Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appelant n’a pas été suspendu de son emploi en raison de son inconduite. L’appel est accueilli et l’inadmissibilité imposée par la Commission est annulée.

Aperçu

[2] L’appelant travaille pour X depuis plusieurs années. Le 6 octobre 2017, il a été suspendu de son emploi pour une durée de six semaines. L’employeur lui reproche différents actes en lien avec du harcèlement psychologique qu’il aurait fait subir à un collègue de travail.

[3] L’appelant, de son côté, nie avoir commis les actes qui lui sont reprochés par l’employeur. Il précise que l’employeur n’a pas de preuve de ce qu’il avance et que l’enquête à son sujet n’a pas été menée de manière impartiale.

[4] Après avoir examiné la demande de prestations déposée par l’appelant, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) l’a rendu inadmissible au bénéfice des prestations à partir du 8 octobre 2017, après avoir déterminé qu’il avait été suspendu de son emploi en raison de son inconduite.

Questions préliminaires

[5] Lors de l’audience, l’appelant a mentionné qu’il était en possession de nouveaux documents susceptibles d’appuyer sa cause. Il s’est engagé à les faire parvenir au Tribunal par voie électronique dans un court délai après l’audience. Sept jours se sont écoulés depuis l’audience et le Tribunal n’a toujours reçu aucune correspondance de l’appelant, même après lui avoir accordé un délai raisonnable pour soumettre ses documents. Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas l’intention de présenter ces nouveaux documents. La présente décision est donc rendue en fonction des éléments au dossier à ce jour et du témoignage de l’appelant lors de l’audience.

Question en litige

[6] L’appelant a-t-il été suspendu de son emploi à X en raison de son inconduite?

Analyse

[7] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe à la présente décision.

L’appelant a-t-il été suspendu de son emploi à X en raison de son inconduite?

[8] Le Tribunal considère que l’appelant n’a pas été suspendu de son emploi en raison de son inconduite, et ce, pour les raisons suivantes.

[9] Le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi) prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi s’il perd un emploi en raison de son inconduite. Toutefois, en vertu de l’alinéa 30(1)b) et de l’article 31 de la Loi, un prestataire qui est suspendu de son emploi en raison de son inconduite ne sera pas exclu du bénéfice des prestations, mais sera plutôt rendu inadmissible au bénéfice des prestations pendant la durée de sa suspension.

[10] L’inconduite n’est pas définie dans la Loi ou dans le Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement). Cette notion a plutôt été définie et précisée par de nombreuses décisions de la Cour d’appel fédérale au cours des dernières décennies. Il en ressort que le geste ou la conduite reprochée à un prestataire doit rencontrer certains critères afin d’être en mesure d’établir qu’il y a eu perte d’emploi (ou suspension) en raison d’une inconduite :

  1. Le prestataire doit effectivement avoir commis le geste qui lui est reproché. (Procureur général du Canada c Crichlow, A-562-97.)
  2. Ce geste doit être volontaire, délibéré, ou résulter d’une insouciance ou d’une négligence telle qu’il frôle le caractère délibéré. (Procureur général du Canada c Tucker, A-381-85)
  3. Ce geste doit être tel que le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il était de nature à entraver ses obligations envers son employeur et susceptible de provoquer son congédiement (ou sa suspension). (Mishibinijima c Canada (Procureur général,2007 CAF 36)
  4. Il doit y avoir un lien de cause à effet entre le geste reproché et la mesure prise par l’employeur (la suspension). Autrement dit, le geste ou la conduite en cause doit être la réelle cause de la suspension et non un simple prétexte. (Canada (Procureur général) c Nolet, A-517-91)

[11] En matière d’inconduite, il incombe à la Commission de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’un prestataire a perdu son emploi (ou a été suspendu) en raison de son inconduite. (Ministre de l’emploi et de l’immigration c Bartone, A-369-88 et Procureur général du Canada c Davlut, A-241-82)

L’appelant a-t-il effectivement commis les gestes qui lui sont reprochés?

[12] Naturellement, avant même de déterminer si certains gestes ou certaines actions constituent de l’inconduite et s’il y a eu suspension pour cette raison, il faut d’abord déterminer s’il a été démontré que les gestes reprochés ont effectivement été commis par l’appelant.

[13] La réponse à une telle question doit être fondée sur des éléments de preuve clairs et non sur de simples conjectures et hypothèses. En outre, c’est à la Commission de prouver l’existence de tels éléments de preuve, et ce, indépendamment de l’opinion de l’employeur. (Procureur général du Canada c Crichlow, A-562-97.)

[14] Dans ce dossier, l’employeur reproche à l’appelant d’avoir commis trois gestes qui sont à l’origine d’une plainte de harcèlement psychologique que l’un de ses collègues a déposé contre lui. L’employeur fait valoir qu’une enquête a été menée suite à la réception de la plainte, et que la suspension était la mesure appropriée, compte tenu des conclusions de l’enquête (GD3-31).

[15] Les gestes en question sont les suivants (GD3-21 et 32) :

  1. L’appelant a déposé une plainte criminelle non fondée l’égard d’un collègue (« WL ») dans le but de lui nuire et de lui causer préjudice entraînant des conséquences importantes pour celui-ci.
  2. Il a poursuivi ce même collègue sur l’autoroute avec son véhicule en le suivant de près, en le coupant volontairement et en causant un risque pour sa sécurité.
  3. Il a tenu des propos à caractère raciste à l’endroit de son collègue.

[16] L’appelant nie avoir commis les gestes qui lui sont reprochés. Lors de l’audience et dans ses conversations avec la Commission, l’appelant a fait valoir qu’il n’a pas poursuivi son collègue sur l’autoroute et que c’est plutôt celui-ci qui l’a poursuivi, qu’il n’a jamais tenu de propos à caractère raciste et que la plainte criminelle qu’il a déposée contre son collègue était fondée, mais qu’elle a été rejetée par la police par manque de preuves. Selon l’appelant, l’employeur n’a pas de preuves de ce qu’il avance (GD3-29, 56 et 57).

[17] Il semble que la présente situation soit un malheureux conflit de travail entre collègues, à l’origine plutôt banale, qui a dégénéré. En résumé, l’appelant et certains de ses collègues auraient adressé une plainte au X parce que leur contremaître aurait nommé un employé auxiliaire, WL, afin de le remplacer, et ce, sans suivre la liste d’ancienneté (GD3-37). Suite à la réception de cette lettre de plainte, l’appelant soutient que le contremaître a été rappelé à l’ordre par ses supérieurs. Toutefois, cette situation a créé un conflit important avec WL. 

[18] Le Tribunal considère l’appelant comme crédible. Celui-ci a témoigné avec conviction et assurance lors de l’audience. De plus, il a maintenu la même version des faits depuis le début du processus. 

[19] Donc, en ce qui concerne la preuve relativement aux gestes reprochés à l’appelant :

[20] Plainte non fondée : L’appelant a accusé WL d’avoir tenté de le frapper avec une camionnette et il a porté plainte à la police suite à cet évènement (GD3-56 et 57). Selon l’appelant, sa plainte n’a pas été retenue par manque de preuves. Il maintient cependant que la plainte était fondée.

[21] Mis à part les allégations générales qui figurent dans la lettre de suspension (et qui sont répétées par la conseillère en RH chez l’employeur, GD3-32), le Tribunal constate que l’employeur n’a fourni aucune version des faits et aucune preuve relativement à cet évènement. L’appelant reconnait avoir déposé une plainte à la police, mais l’élément qui lui est reproché par l’employeur est plutôt que cette plainte était non fondée et avait pour but de nuire et de causer un préjudice à WL (GD3-21).

[22] Aux yeux du Tribunal, le fait que la plainte de l’appelant n’ait pas été retenue par la police ne signifie pas qu’elle était non fondée ou qu’elle avait pour but de nuire ou de porter indûment préjudice à quiconque. Les policiers reçoivent assurément un grand nombre de dénonciations qui ne sont ultimement pas retenues pour des accusations criminelles pour différentes raisons. Ceci ne démontre pas pour autant que les actes allégués n’ont pas été commis ni que la personne qui a fait la dénonciation était de mauvaise foi. La preuve fournie au Tribunal ne permet pas de démontrer que l’appelant a déposé une plainte non fondée avec l’objectif de nuire et de causer un préjudice à WL.

[23] Propos racistes : On reproche à l’appelant d’avoir adressé des propos racistes à l’endroit de WL suite à sa nomination à titre de remplaçant du contremaître (GD-21). L’appelant nie vivement avoir utilisé des propos racistes à l’endroit de quiconque et réfute les allégations de l’employeur en mentionnant qu’il n’utiliserait jamais de tels mots et qu’il faisait tout son possible pour éviter WL.

[24] Encore une fois, mis à part les allégations qui figurent dans la lettre de suspension et qui sont répétées par la conseillère en RH de l’employeur, le Tribunal constate que l’employeur n’a fourni aucune version des faits et aucune preuve relativement à cet évènement. L’employeur a déclaré à la Commission que de telles preuves existaient, notamment des enregistrements vidéos, mais a refusé catégoriquement de les partager. En fait, si on en croit les transcriptions des conversations au dossier, l’employeur a peu collaboré et n’a pas beaucoup aidé la Commission dans sa recherche de faits.

[25] Ainsi, il n’y a au dossier aucune version des faits des témoins et aucune déclaration de la personne présumément visée par ces propos. De plus, ni le Tribunal, ni la Commission, ni l’appelant lui-même n’ont visionné ou entendu les vidéos ou les enregistrements censés démontrer le geste commis par l’appelant. En l’absence d’autres éléments, la preuve fournie au Tribunal ne permet pas de démontrer que l’appelant a tenu des propos racistes à l’endroit de WL.

[26] Poursuite sur l’autoroute : L’employeur allègue que l’appelant aurait poursuivi WL sur l’autoroute et l’aurait coupé avec son véhicule (GD3-21). L’appelant, de son côté, nie complètement avoir agi de la sorte et soutient que c’est plutôt WL qui l’a coupé sur la route.

[27] Suite à cet évènement, WL a porté plainte à la police (GD3-36), mais cette plainte n’a  mené à aucune accusation criminelle contre l’appelant. Un «engagement de ne pas troubler l’ordre public» l’enjoignant à rester à 100 mètres de la résidence et du lieu d’étude de WL a cependant été imposé à l’appelant environ un an après les faits. (GD3-33 et 34)

[28] Tel que le prévoit l’article 810 du Code Criminel, un tel engagement est émis par un juge de paix, lorsque celui-ci est convaincu que les craintes de la personne pour qui la dénonciation est déposée sont fondées sur des motifs raisonnables.

[29] Cet engagement est un élément de preuve pertinent dans ce dossier, mais il n’est accompagné d’aucun motif et ne mentionne pas de preuves ou de faits précis. Le Tribunal ne sait pas quelles sont les craintes spécifiques invoquées par WL qui ont mené à la signature de cet engagement et ne dispose manifestement pas de la preuve dont disposait le juge de paix lorsqu’il a émis le document.

[30] En fait, à part la lettre de suspension, tout ce que le Tribunal a en main est la lettre de plainte déposée par WL à la Police. Mais, cette plainte a été formulée en août 2016, soit un an avant l’engagement émis par le juge de paix (signé en juillet 2017) et le document permet seulement d’apprendre que l’appelant suivait WL sur l’autoroute (GD3-36). Il y a peu d’éléments pour appuyer l’allégation de l’employeur voulant que l’appelant aurait poursuivi WL sur l’autoroute avec son véhicule en le suivant de près, en le coupant volontairement et en causant un risque pour sa sécurité. D’autant plus que l’appelant nie vigoureusement avoir agi de la sorte et soutient que c’était plutôt WL qui le poursuivait sur l’autoroute.

[31] Comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, il semble que cette situation soit un conflit de travail entre collègues qui a dégénéré. Il est probable que des fautes aient été commises de part et d’autre, mais le Tribunal doit se concentrer sur les évènements qui ont été invoqués par l’employeur pour suspendre l’appelant.

[32] Après avoir examiné la preuve au dossier concernant ces allégations et après avoir entendu le témoignage de l’appelant lors de l’audience, le Tribunal doit conclure que la preuve déposée par la Commission n’est pas prépondérante et est insuffisante pour convaincre le Tribunal que l’appelant a bien commis les gestes qui lui sont reprochés. À la lumière de cette conclusion, il n’est pas pertinent pour le Tribunal de poursuivre l’analyse des autres critères applicables à l’inconduite.

[33] Le Tribunal doit donc conclure que la Commission n’a pas rempli le fardeau qui lui incombait, soit de démontrer que l’appelant a été suspendu de son emploi en raison de son inconduite. 

Conclusion

[34] L’appelant n’a pas été suspendu de son emploi en raison de son inconduite. L’appel est accueilli et l’inadmissibilité imposée par la Commission est annulée.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparution :

17 août 2018

Téléconférence

R. L., appelant

Annexe

Droit applicable

Loi sur l’assurance-emploi

31 Le prestataire suspendu de son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestations jusqu’à, selon le cas :

  1. (a) la fin de la période de suspension;
  2. (b) la perte de cet emploi ou son départ volontaire;
  3. (c) le cumul chez un autre employeur, depuis le début de cette période, du nombre d’heures d’emploi assurable exigé à l’article 7 ou 7.1.

29 Pour l’application des articles 30 à 33 :

  1. a) emploi s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
  3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
    1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
    2. (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
    3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
  4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
    1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
    2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
    3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
    4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
    5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
    6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
    7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
    8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
    9. (ix) modification importante des fonctions,
    10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
    11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
    12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
    13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
    14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.
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