Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant, W. D. (prestataire), travaillait comme technicien en télécommunications mais a quitté son emploi pour de multiples raisons. Sa zone de service a été changée, ce qui a prolongé la durée de son trajet au travail et aggravé des difficultés à la maison; des problèmes liés à des heures supplémentaires et à du travail impayés n’étaient toujours pas réglés avec son employeur; et il avait le sentiment que son employeur limitait son accès au travail et sa rémunération. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté la demande du prestataire, jugeant que ses motifs ne démontraient pas qu’il avait été fondé à quitter son emploi. La Commission a maintenu cette décision à la suite d’une révision, et le prestataire a interjeté appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada. La division générale a rejeté l’appel du prestataire, se rangeant à l’avis de la Commission en concluant qu’il avait quitté son emploi sans justification comme son départ n’avait pas été la seule solution raisonnable dans son cas. Le prestataire fait maintenant appel à la division d’appel.

[3] L’appel est accueilli. La division générale a tiré une conclusion de fait erronée qui ne tenait pas compte de l’ampleur de ses heures supplémentaires impayées; a commis une erreur de droit en négligeant de considérer la modification des fonctions du prestataire; et a tiré une autre conclusion de fait erronée en concluant que la diminution de la rémunération du prestataire était attribuable aux restrictions qu’il imposait lui-même quant au travail qu’il acceptait.

[4] J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre, et je conclus que le prestataire a été fondé à quitter son emploi parce que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle conclu que le prestataire n’était pas admissible à des heures supplémentaires en omettant de considérer que ses tâches l’obligeaient à faire des heures supplémentaires?

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas déterminé si l’employeur contrevenait à la loi en ne payant pas les heures supplémentaires?

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas déterminé s’il y avait eu une modification importante des fonctions du prestataire?

[8] La division générale a-t-elle conclu que le prestataire avait causé la diminution de sa rémunération en restreignant son propre travail à compter d’avril 2017, sans tenir compte des changements à sa zone de service imposés par l’employeur et d’autres éléments de preuve montrant que l’employeur limitait les affectations du prestataire?

Analyse

Principes généraux

[9] Le rôle de la division d’appel est plus restreint que celui de la division générale. La division générale est tenue d’examiner et d’apprécier les éléments de preuve portés à sa connaissance et de tirer des conclusions de fait. Pour ce faire, la division générale doit appliquer le droit aux faits et tirer des conclusions quant aux questions de fond soulevées par l’appel.

[10] Cependant, la division d’appel ne peut intervenir au regard d’une décision de la division générale que si elle conclut que cette dernière a commis l’une des erreurs correspondant aux « moyens d’appel » prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[11] Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle conclu que le prestataire n’était pas admissible à des heures supplémentaires en omettant de considérer que ses tâches l’obligeaient à faire des heures supplémentaires?

[12] La division générale a conclu que le prestataire n’avait pas été fondé à quitter son emploi parce que son employeur n’avait pas payé ses heures supplémentaires étant donné qu’il n’avait ni demandé ni obtenu l’autorisation préalable pour en faire, conformément au Guide des employés (Guide). Cette conclusion suppose que la division générale n’a pas reconnu que le prestataire n’était pas admissible à des heures supplémentaires rémunérées.

[13] Sauf en ce qui a trait à l’argument du prestataire voulant qu’il était harcelé, la division générale ne s’est pas penchée sur son argument selon lequel son employeur exigeait qu’il fasse des heures excédentaires et ne payait pas ses heures supplémentaires, et qu’il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles le prestataire a cru que son départ était sa seule solution.

[14] La division générale a mal compris la preuve du Guide à deux points de vue : d’abord, le Guide prévoit que les employés à salaire horaire sont rémunérés pour leurs heures supplémentaires conformément aux lois fédérales sur la rémunération et le temps de travail.Note de bas de page 1

[15] D’abord, les dispositions du Guide concernant les heures supplémentaires semblent concerner strictement les employés à salaire horaire. Il est ainsi difficile de dire si l’exigence du Guide d’obtenir [traduction] « une approbation et une autorisation » à faire des heures supplémentaires devait s’appliquer aux employés travaillant à la pièce. Le prestataire a affirmé qu’il était payé à la pièce, ce qu’a noté la division générale au paragraphe 19 de sa décision. Il a aussi témoigné qu’il comprenait que l’approbation d’un gestionnaire était requise dans le cas des employés à salaire horaire, et qu’il comprenait pourquoi une telle préautorisation pourrait s’appliquer aux travaux effectués à l’heure.

[16] Le Guide explique aussi que l’employeur [traduction] « peut demander aux employés de faire des heures supplémentaires » et que, [traduction] « dans la mesure du possible, il essaie de les aviser de leurs heures supplémentaires obligatoiresNote de bas de page 2. » Autrement dit, selon le Guide, une telle personne peut être obligée de faire des heures supplémentaires sans préavisNote de bas de page 3. Cela laisse penser que les employés que l’employeur considère comme admissibles à des heures supplémentaires peuvent devoir présumer que leurs heures supplémentaires sont approuvées quand leurs heures supplémentaires sont obligatoires.

[17] Le prestataire a affirmé que l’employeur ne payait pas ses heures supplémentaires, même si les tâches qui lui étaient confiées pouvaient en nécessiter afin de respecter les standards de l’employeur. Il a affirmé qu’on s’attendait à ce qu’il termine ses tâches la journée même où elles lui étaient confiées, indépendamment du temps requis pour chaque tâche précise.Note de bas de page 4 La preuve révèle aussi que l’employeur savait, à tout le moins à compter du 27 décembre 2016, que le prestataire était mécontent du fait qu’il ne payait pas ses heures supplémentairesNote de bas de page 5, mais rien de démontre que l’employeur aurait modifié les affectations ou l’horaire du prestataire afin qu’il n’ait plus besoin de faire des heures supplémentaires pour terminer son travail. Lorsque la Commission a soulevé ce sujet, l’employeur n’a pas voulu dire si le prestataire avait été rémunéré pour des heures supplémentaires ni s’il était admissible à des heures supplémentaires.Note de bas de page 6

[18] Pour déterminer si l’horaire du prestataire nécessitait qu’il fasse des heures supplémentaires, il fallait que la division générale tienne compte de la preuve du prestataire relative à son horaire et aux heures où il devait travailler et avait travaillé. Par contre, la division générale n’a jamais fait référence à son témoignage voulant que la nature de son travail l’obligeait à faire des heures supplémentaires, et elle a mal compris le sens du fait que le prestataire n’avait pas obtenu une autorisation et une approbation particulières, ce qui  a probablement influencé la façon dont la division générale a évalué et apprécié la circonstance relative [traduction] « aux heures supplémentaires excessives ou au refus de les rémunérer ». Dans les observations écrites qu’elle a présentées à la division d’appel, la Commission a reconnu que la division générale [traduction] « pourrait ne pas avoir mentionné le témoignage voulant que la nature du travail nécessitait de faire des heures supplémentaires, ce qui pourrait être différent du fait de demander à faire des heures supplémentaires en passant par la gestionNote de bas de page 7. »

[19] Ensuite, la division générale a aussi mal compris le Guide ou son application en ce qui a trait à l’obligation légale de l’employeur de payer les heures supplémentaires selon la légalisation fédérale en matière de travail. La division générale a en partie justifié sa conclusion (sous-entendue) voulant que le prestataire n’était pas admissible à des heures supplémentaires parce qu’il était payé à la pièce. Cependant, la légalisation fédérale en matière de travail doit être respectée qu’un employé travaille selon un taux horaire ou à la pièce. L’employeur ne peut se soustraire en vertu d’un contrat à son obligation de payer le prestataire conformément aux lois fédérales sur la rémunération et le temps de travail, que le prestataire soit un « employé à salaire horaire » ou non.

[20] Le prestataire a témoigné avoir lu qu’il était admissible à des heures supplémentaires si son travail excédait 8 heures par jour ou 40 heures par semaine, même s’il était payé à la pièce. Dans sa demande de prestations, le prestataire a écrit qu’il avait discuté de ses droits relatifs aux heures supplémentaires avec un agent des normes d’emploi. Il a aussi fait allusion au fait que la demande par courriel adressée à son employeur pour que ses heures supplémentaires soient payées était étayée par le Code canadien du travail.Note de bas de page 8 Il a soutenu que [traduction] « les normes du travail précisent que, pour les employés à la pièce, les heures supplémentaires correspondent à la somme totale versée pour une période où des heures supplémentaires ont été faites, divisée par le nombre d’heures régulières travaillées au cours de la même période et multipliées par un coefficient de 1,5 pour chaque heure supplémentaire. »

[21] La division générale a pris acte du témoignage du prestataire au sujet de ses heures supplémentaires, mais elle n’a pas cherché à savoir si le prestataire avait bien compris la législation. Conformément à l’article 64(1) de la Loi sur le MEDS, le Tribunal peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la Loi sur le MEDS. Il était donc nécessaire que la division générale détermine, d’après la preuve du prestataire quant à ses heures supplémentaires, si l’employeur était tenu de payer ses heures supplémentairesNote de bas de page 9 conformément au Code canadien du travail. La Commission a accepté que l’obligation légale d’un employeur à payer les heures supplémentaires, même des travailleurs à la pièce, est un enjeu important.

[22] Même si la Commission est d’avis que la décision rendue représente l’une des issues raisonnables compte tenu de toutes les circonstances, j’accepte que la division générale a négligé de considérer la preuve du prestataire voulant que son employeur l’obligeait à faire des heures supplémentaires et que la loi exigeait peut-être que l’employeur rémunère ces heures. La division générale a donc conclu à tort que le prestataire [traduction] « n’a pas été fondé à quitter son emploi du fait que son emploi ne payait pas ses heures supplémentairesNote de bas de page 10. »

[23] Par conséquent, je conclus que la division générale a commis une erreur de droit pour l’application de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas déterminé si l’employeur contrevenait à la loi en ne payant pas les heures supplémentaires?

[24] Le fait de ne pas payer des heures supplémentaires alors que la loi l’exige serait aussi une pratique contraire au droit, pour l’application de l’article 29(c)(xi) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), et représenterait donc une circonstance pertinente. Cela dit, comme cette pratique précise figure expressément à l’article 29(c)(viii) et que cette disposition est l’une des circonstances que la division générale a considérées, j’accepte que la division générale a implicitement tenu compte de l’article 29(c)(xi) de la Loi sur l’AE en évaluant les solutions raisonnables du prestataire.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas déterminé s’il y avait eu une modification importante des fonctions du prestataire?

[25] La division générale a admis que l’employeur avait définitivement et subitement modifié la zone de service du prestataire sans trop bien communiquer ce changement, de sorte que la collectivité où résidait du prestataire ne se trouvait plus dans sa nouvelle zone de service. Le prestataire a témoigné qu’il était le parent seul d’une fillette et d’un adolescent atteint de troubles psychologiques. Il a aussi affirmé avoir de la difficulté à assurer la prise en charge de ses enfants en raison du temps additionnel pour aller au travail et qu’il était incapable de prendre d’autres dispositions permanentes pour ses enfants. Cette preuve n’a jamais été contestée.

[26] Le prestataire habitait dans une ville située au nord-ouest d’une grande ville. À la fin du mois de mars 2017, il a été réaffecté au nord-est de la ville, qui incluait au moins une collectivité avoisinante située exactement à l’est de la ville. Il lui fallait donc désormais jusqu’à deux heures pour aller travailler et deux heures pour revenir chez lui, ce qui ajoutait quatre heures non rémunérées à sa journée de travail. Le 10 avril 2017, avant que le prestataire soit au courant que son employeur avait décidé de ne plus desservir les [traduction] « régions périphériquesNote de bas de page 11 », notamment la zone entourant et comprenant la ville du prestataire, le prestataire a demandé d’être réaffecté à son ancienne zone de service. On lui a répondu que son ancienne zone de service, y compris la ville où il habitait, n’était plus desservie depuis le 1er avril 2017. Après une autre requête du prestataire, l’employeur a convenu de limiter temporairement son rayon de déplacement pour que le prestataire puisse rester dans le quadrant nord-ouest de la villeNote de bas de page 12, tout en l’avertissant que sa charge de travail pourrait s’en trouver diminuée.

[27] Ensuite, dans son analyse visant à déterminer si les heures et la rémunération du prestataire avaient diminué, la division générale a accepté que sa rémunération avait diminué, ce qu’elle a par contre attribué au choix du prestataire de restreindre son travail en demandant d’être confiné à une certaine zone de service, soit celle étant la plus près de chez lui.

[28] Il est évident que le prestataire, en demandant à son employeur de limiter sa zone de service, lui demandait essentiellement de ne pas changer ses conditions d’emploi de sorte qu’il doive consacrer énormément de temps non rémunéré à ses déplacements et passer de longues journées loin de sa famille. La division générale a jugé que les modifications à la zone de service du prestataire étaient [traduction] « nécessaires », une conclusion qui pourrait être pertinente pour déterminer si les actions de l’employeur pouvaient être assimilées à du harcèlement, mais qui ne l’est pas pour déterminer s’il y avait eu une modification importante des fonctions du prestataire.

[29] La division générale a constaté que la zone de service du prestataire avait été changée et que la diminution de ses heures de travail était due à son refus de travailler dans la zone où son employeur avait décidé de le réaffecter. Elle semble aussi avoir accepté que les réaffectations avaient allongé son trajet au travail, et n’a pas rejeté la preuve du prestataire voulant qu’il lui était difficile de s’occuper de ses enfants avec ce plus long trajet; elle n’a cependant pas admis que ce trajet l’empêchait de bien s’occuper de ses enfants ni qu’il n'avait aucune façon d'en assurer la garde. Malgré tout, j’accepte que les conclusions de la division générale tendent vers une conclusion que sa réaffectation représentait une modification importante de ses fonctions.

[30] Conformément à l’article 29(c) de la Loi sur l’AE, il faut avoir égard à toutes les circonstances, y compris à celle décrite à l’article 29(c)(ix) : une « modification importante des fonctions ». Une erreur de droit a été commise pour l’application de l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle conclu que le prestataire avait causé la diminution de sa rémunération en restreignant son propre travail à compter d’avril 2017, sans tenir compte des changements à sa zone de service imposés par l’employeur et d’autres éléments de preuve montrant que l’employeur limitait ses affectations?

[31] Au niveau de la division générale, la Commission a accepté que la diminution des heures de travail et de la rémunération du prestataire était une question préoccupante, mais a fait valoir qu’elle ne résultait pas d’une action délibérée de l’employeur. Le Tribunal a convenu que la rémunération du prestataire [traduction] « tendait à baisser à partir d’avril 2017Note de bas de page 13 », mais a jugé que la diminution des heures de travail et de la rémunération du prestataire n’avait pas été délibérée.Note de bas de page 14 Il a aussi conclu que le prestataire avait restreint son propre travail.Note de bas de page 15

[32] Encore une fois, les intentions de l’employeur sont seulement pertinentes par rapport au harcèlement et à la pression indue à démissionner auxquels le prestataire a fait allusion. Dans l’objectif de savoir s’il y avait eu une modification importante des conditions de travail du prestataire en matière de salaire ou de rémunération, la division générale doit seulement examiner l’effet sur le prestataire des changements dans son emploi. Il est inutile de savoir si l’employeur n’avait eu d’autre choix que de modifier les zones de service ou de savoir s’il avait plutôt voulu inciter le prestataire à quitter son emploi en restreignant son accès au travail.

[33] Quant à la conclusion de la division générale voulant que le prestataire avait restreint son travail à partir d’avril 2017, cette conclusion fait fi de la preuve du prestataire. La division générale a pris acte que le prestataire avait témoigné qu’on lui demandait encore d’aller faire du travail à l’extérieur de la zone, mais a jugé que cette preuve démontrait qu’il refusait du travail et que c’était le prestataire qui limitait son travail, et non son employeur.

[34] La division générale n’a pas fait référence au fait que le prestataire avait nié sans équivoque qu’il aurait choisi de limiter le nombre de tâches lui était assignées en désignant un secteur particulier où il aurait préféré travailler. Il n’est pas contesté que le prestataire avait demandé, parmi d’autres requêtesNote de bas de page 16, d’être confiné à son secteur, et que l’employeur avait exprimé une volonté à le garder dans le quadrant nord-ouest de la ville, soit dans une région comprenant son secteur de choix. Toutefois, le prestataire a témoigné que la diminution de ses heures et de sa rémunération n’avait rien à voir avec cela. Il a affirmé que le plus gros changement quant à ses affectations s’était produit lorsqu’il avait repris le travail après sa suspension en décembre 2016. Le prestataire a témoigné qu’à son retour, deux tâches par jour lui étaient confiées. Rien n’avait changé quand il avait été réaffecté au nord-est de la ville, ni quand il avait demandé d’être confinéNote de bas de page 17 au secteur le plus près de chez luiNote de bas de page 18, qui n’était pas la région où il travaillait avant sa réaffectation, à part pour un laps de temps vers la fin de son emploi, alors qu’on ne lui assignait qu’une tâche par jour, voire aucune.Note de bas de page 19 Le prestataire a affirmé qu’il avait déjà été soumis à des [traduction] « restrictions géographiques » plusieurs fois dans le passé et qu’il avait toujours eu de cinq à sept affectations par jour, même durant une restriction géographique.

[35] Comme l’a noté la division générale, le prestataire a témoigné qu’il n’avait pas véritablement été soumis à une restriction géographique après que son employeur et lui eurent convenu qu’il travaillerait temporairement dans le quadrant nord-ouest de la ville, mais qu’il lui fallait encore conduire jusqu’à l’autre bout de la ville pour certaines affectations. Ce témoignage est corroboré par une déclaration antérieure la Commission voulant que le prestataire avait dit que, même après que son employeur [traduction] « eût restreint son travail à la région de Crowchild », il avait continué de travailler dans d’autres secteurs nécessitant qu’il se déplace pendant des heures, et qu’il avait été prêt à ce que sa zone de travail change pourvu qu’on lui donne le temps de prendre certaines dispositions dans sa vie au travail.Note de bas de page 20

[36] De plus, la déclaration de l’employeur voulant que le prestataire avait refusé, le 30 avril 2017, Note de bas de page 21 de travailler dans le secteur voisin (situé 45 minutes plus loin de chez lui que le centre de son secteur de choix), donne à penser que l’employeur n’avait pas confiné le prestataire à un secteur en particulier contrairement à ce qu’il prétend,Note de bas de page 22 bien que le prestataire aurait pu être limité au quadrant nord-ouest de façon temporaire et irrégulière. La division générale a considéré que l’affectation refusée dans le secteur voisin étayait sa conclusion que le prestataire avait refusé de travailler; par contre, elle ne fait pas référence à la déclaration du prestataire voulant que l’affectation du 30 avril 2017 avait été réassignée parce qu’il lui était physiquement impossible de se rendre sur les lieux à tempsNote de bas de page 23, et non parce qu’il avait délibérément refusé du travail. La division générale a aussi négligé de reconnaître que ce même « refus » corroborait la preuve du prestataire selon laquelle son employeur lui assignait du travail à l’extérieur de son secteur de choix, contrairement à ce qu’a prétendu l’employeur en affirmant qu’il avait restreint les affectations du prestataire à ce secteur précis.

[37] La division générale ne précise pas les éléments de preuve sur lesquels elle s’est fondée pour conclure que le prestataire restreignait son travail. Seules deux possibilités apparentes figurent dans sa décision.Note de bas de page 24 La première preuve possible est celle voulant que l’employeur avait offert au prestataire de limiter temporairement son rayon de déplacement tout en le prévenant que sa charge de travail pourrait s’en trouver réduite. La seconde preuve possible est la correspondance des environs du 30 avril 2017, soit l’affection décrite plus haut.

[38] D’après la preuve de l’employeur et les déclarations qu’il a faites à leur sujet à la Commission, il aurait eu l’intention de limiter la zone de service du prestataire; par contre, la preuve de l’employeur n’est pas cohérente en ce qui a trait aux limites qu’il aurait effectivement convenu d’appliquer ou aurait appliquées. Avec son témoignage, le prestataire a contesté les événements du 30 avril 2017, décrits comme un refus, et la conclusion voulant que l’employeur avait restreint son travail à son secteur de choix.

[39] La division générale n’a jamais mentionné le témoignage direct du prestataire expliquant où il avait véritablement été affecté malgré la préférence qu’il avait exprimée ni ses nombreuses déclarations voulant que les limitations à son travail avaient été imposées avant sa réaffectation et n’avaient pas changé, peu importe où il avait travaillé en 2017. Le témoignage du prestataire était essentiellement corroboré par ses autres affirmations toujours cohérentes, dont la division générale n’a pas non plus fait mention. La division générale n’a aucunement expliqué pourquoi elle avait préféré des ouï-dire et les intentions de l’employeur telles qu’il les avait rapportées à la preuve directe et uniforme du prestataire.

[40] Par conséquent, je juge que la division générale a erré. Elle a conclu sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance que la charge de travail du prestataire avait été réduite parce qu’il avait limité sa zone de travail.

[41] Même si j’avais accepté que la conclusion de la division générale tenait compte de toute la preuve et que la diminution de la rémunération du prestataire à compter d’avril 2017 était attribuable au travail disponible dans la zone de service où il avait choisi de restreindre ses activités, la conclusion pourrait tout de même être considérée comme abusive ou arbitraire.

[42] J’estime important que le prestataire a réclamé une restriction géographique après que l’employeur eût modifié sa zone de service. La division générale a pris acte de la preuve du prestataire décrivant les conséquences qu’avait eu sur lui sa réaffectationNote de bas de page 25, mais elle ne s’est pas attardée à l’importance de la modification de ses fonctions par rapport au choix du prestataire de demander qu’on lui offre seulement du travail dans la zone de service la plus près de chez lui. Dans la mesure où le secteur de choix du prestataire pourrait recéler moins d’occasions de travail, et dans la mesure où le travail prestataire aurait véritablement été limité à ce secteur, la preuve sur laquelle s’est fondée la division générale aurait aussi facilement permis de conclure que la diminution de ses heures de travail était avant tout et surtout attribuable au fait que l’employeur avait arrêté de desservir les secteurs qui généraient du travail à proximité de chez lui.

[43] Toutefois, la division générale n’a pas considéré la preuve quant au lien de causalité entre la modification des fonctions du prestataire et la diminution de sa rémunération, et n’en a pas tenu compte pour conclure que sa rémunération minorée était attribuable à ses propres actions. Ainsi, la conclusion voulant que la rémunération du prestataire avait diminué parce qu’il limitait son propre travail, d’une telle façon qu’une solution raisonnable à son départ aurait été de ne pas limiter son travail, est abusive ou arbitraire ou ne tient pas compte des raisons pour lesquelles il avait limité son travail.

[44] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la division générale a erré en droit pour l’application de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

Conclusion

[45] L’appel est accueilli.

Réparation

[46] Comme j’ai accueilli l’appel, l’article 59 de la Loi sur le MEDS me confère le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[47] Je juge que le dossier est complet et je vais donc rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[48] Conformément à l’article 29(c) de la Loi sur l’AE, un prestataire est considéré comme fondé à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas.

[49] J’ai déjà conclu que la division générale avait négligé de déterminer s’il y avait eu une modification importante des fonctions du prestataire. J’ai également conclu que la division générale avait tiré deux conclusions abusives ou arbitraires ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance en concluant qu’il n’y avait pas une preuve suffisante pour démontrer que les heures supplémentaires auxquelles le prestataire était admissible n’avaient pas été rémunérées et que le prestataire avait choisi d’accepter une rémunération minorée. Voilà les conclusions qu’il me faudra revisiter afin de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

Modification importante des fonctions

[50] Le prestataire a quitté son emploi le 23 juin 2017, environ deux mois et demi après avoir appris que son changement de zone serait permanent à la mi-avril. Je constate que le changement de la zone de service du prestataire a eu pour effet d’augmenter considérablement le temps consacré à ses déplacements, créant ainsi de longues journées de travail qui nuisaient à sa capacité de s’occuper de sa famille, de sorte qu’il a demandé de restreindre les distances pouvant lui être demandées de parcourir.

[51] Bien que l’employeur a semblé vouloir permettre au prestataire de travailler temporairement dans une zone géographique plus restreinte se trouvant plus près de chez lui que la zone où il avait été réaffecté en mars 2017, je constate que le prestataire a continué de se faire confier et d’accepter des tâches nécessitant qu’il parcoure des distances bien plus longues qu’avant l’élimination de sa zone de service originale.

[52] La division générale a conclu que le prestataire aurait pu chercher un autre emploi tout en continuant de travailler pour son employeur et en acceptant les plus longs trajets. Dans sa demande de prestations, le prestataire a déclaré qu’il avait cherché un emploi auprès d’un autre employeur avant de quitter le sien. Il a expliqué ce qui suit :

[traduction]
J’ai fait beaucoup d’efforts pour trouver un autre emploi en envoyant d’innombrables CV en ligne et même par la poste. J’ai essayé de chercher d’autres types d’emplois qui ne sont pas dans mon domaine, même des emplois à temps partiel ou temporaires, mais je n’ai eu que quelques entrevues et personne ne m’a fait d’offre concrète. Je consacre la majeure partie de mon temps libre à la recherche d’emploi.Note de bas de page 26

[53] Devant la division générale, le prestataire a témoigné au sujet de ses efforts pour chercher un emploi. Il a mentionné deux postes et employeurs pour lesquels il se souvenait d’avoir postulé en février 2017. Il a aussi affirmé qu’il avait postulé pour des emplois en mai et en avril, a décrit deux autres postes à Calgary, et a mentionné qu’il avait posé sa candidature auprès d’autres employeurs en Colombie-Britannique. Il était difficile de dire d’après son témoignage si ces autres demandes d’emploi avaient été présentées en février, en mai ou en avril.

[54] Le prestataire a dit qu’il se stationnait habituellement entre son affection de la matinée et celle de l’après-midi ou du soir, et qu’il passait une certaine partie de ce temps à chercher un emploi et à envoyer des CV. Il a dit à la division d’appel qu’il regardait les alertes d’emplois et posait sa candidature par voie électronique pendant qu’il attendait. Il a aussi affirmé qu’il était désespéré par rapport à ses finances et déprimé.

[55] J’admets la preuve du prestataire voulant qu’il était activement à la recherche d’un autre emploi à tout le moins à compter de février 2017 et jusqu’à son départ. J’admets aussi que, entre janvier et le 23 juin, le prestataire a continué de travailler pour son employeur malgré la baisse importante de ses heures de travail rémunérées et qu’il a, entre la fin-mars et le 23 juin, travaillé malgré la baisse importante de ses heures de travail rémunérées et malgré le temps de déplacement additionnel et un horaire pouvant l’obliger à travailler de longues heures même si ses heures payées avaient diminué.

[56] L’employeur a modifié les fonctions du prestataire malgré ce dernier, l’obligeant ainsi à faire davantage d’heures non rémunérées et compliquant la prise en charge de ses enfants. Je conclus donc que les changements apportés par l’employeur à la zone de service du prestataire ont donné lieu à une modification importante de ses fonctions.

[57] En pareilles circonstances, je conclus que la poursuite de l’emploi du prestataire dans ces conditions, indéfiniment ou jusqu’à l’obtention d’un autre emploi, n’était pas une solution raisonnable à son départ. 

Modification importante des conditions d’emploi en matière de salaire ou de rémunération

[58] Je juge aussi que cette modification des fonctions du prestataire a rendu plus difficile son accès au travail; a augmenté le ratio de son travail n’étant pas rémunéré, à savoir ses déplacements; et l’a obligé à choisir entre la restriction de ses affections et la prise en charge de ses enfants.

[59] La division générale a affirmé qu’une solution raisonnable à son départ aurait été de ne pas limiter ses heures de travail de façon à accroître sa rémunération. J’ai cependant conclu que la diminution de ses heures de travail n’avait rien à voir avec la restriction géographique qu’il avait demandée et que toute limite imposée quant à ses heures de travail relevait plutôt de décisions de gestion de l’employeur. Même si moins d’heures de travail avaient été disponibles au prestataire parce qu’il avait demandé que son travail soit limité à un secteur en particulier, je conclurais quand même que la diminution de sa rémunération a été causée par la modification de ses fonctions. Cette modification de ses fonctions, imposée par l’employeur, a effectivement changé considérablement les conditions d’emploi ayant trait à son salaire ou sa rémunération.

[60] Par conséquent, je conclus que de [traduction] « ne pas limiter ses heures de travail » ne constituait pas une solution raisonnable à son départ.

Heures excessives ou heures supplémentaires non rémunérées

[61] Le prestataire a documenté une série d’heures supplémentaires non rémunérées en présentant des graphiques d’heures supplémentaires impayées et des feuilles de calcul allant d’août 2012 à la fin de 2016. J’ai déjà mentionné qu’il avait témoigné auprès de la division générale qu’il devait faire de longues journées avec des déplacements non rémunérés, même quand on ne lui assignait que deux affectations pour la journée. Le prestataire a aussi documenté ses efforts pour que la gestion règle la question de ses heures excessives et de ses heures supplémentaires non rémunérées et pour obtenir de l’aide par l’entremise des normes d’emploi, en plus d’une poursuite civile qu’il avait intentée en janvier 2017Note de bas de page 27, et qui était toujours en cours en date de l’audience devant la division générale.

[62] La division générale n’a pas tenu compte du facteur que représentaient les heures supplémentaires au motif que le prestataire travaillait à la pièce et qu’il n’avait pas cherché à obtenir une autorisation préalable pour ses heures supplémentaires. La division générale n’a pas clairement conclu que le prestataire n’était pas admissible à des heures supplémentaires rémunérées, mais ce présupposé se révèle manifeste.

[63] Je juge que l’emploi du prestataire l’obligeait à terminer les tâches lui étant assignées, indépendamment du moment de la journée où elles étaient prévues et indépendamment du temps nécessaire pour les effectuer, et qu’il arrivait ainsi que le prestataire doive faire des heures supplémentaires. 

[64] Je juge aussi que le fait que son travail était à la pièce ne le rend pas inadmissible à des heures supplémentaires conformément à la législation albertaine relative au travail. Voici ce que prévoit l’Employment Standards Code (Code) de l’Alberta :

  1. [traduction]
    21. À l’égard d’une semaine de travail, les heures supplémentaires correspondent au nombre le plus élevé :
    1. a) du total des heures travaillées par un employé excédant huit heures par jour durant la semaine de travail;
    2. b) des heures travaillées par un employé excédant 44 heures au cours de la semaine de travail;
  2. ou si ces totaux sont identiques, les heures supplémentaires correspondent à ce même nombre.
  3. 22(1) Un employeur doit rémunérer les heures supplémentaires de l’employé à un taux minimal correspondant à 1,5 fois son taux de salaire.
  4. 24(1) Dans le cas d’un employé dont la rémunération dépend exclusivement de commission ou d’autres incitatifs, le taux de l’employé aux fins du calcul de la rémunération de ses heures supplémentaires est réputé être le salaire minimum prévu par règlement [mis en évidence par le soussigné]

[65] J’ai pris connaissance du Code et, selon celui-ci, le prestataire aurait droit à des heures supplémentaires à un taux de 1,5 fois le salaire minimum albertain, pour chaque heure de travail excédant 8 heures par jour ou chaque heure de travail excédant 44 heures par semaine de travail, selon le chiffre le plus avantageux. Malgré les nombreuses demandes du prestataire pour que ses heures supplémentaires soient payées, rien ne démontre que l’employeur aurait nié que le prestataire a fait des heures supplémentaires; il a juste affirmé une fois que des heures supplémentaires n’ayant pas été approuvées d’avance n’étaient pas admissibles à ce titre.Note de bas de page 28 L’employeur a fait savoir que l’horaire de base du prestataire variait de 5 jours de 8 huit heures à 4 jours de 10 heuresNote de bas de page 29, mais la preuve disponible ne me permet pas de savoir si cet horaire peut être qualifié d’ [traduction] « accord sur la moyenne de travail » au sens de l’article 23.1(1) du Code de manière à influencer la façon dont seraient calculées les heures supplémentaires.

[66] Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que l’horaire de travail du prestataire était tel que des tâches nécessitant qu’il fasse des heures supplémentaires lui étaient régulièrement assignées; que ses heures supplémentaires n’étaient pas rémunérées; et que les actions qu’il a entreprises avant son départ dans le but de régler ce problème étaient raisonnables, même si elles ont été en vain.

Considération de toutes les circonstances

[67] Le prestataire a témoigné que sa paye auprès de cet employeur avait globalement diminué au fil du temps, à commencer par une baisse de 30 % en juillet 2016. Il a cependant affirmé que le changement le plus important avait eu lieu à son retour au travail à la suite d’une suspension.Note de bas de page 30 Le relevé d’emploi le confirme; il montre une moyenne de 48 heures d’emploi assurable par période de paye à la quinzaine, pour les 13 périodes de paye terminant le 5 novembre 2016. L’employeur a affirmé que le prestataire avait été suspendu du 9 novembre au 27 décembre 2016. Durant les 14 dernières périodes de paye qui ont suivi, le prestataire n’a travaillé en moyenne que 22 heures d’emploi assurable par période de paye.  

[68] Alors que ses heures de travail et sa rémunération se voyaient retranchées de près de la moitié, le prestataire avait été inclus dans un Programme d’amélioration du rendement (PAR) pour une période qu’il évalue à environ trois mois. Selon l’employeur, les exigences constantes du PAR auraient continué d’influencer la capacité du prestataire à accepter des affections, même après la levée de sa suspension.Note de bas de page 31 L’employeur a affirmé que le prestataire avait participé au PAR jusqu’à son départ.Note de bas de page 32

[69] J’accepte le témoignage du prestataire voulant que son employeur avait continué de limiter ses affectations à deux par semaine.Note de bas de page 33 La division générale n’a jamais insinué que la crédibilité du prestataire était mise en cause, et j’estime que sa preuve est crédible dans l’ensemble. Même si l’employeur a laissé entendre que moins de travail était offert dans la zone de service où le prestataire avait demandé de travailler, il n’a pas expressément nié avoir limité le nombre d’affectations quotidiennes confiées au prestataire. Qui plus est, la preuve du prestataire corrobore les propos de l’employeur lui-même voulant que la capacité du prestataire à accepter des affectations avait été amoindrie par le PAR jusqu’à son départ.

[70] J’accepte aussi que la modification initiale de sa zone de service, auparavant contiguë à chez lui et incluant sa propre ville, a eu pour effet d’allonger ses journées de travail en général et de réduire le nombre d’affectations qu’il pouvait faire en une journée, et ce même si l’employeur lui avait offert plus que deux affectations par jour.

[71] Même s’il appert que l’employeur a eu l’intention de réduire temporairement son rayon de déplacement pour que le prestataire puisse rester dans le quadrant nord-ouestNote de bas de page 34, l’employeur n’a pas insisté sur le fait qu’il aurait parfaitement respecté cet arrangement. De son côté, le prestataire a témoigné que l’employeur n’avait pas respecté leur arrangement visant à limiter ses affectations soit à son secteur de choix, soit au quadrant nord-ouest de la ville.

[72] J’accepte que l’employeur n’a pas respecté, ou du moins d’une manière constante, la demande du prestataire pour qu’il travaille dans le secteur de la ville le plus près de chez lui après l’interruption du service dans la région contiguë à chez lui, et que le prestataire se voyait encore confié des affectations dans des secteurs de la ville l’obligeant à parcourir de longs trajets. Le prestataire a affirmé qu’il avait continué à être affecté à des secteurs à l’autre bout de la villeNote de bas de page 35, qu’il travaillait du « côté est » de la ville la plupart du tempsNote de bas de page 36, et qu’il lui fallait faire un trajet de 60 à 90 minutes pour se rendre à son affectation matinale, habituellement prévue à 8 h, et pour revenir de son dernier emploi, qui commençait entre 15 h et 17 h.Note de bas de page 37

[73] Par conséquent, le prestataire devait faire beaucoup de longues journées, interrompues à mi-chemin par un temps d’arrêt. Même s’il pouvait parfois aller à la maison durant ce temps d’arrêt, il doublait ainsi la durée de ses déplacements et passait malgré tout moins de temps à la maison en soirée, lorsque ces deux enfants étaient là.

[74] J’ai aussi conclu que le prestataire était activement à la recherche d’un emploi avant de quitter le sien. Le prestataire a témoigné qu’il attendait habituellement en ville entre ses deux affectations et qu’il utilisait souvent ce temps pour envoyer des courriels relativement à des emplois et répondre à des courriels. Selon la preuve qu’il a produite dans sa demande de prestations comme dans son témoignage, il était activement à la recherche d’un emploi avant de quitter le sien, mais ses recherches avaient été infructueuses. Le prestataire s’était senti pris au piège dans son emploi et incapable de démissionner, et il avait donc diligemment cherché un emploi. Il a fini par quitter son emploi avant d’en avoir trouvé un autre.

[75] Je juge que la demande du prestataire, pour qu’on lui assigne des tâches dans le secteur de la ville le plus près de chez lui, n’a pas grandement contribué à la diminution de sa charge de travail. L’employeur a offert au prestataire de restreindre temporairement son travail au quadrant nord-ouest de la ville, qui n’était pas son secteur de choix, et la preuve révèle qu’on lui avait confié une affectation dans le secteur voisin, que l’employeur dit avoir été refusée par le prestataire. Je n’accepte donc pas l’affirmation de l’employeur voulant que le travail du prestataire avait été restreint à un secteur de son choix ou qu’ [traduction] « il n’y avait pas beaucoup de travail dans cette zone ». Dans la mesure où l’employeur aurait tenu compte d’une restriction géographique pour une zone quelconque, j’estime que cette zone correspond au quadrant nord-ouest de la ville tout entier. Je trouve incroyable que l’employeur aurait été incapable d’offrir au prestataire plus de deux affectations par jour dans tout le quadrant nord-ouest de cette grande ville.

[76] À cause des changements effectués à sa zone de service, le prestataire devait faire des journées considérablement plus longues, dont la majeure partie était soit impayée, soit un temps d’arrêt. Ces journées avaient aussi eu pour effet d’interférer avec sa capacité à s’occuper de ses enfants. Le prestataire a aussi un différend de longue date avec son employeur quant à d’anciennes et à de récentes heures supplémentaires impayées totalisant une somme substantielle; ce problème semble avoir un certain fondement mais l’employeur refusait de le reconnaître ou de le régler.

[77] Le prestataire avait aussi été suspendu pendant sept semaines, dont la plupart avaient été impayées et comprises dans la période des Fêtes, ce qui avait contribué à ses difficultés financières. Le prestataire avait essayé de continuer à travailler pendant six mois en 2017, alors que son employeur limitait son travail à deux affectations quotidiennes, ce qui avait eu pour effet de réduire de moitié ses heures de travail réelles et sa rémunération. Il s’était senti pris au piège dans son travail et incapable de quitter son emploi, mais avait diligemment cherché un autre emploi. Il a fini par quitter son emploi avant d’en avoir trouvé un autre.

[78] Eu égard à toutes les circonstances, je conclus que le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Je reconnais que les problèmes non résolus quant à ses heures supplémentaires impayées étaient l’une des principales raisons pour lesquelles il avait quitté son emploi; cela dit, il avait aussi était soumis à une longue période de suspension et de perfectionnement sans rémunération, et ses affectations et ses heures de travail avaient considérablement été restreintes et avaient ainsi réduit sa paye à 470 $ en moyenne par semaine en 2017 (selon mes calculs) et prolongé ses déplacements en raison du changement de sa zone de service. Le temps de déplacement additionnel avait influencé le nombre d’affectations quotidiennes qu’il pouvait accepter, et nécessitait aussi qu’il travaille davantage d’heures impayées, surtout passées au volant. Le prestataire ne pouvait savoir s’il serait à la maison pour assurer la garde et la sécurité de ses enfants, et il est peu probable que son revenu lui aurait permis de payer des frais de garde.

[79] Les problèmes non résolus quant aux heures de travail excessives du prestataire et à ses heures supplémentaires impayées, la coupe de son travail et de sa rémunération et le changement de sa zone de travail, considérés ensemble, étaient des circonstances intenables, particulièrement compte tenu de sa situation à la maison. La division générale s’est fondée sur la cause Canada (Procureur général) c Tremblay,Note de bas de page 38 sur la base de sa conclusion voulant que le prestataire avait été responsable de la baisse de sa rémunération. Dans Tremblay, le prestataire avait quitté son emploi parce qu’il était insatisfait de sa paye. L’enjeu est différent en l’espèce : l’employeur a causé la diminution de la rémunération du prestataire en limitant le nombre d’affectations auxquelles il pouvait avoir accès, au point où il peinait à subvenir à ses besoins avec sa paye.

[80] La division générale s’est également fondée sur l’arrêt Canada (Procureur général) c YeoNote de bas de page 39, où un prestataire avait quitté son emploi parce que celui-ci interférait avec la garde de ses enfants. Dans Yeo, le prestataire  partageait la garde des enfants avec son ex-épouse, et il en avait seulement la garde un jour par semaine et le week-end. Dans cette affaire, le prestataire s’inquiétait du fait que son emploi l’empêchait de laisser ses enfants à l’école au matin et d’aller les chercher le soir pour les conduire à leurs activités parascolaires.

[81] Plusieurs facteurs sont différents entre la cause Yeo et la situation du prestataire. La diminution considérable de la paye du prestataire est le premier facteur. De plus, pour chaque journée de travail, le prestataire était l’unique responsable de la garde de ses enfants d’âge scolaire, dont un souffrait de troubles psychosociaux reconnus, et il avait activement cherché un autre emploi avant de quitter le sien. Le prestataire se préoccupe du bien-être physique et psychologique de ses enfants lorsqu’ils sont à la maison, et il en est le seul responsable. À mon avis, sa situation diffère fondamentalement de la capacité d’une personne à conduire ses enfants à leurs activités.

[82] Outre la différence entre le soutien qu’offre un père à ses enfants et le rôle de supervision dont s’acquitte un gardien d’enfants rémunéré, la diminution de la rémunération du prestataire était telle qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il puisse payer un gardien en soirée tout en continuant d’assumer ses propres dépenses et celles liées ses enfants. Supposons qu’on confie au prestataire, dans une journée de travail, une affectation prévue à 17 h à une heure et demie de route de chez lui, et qu’il lui faut deux heures et demie pour terminer l’affectation; le prestataire reviendrait seulement chez lui à 21 h. Bien que cette situation ne se produise pas nécessairement chaque jour, il semble que le prestataire pourrait difficilement anticiper son horaire ou prendre d’avance des dispositions pour assurer la garde de ses enfants au besoin seulement.

[83] Le prestataire a fait des efforts pour trouver un autre emploi alors qu’il occupait toujours le sien, mais ses efforts ont été infructueux et il a fini par quitter son emploi. Compte tenu de toutes les circonstances, je conclus que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Le prestataire a été fondé à quitter son emploi.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 1er novembre 2018

Vidéoconférence

W. D., appelant

Me Carol Robillard, représentante de l’appelant

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