Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. La Commission n’a pas démontré que le prestataire a perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif.

Aperçu

[2] L’appelant (prestataire) était un salarié à l’essai et devait payer des cotisations syndicales afin de travailler sur le chantier, mais il n’était pas encore membre du syndicat puisque 45 jours civils après sa date d’embauche devaient s’écouler avant qu’il puisse en devenir membre. Avant ce délai, la convention collective ne s’appliquait pas au prestataire, et la compagnie pouvait décider durant ces 45 jours si elle allait le garder comme employé. L’employeur participait à des négociations avec le syndicat et, le 26 mars 2018, le jour où le syndicat a tenu son vote de grève, l’employeur a congédié le prestataire à la fin de son quart de travail, invoquant dans le relevé d’emploi (RE) un manque de travail ou la fin de saison ou de contrat comme raison de sa cessation d’emploi. Le syndicat a voté en faveur de la grève et a déclenché la grève à compter de 00 h 30 le 27 mars 2018, le jour suivant la cessation d’emploi du prestataire. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a déclaré le prestataire non admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi (prestations d’AE) après avoir conclu qu’il avait perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif. Le prestataire a demandé une révision de la décision de la Commission, mais celle-ci a maintenu sa décision initiale. Le prestataire interjette appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

Question préliminaire

[3] L’employeur, une partie mise en cause par le Tribunal, n’a pas assisté à l’audience par téléconférence au moment prévu, même s’il en avait été dûment avisé. Le Tribunal est convaincu que l’employeur a reçu l’avis d’audience envoyé le 15 octobre 2018, puisque le reçu de livraison de Postes Canada montre que l’avis a été livré à l’adresse de l’employeur et signé le 10 octobre 2018. En date de la rédaction de la présente, l’employeur n’avait pas communiqué avec le Tribunal de la sécurité sociale pour expliquer son absence.

[4] En fonction de ce qui précède, le Tribunal a tenu l’audience en l’absence de la partie mise en cause, conformément à l’article 12(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

Question en litige no 1 : Y a-t-il eu une perte d’emploi?

Question en litige no 2 : Dans l’affirmative, la perte d’emploi du prestataire était-elle attribuable à un arrêt de travail?

Question en litige no 3 : Dans l’affirmative, l’arrêt de travail était-il attribuable à un conflit collectif au lieu de travail du prestataire?

Question en litige no 4 : Dans l’affirmative, est-ce que le prestataire participait au conflit collectif, le finançait ou y était directement intéressé?

Analyse

[5] La Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) prévoit qu’une partie prestataire qui perd un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à l’endroit où il exerçait un emploi n’est pas admissible au bénéfice des prestations. L’inadmissibilité est retirée soit lorsque l’arrêt de travail prend fin ou le jour où le prestataire commence à exercer d’une façon régulière un emploi assurable ailleurs. Une partie prestataire qui ne participe pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qui ne le finance pas et qui n’y est pas directement intéressée ne fait pas l’objet d’une inadmissibilité (article 36, Loi sur l’AE).

[6] Le terme « conflit collectif » est défini dans la Loi sur l’AE comme un conflit entre employeurs et employés, qui se rattache à l’emploi ou aux modalités d’emploi de certaines personnes ou au fait qu’elles ne sont pas employées (article 2, Loi sur l’AE).

[7] Il incombe à la Commission de prouver qu’il y a eu une perte d’emploi, que la perte d’emploi a été entraînée par un arrêt de travail, que l’arrêt de travail était attribuable à un conflit collectif et que le conflit collectif a eu lieu à l’endroit où le prestataire exerçait son emploi (Touzel c Canada (Procureur général), A-1063-92).

[8] L’existence d’un lien de causalité entre le conflit collectif et l’arrêt de travail est une question de droit (Canada (Procureur général) c Simoneau, A-611-96).

[9] Il est important de souligner que, une fois qu’elles ne sont plus admissibles au bénéfice des prestations en vertu de l’article 36(1) de la Loi sur l’AE, les parties prestataires ont le fardeau de prouver qu’elles y sont de nouveau admissibles en vertu de l’article 36(4) de la Loi sur l’AE (Black c Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2002 CAF 255).

Question en litige no 1 : Y a-t-il eu une perte d’emploi?

[10] Oui, le Tribunal estime qu’il y a eu une perte d’emploi.

[11] Le prestataire a affirmé qu’il avait déjà travaillé pour l’employeur à un projet qui avait pris fin le 28 février 2018. Il a fourni au tribunal une copie du RE XXXXXX418 (RE 418) sur lequel il était indiqué que son premier jour de travail était le 10 mars 2016 et que le dernier jour pour lequel il avait été payé était le 28 février 2018. La raison pour laquelle le RE 418 avait été produit était « A », qui est le code pour « Manque de travail / fin de saison ou de contrat ». L’employeur a ensuite produit le RE XXXXXX655 (RE 655) afin de refléter la fin de l’emploi du prestataire le 26 mars 2018. Toutefois, pour une raison inconnue, l’employeur a fait savoir que le RE 655 avait été produit en vue de remplacer ou de modifier le RE 418. Le Tribunal note que dans le RE 655, la raison pour laquelle le RE avait été produit est demeurée « A », ce qui est le code pour « Manque de travail / fin de saison ou de contrat », mais le premier jour de travail du prestataire était désormais le 5 mars 2018, et le dernier jour pour lequel il avait été payé était le 26 mars 2018, et le nombre d’heures d’emploi assurable avait diminué de façon importante, de même que la rémunération assurable totale. La représentante du prestataire, après avoir fait une déclaration solennelle lui permettant de témoigner, a affirmé que le RE 655 contenait des renseignements erronés. Le RE 655 a eu comme effet [traduction] « d’effacer » toutes les heures que le prestataire avait travaillées durant sa période d’emploi précédente qui a pris fin le 28 février 2018. La représentante du prestataire a affirmé qu’elle et le prestataire avaient communiqué avec l’employeur pour faire corriger l’erreur. Par la suite, l’employeur a produit le RE XXXXXX594 (RE 594) et a utilisé le code « K » comme raison justifiant la production du RE, ce qui signifie [traduction] « autre », et dans la section des commentaires, il était inscrit [traduction] « Veuillez ne pas tenir compte du RE dont le numéro de série est : XXXXXX655. Ce RE n’aurait jamais dû être un RE modifié, mais un nouveau RE, le RE XXXXXX418, a été vérifié et il est correct. »

[12] Le Tribunal estime que la Commission a eu tort de changer la raison justifiant la production du RE 594 puisque le changement ne reflète pas les faits qui existaient au moment où le prestataire a perdu son emploi. L’employeur a produit le RE 594 afin de corriger une erreur qu’il a commise lorsqu’il a produit le RE 655 comme modification au RE 418. Les changements apportés au RE 655 par rapport au RE 418 étaient les dates d’emploi et le nombre d’heures d’emploi assurable. Dans le RE 655, aucun changement n’a été apporté à la raison justifiant la production du RE 418. La personne représentant l’employeur a indiqué à un agent de Service Canada que même si le prestataire n’était pas en grève, il ne pouvait pas travailler et a affirmé ne pas savoir quelle raison indiquer pour justifier la production du RE. L’agent de Service Canada a affirmé que [traduction] « conformément à BEA, cela a été changé à B - Grève ou lock-out. « BEA » n’est pas défini dans le dossier et la Commission n’a pas cité le fondement législatif sur lequel elle s’est appuyée pour changer la raison justifiant la production du RE 594. L’emploi du prestataire a pris fin le 26 mars 2018 lorsque le directeur des travaux lui a dit qu’il était mis à pied. La grève a seulement commencé à 00 h 30 le jour suivant, le 27 mars 2018. Par conséquent, le Tribunal estime que la Commission a eu tort de changer la raison justifiant la production du RE 594 de « A - Manque de travail / fin de saison ou de contrat » à « B - Grève ou lock-out », et elle n’accepte pas « B - Grève ou lock-out » comme raison pour justifier la production du RE. Le Tribunal tient pour avéré le fait que la raison justifiant la production du RE était « A - Manque de travail / fin de contrat ».

[13] Le prestataire a affirmé qu’à son dernier jour de travail, le 26 mars 2018, le directeur des travaux lui avait dit qu’il était mis à pied. Il a fini de travailler à la fin de son quart à 17 h. Son employeur a produit un RE indiquant que le dernier jour de travail du prestataire était le 26 mars 2018 et que la raison justifiant la production du RE était « A », ce qui est le code pour « Manque de travail / fin de saison ou de contrat », ce que le Tribunal considère comme un fait établi. Dans un rapport à la Commission, l’employeur a inclus le prestataire dans une liste d’employés occupant un emploi à temps partiel ou occasionnel et de salariés à l’essai, et il a indiqué le prestataire comme étant un [traduction] « salarié à l’essai » dans la colonne intitulée [traduction] « Raison de la cessation d’emploi ». Selon le témoignage du prestataire et la preuve documentaire au dossier, le Tribunal estime que la Commission a établi que le prestataire a perdu son emploi le 26 mars 2018.

Question en litige no 2 : La perte d’emploi a-t-elle découlé d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif?

[14] Non, le Tribunal estime que la perte d’emploi du prestataire n’a pas découlé d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif.

[15] La question de savoir si des employés mis à pied en prévision d’une grève sont inadmissibles aux prestations d’AE aux termes de l’article 36 de la Loi sur l’AE a été examinée dans des décisions du juge-arbitre du Canada sur les prestations (décisions CUB) et par les tribunaux. Bien qu’il ne soit pas tenu de se plier aux décisions CUB, le Tribunal est guidé par la décision CUB 9830A, dans laquelle le juge-arbitre affirme que « Nous devons nous rappeler, cependant, que le texte de l’article 44 [maintenant 36] précise bien qu’il doit y avoir une perte d’emploi du fait d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif, et non simplement d’une perte d’emploi dû à un conflit collectif. [...] Il importe peu qu’il soit établi que le congédiement ait eu lieu en prévision d’un arrêt de travail qui devait s’effectuer le lendemains par voie d’un "lock-out". [...] Le fait d’un arrêt de travail est essentiel à la perte d’emploi prévue à l’article 44 [maintenant 36]. » Le Tribunal note que l’analyse contenue dans la décision CUB 9830A a été acceptée par la Cour d’appel fédérale dans White c Canada (Procureur général), A-1036-92. Dans White, la Cour a jugé que les parties prestataires qui avaient été mises à pied juste avant une grève n’étaient pas inadmissibles aux prestations d’AE selon les dispositions de l’article 36. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les « requérants n’ont pas eu un emploi continu après leur mise à pied. Ils ont perdu leur emploi en raison de la mise à pied. Ils étaient à la merci totale de leur employeur en matière de rappel au travail. »

[16] Une situation semblable a été abordée par la Cour d’appel fédéral dans Gionest c Canada (Commission d’assurance-chômage), A-878-81, où un employeur n’a pas rouvert son usine saisonnière de transformation du poisson à la période habituelle parce que la négociation collective n’était pas terminée et qu’il ne voulait pas reprendre la production pour ensuite être aux prises avec une grève ou un lock-out. La Commission a conclu que les parties prestataires n’étaient pas admissibles à des prestations durant cette prolongation de leur mise à pied étant donné qu’elles avaient perdu leur emploi en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif. La Cour a conclu que les prestataires étaient admissibles aux prestations d’AE parce qu’ils étaient déjà au chômage au moment où l’employeur a décidé de retarder l’ouverture : [traduction] « Une personne ne peut pas perdre ce qu’elle n’a pas. Elle ne peut pas perdre son emploi si elle n’a pas d’abord un emploi qu’elle perd par la suite. »

[17] Le prestataire a affirmé qu’il n’était pas membre du syndicat et qu’il n’avait pas participé au vote ayant déclenché la grève. Il était obligé de payer des cotisations syndicales pour travailler sur le chantier, mais pouvait seulement devenir membre du syndicat 45 jours après son embauche. Pendant la période de 45 jours, la compagnie pouvait décider si elle le gardait et c’est seulement après 45 jours que la convention collective s’appliquerait à lui. Il a été embauché le 5 mars 2018 et les 45 jours ne s’étaient pas encore écoulés au moment où il a été mis à pied. Il travaillait pendant que le vote de grève a lieu et lorsqu’ils ont voté pour déclencher la grève, il avait [traduction] « déjà franchi la porte ». La documentation fournie par l’employeur et le syndicat à la Commission montre que les négociations ont commencé le 8 janvier 2018, et qu’un conciliateur a été nommé le 16 janvier 2018. Le syndicat a spécifié dans son rapport à la Commission que le vote de grève avait eu lieu le 26 mars 2018. L’employeur a précisé dans son rapport à la Commission qu’il avait reçu l’avis de grève le 27 mars 2018. Le syndicat a mentionné dans son rapport à la Commission que la grève avait commencé à 00 h 30 le 27 mars 2018. Le prestataire a affirmé qu’il avait été informé de sa mise à pied avant la fin de son quart de travail, le 26 mars 2018, et qu’il avait travaillé jusqu’à la fin de son quart, à 17 h, le 26 mars 2018. Il a témoigné qu’on lui avait dit, quand il avait quitté le chantier, qu’il ne pouvait pas revenir travailler. Il ne savait pas s’il serait rappelé au travail. Il n’y a aucune date de rappel au travail sur le RE. L’employeur a produit le RE indiquant que le dernier jour de travail du prestataire était le 26 mars 2018.

[18] Le Tribunal estime que la perte d’emploi du prestataire ne découlait pas d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif. Le prestataire a été mis à pied avant l’arrêt de travail. Il a perdu son emploi à la fin de son quart de travail, à 17 h le 26 mars 2018. Le RE du prestataire précise que son emploi a pris fin le 26 mars 2018. Le rapport que le syndicat a fourni à la Commission spécifie que la grève a commencé à 00 h 30 le jour suivant, soit le 27 mars 2018. L’employeur a confirmé dans son rapport à la Commission que l’avis de grève avait été reçu le 27 mars 2018. Selon la preuve qui précède, le Tribunal estime que l’arrêt de travail attribuable au conflit collectif a commencé après que le prestataire a perdu son emploi. Par conséquent, le Tribunal estime que le prestataire était au chômage avant que l’arrêt de travail attribuable à un conflit collectif survienne. Une personne ne peut pas perdre ce qu’elle n’a pas (Gionest, supra). Ainsi, le Tribunal conclut que le prestataire n’a pas perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif. Le Tribunal conclut donc que la Commission n’a pas démontré que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif.

[19] Ayant conclu que la Commission n’a pas su démontrer que le prestataire avait perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif, il n’est pas nécessaire de déterminer si l’arrêt de travail était attribuable à un conflit collectif à l’endroit où travaillait le prestataire, ou si le prestataire avait un intérêt direct dans le conflit collectif. Par conséquent, le Tribunal conclura son analyse.

[20] Puisque le prestataire n’a pas perdu son emploi en raison d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif, le Tribunal conclut que le prestataire n’est pas inadmissible aux prestations aux termes des dispositions de l’article 36 de la Loi sur l’AE.

Conclusion

[21] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 15 novembre 2018

Téléconférence

P. C., appelant
Irene Carroll, représentante de l’appelant

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