Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] La demande de permission d’en appeler est rejetée.

Aperçu

[2] La demanderesse, C. F. (la prestataire), a quitté son emploi le 23 février 2017 parce qu’elle croyait qu’elle était mal traitée par son employeur et que sa santé en était affectée. Elle n’a pas demandé tout de suite des prestations d’assurance-emploi parce qu’elle pensait qu’elle ne serait pas admissible à moins de pouvoir prouver qu’elle était fondée à quitter son emploi. Elle a tardé à déposer une demande en attendant l’issue de sa plainte en matière de droits de la personne. Elle croyait que cela l’aiderait à établir qu’elle était victime de harcèlement et de discrimination et qu’elle était donc fondée à quitter son emploi. Elle a finalement présenté une demande de prestations le 19 décembre 2017.

[3] La défenderesse, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission), a déterminé que la période de référence de la prestataire allait du 20 novembre 2017 au 16 décembre 2017. La Commission a rejeté sa demande parce qu’elle n’avait pas accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable pour être admissible à des prestations pendant la période de référence. La prestataire a demandé un réexamen. Elle a expliqué la raison de son retard et a demandé à la Commission de considérer que sa période de référence s’étend du 23 février 2016 au 23 février 2017. Elle a également précisé certaines périodes pendant lesquelles elle était incapable de travailler pour cause de maladie, dont l’une correspondait à ce que la Commission avait déterminé être la période de référence.

[4] Après que la prestataire a demandé un réexamen, la Commission a modifié sa décision, mais seulement pour permettre une prolongation de quatre semaines de sa période de référence afin de compenser son hospitalisation du 17 octobre 2017 au 23 novembre 2017. Cela a augmenté le nombre d’heures d’emploi assurable de la prestataire, mais pas suffisamment pour lui permettre d’être admissible aux prestations. La décision de réexamen a accordé une prolongation de la période de référence déjà déterminée, ce qui implique que la demande d’antidatation a été rejetée.

[5] La prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale en faisant valoir qu’elle était fondée à retarder le dépôt de sa demande. La division générale a rejeté son appel et la prestataire demande maintenant la permission d’en appeler à la division d’appel.

[6] Il n’y a aucune chance raisonnable de succès. La prestataire a sélectionné les trois moyens d’appel possibles dans sa demande de permission. Toutefois, la prestataire n’a pas signalé d’erreur particulière de justice naturelle, elle n’a pas soutenu que la division générale a commis une erreur de droit, et je n’ai pu découvrir d’erreur de fait.

Questions en litige

[7] Peut-on soutenir que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence en vertu de l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)?

[8] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS en exigeant que la prestataire ait pris des mesures raisonnablement rapides pour protéger ses prestations ou en omettant d’examiner sa demande de prestations en vertu de l’article 21 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »)?

[9] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS en exigeant que la prestataire ait présenté une demande à un moment où elle n’aurait pas pu être admissible à des prestations?

[10] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de fait en omettant de tenir compte de la preuve des efforts de la prestataire par lesquels elle a confirmé qu’elle n’aurait pas été admissible à des prestations régulières ou spéciales à compter du 23 février 2017?

[11] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de fait en vertu de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS en omettant de tenir compte de la preuve médicale de la prestataire?

Analyse

Principes généraux

[12] La tâche de la division d’appel est plus restreinte que celle de la division générale. La division générale a le pouvoir d’examiner et d’apprécier la preuve dont elle est saisie et de tirer des conclusions de fait. La division générale applique ensuite le droit à ces faits pour tirer des conclusions sur les questions de fond soulevées par l’appel.

[13] En revanche, la division d’appel ne peut intervenir dans une décision de la division générale à moins de conclure que la division générale a commis l’une des erreurs décrites par les moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS tel qu’il est énoncé ci-après :

  1. a) la division générale n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[14] À moins que la division générale ait commis une erreur de l’une de ces façons, l’appel ne peut être accueilli, même si la division d’appel n’est pas d’accord avec la conclusion de la division générale.

[15] Pour faire droit à cette demande d’autorisation et permettre que le processus d’appel aille de l’avant, je dois conclure qu’il existe une chance raisonnable de succès sur un ou plusieurs moyens d’appel. Une chance raisonnable de succès a été assimilée à une cause défendableNote de bas de page 1.

Question en litige no 1 : Peut-on soutenir que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence?

[16] Dans sa demande de permission d’en appeler, la prestataire indique que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a excédé ou refusé d’exercer sa compétence.

[17] La justice naturelle ne vise pas à déterminer si la décision ou le résultat est équitable. Elle renvoie à l’équité du processus décisionnel. La justice naturelle comprend des protections procédurales, comme le droit à un décideur impartial et le droit des parties d’être entendues et de connaître la preuve contre elles. La prestataire n’a pas soulevé de préoccupation au sujet du caractère adéquat de l’avis d’audience, de la divulgation de documents avant l’audience, de la façon dont l’audience a été tenue, de sa compréhension du processus ou de toute autre mesure ou procédure qui aurait pu affecter son droit d’être entendue ou de répondre à l’affaire. Elle n’a pas non plus laissé entendre que le membre de la division générale était partial ou avait préjugé l’affaire. On ne peut donc soutenir que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle.

[18] De même, la prestataire n’a pas suggéré de quelle façon la division générale aurait pu excéder ou ne pas avoir exercé sa compétence. La prestataire n’a donc pas soutenu que la division générale a commis une erreur de compétence.

[19] Par conséquent, on ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur en vertu de l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 2 : Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en exigeant que la prestataire ait pris des mesures raisonnablement rapides pour protéger ses prestations ou en omettant d’examiner sa demande de prestations en vertu de l’article 21 de la Loi?

[20] La prestataire affirme que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’elle s’attendait à ce que la prestataire prenne [traduction] « des mesures raisonnablement rapides pour protéger ses prestations. » Elle estime que la division générale aurait dû examiner sa demande en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur l’assurance-emploi et qu’elle n’aurait pas à prendre des mesures raisonnablement rapides pour protéger les prestations prévues à l’article 21.

[21] L’article 21 de la Loi sur l’assurance-emploi traite de ce que l’on appelle des prestations spéciales, ce qui comprend les prestations en période de maladie. Bien que la prestataire ait fait valoir qu’elle souffrait de stress et d’anxiété au moment où elle a quitté son emploi, sa demande de prestations était une demande de prestations régulières et elle a demandé une antidatation de cette demande de prestations régulières. Par conséquent, la Commission a statué que sa demande était une demande de prestations régulières.  La demande de la prestataire visant à faire antidater sa demande, qui était implicite dans sa demande de réexamen, demeurait une demande d’antidatation de sa demande de prestations régulières. Par conséquent, la Commission a refusé le versement de prestations régulières et une antidatation des prestations régulières. La question du droit de la prestataire à des prestations spéciales n’a pas été soumise à la division générale.

[22] Quoi qu’il en soit, l’exigence énoncée au paragraphe 10(4) de la Loi selon laquelle un prestataire doit démontrer qu’il a un motif valable pendant toute la période du retard s’applique tout autant lorsqu’une antidatation est demandée pour des prestations spéciales que lorsque la demande porte sur des prestations régulières. Dans des décisions antérieures, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un prestataire doit démontrer qu’il a fait ce qu’une « personne raisonnable et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances » pour démontrer qu’il avait un motif valable de retarder sa demande de prestationsNote de bas de page 2 et qu’un prestataire doit prendre «  des mesures raisonnablement rapides pour déterminer [son] droit aux prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 3 ou « des mesures raisonnablement rapides » pour comprendre [ses] obligations en vertu de la [Loi sur l’assurance-emploi]Note de bas de page 4 ». Les principes tirés de ces décisions s’appliquent tout autant à la détermination du motif valable pour les demandes de prestations spéciales qu’aux demandes de prestations régulières.   

[23] On ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en exigeant que la prestataire ait pris des mesures raisonnablement rapides pour protéger ses prestations ou en omettant d’examiner sa demande de prestations en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi.

Question en litige no 3 : Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en exigeant que la prestataire présente une demande à un moment où elle n’aurait pas été admissible au bénéfice des prestations?

[24] La prestataire soutient également qu’elle connaissait la Loi sur l’assurance-emploi et le Règlement sur l’assurance-emploi. Elle affirme avoir compris qu’elle [traduction] «  n’aurait pas eu le droit de recevoir des prestations » parce que son employeur avait déclaré qu’elle avait quitté volontairement son emploiNote de bas de page 5. La prestataire soutient que la division générale a commis une erreur en omettant de reconnaître qu’elle a retardé sa demande parce qu’elle n’aurait pas pu être admissible au bénéfice des prestations plus tôt.

[25] Si la prestataire avait compris qu’elle n’aurait pas pu être admissible au bénéfice des prestations parce que son employeur lui avait demandé de quitter son emploi, elle s’est trompée.  Les prestataires ne sont pas exclus du bénéfice des prestations parce qu’ils ont quitté volontairement leur emploi. Aux termes de l’article 30 de la Loi, les prestataires ne sont exclus du bénéfice des prestations que s’ils quittent volontairement leur emploi sans justification.La prestataire avait indiqué dans ses observations : [traduction] « le fardeau de la preuve me revient donc de démontrer que j’étais fondée à quitter mon emploi » Note de bas de page 6. Il appert de cette situation que la prestataire ne comprenait pas qu’elle ne pouvait pas être admissible lorsqu’elle a quitté son emploi, mais qu’elle supposait son impossibilité à prouver son admissibilité. Elle a choisi de retarder sa demande jusqu’à ce qu’elle dispose d’une meilleure preuve qu’elle était fondée à quitter son emploi.

[26] L’enquête, la collecte d’éléments de preuve et l’appréciation de la preuve pour prendre la décision initiale de savoir si la prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification est une tâche qui est réservée à la Commission. La Loi sur l’assurance-emploi ne prévoit pas ou ne permet pas aux prestataires de reporter leurs demandes simplement parce qu’ils ne sont pas encore prêts à les déposer, et il existe de bonnes raisons de principe pour exiger que les prestataires déposent leurs demandes en temps opportun. Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. ChalkNote de bas de page 7:

[S]i la demande de prestations doit être présentée le plus rapidement possible, c’est parce que le paiement rétroactif de prestations empêche la Commission de bien administrer le versement des prestations au prestataire. Ainsi, des questions comme la disponibilité pour le travail et l’effet de toute rémunération éventuelle du prestataire ne peuvent être traitées de manière contemporaine.

[27] On ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en exigeant que la prestataire présente une demande à un moment où elle a compris qu’elle n’aurait pas été ou ne pourrait pas être admissible au bénéfice des prestations.

[28] Si la prestataire soutient que la division générale a commis une erreur de droit en n’acceptant pas qu’il était raisonnable pour elle de retarder sa demande pendant qu’elle attendait des éléments de preuve supplémentaires découlant de sa plainte relative aux droits de la personne, ce n’est pas un argument qui traite d’une erreur de droit isolable. Il s’agit plutôt d’une question mixte de fait et de droitNote de bas de page 8. Dans l’arrêt Quadir c. Canada (Procureur général), la Cour d’appel fédérale a confirmé que la division d’appel n’a pas compétence pour examiner des questions mixtes de fait et de droitNote de bas de page 9.

[29] On ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS en jugeant déraisonnable que la prestataire ait retardé sa demande de prestations.

Question en litige no 4 : Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de fait en omettant de prendre en considération la preuve des efforts déployés par la prestataire pour confirmer qu’elle n’aurait pas été admissible à des prestations régulières ou spéciales à compter du 23 février 2017?

[30] Au paragraphe 21 de la décision de la division générale, la division générale a noté l’observation de la prestataire selon laquelle elle avait fait des recherches sur son admissibilité et déterminé qu’elle n’était pas admissible au bénéfice des prestations. Elle a néanmoins déterminé que la prestataire n’a pas agi comme une personne raisonnable lorsqu’elle s’est fiée uniquement aux renseignements recueillis sur le site Web de Service Canada et qu’une personne raisonnable se serait [traduction] « renseignée au sujet de son droit aux prestations ou aurait présenté sa demande au moment où elle a perdu son emploi et aurait permis à la Commission de déterminer si le motif de cessation d’emploi […] la rendait inadmissible aux prestationsNote de bas de page 10. »

[31] La prestataire peut être en désaccord avec la conclusion de la division générale selon laquelle ses gestes ne correspondaient pas à ce qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait, sur la base de ses propres recherches et de sa connaissance déclarée des prestations d’assurance-emploi et de son expérience à cet égard, mais cela ne révèle pas un moyen d’appel valideNote de bas de page 11.

[32] On ne peut soutenir que la division générale n’a pas tenu compte de son explication quant à la raison pour laquelle elle croyait qu’elle ne serait pas admissible si elle avait présenté une demande plus tôt ou qu’elle avait commis une erreur en vertu de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 5 : Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de fait en omettant de tenir compte de la preuve médicale de la prestataire?

[33] La prestataire a fourni à la division générale une note d’un médecin datée du 17 février 2017 indiquant qu’elle est incapable de travailler à partir de cette date. Elle soutient qu’il s’agissait d’une preuve supplémentaire pour expliquer pourquoi elle a quitté son emploi, mais que la division générale n’en a pas tenu compte.

[34] La division générale a fait mention de cette note au paragraphe 23 de la décision. Elle a également noté le témoignage de la prestataire selon lequel son état de santé n’était pas pertinent pour la raison pour laquelle elle avait retardé sa demande. Par conséquent, la division générale a conclu que son état de santé ne l’empêchait pas de prendre des mesures lorsque son emploi prenait fin. C’était la question en litige en appel. La raison pour laquelle la prestataire a quitté son emploi n’était pas la question en litige en appel. On ne peut soutenir que la division générale a tiré une conclusion de fait erronée en ne tenant pas compte de la façon dont la preuve médicale pourrait étayer les raisons pour lesquelles la prestataire a quitté son emploi.

[35] L’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Conclusion

[36] La demande de permission d’en appeler est rejetée.

Représentante :

C. F., qui se représente elle-même

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