Assurance-emploi (AE)

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Décision et Motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. La décision de réexamen de la Commission est rétablie.

Aperçu

[2] L’intimée, K. S. (la prestataire), est travailleuse sociale. Elle a déménagé en Alberta en août 2010 dans l’espoir de trouver du travail. Elle a commencé à travailler pour la province de l’Alberta le 4 février 2011 et a continué jusqu’à ce qu’elle quitte son emploi le 31 mars 2017. À l’audience devant la division générale, elle a reconnu avoir quitté volontairement son emploi. La prestataire a affirmé qu’elle était fondée à quitter son emploi en Alberta pour les motifs suivants :

  1. Elle ne pouvait pas se permettre de rester en Alberta parce que le coût de la vie était trop élevé.
  2. Elle ne devrait pas avoir à être colocataire pour survivre et assumer le coût de la vie.
  3. Elle occupait deux emplois avant de quitter et a essayé de trouver un logement abordable.
  4. Le taux de criminalité en Alberta est en hausse, ce qui fait qu’elle ne se sentait pas en sécurité et par conséquent, elle a dû avoir un chien.

[3] La division générale a accueilli l’appel et a conclu pour divers motifs que la prestataire était fondée à quitter son emploi.

[4] L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la « Commission »), a demandé et obtenu la permission d’en appeler. La Commission a fait valoir que la division générale avait commis une erreur de droit et avait tiré une conclusion de fait abusive.

[5] Après avoir examiné les observations des deux parties, le Tribunal conclut que la division générale a commis une erreur de droit en ne suivant pas la jurisprudence établie et rétablit la conclusion initiale de la Commission.

Question en litige

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a considéré que la prestataire était fondée à quitter son emploi?

Analyse

[7] Les deux parties ont déposé des observations écrites complètes auprès du Tribunal. Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé la tenue d’une audience ou cherché à présenter des éléments de preuve supplémentaires. Par conséquent, le Tribunal a procédé à l’appel en se fondant sur les observations écrites déposées.

Le mandat de la division d’appel

[8] Dans Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a statué que, lorsque la division d’appel entend des appels en vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), le mandat de la division d’appel lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi.

[9] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[10] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Observations

[11] La Commission souligne que les tribunaux ont toujours statué qu’un salaire insuffisant ne constitue pas un motif valable. Les facteurs énumérés par la division générale, tels qu’ils sont énoncés ci-après, ne constituent pas un motif valable.

[12] La prestataire ne conteste pas qu’elle a quitté volontairement son emploi. Sa position est résumée avec précision dans le dernier paragraphe de son argumentation, où elle déclare ce qui suit :

[Traduction]

En conclusion, je tiens à reconnaître que j’ai exploré toutes les avenues pour que je puisse continuer de vivre en Alberta. Je suis resté année après année parce que je ne suis pas du genre à abandonner, mais je sais aussi quand prendre des décisions intelligentes et être réaliste. Je n’allais pas recevoir d’autres augmentations d’échelon de ma rémunération et le loyer ne devenait pas moins cher. Je tiens également à souligner que je comprends qu’une personne puisse être refusée dans plusieurs circonstances, car l’assurance-emploi ne devrait pas avoir à assumer les coûts d’une personne qui quitte son emploi, mais j’ai expliqué en détail pourquoi je n’avais d’autre choix que de présenter une demande à cet égard. J’ai choisi de m’installer au X, car c’était la décision la plus raisonnable, la plus pratique et la plus saine sur le plan financier pour que je puisse aller de l’avant et avoir la capacité de gagner ma vie.

[13] Le prestataire « est fondé à » quitter volontairement son emploi comme le définit l’alinéa 29c) de la Loi sur l’assurance-emploi (LAE). Cette disposition prévoit :

c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

(i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,

(ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,

(iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,

(iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,

(v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,

(vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,

(vii) modification importante de ses conditions de rémunération,

(viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,

(ix) modification importante des fonctions,

(x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,

(xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,

(xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,

(xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,

(xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

[14] Dans sa décision, la division générale a clairement indiqué que la situation de la prestataire ne faisait pas partie de la liste non exhaustive des circonstances énoncées à l’alinéa 29c) :

[Traduction]

[63] Le Tribunal est conscient que l’alinéa 29c) de la Loi fournit une liste non exhaustive des circonstances à prendre en considération pour déterminer si une prestataire était fondée à quitter son emploi.

[64] Après avoir examiné les circonstances énumérées à l’alinéa 29c) de la Loi, le Tribunal conclut que ces circonstances ne s’appliquent pas à la [prestataire].

[15] La division générale a également cité la jurisprudence pertinente et a observé ce qui suit :

[Traduction]

Le Tribunal est également guidé par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Langlois, 2008 CAF 18, où la Cour a écrit ce qui suit :

S'il est légitime pour un travailleur de vouloir améliorer son sort en changeant d'employeur ou la nature de son travail, elle ne peut faire supporter le coût de cette légitimité par ceux et celles qui contribuent à la caisse de l'assurance-emploi. Cela est vrai autant pour ceux qui décident de retourner aux études pour parfaire leur formation ou de partir en entreprise que pour ceux qui sont simplement désireux d'accroître leur rémunération : voir Canada (Procureur général) c. Tremblay (C.A.F.), [1994] A.C.F. no. 896; Astronomo c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no. 1025; Canada (Procureur général) c. Martel (C.A.F.), [1994] A.C.F. no. 1458. Reprenant les termes utilisés par cette Cour dans l'arrêt Campeau, précité, au paragraphe 21, « la bonne foi et l'insuffisance du revenu ne constituent pas une justification au sens de l'article 30 autorisant [un prestataire] à abandonner son emploi et à en faire supporter le coût au système d'assurance-emploi ». [souligné dans l’original]

[16] Malgré ces conclusions, la division générale en est venue à la conclusion que la prestataire était fondée à quitter son emploi. Elle a donné les motifs suivants :

[Traduction]

[67] Compte tenu de toutes les circonstances, le Tribunal conclut qu’il n’existait aucune solution de rechange raisonnable au moment où elle a quitté son emploi, pour les motifs suivants :

  1. a) même avec son augmentation ayant fait passer son salaire à 3 600 $ par mois, elle ne gagnait pas suffisamment pour couvrir systématiquement le coût de la vie à X;
  2. b) la Loi n’oblige pas [une prestataire] à occuper deux emplois, comme elle l’avait fait pendant la majeure partie de son séjour en Alberta;
  3. c) elle a tenté de réduire ses dépenses en ayant un colocataire, mais son expérience a démontré que ce n’était pas une solution à long terme à sa situation financière;
  4. d) elle a tenté de réduire ses dépenses en diminuant le remboursement de son prêt étudiant;
  5. e) au moment de son déménagement, elle savait qu’elle allait devoir trouver un autre colocataire;
  6. f) elle a déployé des efforts pour trouver un autre emploi avant de quitter son emploi;
  7. g) elle a pris des mesures pour s’assurer qu’elle était apte à travailler en Nouvelle-Écosse des mois avant son déménagement.

[17] Lorsque ces motifs sont examinés en détail, il est évident que les motifs a), c) et d) se rapportent tous à des besoins financiers. La jurisprudence établit clairement que le besoin financier n’est pas un facteurNote de bas de page 1.

[18] Les motifs b) et e) illustrent davantage la situation financière de la prestataire. En soi ou en conjonction avec les besoins financiers de la prestataire, ils n’établissent pas qu’elle n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[19] Le motif f) n’a pas de lien avec le concept d’absence d’autre solution raisonnable. Il faut féliciter la prestataire pour sa recherche d’un autre emploi dans le but d’améliorer sa situation, mais le simple fait de chercher d’autres emplois pour améliorer sa situation financière et de ne pas en trouver un ne mène pas à la conclusion qu’il n’existe pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[20] Enfin, la raison g) renvoie au fait que la prestataire a présenté une demande d’inscription à la X et qu’elle était inscrite en janvier 2017. Ce fait ne serait pertinent que si la division générale tentait de se fonder sur l’alinéa 29c) de la LAE. Toutefois, le paragraphe 64 cité précédemment souligne que la division générale n’avait pas invoqué l’alinéa 29c). Par conséquent, cet acte d’inscription n’est pas pertinent lorsqu’il s’agit d’établir l’absence ou non d’une autre solution raisonnable.

[21] En résumé, la division générale, tout en citant correctement le droit et la jurisprudence, a justifié sa décision sur la base de sept facteurs. Les motifs a) à e) se rapportent directement ou indirectement aux besoins financiers. Comme l’a établi l’arrêt Tremblay, précité, les besoins financiers ne constituent pas des motifs suffisants pour conclure que la prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable.

[22] Les motifs f) et g) servent à démontrer la bonne foi de la prestataire et ses efforts sincères pour trouver un autre emploi, mais ils n’établissent pas que la prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable.

[23] Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que les besoins financiers et les sept facteurs qu’elle a mentionnés correspondaient à des circonstances lui permettant de conclure que la prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable. Il s’agit essentiellement d’un cas où la prestataire a volontairement abandonné son emploi pour des raisons financières. Il est bien établi qu’un salaire insuffisant ne constitue pas un motif valable pour quitter volontairement son emploiNote de bas de page 2.

Conclusion

L’appel est accueilli. Comme la preuve n’est pas contestée, il n’y a pas lieu de renvoyer cette affaire à la division générale pour réexamen. En se fondant sur les pouvoirs que lui confère le paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS (pour rendre la décision que la division générale aurait dû rendre), le Tribunal infirme la décision de la division générale et rejette l’appel de la prestataire. La décision de réexamen de la Commission est rétablie.

Mode d’instruction :

Observations :

Sur la foi du dossier

Commission de l’assurance-emploi du Canada, appelante
Me Carol Robillard, représentante de l’appelante
K. S., intimée

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