Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] Le 25 août 2017, l’appelant a quitté son emploi pour déménager dans une autre région avec sa conjointe. À cette époque, l’appelant travaillait dans une entreprise à but non lucratif dont la mission première était de favoriser l’intégration socioprofessionnel de personnes ayant des limitations physiques ou intellectuelles. L’appelant a présenté une demande de prestations régulières le 27 septembre 2017. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (ci-après « la Commission ») a refusé de verser des prestations à l’appelant, car il a volontairement quitté son emploi et ce, sans justification. Comme l’appelant ne conteste pas qu’il a volontairement quitté son emploi, le Tribunal doit déterminer si l’appelant doit être exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté son emploi sans justification.

Questions en litige

[3] Est-ce que l’appelant était dans la nécessité d’accompagner son épouse ou sa conjointe de fait vers un autre lieu de résidence?

[4] Est-ce qu’il existe d’autres circonstances à prendre en considération pour déterminer si l’appelant était justifié de quitter son emploi ?

[5] Est-ce que le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable?

Analyse

[6] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe à la présente décision.

[7] Une personne est justifiée de quitter son emploi si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, notamment celles énumérées à alinéa 29 c) de la Loi sur l’assurance-emploi (ci-après « la Loi »), le départ était la seule solution raisonnable (Green c. Procureur général du Canada, 2012 CAF 313). Ainsi, le prestataire doit n’avoir « [...] d’autres choix raisonnables que de quitter son emploi » (Astronomo c. Procureur général du Canada, A-141-97).

[8] Le prestataire a le fardeau de prouver, selon la prépondérance de la preuve, que le départ était justifié (Chaoui c. Procureur général du Canada, 2005 CAF 66; Procureur général du Canada c. White, 2011 CAF 190).

[9] L’appelant a soulevé qu’il était justifié de quitter son emploi puisqu’il était dans la nécessité de suivre sa conjointe (sous-alinéa 29 c) (ii) de la Loi).

Est-ce que l’appelant était dans la nécessité d’accompagner son épouse ou sa conjointe de fait vers un autre lieu de résidence?

[10] Pour bénéficier du sous-alinéa 29 c) (ii) de la Loi, l’appelant doit démontrer deux éléments : 1) la personne qu’il suit doit être son épouse ou sa conjointe de fait; et 2) la nécessité de suivre cette personne.

[11] Le Tribunal croit que la circonstance prévue à ce sous-alinéa ne peut trouver application pour le présent dossier, puisque l’appelant et sa conjointe n’étaient ni des époux ni des conjoints de fait au moment du déménagement.

[12] Tout d’abord, il n’est pas contesté que l’appelant n’était pas marié avec sa conjointe au moment de son déménagement. Ils n’étaient donc pas des époux.

[13] Ensuite, un « conjoint de fait » est « la personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an » (paragraphe 2(1) de la Loi). Comme l’appelant et sa conjointe ne vivaient pas ensemble au moment du départ de l’appelant, il ne remplissait pas la condition pour être des conjoints de fait.

[14] Vu la conclusion du Tribunal que la relation de l’appelant et sa conjointe ne correspondait  pas à la définition de « conjoint de fait », le sous-alinéa 29 c) (ii) de la Loi ne s’applique pas. Par conséquent, le Tribunal n’a pas à déterminer si l’appelant était dans la nécessité de quitter son emploi.

Est-ce qu’il existe d’autres circonstances à prendre en considération pour déterminer si l’appelant était justifié de quitter son emploi ?

[15] Le Tribunal est d’avis qu’aucune des circonstances énumérées à l’alinéa 29 c) de la Loi ne correspond à la situation précise de l’appelant. Cependant, cette liste n’est pas exhaustive en raison de l’utilisation du terme « notamment  » dans ce même alinéa. Ainsi, le Tribunal doit déterminer quelles autres circonstances peuvent s’appliquer à son cas.

[16] La représentante de l’appelant a soumis que la Commission n’avait pas pris en considération que l’appelant était une personne handicapée, car il a une limitation neurologique du langage et de la parole, soit une dysphasie mixte.

[17] Le Tribunal est d’avis qu’il doit tenir compte du fait que l’appelant avait une dysphasie mixte.

[18] La représentante de l’appelant a expliqué au Tribunal que cette limitation neurologique avait des conséquences sur le travail de l’appelant. En effet, ce que l’appelant entend n’est pas décodé par le cerveau. De plus, l’appelant a de la difficulté avec la réception des consignes et pour s’exprimer. De plus, la notion d’espace-temps et les mesures sont des ambiguïtés pour l’appelant. Ainsi, l’appelant peut être plus lent à effectuer certaines tâches qu’un employé régulier.

[19] Plus particulièrement dans le cadre du travail, l’appelant a besoin de répétition pour apprendre un travail. L’appelant a également besoin d’une routine et de stabilité. Par exemple, l’appelant ne pourrait pas travailler dans un restaurant en raison des imprévus.

[20] Le Tribunal prend en considération la limite neurologique de l’appelant pour déterminer si son départ était la seule solution raisonnable.

Est-ce que le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable?

[21] Le Tribunal est d’avis que le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable en vertu des circonstances particulières de son dossier.

[22] Premièrement, l’appelant ne pouvait pas garder son emploi en attendant de se chercher un autre emploi dans la région de son déménagement.

[23] De manière générale, la Cour d’appel fédérale considère raisonnable qu’un prestataire continue de travailler jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi (Procureur général du Canada c. Murugaiah, 2008 CAF 10; Procureur général du Canada c. Graham, 2011 CAF 311). Cependant, le Tribunal est d’avis qu’en raison de la situation particulière de l’appelant, il serait déraisonnable d’exiger qu’il conserve son emploi durant ses démarches de recherche d’emploi.

[24] Tout d’abord, l’appelant a expliqué qu’en raison de sa limitation neurologique, il utilise le X. Cet organisme attaché avec Emploi-Québec favorise l’intégration au travail de personne handicapée. Ainsi, le X peut se charger de trouver un emploi adapté à la condition des personnes en fonction de leur handicap.

[25] Dans le présent dossier, le X a fait le lien entre l’appelant et l’employeur par le biais d’un emploi subventionné. La subvention vient pallier au fait que l’appelant peut travailler plus lentement qu’un autre employé.

[26] De plus, le X assure un suivi régulier durant l’emploi. Plus précisément dans le présent dossier, la conseillère de X de l’appelant communique avec son employeur et peut intervenir dans des cas de difficulté au travail. La conseillère aide l’appelant à évoluer dans son travail, sans être bousculé. Selon la représentante de l’appelant, le X était essentiel pour la recherche d’emploi de l’appelant, mais également pour son bien être dans le cadre de son emploi.

[27] En effet, l’appelant n’avait pas la capacité de faire les démarches de recherche d’emploi par lui-même.

[28] Donc, avant de quitter son emploi, l’appelant a demandé un transfert de région de son dossier X Montmagny vers X Mauricie. Par contre, le système informatique de X ne peut supporter que son dossier soit actif dans deux villes différentes. Donc, pour effectuer le transfert, l’appelant devait démissionner de son emploi à Montmagny pour ouvrir un nouveau dossier en Mauricie. Par conséquent, pour continuer de bénéficier des services de X, l’appelant était dans l’obligation de démissionner pour se trouver un emploi dans sa nouvelle région de résidence.

[29] Selon la Commission, l’appelant aurait dû attendre d’avoir l’assurance d’un autre emploi avant de quitter son emploi. Cette prétention de la Commission ne tient pas compte des circonstances du présent dossier, soit de la limitation neurologique de l’appelant et du programme du X. Le Tribunal est d’avis que la solution proposée par la Commission n’est pas raisonnable (alinéa 29 c) de la Loi).

[30] En effet, le Tribunal retient que l’appelant devait utiliser l’organisme X pour se trouver un emploi et pour maintenir cet emploi en raison de sa limitation neurologique et que le système informatique de X nécessitait une démission de sa part. Il était impossible pour l’appelant de conserver son emploi pendant qu’il se cherchait un nouvel emploi.

[31] Deuxièmement, l’appelant ne pouvait pas déménager et garder son emploi, car la distance à parcourir entre les 2 endroits était trop importante.

[32] Troisièmement, l’appelant a mentionné qu’il n’a pas demandé de transfert à son employeur, puisqu’il n’y avait aucun transfert possible.

[33] Quatrièmement, l’appelant ne pouvait pas demander à sa conjointe de déménager dans sa région pour qu’il conserve son emploi. En effet, l’appelant a expliqué que sa conjointe souffrait également de dysphasie, mais qu’elle était moins autonome que lui. Ainsi, elle devait demeurer proche de ses parents qui l’aidaient dans son quotidien. Le Tribunal retient que la conjointe de l’appelant ne pouvait pas déménager pour aller le rejoindre en raison de sa propre dysphasie.

[34] Cinquièmement, la Commission a soulevé que vu l’absence de nécessité d’aller rejoindre sa conjointe, le déménagement de l’appelant était une décision personnelle légitime, mais que l’ensemble des cotisants au fonds de l’assurance-emploi ne devrait pas l’assumer. Selon la Commission, une solution raisonnable aurait été de ne pas prendre cette décision personnelle.

[35] Le Tribunal considère que la solution proposée par la Commission n’est pas raisonnable considérant la limite neurologique de l’appelant et l’obligation de démissionner pour se trouver un autre emploi. En effet, la Loi n’exclut pas automatiquement un prestataire du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement son emploi en raison d’une décision personnelle. La Loi prévoit qu’un prestataire peut être justifié de quitter son emploi si, selon toutes les circonstances, son départ était la seule solution raisonnable dans son cas (alinéa 29 c) de la Loi). Donc, une personne peut être justifiée de quitter son emploi pour une décision personnelle si l’ensemble des circonstances démontre qu’il s’agissait de la seule solution raisonnable.

[36] Dans le présent dossier, la Commission a arrêté son analyse au fait qu’il n’était pas nécessaire pour l’appelant de déménager avec sa conjointe. La Commission n’a pas tenu compte des circonstances particulières du dossier, soit que l’appelant était atteint d’une limite neurologique, qu’il ne pouvait pas se chercher un emploi seul et que l’organisme qui l’aidait dans son intégration au travail exigeait qu’il soit sans emploi.

[37] Le Tribunal est d’avis que l’appelant s’est déchargé de son fardeau de preuve de démontrer que son départ était la seule solution raisonnable et par conséquent, qu’il était justifié de quitter son emploi (Chaoui, supra; White, supra). En effet, l’appelant devait quitter son emploi pour obtenir un nouvel emploi (Green, supra; Astronomo, supra)

Conclusion

[38] L’appel est accueilli. L’appelant ne devrait pas être exclu du bénéfice des prestations à partir du 24 septembre 2017, car il était justifié de quitter son emploi.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

19 septembre 2018

Téléconférence

O. C., appelant
Mariane Laprise, représentante de l’appelant

Annexe

Droit applicable

Loi sur l’assurance-emploi

29 Pour l’application des articles 30 à 33 :

  1. a) emploi s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
  3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
    1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
    2. (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
    3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
  4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
    1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
    2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
    3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
    4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
    5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
    6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
    7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
    8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
    9. (ix) modification importante des fonctions,
    10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
    11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
    12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
    13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
    14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

  1. (a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
  2. (b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

(2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.

(3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.

(4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.

(5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

(6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.

(7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations - qu’elle soit initiale ou non - n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.

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