

[13] Selon l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[14] Avant d’accorder la permission d’en appeler, je dois être convaincue que les motifs d’appel relèvent des moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La barre est relativement basse. Un prestataire n’a pas à prouver sa cause; il doit simplement établir que l’appel a une chance raisonnable de succès sur la base d’une erreur susceptible de contrôle. La Cour fédérale a souscrit à cette approche dans Joseph c Canada (Procureur général)Note de bas de page 3.

Question en litige no 1 : Y a-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas agi comme une personne raisonnable et prudente le ferait?

[15] Le demandeur soutient que la division générale a tiré plusieurs conclusions de fait erronées importantes. Il a décrit le milieu de travail hostile qui l’a forcé à quitter son emploi. Il faisait face à de la discrimination, à de l’homophobie et à de l’hostilité et même après avoir quitté son emploi, il n’a pas été en mesure d’obtenir de son employeur une référence, ce qui  a selon lui perpétué l’hostilité à son endroit.

[16] Le demandeur a souligné qu’il a subi une quantité inhabituellement élevée de facteurs de stress, tant avant qu’après son départ. Ces facteurs de stress comprenaient des problèmes de santé multiples, dont de l’anxiété et l’intensification de la dépression chronique, le chômage, le fait de devoir quitter la province et trouver un logement, et le fait de faire face à l’hostilité et aux préjugés. Il affirme que d’octobre 2016 à mars 2017, il a pris des médicaments pour son anxiété et sa dépression, ainsi que des somnifères pour lutter contre l’insomnie.

[17] Le demandeur soutient que tous ses facteurs de stress l’ont rendu incapable de [traduction] « se conduire de façon normalement prudente et responsable » en vue de présenter une demande d’assurance-emploi en temps opportun.

[18] Le demandeur soutient qu’il a présenté deux demandes d’assurance-emploi distinctes sur son iPad et qu’il a communiqué avec le bureau de l’assurance-emploi à plusieurs reprises afin de s’assurer que la Commission avait reçu sa demande.

[19] Le demandeur soutient qu’au moins un témoin peut vérifier qu’il a déposé une demande d’assurance-emploi au cours de la deuxième semaine de novembre 2016. Il note avoir également reçu une lettre de Service Canada qui, prétend-il, démontre qu’il était raisonnable pour lui de croire que la Commission avait reçu sa demande d’assurance-emploi.

[20] Comme je l’ai déjà mentionné, de nouveaux éléments de preuve ne sont généralement pas permis en appel. Le demandeur n’a relevé aucune exception à la règle générale qui me permettrait d’examiner cette nouvelle preuve concernant ses problèmes de santé et leur incidence sur lui, ni la déclaration du témoin confirmant que le demandeur avait tenté de demander des prestations sur son iPad. Comme je l’ai indiqué, cette nouvelle preuve n’ajoute rien d’important au dossier dont la division générale était saisie. De fait, la division générale a accepté la preuve du demandeur selon laquelle il a tenté de demander des prestations au moyen de son iPad, d’abord en novembre 2016, puis de nouveau en décembre 2016.

[21] Mise à part la question de l’admissibilité de cette nouvelle preuve, le demandeur soutient que la division générale n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve qui lui ont été présentés, en particulier les circonstances qui l’ont forcé à quitter son emploi. Je ne crois pas que ce soit le cas du tout. La division générale n’a peut-être cité aucun des détails que le demandeur aurait pu donner lors de son témoignage de vive voix, mais il est clair que, dans l’ensemble, la division générale était consciente des prétentions du demandeur selon lesquelles ses problèmes de santé ont influé sur sa capacité de [traduction] « [se] conduire de façon normalement prudente et responsable ».

[22] Au paragraphe 18, la division générale a noté le témoignage du demandeur selon lequel il avait reçu un diagnostic d’anxiété et de dépression plusieurs années avant de quitter son emploi et selon lequel il prenait des médicaments prescrits pour ses affections. La division générale a également noté que le fait de quitter son emploi avait créé un stress important et qu’il s’agissait d’une période difficile dans la vie du demandeur. La division générale a également tenu compte de la prétention du demandeur selon laquelle il n’avait [traduction] « pas toutes ses capacités » et qu’une combinaison de ses problèmes de santé et de ses médicaments avait influé sur sa capacité de communiquer avec la Commission et de comprendre les renseignements qu’il avait reçus.

[23] Contrairement aux affirmations du demandeur, la division générale a tenu compte de sa situation globale.

[24] La division générale a établi qu’en déterminant si le demandeur avait un motif valable pour justifier le retard à présenter une demande de prestations d’assurance-emploi, elle devait décider s’il avait agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances similaires pendant toute la période du retard.

[25] La division générale était au courant de la situation médicale du demandeur, mais a déterminé que même en combinaison avec d’autres facteurs, comme les problèmes techniques, une personne raisonnable et prudente dans sa situation aurait néanmoins pris des mesures supplémentaires pour s’assurer que la Commission avait reçu sa demande d’assurance-emploi.

[26] Le demandeur ne laisse pas entendre que la division générale a commis une erreur en identifiant et en appliquant le droit applicable ou qu’elle a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il soutient que la division générale a commis une erreur dans son évaluation des faits et ses conclusions selon lesquelles ses problèmes de santé ne pouvaient pas l’affecter suffisamment pour l’empêcher de présenter une demande d’assurance-emploi.

[27] Toutefois, cette question porte sur l’application de principes établis aux faits, et il s’agit d’une question mixte de fait et de droit plutôt que d’une erreur de droit. Comme la Cour d’appel fédérale l’a décidé dans Garvey c Canada (Procureur général)Note de bas de page 4, la division d’appel n’a pas compétence pour intervenir dans les conclusions de fait ou dans les conclusions mixtes de fait et de droit, à moins que ces conclusions aient été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. La division d’appel peut également intervenir lorsqu’une erreur mixte de fait et de droit révèle une question juridique isolable. Toutefois, aucun de ces scénarios n’existe ici et, par conséquent, je n’ai pas compétence pour intervenir dans cette affaire. Je ne suis pas convaincu qu'il existe une cause défendable pour ce motif.

Question en litige no 2 : Y a-t-il une cause défendable selon laquelle la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle lorsqu’elle a conclu qu’il incombait au demandeur de présenter une demande d’assurance-emploi en temps opportun, malgré son état de santé?

[28] Le demandeur soutient que le processus est injuste et que la division générale l’a injustement considéré responsable de la poursuite de sa demande d’assurance-emploi, malgré son état de santé et les subtilités du processus. Le demandeur a noté la piètre réception que la Commission lui a faite. Un représentant particulier a rejeté son expérience avec un ancien représentant de la Commission. Il souligne également que le processus d’assurance-emploi est devenu plus lourd, moins « convivial » et moins utile au fil du temps.

[29] La justice naturelle vise à s’assurer qu’un demandeur a une chance équitable de présenter sa preuve et que les procédures sont équitables et exemptes de partialité. Elle porte sur des questions d’équité procédurale devant la division générale, plutôt que sur la façon dont les décisions rendues par la division générale touchent l’une ou l’autre des parties. Les allégations du demandeur ne portent pas sur des questions d’équité procédurale ou de justice naturelle en ce qui concerne la division générale. Il n’a fourni aucune preuve que la division générale l’a par ailleurs privé de la possibilité de présenter pleinement et équitablement sa cause.

[30] Par conséquent, je ne suis pas convaincue qu’il existe une cause défendable pour ce motif.

Conclusion

[31] La demande de permission d’en appeler est rejetée.

 

Représentant :

M. P., non représenté

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