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Décision
[1] L’appel est rejeté.
Aperçu
[2] Depuis 16 ans, la mise en cause, âgée de 68 ans, travaille pour l’appelant à titre d’adjointe juridique pour deux avocats. Le 26 mai 2017, elle quitte son emploi.
[3] La mise en cause présente une demande pour recevoir des prestations d’assurance-emploi. Elle soutient avoir quitté son emploi, parce qu’elle ne supportait plus les comportements d’un des avocats.
[4] Après avoir obtenu des informations supplémentaires de la part des parties, la Commission décide de verser des prestations d’assurance emploi. Selon la Commission, la mise en cause était justifiée de quitter volontairement son emploi.
[5] L’appelante demande à la Commission de réviser sa décision. Selon l’appelante, la mise en cause a quitté son emploi volontairement, parce qu’elle a pris sa retraite. Il ne s’agit pas d’une justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi), mais d’un choix personnel qu’elle ne peut pas faire assumer par l’ensemble des assurés.
[6] Après avoir procédé à son enquête dans le cadre de la révision, la Commission est toujours d’avis que la mise en cause était justifiée de quitter volontairement son emploi.
[7] Selon l’appelante, la Commission a commis une erreur en concluant que, selon la prépondérance des probabilités, la mise en cause a démontré qu’elle était justifiée de quitter volontairement son emploi. La mise en cause a décidé de prendre sa retraite sans aucune pression de la part de l’appelante. Il s’agit d’un choix personnel.
Questions en litige
- Est-ce que la mise en cause a quitté volontairement son emploi ?
- Si oui, est-ce que la mise en cause était justifiée de quitter son emploi ?
Analyse
[9] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe à la présente décision.
[10] Le Tribunal doit déterminer si la mise en cause devrait être exclue du bénéfice des prestations en vertu des articles 29 et 30 de la Loi au motif qu’elle a quitté volontairement son emploi sans justification.
Est-ce que la mise en cause a quitté volontairement son emploi ?
[11] Tout d’abord, le Tribunal doit décider si la mise en cause a quitté volontairement son emploi. Il appartient à la Commission d’établir que la mise en cause a quitté volontairement son emploi (Green c Canada (Procureur général), 2012 CAF 313).
[12] Le Tribunal retient de la preuve au dossier et du témoignage de la mise en cause, qu’elle admet avoir quitté son emploi volontairement.
[13] Dans ce contexte, la Commission a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la mise en cause a quitté volontairement son emploi.
Est-ce que la mise en cause était justifiée de quitter son emploi ?
[14] Lorsque la Commission établit que la mise en cause a quitté volontairement son emploi, il incombe à la mise en cause de démontrer qu’elle était justifiée de quitter son emploi et que compte tenu de toutes les circonstances, il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas (Green c Canada (Procureur général), 2012 CAF 313).
[15] Dans la présente affaire, la Commission a décidé que la mise en cause était justifiée de quitter son emploi et qu’il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas.
[16] Le Tribunal retient que la mise en cause travaille à titre d’adjointe juridique pour l’employeur depuis de 16 ans. Elle travaille en étroite collaboration avec des avocats.
[17] Il y a environ 7 ans, on lui a attitré un nouvel avocat. Dès les premières semaines, elle a informé ses supérieurs, qu’elle voulait changer d’avocat. Selon la mise en cause, l’avocat lui manquait de respect et il pouvait l’appeler chez elle après les heures de travail. Au fil des années, elle a demandé à plusieurs reprises d’être transférée dans un autre département, mais sans succès.
[18] En 2016, la mise en cause a été en congé de maladie. Selon la mise en cause, c’est en raison de sa relation professionnelle difficile avec l’avocat et le décès de sa sœur.
[19] Lorsqu’elle est revenue au travail, elle avait l’intention de démissionner de son poste parce que sa santé de lui permettait plus de travailler avec un avocat exigeant et qui lui manquait de respect.
[20] Cependant, l’avocat a eu des problèmes de santé. Il a été en arrêt de travail pendant 9 mois. Elle a décidé de reporter sa décision.
[21] Des rumeurs ont commencé à circuler sur le retour probable de l’avocat. La mise en cause s’est informée de la possibilité de travailler 4 jours semaines, puisqu’il n’était pas possible de changer d’avocat.
[22] Selon la mise en cause, l’employeur a tardé à donner sa réponse, elle a donc remis sa lettre de démission le 26 mars 2017 et elle a quitté son emploi le 27 mai 2017.
[23] Le Tribunal retient que la mise en cause a remis une lettre de démission. Dans cette lettre, il n’est pas question d’une retraite.
[24] Selon l’appelante, la mise en cause a quitté son emploi pour prendre sa retraite. Il s’agit d’un choix personnel et l’ensemble des assurés n’ont pas à assumer ce choix. L’objectif du régime de l’assurance-emploi est de permettre à un assuré de recevoir des prestations, s’il perd involontairement son emploi (Canada c Gagnon [1988] 2 R.C.S. 29).
[25] Il ne peut provoquer lui-même le risque et le faire assumer par l’ensemble des assurés (Canada (Procureur général) c Lamonde 2006 CAF 44). Également, il ne peut pas transformer le risque en certitude de chômage (Tanguay c Canada (Procureur général), A-1458-84).
[26] Selon l’appelante, la mise en cause est demeurée au travail pendant plusieurs années, avant de décider de quitter son emploi en raison de sa relation difficile avec l’avocat.
[27] Le Tribunal n’est pas d’accord avec cet argument. Ce n’est pas parce que la situation n’est pas critique, urgente que la mise en cause n’était pas justifiée de quitter son emploi (Bell c. Canada (Procureur général) A-450-95).
[28] L’appelante a soumis des échanges courriel de la mise en cause avec certains membres du personnel et de famille, afin de démontrer que la mise en cause a quitté son emploi pour prendre sa retraite.
[29] Le Tribunal est d’avis que cet argument n’est pas pertinent pour déterminer si la mise en cause était justifiée de quitter volontairement son emploi.
[30] En effet, le Tribunal estime que la mise en cause était justifiée de quitter son emploi ou de prendre sa retraite pour préserver son état de santé et que compte tenu de toutes les circonstances, il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas (Canada (Procureur général) c. Hong, 2017 CAF 46).
[31] Pour en arriver à cette conclusion, le Tribunal s’appuie sur la preuve au dossier et le témoignage de la mise en cause.
[32] Ainsi, la superviseuse des adjointes juridiques a confirmé que la mise en cause a demandé à plusieurs reprises de transférer de poste pour ne plus travailler avec l’avocat. La superviseuse a reconnu que l’avocat était très exigeant et qu’il avait tendance à donner des ordres et à vouloir tout contrôler.
[33] Pour sa part, la mise en cause a mentionné que l’avocat pouvait l’appeler chez elle après les heures de travail et qu’il pouvait lui manquer de respect lorsqu’elle commettait des erreurs.
[34] Le Tribunal retient que la mise en cause a informé la superviseuse de la situation. Elle ne voulait pas en discuter avec l’avocat, parce qu’elle avait peur.
[35] L’appelante a reconnu que le domaine du droit du travail est très exigeant et stressant. L’avocat est un avocat plaideur et il a beaucoup de pression.
[36] Le Tribunal est d’avis que la mise en cause a eu des problèmes de santé, entre autres, en raison de sa relation difficile avec l’avocat. Lorsqu’elle est retournée au travail, elle a envisagé de démissionner pour préserver sa santé. Comme l’avocat s’est lui-même absenté en raison de problèmes de santé, elle a décidé de demeurer en poste.
[37] Cependant, lorsqu’elle a su qu’il revenait au travail, elle a demandé à travailler moins d’heures pour se préserver sa santé. Le Tribunal comprend de la situation de la mise en cause que le transfert de poste n’est toujours pas possible. La réponse à tarder, elle a donné sa démission.
[38] Le Tribunal est d’avis que compte tenu de toutes les circonstances, il s’agissait de la seule solution raisonnable dans le cas de la mise en cause. En effet, la mise en cause est retournée au travail après un congé de maladie. Elle a demandé à travailler moins d’heures par semaine, mais la politique de l’entreprise ne le permettait pas à ce moment-là. La mise en cause ne pouvait pas être transférée de poste et elle a envisagé de quitter son emploi. Le 5 septembre 2016, l’avocat a dû s’absenter de son travail pendant 9 mois en raison de problèmes de santé. La mise en cause est demeurée en poste, parce qu’elle n’avait pas à travailler avec ce dernier.
[39] Le Tribunal retient que la mise en cause a demandé de nouveau à travailler moins d’heures par semaine, lorsqu’elle a su que l’avocat reviendrait au travail. On lui a demandé d’attendre avant de lui donner une réponse définitive. La politique de l’entreprise ayant changé, il fallait l’accord du département et de l’avocat.
[40] La mise en cause a remis sa lettre de démission le 27 avril 2017 et elle a quitté son emploi le 26 mai 2017.
[41] Dans ce contexte, le Tribunal estime que la mise en cause était justifiée de quitter son emploi et que compte tenu de toutes les circonstances, il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas. En effet, la mise en cause a demandé à plusieurs reprises de changer de département. Elle a également demandé de travailler moins d’heures par semaine, afin de tenter de demeurer au travail. Finalement, n’obtenant pas de réponse lors de sa dernière demande, elle a quitté son emploi pour préserver sa santé et ne plus avoir de liens avec l’avocat.
[42] L’appelante soumet que la mise en cause aurait dû attendre de recevoir la réponse avant de quitter son emploi. Attendre combien de temps encore ? Le Tribunal estime que la mise en cause en avait assez de faire des demandes et d’attendre des réponses qui, il faut l’admettre, ont été négatives par le passé. Compte tenu de toutes ces circonstances, la mise en cause était justifiée de quitter son emploi et cela constituait la seule solution raisonnable.
[43] Après avoir tenu compte de la preuve au dossier, du témoignage de la mise en cause et des observations des parties, le Tribunal est d’avis que la mise en cause a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que compte tenu de toutes les circonstances son départ volontaire constituait la seule solution raisonnable dans son cas.
Conclusion
[44] Le Tribunal conclut que la mise en cause ne doit pas être exclue du bénéfice des prestations, parce qu’elle était justifiée de quitter volontairement son emploi le 27 mai 2017 et que compte tenu de toutes les circonstances, il s’agissait de la seule solution raisonnable dans son cas.
[45] L’appel est rejeté.
Date de l’audience :
Mode d’instruction :
Comparutions :
18 juillet 2018
Téléconférence
Me Christian Létourneau, appelante
J. D., mis en cause
Annexe
Droit applicable
Loi sur l’assurance-emploi
29 Pour l’application des articles 30 à 33 :
- a) emploi s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations ;
- b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant ;
- b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
- (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
- (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
- (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert ;
- c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
- (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
- (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
- (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
- (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
- (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
- (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
- (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
- (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
- (ix) modification importante des fonctions,
- (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
- (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
- (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
- (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
- (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.
30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :
- (a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage ;
- (b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.
(2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.
(3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.
(4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.
(5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.
(6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12 (2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.
(7) Sous réserve de l’alinéa (1) a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations - qu’elle soit initiale ou non - n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.