Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] Le prestataire a été recruté par l’entreprise Latécoère Interconnection inc. (Latécoère), un sous-traitant de Bombardier. Il a ensuite suivi une formation rémunérée entre le 22 et le 31 mai 2018 afin d’être en mesure de travailler sur le site de l’usine de Bombardier. Au terme de cette formation, le prestataire s’est fait proposer un poste à temps plein devant débuter dans les semaines suivant la formation. Le prestataire a toutefois refusé de signer la lettre d’offre qui lui a été remise par l’employeur.  

[3] Après avoir révisé le dossier, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a déterminé que le prestataire était fondé à quitter son emploi et lui a accordé des prestations.

[4] L’employeur conteste toutefois la décision de la Commission. La partie appelante fait valoir que le prestataire avait été avisé qu’il y aurait un court délai entre la fin de sa formation et la date de son entrée en poste, et que celui-ci a plutôt refusé de signer la lettre d’offre car il avait une autre opportunité avec un compétiteur.

Questions préliminaires

[5] Compte tenu des faits au dossier et à la demande de la partie appelante, le Tribunal a décidé de procéder par questions et réponses écrites dans le cadre de cet appel.

[6] Un avis d’audience comportant les questions adressées à chaque partie a été envoyé le 17 octobre 2018. Les instructions sur le document étaient en français, mais les questions s’adressant au prestataire étaient en anglais (GD1). Après avoir reçu l’avis d’audience, le prestataire a demandé à ce que les documents provenant du Tribunal soient traduits en anglais dans leur intégralité et a demandé une extension du délai pour présenter des observations, ce que le Tribunal a accordé. Un avis d’audience modifié et traduit a été envoyé à toutes les parties le 25 octobre 2018 (GD1A-E/F).

[7] Seule la partie appelante a répondu aux questions du Tribunal. Le Tribunal est convaincu que le prestataire a été avisé de la tenue de l’audience et qu’il a pu prendre connaissance des questions qui lui étaient adressées, puisqu’un accusé de réception au dossier démontre qu’il a reçu le nouvel avis d’audience en anglais et en français le 2 novembre 2018 (la date limite pour répondre était le 26 novembre). Le Tribunal a décidé de procéder en l’absence du prestataire, conformément au paragraphe 12(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

[8] Le prestataire a-t-il quitté volontairement son emploi chez Latécoère Interconnection inc.?

[9] Si oui, le prestataire était-il fondé à quitter volontairement son emploi? Autrement dit, le départ constituait-il la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances?

Analyse

[10] Selon l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi), un prestataire qui quitte volontairement son emploi sans justification est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Le prestataire est toutefois fondé à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, le départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas (alinéa 29c)).

[11] Il incombe à la Commission de prouver que le départ était volontaire, et au prestataire de démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi. (Green c. Canada (Procureur général) 2012 CAF 313)

[12] Donc, en premier lieu et avant de se pencher sur la question de la justification, le Tribunal doit d’abord déterminer s’il y a eu, dans ce dossier, une situation de départ volontaire.

Le prestataire a-t-il quitté volontairement son emploi chez Latécoère Interconnection inc.?

[13] Oui, le Tribunal considère que le prestataire a quitté volontairement son emploi, et ce, pour les raisons suivantes. 

[14] D’abord, il convient de faire un résumé des faits. Le prestataire a été recruté par Latécoère pour un poste d’assembleur dans le domaine de l’aéronautique. Comme condition à l’obtention d’un emploi, il devait réussir une formation obligatoire afin d’être en mesure de travailler sur le site de l’usine de Bombardier, l’un des clients de l’entreprise. Cette formation s’est déroulée du 22 au 31 mai 2018, et le prestataire a réussi la formation avec succès.

[15] Lorsque la formation fut terminée, le 1er juin 2018, l’employeur a fait au prestataire une offre d’emploi (GD3-26 et 27). La lettre préparée par l’employeur mentionne un emploi permanent à titre de «aerospace electrical harness assembler» à l’usine de Bombardier à X, en X. La lettre en question ne précise toutefois pas la date d’entrée en fonction. Selon le document, cette question sera déterminée prochainement, suite à des discussions avec le client.

[16] Après avoir pris connaissance de cette première lettre d’offre d’emploi, le prestataire a refusé de la signer. Il a expliqué que la lettre d’offre ne comportait pas de date de début ou de date de fin et qu’il n’était pas payé pendant la période d’attente entre la fin de sa formation et le son entrée en fonctions.  

[17] Quelques jours plus tard, l’employeur a transmis au prestataire une lettre d’offre amendée comportant une date de début. Le prestataire a toutefois refusé de la signer à nouveau. Il a mentionné que les délais étaient trop long et qu’il s’en allait travailler pour une autre entreprise.

[18] Le sous-alinéa 29)b.1)ii) de la Loi établit que le refus pour un prestataire de reprendre un emploi est assimilé à un départ volontaire.

[19] Dans ce dossier, le prestataire a été recruté par l’employeur pour travailler dans le domaine de l’aéronautique et son emploi a débuté le premier jour de la formation associée à cet emploi. Il était d’ailleurs rémunéré pendant cette formation et un poste dans l’entreprise lui était promis au terme de celle-ci. 

[20] Le prestataire a réussi la formation et, comme prévu, il s’est fait offrir un poste à temps plein à l’usine de Bombardier à X. Il est vrai que la lettre d’offre initiale ne comportait pas de date de début (GD3-26), mais, aux dires de l’employeur, ceci était normal et les nouveaux employés avaient été avisés qu’il pourrait y avoir un délai de quelques semaines entre la formation et l’entrée en fonction (GD7-2). L’employeur a préparé une deuxième lettre d’offre le 11 juin dans laquelle il est indiqué que la date d’entrée en fonctions sera le 18 juin (GD2-7). Deux jours plus tard, soit le 13 juin, le prestataire a officiellement informé l’employeur qu’il ne travaillerait pas pour l’entreprise (GD7-3).

[21] Aux yeux du Tribunal, le sous-alinéa 29)b.1)ii) de la Loi est applicable dans ce dossier. En effet, même si le prestataire devait effectuer une formation obligatoire avant d’entrer officiellement en poste, cette formation était rémunérée et directement reliée au poste qu’il devait occuper. Autrement dit, le prestataire n’a pas été recruté par Latécoère simplement pour suivre une formation; il a été recruté pour travailler comme assembleur et la formation rémunérée faisait partie intégrante de cet emploi.

[22] Dans ce contexte, on peut considérer la pause de 18 jours entre la fin de la formation et l’entrée en fonction comme une mise à pied temporaire, puisque le prestataire n’était pas rémunéré pendant cette courte période. Par la suite, tout indique que le prestataire a refusé de reprendre l’emploi pour lequel il avait été embauché et formé, un emploi à permanent et à temps plein. Le Tribunal considère que le prestataire a quitté volontairement son emploi.

Le prestataire était-il fondé à quitter volontairement son emploi? Autrement dit, le départ constituait-il la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances?

[23] Le Tribunal considère que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi pour les raisons suivantes.

[24] Dans la décision Canada (Procureur général) c. Laughland 2003 CAF 129, la Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel le régime d’assurance-emploi a pour objectif de protéger les personnes pour qui le fait de quitter est la seule solution raisonnable.

[25] Tel que mentionné précédemment, le prestataire a initialement refusé de signer la lettre d’offre datée du 1er juin, car elle ne contenait pas certaines informations, notamment la date de début. Toutefois, la preuve démontre que cet élément n’est pas la raison pour laquelle le prestataire a renoncé à son emploi chez Latécoère. En effet, lorsqu’il a officiellement avisé son employeur de sa décision de ne pas reprendre l’emploi, l’entrée en fonction du prestataire était déjà prévue pour le 18 juin. Une lettre d’offre amendée indiquant la date de sa première journée de travail lui avait d’ailleurs été envoyée deux jours plus tôt.

[26] La preuve démontre plutôt que le prestataire a renoncé à son emploi chez Latécoère afin de tenter d’obtenir un emploi directement auprès de Bombardier. En effet, le prestataire a été convoqué à un examen chez Bombardier le 12 juin 2018 (GD3-25), soit juste avant qu’il n’avise Latécoère qu’il ne reprendrait pas son emploi (GD7-3).

Assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat

[27] Le sous-alinéa 29c)vi) de la Loi prévoit qu’un prestataire peut être fondé à quitter son emploi s’il avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[28] Dans la décision Canada (PG) c. Bordage 2005 CAF 155, la Cour a établi que la notion «d’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat» exige que le prestataire, au moment de quitter son emploi, connaisse, à tous le moins, certaines informations précises relativement à sa future situation d’emploi. Par exemple, le prestataire devrait savoir s’il aura effectivement un autre emploi, quel sera cet emploi, pour quel employeur et à quel moment dans l’avenir est-ce que le nouvel emploi débutera. (voir aussi Canada (PG) c. Sacrey 2003 CAF 377 et Canada (PG) c. Shaw 2002 CAF 325)

[29] À la lumière de ces principes, le Tribunal ne croit pas qu’il soit possible de conclure que le prestataire avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat au moment où il a renoncé à son poste chez Latécoère.

[30] En effet, même s’il avait réussi l’examen de sélection de Bombardier, les déclarations du prestataire lui-même démontrent qu’il était encore dans le processus de sélection au moins jusqu’à la fin juillet 2018 et qu’il n’avait reçu aucune offre d’emploi ferme de la part de Bombardier. Dans sa demande de révision (datée du 30 juillet), il mentionne notamment (GD3-24) : «Having passed the exam, I was advised by the Human Resources Department at X to wait for next steps.» et «Unfortunately, I am informed that currently, there are some unresolved issues between the union and Bombardier came, which is delaying the hiring process. I received a call from X (X) and she advised me that the hiring process will resume in the middle of August.»

[31] Ainsi, le prestataire, ayant réussi cet examen de sélection, était un bon candidat pour un emploi chez Bombardier. Toutefois, au moment où il a renoncé à son emploi chez Latécoère, il n’avait aucune garantie qu’il serait effectivement embauché chez Bombardier et ne savait pas à quel moment dans l’avenir il serait en mesure de commencer à travailler pour cette entreprise, dans l’éventualité où il était embauché.

[32] Le Tribunal reconnait qu’avoir l’«assurance raisonnable» ne signifie pas nécessairement l’obtention d’une offre d’emploi formelle. Toutefois, la jurisprudence a établi que le niveau de certitude requis pour constituer une «assurance raisonnable» était juste avant une offre formelle (voir Sacrey, par. 14). Le critère à rencontrer est donc plutôt élevé.

[33] Le Tribunal considère que le prestataire n’avait pas l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat lorsqu’il a quitté Latécoère.

Solutions raisonnables

[34] Aux yeux du Tribunal, il aurait été raisonnable pour le prestataire d’accepter l’offre de Latécoère et de reprendre son emploi le 18 juin, plutôt que de se retrouver au chômage pendant plusieurs semaines supplémentaires en attendant l’issue incertaine d’un processus de sélection auprès d’un autre employeur.

[35] Le Tribunal reconnait que le prestataire voulait améliorer son sort en tentant sa chance auprès d’un autre employeur offrant des conditions de travail plus intéressantes à ses yeux. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a confirmé à maintes reprises que le fait de quitter un emploi pour améliorer sa situation ne constitue pas une justification au sens de la Loi. (Voir notamment Canada(PG) c. Langevin 2011 CAF 163; Canada (PG) c. Richard 2009 CAF 122; Canada (PG) c. Langlois 2008 CAF 18)

[36] Le Tribunal conclut que le prestataire a quitté volontairement son emploi en renonçant à retourner au travail après la réussite de sa formation rémunérée par l’employeur. Le Tribunal considère que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi, puisque le départ ne constituait pas la seule solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

Conclusion

[37] L’appel est accueilli.

[38] Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations à partir du 18 juin 2018, soit la date à laquelle il était censé reprendre son emploi chez Latécoère, conformément au sous-alinéa 29)b.1)ii) de la Loi.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

S/O

Questions et réponses écrites

Mme. Sonia Robillard pour la partie appelante, Latécoère Interconnection inc.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.