Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’intimée, E. C. (prestataire) a initialement pris congé de son emploi à temps partiel (premier employeur) afin de se préparer à ses examens de fins d’études et de faire ceux-ci et d’effectuer un stage de six semaines, obligatoire dans le cadre de ses études. Cependant, la prestataire n’est pas retournée travailler pour son premier employeur et a quitté cet emploi pour accepter un poste à temps plein auprès d’un autre employeur (employeur saisonnier) après la fin de son stage. L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté sa demande de prestations d’assurance-emploi parce que la prestataire avait quitté volontairement son emploi sans justification, et elle a maintenu sa décision après la révision demandée par la prestataire. La prestataire a eu gain de cause dans son appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada, qui a conclu que la prestataire n’avait pas accru son risque de chômage en acceptant un emploi saisonnier parce qu’elle aurait quand même arrêté de travailler en automne pour reprendre ses études. La Commission interjette maintenant appel à la division d’appel de la décision rendue par la division générale.

[3] L’appel est accueilli. La jurisprudence n’appuie pas la conclusion de la division générale, voulant que l’intention de la prestataire de considérer son emploi comme un emploi temporaire signifie que son emploi peut être assimilé à un emploi temporaire en vue de déterminer si elle avait accru son risque de chômage en quittant un emploi permanent au profit d’un emploi saisonnier. La division générale n’a pas reconnu que le chômage de la prestataire résultait de ses actions, indépendamment de ses plans et de ses objectifs personnels.

Question en litige

[4] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en acceptant que l’intention de la prestataire de considérer l’emploi auprès de son premier employeur comme un emploi temporaire signifiait que la durée de cet emploi était équivalente à la durée de l’emploi temporaire auprès de son employeur saisonnier?

Analyse

Principes généraux

[5] Le rôle de la division d’appel est plus restreint que celui de la division générale. La division générale doit examiner et apprécier les éléments de preuve portés à sa connaissance et tirer des conclusions de fait. Pour ce faire, la division générale applique le droit aux faits et tire des conclusions relativement aux questions de fond soulevées par l’appel.

[6] La division d’appel ne peut toutefois intervenir à l’égard d’une décision de la division générale que si elle conclut que cette dernière a commis l’une des erreurs correspondant aux « moyens d’appel » prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[7] Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en acceptant que l’intention de la prestataire de considérer l’emploi auprès de son premier employeur comme un emploi temporaire signifiait que la durée de cet emploi était équivalente à la durée de l’emploi temporaire auprès de son employeur saisonnier?

[8] Conformément à l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), « [l]e prestataire est exclu du bénéfice des prestations […] s’il quitte volontairement un emploi sans justification ». L’article 29(c) de la Loi sur l’AE prévoit que « le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances […], son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas ».

[9] La preuve démontre que la prestataire avait trouvé un emploi à temps plein pour la période estivale qui devait débuter immédiatement après la fin de son stage, et qu’elle prévoyait quitter son premier employeur. Dans ce contexte, il convenait aussi que la division générale se penche sur la question de savoir si la prestataire avait l’assurance raisonnable d’un emploi dans un avenir immédiat, soit la circonstance décrite à l’article 29(c)(vi) de la Loi sur l’AE. De plus, la conclusion de la division générale voulant que la prestataire avait l’assurance raisonnable d’un emploi dans un avenir immédiat est fondée sur les faits contenus dans la preuve.

[10] Par contre, comme la division générale l’a noté à juste titre, il lui faut tenir compte de toutes les circonstances afin de déterminer si la prestataire a été fondée à quitter son emploi. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. LangloisNote de bas de page 1, même après avoir conclu qu’il y a l’assurance raisonnable d’un emploi dans un avenir immédiat, « comment déterminer si le [prestataire] était fondé à quitter son emploi pour un autre emploi, saisonnier ou non? »

[11] La division générale a admis le témoignage de la prestataire voulant qu’elle avait pris les dispositions nécessaires en avril pour déménager dans une autre province en septembre 2017 pour faire des études. La division générale a considéré comme important le fait que la prestataire avait l’intention d’arrêter de travailler à la fin de l’été, même si elle n’avait pas quitté l’emploi auprès de son premier employer pour un poste auprès de l’employeur saisonnier. La division générale a estimé que la prestataire avait occupé un emploi, auprès de l’employeur saisonnier, aussi longtemps que si elle était restée chez son premier employeur et que, par conséquent, son changement d’emploi [traduction] « n’empêchait pas de conclure qu’elle avait été fondée à quitter son emploiNote de bas de page 2. »

[12] Dans l’arrêt Langlois, il a été noté que la circonstance relative à « l’assurance raisonnable d’un emploi dans un avenir immédiat » est la seule circonstance prévue à l’article 29(c) de la Loi sur l’AE qui « dépend de la seule volonté du prestataire ». La Cour a aussi déclaré ce qui suit :

Sauf exceptions, il incombe à l’assuré, comme contrepartie de sa participation au régime, de ne pas, sans justification, provoquer le risque et, encore moins faut-il le dire, de ne pas transformer un simple risque en une certitude de chômage : voir Tanguay c. Canada (Commission d’assurance-chômage), [1985] A.C.F. no 910 (C.A.) (QL). C’est pourquoi le départ volontaire d’un salarié vers un emploi saisonnier pose un problème particulier par rapport aux principes du régime d’assurance-emploi. De fait, la nature saisonnière de l’emploi comporte un risque, voire même une certitude, d’arrêt de travail pouvant donner ou non ouverture au bénéfice de prestations selon que le nombre d’heures requis est atteint ou non aux termes de l’article 30 de la Loi.

[13] On a laissé entendre dans Langlois que le moment du départ volontaire et la durée restante de l’emploi saisonnier sont les circonstances les plus importantes à considérer pour déterminer si l’on quitte un emploi pour un emploi saisonnier.Note de bas de page 3 Cependant, la division générale n’a pas montré comment l’importance accordée à ces facteurs importants dans Langlois permettait de soutenir que la prestataire avait été fondée à quitter son emploi. Dans Langlois, la Cour a affirmé qu’une personne est admissible aux prestations si le nombre d’heures requis est atteint aux termes de l’article 30 de la Loi sur l’AE. La « saison » dont il était question dans Langlois était celle de la construction, et la Cour a jugé qu’il était pertinent de savoir dans ce cas-là si la période de quatre mois restant de la saison de construction était suffisante pour permettre au prestataire d’accumuler le nombre d’heures requis pour qu’il soit admissible aux prestations d’assurance-emploi.Note de bas de page 4

[14] En l’espèce, la prestataire a seulement commencé à travailler le 26 juin 2017 et a travaillé jusqu’au 25 août 2017, soit pendant un total de deux mois. Il lui aurait été impossible d’accumuler les 490 heures d’emploi assurable requises, à moins de travailler 54,5 heures par semaine ou de prolonger sa saison de près de quatre semaines. (Son relevé d’emploi montre qu’elle a travaillé seulement 344 heures pendant cette période, à raison d’environ 38 heures par semaine de travail.Note de bas de page 5) Rien ne permet de croire que la prestataire croyait, en acceptant son emploi auprès de l’employeur saisonnier, qu’elle ferait beaucoup plus d’heures que les 35 à 40 heures hebdomadaires habituelles, ou qu’elle continuerait à travailler durant le mois de septembre.

[15] Il n’est pas contesté que la prestataire a choisi de quitter son emploi auprès du premier employeur parce qu’elle avait trouvé un emploi mieux rémunéré pour la période estivale et savait qu’elle ne pourrait pas continuer à travailler pour le premier employeur une fois qu’elle aurait recommencé l’école. Peu importe son motif, la prestataire a pris la décision de quitter le premier employeur. Rien ne permet de conclure qu’elle n’aurait pas eu de travail avec le premier employeur durant l’été et par la suite si elle n’avait pas accepté l’emploi saisonnier ou si elle avait demandé un plus long congé autorisé et n’avait pas quitté la province en automne.

[16] La division générale a raison d’affirmer que l’emploi saisonnier temporaire de la prestataire ne se serait pas prolongé au-delà du moment où elle prévoyait quitter l’emploi qu’elle occupait auprès de son premier employeur, et que la décision de la prestataire de démissionner pour accepter un emploi saisonnier n’avait pas accru son risque de chômage par rapport au risque de chômage associé à son intention de démissionner à la fin de l’été. Il est cependant inutile de savoir cela. La prestataire a décidé d’assumer un plus grand risque absolu de chômage dès qu’elle a décidé de quitter volontairement l’emploi qu’elle occupait auprès du premier employeur et jusqu’au moment où elle avait déjà prévu de quitter cet emploi.

[17] L’arrêt Langlois ne laisse pas entendre et ne défend pas qu’un prestataire qui prévoit déjà de quitter son emploi ne crée pas un risque de chômage en quittant un emploi permanent pour un emploi saisonnier. Je conclus que la division générale a commis une erreur de droit et mal appliqué l’arrêt Langlois en vertu de l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS.

[18] Je reconnais que la prestataire a travaillé très fort pour être capable de payer ses études et qu’elle semblerait avoir eu une bonne raison de changer d’emploi pour la période estivale. Malheureusement, le fait de disposer d’un motif valable pour avoir quitté un emploi n’est pas la même chose que de disposer d’une « justificationNote de bas de page 6 » au regard de la loi.

Conclusion

[19] L’appel est accueilli.

Réparation

[20] Ayant décidé d’accueillir l’appel, j’ai le pouvoir, en vertu de l’article 59 de la Loi sur le MEDS, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, de modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale, ou de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. J’estime que le dossier dont disposait la division générale est complet et je vais donc rendre la décision qu’elle aurait dû rendre.

[21] La prestataire a quitté un emploi permanent pour accepter un emploi saisonnier. La prestataire a justifié son choix par des motifs personnels, notamment par le fait que l’emploi saisonnier était dans son domaine de formation, qu’il lui permettait de gagner plus d’argent durant l’été, et qu’il lui donnerait de meilleures chances d’emploi futures auprès de l’employeur saisonnier. La prestataire a surtout soutenu qu’elle aurait, de toute façon, dû quitter en automne l’emploi qu’elle occupait auprès du premier employeur comme elle allait quitter la province pour faire des études.

[22] Malgré ces excellentes raisons personnelles, la prestataire n’a pas démontré qu’elle avait été fondée à quitter son emploi. Je suis d’accord que la prestataire avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat lorsqu’elle a quitté son premier employeur. Cependant, l’autre emploi était un emploi temporaire de seulement deux mois, sans prolongation anticipée. Le nouvel emploi auprès de l’employeur saisonnier, compte tenu de sa durée, ne permettait pas à la prestataire de travailler assez d’heures d’emploi assurable pour être admissible à des prestations d’assurance-emploi (voir paragraphe 11 ci-dessus), et la prestataire a considérablement accru son risque de chômage en décidant de quitter l’emploi auprès de son premier employeur pour accepter un emploi saisonnier. En fait, nonobstant des changements aux plans de la prestataire et la nature de sa relation de travail avec l’employeur saisonnier (pour laquelle il n’existe aucune preuve), son choix garantissait pour ainsi dire qu’elle se retrouverait au chômage au terme de l’été.

[23] Compte tenu des circonstances portées à la connaissance de la division générale, je conclus que la prestataire n’a pas démontré que son départ avait été la seule solution raisonnable dans son cas, et qu’elle n’a donc pas été fondée à quitter son emploi. Ultimement, la prestataire a quitté son emploi auprès du premier employeur et accepté l’emploi auprès de l’employeur saisonnier parce qu’elle prévoyait de retourner aux études en automne. Même s’il est peut-être vrai que le départ de la prestataire était sa seule solution raisonnable étant donné qu’elle prévoyait d’étudier dans une autre province, la Cour d’appel fédérale n’a pas reconnu un retour aux études comme étant une justification pour un départ volontaireNote de bas de page 7, et je ne peux tenir compte du retour aux études prévu par la prestataire.

[24] Par conséquent, la prestataire est exclue du bénéfice des prestations de l’assurance-emploi en application de l’article 30 de la Loi sur l’AE parce qu’elle a quitté son emploi sans y être fondée en vertu de l’article 29(c) de la Loi sur l’AE. Conformément à l’article 30(5)(a), les heures d’emploi assurable accumulées avant son exclusion, entre autres grâce à son emploi au X, ne peuvent entrer en ligne de compte pour déterminer son admissibilité aux prestations.

[25] La Commission a notamment soutenu que la division générale avait refusé d’exercer sa compétence parce qu’elle n’a pas cherché à savoir si la prestataire avait accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable à la suite de son exclusion. La division générale ne s’est pas penchée sur cette question parce qu’elle avait conclu que la prestataire avait été fondée à quitter son emploi. Les heures d’emploi assurable qu’elle avait accumulées durant sa période de référence, avant d’avoir quitté son premier employeur, pouvaient alors être prises en considération. J’ai cependant conclu que la prestataire n’avait pas été fondée à quitter son emploi et que la Commission avait eu raison de ne pas tenir compte de ces heures; il est donc désormais important de savoir si la prestataire a accumulé assez d’heures d’emploi assurable durant la période suivant son exclusion afin d’être admissible à des prestations d’assurance-emploi.

[26] Par contre, conformément à l’article 113 de la Loi sur l’AE, il est seulement permis à la division générale d’examiner un appel formé contre une décision de révision. Ni la décision originale du 24 octobre 2017 de la Commission ni sa décision de révision du 13 décembre 2017, ayant confirmé sa décision initiale, n’ont traité de la question de savoir si la prestataire avait accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable de façon à être admissible à des prestations en vertu de l’article 7(1) de la Loi sur l’AE. La division générale n’était pas habilitée à traiter de cette question, et je ne le suis pas non plus, dans le cadre de cet appel formé contre la décision de la division générale.

[27] La prestataire a quitté volontairement son emploi sans justification et elle est donc exclue, en application de l’article 30 de la Loi sur l’AE, du bénéfice des prestations d’assurance-emploi eu égard aux heures d’emploi assurable accumulées avant son exclusion.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 30 octobre 2018

Téléconférence

E. C., intimée

Louise Laviolette, représentante de l’appelante

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