Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel de la décision de la division générale est accueilli, mais je confirme la décision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada selon laquelle l’appelante a perdu son emploi en raison de son inconduite.

Aperçu

[2] L’appelante, M. N. (prestataire), a été congédiée de son emploi au sein d’un bureau d’administration d’une bande des Premières nations en raison d’un rapport selon lequel elle avait été vue en état d’intoxication dans la réserve. L’intimée, à savoir la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté la demande de prestations d’assurance-emploi de la prestataire parce qu’elle avait été congédiée pour inconduite. La prestataire a demandé une révision, mais la Commission a maintenu sa décision de lui refuser le versement de prestations.

[3] La prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a conclu que la prestataire avait été congédiée parce qu’elle a consommé de l’alcool dans la réserve, contrairement aux conditions de son emploi, et qu’elle savait ou aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée. L’appel de la prestataire a été rejeté, et celle-ci interjette maintenant appel devant la division d’appel.

[4] L’appel est accueilli. La division générale n’a pas tenu compte de la preuve et elle n’a pas tiré la conclusion de fait requise quant à la question de savoir si la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée. De plus, la conclusion de la division générale selon laquelle la prestataire a manqué à une condition expresse de son emploi était fondée sur une mauvaise interprétation d’un règlement local, à savoir le règlement no 1, que l’employeur exigeait que le personnel respecte.

[5] J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite et elle est ainsi exclue du bénéfice des prestations au titre de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

Questions en litige

[6] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle le comportement de la prestataire constituait une inconduite de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments suivants :

  1. la politique de l’employeur en matière de mesures disciplinaires progressives;
  2. la preuve quant à la mesure dans laquelle d’autres membres du personnel ont été disciplinés;
  3. le libellé du règlement no 1.

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne déterminant pas si la prestataire avait reçu un avertissement antérieur?

Analyse

Norme de contrôle

[8] Les moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) sont semblables aux motifs habituels de contrôle judiciaire des cours, ce qui donne à penser que le même type d’analyse de normes de contrôle pourrait également s’appliquer à la division d’appel.

[9] Toutefois, je ne considère pas que l’application des normes de contrôle soit nécessaire ou utile. Les appels administratifs de décisions en matière d’assurance-emploi sont régis par la Loi sur le MEDS. La Loi sur le MEDS ne prévoit pas qu’un examen soit effectué conformément aux normes de contrôle. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. HuruglicaNote de bas de page 1, la Cour d’appel fédérale était d’avis que les normes de contrôle ne devraient s’appliquer que si la loi habilitante prévoit leur application. Il y est mentionné que les principes qui ont orienté le rôle des tribunaux quant au contrôle judiciaire des décisions administratives ne s’appliquent pas dans une structure administrative à plusieurs niveaux.

[10] L’arrêt Canada (procureur général) c. JeanNote de bas de page 2 concerne le contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel. La Cour d’appel fédérale n’avait pas à se prononcer quant à l’applicabilité des normes de contrôle, mais elle a reconnu dans ses motifs que les tribunaux administratifs d’appel n’ont pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale exercent lorsque les normes de contrôle sont appliquées. La Cour a également souligné que la division d’appel a autant d’expertise que la division générale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence.

[11] Bien que certaines décisions de la Cour d’appel fédérale semblent approuver l’application des normes de contrôleNote de bas de page 3, je suis néanmoins convaincu par le raisonnement de la Cour dans les arrêts Huruglica et Jean. J’examinerai donc l’appel en renvoyant aux moyens d’appel prévus dans la Loi sur le MEDS seulement.

Principes généraux

[12] La tâche de la division d’appel est plus restreinte que celle de la division générale. La division générale doit examiner et apprécier les éléments de preuve portés à sa connaissance et tirer des conclusions de fait. Pour ce faire, la division générale applique le droit aux faits et rend des conclusions sur les questions de fond soulevées par l’appel.

[13] Cependant, la division d’appel ne peut intervenir dans une décision de la division générale que si elle peut déterminer que cette dernière a commis l’une des erreurs correspondant aux « moyens d’appel » prévus à l’article 58(1) de Loi sur le MEDS.

[14] Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle conclu que le comportement de la prestataire constituait une inconduite de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[15] La division générale a conclu que la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée (paragraphe 41). Cependant, la seule preuve selon laquelle la division générale aurait pris en considération était celle selon laquelle la prestataire avait accepté se respecter le règlement no 1 et selon laquelle la prestataire avait ainsi compris que la consommation d’alcool dans la réserve ne serait pas tolérée. La conclusion de la division générale selon laquelle la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle pouvait être congédiée n’a pas tenu compte de l’article 16 de la politique de l’employeur en matière de discipline (politique de mesures disciplinaires progressives) ou n’a pas convenu que la manière dont l’employeur traitait les autres membres du personnel pour le même comportement était pertinente. De plus, la division générale a conclu que la prestataire avait manqué à une obligation expresse en contrevenant au règlement no 1 sans tenir compte du vrai libellé du règlement.

Question en litige no 1a) : Politique de mesures disciplinaires progressives

[16] La division générale a examiné la politique de mesures disciplinaires progressives, mais seulement pour déclarer que l’employeur n’était pas obligé de la suivre (paragraphe 51). La jurisprudence citée par la division générale aux paragraphes 51 et 52 de sa décision conclut que la gravité de la mesure disciplinaire est essentiellement non pertinente dans le cas d’une conclusion selon laquelle les gestes posés constituaient une inconduite. La jurisprudence n’aborde pas la question de savoir si les parties prestataires savaient ou auraient dû savoir qu’elles seraient congédiées, question implicite dans la conclusion quant à l’inconduite.

[17] La division générale a déclaré qu’elle n’était pas d’accord avec le fait que l’employeur était [traduction] « obligé de suivre les mesures disciplinaires progressives » (paragraphe 51). À l’appui de la décision de la division générale, la Commission a cité le paragraphe 16.03 de l’article 16 du Manuel sur les politiques du personnel selon lequel [traduction] « [l]es mesures disciplinaires progressives peuvent consister en [certaines étapes à suivre] ». La prestataire a également cité le paragraphe 16.03, qui commence ainsi : [traduction] « Une gradation de mesures disciplinaires progressives sera utilisée. » La prestataire a fait valoir que le recours à des mesures disciplinaires progressives était en soi obligatoire, peu importe les mesures particulières que l’employeur choisit de prendre.

[18] Le comportement que la division générale a considéré comme s’étant produit et comme étant une inconduite concernait la consommation d’alcool par la prestataire dans la réserve, ce qui contrevient au règlement no 1 et aux conditions de son emploi. La prestataire avait fait valoir que la consommation d’alcool s’était réellement produite à l’extérieur du lieu de travail et en dehors des heures de travail. Rien ne donne à penser que la prestataire ne s’est pas présentée au travail ou qu’elle s’est présentée en retard parce qu’elle avait consommé de l’alcool, qu’elle s’est présentée au travail en état d’ébriété ou avec la gueule de bois, ou qu’elle avait autrement les capacités mentales ou physiques affaiblies au travail parce qu’elle avait consommé de l’alcool. Si les politiques de l’employeur n’avaient pas interdit la consommation d’alcool dans la réserve, il est peu probable que le comportement de la prestataire, selon ce qui a été établi dans la conclusion, pourrait être considéré comme étant une inconduite.

[19] La prestataire a fait valoir que la division générale a mal interprété la définition juridique de l’inconduite et que cette dernière a commis une erreur en considérant les gestes de la prestataire comme étant une inconduite en se fondant seulement sur la définition de l’employeur. La prestataire renvoie à la déclaration de la division générale selon laquelle [traduction] « la violation d’un règlement de la collectivité [interdisant la consommation d’alcool dans la réserve] ne peut pas constituer un motif de renvoi à l’extérieur de la réserve » (paragraphe 47) et elle soutient que cela démontre que la division générale n’a pas apprécié de façon objective la question de savoir si le comportement constituait une inconduite. La prestataire a fait valoir que la division générale a effectivement adopté la définition [traduction] « subjective » de l’inconduite par l’employeur sans tenir compte de la question de savoir si le comportement de la prestataire pourrait être considéré objectivement comme étant une inconduite. La prestataire cite l’arrêt Choiniere c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration)Note de bas de page 4 à l’appui de sa position.

[20] À mon avis, l’arrêt Choiniere n’appuie pas cette position. La Cour d’appel fédérale a conclu que l’avis de l’employeur selon lequel le comportement en question constituait de l’inconduite était insuffisant, mais que l’ [traduction] « avis » n’avait pas été officialisé dans les conditions d’emploi que le personnel avait convenu de respecter. L’arrêt Choiniere renvoie à l’exigence d’une [traduction] « appréciation objective », mais il est déclaré qu’une appréciation objective de la question de savoir si l’inconduite était la raison du congédiement.

[21] L’autre jurisprudence citée par la prestataireNote de bas de page 5 appuie la proposition selon laquelle la conduite ne peut pas être considérée comme étant une inconduite en se fondant seulement sur l’appréciation subjective du comportement par l’employeur. Cependant, comme dans l’arrêt Choiniere, ces arrêts ne concernent pas une inconduite fondée sur le manquement à une condition expresse du contrat d’emploi.

[22] Selon le critère relatif à l’inconduite établi dans la jurisprudence, la division générale devait seulement conclure que le comportement de la prestataire contrevenait à une obligation fondamentale expresse ou implicite à l’égard de l’employeurNote de bas de page 6 et que cette dernière savait ou aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiéeNote de bas de page 7.

[23] Je ne suis pas convaincu que la division générale a simplement accepté l’avis de l’employeur selon lequel la consommation d’alcool de la prestataire constituait une inconduite. La division générale a conclu à l’inconduite au motif que la prestataire a violé une condition expresse de son emploi selon laquelle elle devait respecter un règlement applicable à la réserve en général.

[24] Si ce n’était pas de l’entente d’orientation et les politiques de l’employeur, la prestataire n’aurait pas compris que la consommation d’alcool dans la réserve contrevenait au règlement no 1 ou son obligation à l’égard de son employeur. Si on ne peut pas présumer qu’elle est au courant du fait que la consommation d’alcool constituait une inconduite à n’importe quel moment et peu importe l’endroit dans la réserve sans renvoyer à ces documents, on ne peut pas ainsi présumer qu’elle connaissance les conséquences de la consommation d’alcool dans le cadre de son emploi sans consulter ces documents. La prise en considération de tous les documents établissant les conditions du lien entre la prestataire et son employeur est essentielle à toute conclusion quant à l’inconduite.

[25] La prestataire a fait valoir que la politique de mesures disciplinaires progressives étant l’une des raisons pour lesquelles elle ne croyait pas qu’elle serait congédiée parce qu’elle avait consommé de l’alcool. L’article 16 du Manuel sur les politiques du personnelNote de bas de page 8 prévoit clairement le recours obligatoire aux mesures disciplinaires progressives. La Commission a souligné que l’employeur a un pouvoir discrétionnaire quant aux mesures à utiliser et l’ordre dans lequel il peut les prendre, mais il n’est généralement pas entendu que les [traduction] « mesures disciplinaires progressives » autorisent le renvoi immédiat d’un membre du personnel à la première infraction en l’absence d’un comportement flagrant.

[26] La division générale a conclu à tort que la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée sans avoir tenu compte de la politique sur les mesures disciplinaires progressives et le témoignage de la prestataire quant à l’incidence sur son interprétation des conséquences de la consommation d’alcool dans la réserve. Il s’agit d’une erreur prévue à l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 1b) : Preuve selon laquelle d’autres membres du personnel faisaient l’objet de mesures disciplinaires

[27] La prestataire avait déclaré à la division générale que d’autres membres du personnel qui avaient commis des infractions semblables n’ont pas été congédiés, mais la division générale a rejeté le traitement du comportement des autres membres du personnel en le considérant comme non pertinent (paragraphe 55).

[28] La division générale a cité l’arrêt Canada (Procureur général) c. NamaroNote de bas de page 9, mais cet arrêt a seulement conclu que le fait que d’autres membres du personnel n’avaient pas été congédiés en raison d’une inconduite semblable n’était pas pertinent quant à la question de savoir si la partie prestataire avait été congédiée pour inconduite. L’arrêt Namaro n’a pas abordé la question de savoir si le traitement des autres membres du personnel pour une inconduite semblable était pertinent quant à la question de savoir si la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée. Comme il a été souligné dans la décision relative à la permission d’en appeler, l’arrêt Locke c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 10 prévoit que la réponse de l’employeur au comportement d’un autre membre du personnel est pertinente quant à la question de savoir ce que la partie prestataire savait ou aurait dû savoir.

[29] La conclusion de la division générale selon laquelle les gestes de la prestataire correspondaient à une inconduite n’a pas tenu compte de la façon dont le traitement des autres membres du personnel par le demandeur pour un comportement semblable pourrait avoir eu une incidence sur les attentes de la prestataire à l’égard des conséquences de son comportement. Ce facteur est pertinent quant à la détermination du fait si elle avait dû connaître les conséquences de son comportement, et l’omission de la division générale quant à l’examen de ce facteur constitue une erreur au titre de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 1c) : Interprétation du règlement no 1

[30] La division générale a conclu que la prestataire avait consommé de l’alcool dans la réserve, qu’elle avait sciemment contrevenu au règlement no 1 (paragraphe 45) et que la violation de ce règlement contrevenait également à son contrat d’emploi, ce qui constitue donc une inconduite selon la Loi sur l’AE. Cependant, le règlement no 1 n’interdit pas la consommation d’alcool dans la réserve.

[31] Le règlement no 1Note de bas de page 11 comprend trois interdictions : l’interdiction de vente, d’échange, d’approvisionnement ou de fabrication de substances intoxicantes dans la réserve; l’interdiction d’intoxication dans la réserve; l’interdiction de possession de substances intoxicantes.

[32] Même si la division générale avait convenu que la prestataire a consommé de l’alcool dans la réserve d’après le témoignage de cette dernière, rien ne prouve qu’elle a déjà vendu, échangé, fourni ou fabriqué de l’alcool. La division générale n’a pas conclu que c’était le cas. Il existait une preuve d’intoxication, mais la prestataire a contesté le fait qu’elle était en état d’intoxication dans la réserve, et la division générale n’a tiré aucune conclusion quant à la question de savoir si cela s’était produit ou non. Il pourrait être présumé que la possession d’alcool s’est produite d’après la conclusion selon laquelle la prestataire a consommé de l’alcool, mais une personne contrevient seulement au règlement no 1 si on constate que cette personne en possède. Rien ne prouvait que la prestataire a déjà possédé de l’alcool, et la division générale n’a pas conclu qu’il avait été constaté que la prestataire en possédait.

[33] La division générale a compris que la consommation d’alcool dans la réserve est interdite par le règlement no 1. Cependant, à moins qu’une personne soit également trouvée en état de possession, cette personne n’a pas contrevenu au règlement no 1. La décision de la division générale selon laquelle les gestes de la prestataire correspondaient à une inconduite était donc fondée sur une conclusion erronée selon laquelle la prestataire avait contrevenu à une obligation expresse de respecter le règlement no 1. Cette conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte du règlement no 1 en soi. Il s’agit d’une erreur prévue à l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne déterminant pas si la prestataire avait reçu un avertissement antérieur?

[34] Selon la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mishibinijima c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 12, il y a inconduite lorsque la partie prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers l’employeur de la partie prestataire et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiée. La prestataire avait fait valoir qu’elle ne savait qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée en raison de la politique sur les mesures disciplinaires progressives. Selon elle, les mesures disciplinaires progressives nécessiteraient au moins un avertissement, et elle était d’avis qu’elle n’en avait pas reçu un.

[35] L’employeur a fourni à la Commission une copie d’une lettre datée du 8 juin 2017 à l’intention de la prestataireNote de bas de page 13 dans laquelle l’employeur a mentionné une discussion antérieure survenue le 9 mai 2017. Selon la lettre, l’employeur a averti la prestataire après un incident concernant la consommation d’alcool et il lui a dit qu’elle serait congédiée si cela se produisait à nouveau. La prestataire a admis avoir rencontré l’employeur à propos d’un incident antérieur, mais elle a déclaré que l’employeur avait seulement parlé de [traduction] « rumeurs » et qu’il ne lui avait pas dit qu’elle avait été avertie ou qu’elle avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

[36] La division générale n’a pas résolu le conflit entre le moment où la lettre a été rédigée et le témoignage de la prestataire, et elle n’a tiré aucune conclusion quant à la question de savoir si elle avait reçu un avertissement antérieur. Étant donné que le prestataire se fonde sur l’existence d’une politique sur les mesures disciplinaires progressives pour appuyer son attente raisonnable d’un avertissement ou d’une autre mesure disciplinaire avant le renvoi, la question de savoir si la prestataire avait reçu un avertissement est très pertinente relativement au caractère raisonnable de sa croyance selon laquelle la politique sur les mesures disciplinaires progressives aurait pour objectif de prévenir son renvoi. Cela était également pertinent quant à la question de savoir si elle aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée, peu importe la politique sur les mesures disciplinaires progressives.

[37] L’omission de tirer la conclusion de fait nécessaire pertinente quant à une question en litige constitue une erreur de droit au titre de l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS.

Conclusion

[38] L’appel est accueilli.

Réparation

[39] La Commission a demandé que je renvoie l’affaire à la division générale aux fins de réexamen si je devais accueillir l’appel. Cependant, j’estime que le dossier est complet et que, par conséquent, j’exercerai le pouvoir qui m’est conféré à l’article 59 de la Loi sur le MEDS pour prendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[40] Le fardeau de la preuve incombe à la Commission d’établir que les gestes de la prestataire correspondaient à une inconduite au sens de la Loi sur l’AE. En l’espèce, la Commission ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

[41] La décision de la division générale est fondée sur sa conclusion selon laquelle la prestataire n’a pas respecté le règlement no 1, ce qui contrevient à une condition expresse du contrat d’emploi. Comme il a été mentionné ci-dessus, le fait que la prestataire a admis avoir consommé de l’alcool dans la réserve ne signifie pas qu’elle ait nécessairement contrevenu au règlement, et la Commission n’a pas établi qu’elle la fait.

[42] Le document d’orientation de l’employeur prévoit les attentes et les normes de l’employeurNote de bas de page 14. Le premier article du document d’orientation prévoit également que la prestataire respecte le règlement no 1. Cet article continue de la façon suivant : [traduction] « Aucune consommation d’alcool ou de drogues illégales dans la collectivité ».

[43] La prestataire a également signé une déclaration selon laquelle elle respecterait la politique sur le personnel et selon laquelle elle ferait l’objet de mesures disciplinaires pouvant mener au congédiement si elle contrevenait aux conditions de la politique sur le personnelNote de bas de page 15. La seule politique applicable est celle figurant à 34(f), qui mentionne le [traduction] « manquement au règlement no 1 local ». Cela est suivi de la déclaration [traduction] « (aucune consommation de drogues ou d’alcool)Note de bas de page 16 ».

[44] Malgré la façon dont est rédigé le règlement no 1, il est évident d’après les commentaires entre parenthèses dans la politique sur le personnel et le document d’orientation que l’employeur comprenait le règlement no 1 interdisant la consommation d’alcool dans la collectivité, ou dans la réserve en l’espèce. Cela est conforme avec le préambule du règlement selon lequel le règlement [traduction] « est une mesure spéciale pour protéger les habitants de la réserve [...] de la présence de substances intoxicantes ». Il est également évident que l’employeur a communiqué au personnel son attente selon laquelle ce dernier devait s’abstenir de consommer de l’alcool dans la réserve.

[45] La prestataire a signé la déclaration selon laquelle elle avait compris la politique sur le personnel et elle a signé le document d’orientation pour confirmer qu’elle avait lu et compris ce document. Elle a également déclaré à la division générale qu’elle avait compris qu’elle ne pouvait pas boire d’alcool dans la réserve (51 minutes). Par conséquent, je conviens qu’elle était au courant du fait que l’employeur s’attendait à ce qu’elle s’abstienne de consommer de l’alcool dans la réserve. Peu importe la question de savoir si la prestataire contrevenait techniquement au règlement no 1, celle-ci violait quand même une condition d’emploi en consommant de l’alcool dans la réserve. Non seulement l’exigence selon laquelle le personnel doit s’abstenir de consommer de l’alcool est une condition expresse d’emploi, mais son objectif concerne de manière rationnelle la nature de l’emploi. À mon avis, la bande a intérêt à maintenir sa crédibilité et a respecté son autorité, et elle a un intérêt légitime à veiller à ce que le personnel immédiat ne soit pas vu en train d’enfreindre ses règlements.

[46] La prestataire n’a pas admis avoir été en état d’intoxication ou en état d’intoxication en public, mais elle a admis avoir consommé de l’alcool dans la réserve en ce qui concerne le plus récent incident, qui a causé son congédiement. La seule preuve donnant à penser qu’elle pourrait avoir été en état d’ébriété est une plainte anonyme d’un tiers formulée au moyen d’une lettre datée du 4 mai 2017, et une mention par l’employeur d’une autre plainte dans la lettre de cessation d’emploi. Étant donné que la prestataire n’a pas eu une réelle occasion de répondre aux allégations ou de les examiner, j’accorde peu d’importance à la preuve selon laquelle la prestataire était en état d’ébriété en public ou autrement.

[47] En même temps, je n’accepte pas tel quel l’ensemble du témoignage de la prestataire. Le témoignage de la prestataire contredisait sa déclaration antérieure à la Commission selon laquelle elle avait pris une consommation dans un contexte social chez elleNote de bas de page 17, et son époux a corroboré l’allégation selon laquelle elle se trouvait à son domicileNote de bas de page 18. Elle a déclaré que, le jour où on l’a vu, elle rentrait chez elle à pied après avoir bu la veille (55 minutes 35 secondes) chez une ou un ami (56 minutes). La membre de la division générale lui a offert l’occasion d’expliquer la contradiction entre son témoignage et les déclarations contradictoires antérieures, mais elle ne l’a pas saisi.

[48] Quoi qu’il en soit, je conviens que la prestataire a bel et bien consommé de l’alcool en ce qui concernant le récent incident d’après son propre aveu. J’estime que sa consommation d’alcool dans la réserve, peu importe les circonstances, constitue un manquement à son obligation envers son employeur. La question devient donc la suivante : La prestataire savait-elle ou aurait-elle dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée en raison de sa consommation d’alcool dans la réserve?

[49] La prestataire a déclaré que l’employeur lui avait posé des questions à une occasion auparavant relativement à des rumeurs concernant la consommation d’alcool et qu’elle n’avait pas reçu d’avertissement ou de mesures disciplinaires à ce moment-là. Elle a également affirmé être au courant du fait que l’employeur avait une politique de mesures disciplinaires progressives et du fait que d’autres membres du personnel ayant consommé de l’alcool dans la réserve avaient reçu des avertissements ou avaient été suspendus. La politique sur les mesures disciplinaires, à savoir l’article 16 du Manuel sur la politique du personnel, a été versée à titre de preuveNote de bas de page 19 devant la division générale. Selon le paragraphe 16.03 de ce document, l’employeur aura recours à une gradation de mesures disciplinaires progressives, et la pénalité sera généralement plus grave au fur et à mesure que le nombre d’infractions augmente. La prestataire a déclaré n’avoir jamais reçu d’avertissements lorsqu’elle a travaillé pour l’employeur (45 minutes) et que l’incident concernant la consommation d’alcool ayant causé son congédiement était sa première infraction. Elle soutient donc qu’elle a un motif valable de croire qu’elle n’aurait pas dû être congédiée dans le cadre d’un processus de mesures disciplinaires progressives, particulièrement si d’autres membres du personnel ayant commis des infractions liées à la consommation d’alcool ont reçu un avertissement ou ont été suspendus pour le même comportement.

[50] La plainte anonyme formulée au moyen d’une lettre datée du 4 mai 2017 provenait d’une personne qui prétendait avoir vu la prestataire en état d’ivresse en public le 28 avril 2017. Cela se serait produit juste avant le 9 mai, date à laquelle l’employeur affirme avoir rencontré la prestataire. L’employeur a également fourni une copie de la lettre de cessation d’emploi à l’intention de la prestataire datée du 8 juin 2017 au sujet de l’incident le plus récent, à savoir une plainte prétend que la prestataire a été vue en état d’ivresse le 3 juin. La lettre renvoie à l’incident antérieur faisait l’objet d’un rapport daté du 28 avril 2017 et fait état que la prestataire avait été avertie lors de la réunion qu’une autre plainte constituerait un motif de cessation d’emploi. La prestataire a prétendu ne pas avoir reçu cette lettre de cessation d’emploi.

[51] Comme il a été mentionné précédemment, la division générale n’a pas tiré une conclusion quant à la question de savoir si la prestataire avait reçu un avertissement concernant l’incident antérieur. La seule preuve directe à cet égard est celle de la prestataire, qui a déclaré que l’employeur a discuté avec elle d’une [traduction] « rumeur » selon laquelle elle avait consommé de l’alcool (13 minutes 10 secondes). Elle a déclaré ne pas avoir été avertie, et on ne lui a pas dit qu’elle serait congédiée si [traduction] « cela se produisait à nouveau ». Même si la lettre de cessation d’emploi de l’employeur datée du 8 juin renvoyait à la conversation survenue le mois précédent et même si elle fait état du fait qu’il a discuté avec prestataire et qu’il l’a avertie au sujet de la plainte précise, la prestataire a affirmé que l’employeur n’a jamais envoyé la lettre et qu’elle n’était pas au courant de cette lettre avant que la Commission la mentionne.

[52] Dans le cadre de son enquête sur la demande, la Commission n’a discuté avec aucun représentant de l’employeur qui avait une connaissance directe de la première plainte ou de la discussion. Même si la Commission a précisément demandé d’autres documents concernant la réunion du 9 mai 2017 dont il est fait mention dans la lettre de cessation d’emploi, le seul document ayant servi de réponse était la copie caviardée de la plainte du 4 mai.

[53] À mon avis, la preuve est insuffisante pour conclure que la prestataire a reçu un avertissement officiel ou qu’elle a fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Néanmoins, la prestataire a convenu qu’une réunion a été tenue pour discuter de sa consommation d’alcool. Elle a donc compris qu’elle faisait l’objet d’un examen pour consommation d’alcool. De plus, elle n’a pas contesté le fait que la réunion a eu lieu le 9 mai, comme il est mentionné dans la lettre du 8 juin, c’est-à-dire dans les jours suivant la date de la plainte par écrit. La lettre du 8 juin renvoie également à la réunion du 9 mai et à la discussion de faits correspondant à la plainte du 4 mai.

[54] Peu importe la véracité de la plainte du 4 mai, je conviens que la prestataire a été mise au courant du fait que l’employeur avait reçu une plainte selon laquelle elle avait consommé de l’alcool et que l’employeur était préoccupé à cet égard. À mon avis, il est invraisemblable que cette réunion ait eu lieu si rapidement après une plainte précise, mais que l’employeur n’ait pas soulevé la plainte ou la question relative à la véracité à la prestataire. J’estime également qu’il est invraisemblable que cette discussion ait pris fin sans donner l’impression à la prestataire que la prochaine plainte serait traitée plus sérieusement. Même si la prestataire pourrait ne pas avoir été avertie officiellement, c’est-à-dire qu’elle ne savait pas qu’elle avait commencé à faire l’objet de mesures disciplinaires progressives, j’estime qu’elle a été avertie que l’employeur était préoccupé par son comportement.

[55] J’accepte la preuve de la prestataire selon laquelle d’autres membres du personnel ont reçu un avertissement ou ont été suspendus pour des infractions liées à la consommation d’alcool (52 minutes 8 secondes), car il n’y a aucune preuve du contraire. De plus, cela est vraisemblable : les conditions d’emploi interdisaient la consommation d’alcool dans la réserve. Cela signifie qu’un simple verre dans le confort de son domicile ou le fait d’être en état d’ivresse en public peut être considéré comme était une infraction et faire l’objet de mesures disciplinaires. Étant donné la vaste gamme de comportements pris en considération et l’existence d’une politique de mesures disciplinaires progressives chez l’employeur, j’estime qu’il est tout à fait vraisemblable que d’autres membres du personnel aient été avertis ou suspendus au lieu d’être congédiés, particulièrement dans le cas d’une première infraction de nature mineure.

[56] Toutefois, la prestataire a également déclaré que son époux avait été congédié de la bande pour un même type de première infraction et que la bande n’avait pas suivi une gradation de mesures disciplinaires dans son cas (53 minutes 25 secondes). Étant donné son avertissement antérieur et sa connaissance des circonstances de son époux, je ne conviens pas qu’il serait raisonnable que la prestataire se soit fondée sur son observation selon laquelle d’autres membres du personnel ont seulement été suspendus ou avertis pour avoir consommé de l’alcool, ou sur l’existence de la politique de mesures disciplinaires progressives.

[57] Je conviens que la prestataire ne s’attendait pas à être congédiée, mais j’estime qu’elle aurait dû savoir qu’il s’agissait à tout le moins d’une possibilité réelle si elle continuait de consommer de l’alcool dans la réserve. J’estime que la consommation d’alcool de la prestataire, qui est contraire aux conditions expresses de son emploi, constitue une inconduite selon la Loi sur l’AE.

[58] Afin que la prestataire soit exclue du bénéfice des prestations pour inconduite, la Commission doit également démontrer que la prestataire a été congédiée pour inconduite, et non pour un autre motif. La membre de la division générale a demandé à la prestataire la raison pour laquelle elle était ciblée par l’employeur, et cette dernière a répondu que c’était en raison du fait qu’elle n’avait pas été avertie ou suspendue, alors que d’autres l’ont été. Cependant, le fait que d’autres membres du personnel puissent avoir reçu une mesure disciplinaire moins sérieuse pour avoir consommé de l’alcool ne signifie pas que le congédiement de la prestataire ne concerne pas sa consommation d’alcool.

[59] J’estime que l’employeur a reçu au moins deux plaintes concernant la consommation d’alcool de la prestataire, que cette consommation d’alcool a fait l’objet d’une discussion antérieure avec la prestataire, que celle-ci a admis avoir consommé de l’alcool dans la réserve juste avant son congédiement et que sa lettre de cessation d’emploi, peu importe le moment où elle l’a reçue, mentionne qu’elle a été congédiée pour avoir consommé de l’alcool. J’ai également tenu compte du fait que la prestataire ne pouvait pas offrir une autre explication pour son congédiement ou toute autre raison pour laquelle elle aurait été ciblée. Somme toute, j’estime que la prestataire a été congédiée pour avoir consommé de l’alcool dans la réserve, ce qui contrevient aux conditions de son emploi.

[60] Je comprends que la prestataire pourrait croire que l’employeur l’a traitée injustement par rapport à d’autres membres du personnel. Cependant, le comportement de la prestataire est pertinent dans le cadre de la décision; le comportement de l’employeur ne fait pas l’objet d’un examen.

[61] Je reconnais qu’il incombe à la Commission de prouver l’inconduite. Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire consommait de l’alcool dans la réserve, que ce comportement contrevenait à une obligation de la prestataire à l’égard de son employeur selon les conditions de son emploi, qu’elle savait ou qu’elle aurait dû savoir qu’il était réellement possible qu’elle soit congédiée en raison de son comportement, et que celui-ci a été le motif de son congédiement. Je confirme que la prestataire a été congédiée en raison de son inconduite et qu’elle est ainsi exclue du bénéfice des prestations au titre de l’article 30 de la Loi sur l’AE.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 2 octobre 2018

Téléconférence

M. N., appelante

Holly Popenia, représentante de l’appelante

Claudia Richard, représentante de l’intimée

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