Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli, et j’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre.

Aperçu

[2] L’appelant, Z. T. (prestataire), a été congédié par son employeur pour s’être disputé avec un autre employé dans les logements du personnel où résidait le prestataire. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a établi que le prestataire avait été congédié pour inconduite, et que le prestataire avait par conséquent été exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. La Commission a maintenu sa décision lorsque le prestataire a demandé une révision. Le prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais l’appel a été rejeté. Il porte maintenant cette décision en appel devant la division d’appel.

[3] L’appel est accueilli. La division générale a conclu que la participation du prestataire à une dispute était de l’inconduite sans tenir compte de la preuve.

[4] Le prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations pour avoir perdu son emploi en raison de son inconduite parce que, d’après les faits portés à ma connaissance, le fait de se disputer ne constitue pas une inconduite.

Question en litige

[5] La division générale a-t-elle estimé comme un fait que le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa participation à une dispute pourrait mener à son congédiement, de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

Analyse

Principes généraux

[6] La tâche de la division d’appel est plus restreinte que celle de la division générale. La division générale doit examiner et apprécier les éléments de preuve portés à sa connaissance et tirer des conclusions de fait. Pour ce faire, la division générale doit appliquer le droit aux faits et tirer des conclusions sur les questions de fond soulevées par l’appel.

[7] Cependant, la division d’appel peut intervenir dans une décision de la division générale seulement si elle peut déterminer que cette dernière a commis l’une des erreurs correspondant aux « moyens d’appel » prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[8] Les moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
La division générale a-t-elle estimé comme un fait que le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa participation à une dispute pourrait mener à son congédiement, de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[9] La décision de la division générale n’était pas fondée sur la conduite réelle représentée par la dispute, mais simplement sur le fait qu’il était connu qu’une dispute avait eu lieu. Peu d’éléments de preuve ont été portés à la connaissance de la division générale qui auraient pu lui permettre d’évaluer la conduite réelle du prestataire.

[10] La division générale a décrit la dispute comme un [traduction] « acte de violence ou comportement inappropriéNote de bas de page 1 », mais elle n’a pas expliqué quel élément de preuve lui a permis de tirer cette conclusion. Le code de conduite contenu dans le manuel de l’employé, auquel la division générale fait référence, ne définit pas la dispute comme étant de la violence. Il précise ainsi les conduites que l’employeur considère comme inacceptables : [traduction] « les menaces, la violence physique, le langage abusif [et] le harcèlement d’un autre employé ».

[11] Le prestataire avait présenté à la Commission une déclaration selon laquelle un collègue s’était rendu à la résidence du prestataire et s’était disputé avec luiNote de bas de page 2, ce qu’il a aussi décrit comme étant une [traduction] « bagarreNote de bas de page 3 ». L’employeur a aussi présenté une déclaration à la Commission. Il a affirmé que le prestataire s’était disputé avec l’autre employé, qu’il a cru qu’ils allaient avoir une altercation physique, et qu’il est intervenu pour empêcher une altercation physique. L’employeur a mentionné qu’il pouvait constater des [traduction] « signes visibles » selon lesquels le prestataire était en état d’ébriétéNote de bas de page 4.

[12] La déclaration de l’employeur ne comprenait aucune autre précision qui aurait pu aider la division générale à qualifier la dispute de violente ou d’inappropriée. Par exemple, aucune précision ne permet de déterminer :

  • si le prestataire était l’agresseur ou un participant consentant, ou s’il cherchait à éviter toute intensification;
  • quels étaient les signes visibles observés par l’employeur qui laissaient entendre que le prestataire était en état d’ébriété;
  • comment il a su que ces signes étaient liés à l’alcool;
  • la mesure dans laquelle le prestataire était [traduction] « en état d’ébriété »;
  • si une bagarre était sur le point de se produire;
  • si l’intervention de l’employé était nécessaire ou appropriée.

[13] La division générale ne s’est pas appuyée sur la représentation des événements par l’employeur et elle n’a pas évalué si, dans cadre de la dispute, le prestataire a tenu une conduite bel et bien jugée inacceptable dans le code de conduite de l’employeur. Elle a établi que le prestataire a rompu le contrat d’emploi pour cause de dispute, sans analyser si le comportement du prestataire était menaçant, violent, abusif ou donnait lieu à du harcèlement.

[14] Le manuel de l’employé, ni aucun autre document ou aucune autre déclaration de l’employeur ou de toute autre partie, ne laisse entendre qu’il s’agit d’une condition d’emploi pour les employés de ne pas se disputer entre eux pendant qu’ils vivent dans les logements gérés par l’employeur. Cela n’est pas non plus quelque chose d’évident intuitivement.

[15] Le terme [traduction] « dispute » couvre un large spectre de comportements : certains sont acceptables et d’autres ne le sont pas. La division générale mentionne à juste titre que l’inconduite doit constituer un manquement à une obligation qui est explicite ou implicite, mais elle n’a pas expliqué sur quel fondement elle a considéré que le prestataire avait, envers son employeur, une obligation explicite ou implicite d’éviter les disputes.

[16] Je note que la division générale a aussi fait référence à trois avertissements que le prestataire avait reçusNote de bas de page 5. Le premier concernait un accident dans lequel avait été impliqué le prestataire lors d’une journée personnelle. Bien qu’on mentionne qu’il s’agit d’un avertissement, il s’agissait en fait de la réponse de l’employeur à la demande de congé du prestataire. Le deuxième avertissement, daté du 8 août 2016, concernait un dérangement dans le cadre duquel du mobilier avait été endommagé à la résidence. Plusieurs personnes avaient été averties, y compris le prestataire, parce que l’employeur ne pouvait pas déterminer ce qui était arrivé ni qui en était responsable. Dans le troisième avertissement, daté du 10 décembre 2016, le prestataire a été averti pour s’être présenté au travail en état d’ébriété.

[17] On ne peut établir avec certitude si la division générale a considéré que ces avertissements ont pu accroître la probabilité que le prestataire ait su ou aurait dû savoir qu’il serait congédié pour avoir participé à une dispute. À mon avis, seul le dernier avertissement peut être considéré comme une confirmation d’une inconduite antérieure de la part du prestataire, et cet avertissement concernait un type de comportement différent de celui de la participation à une dispute, à la résidence fournie par l’employeur, pendant ses heures libres. Ces avertissements ne laissent pas entendre que le requérant avait l’obligation d’éviter de se disputer ou qu’il aurait dû savoir qu’il pourrait être congédié pour s’être disputé.

[18] La conclusion de la division générale selon laquelle le prestataire a rompu le contrat d’emploi ne découle simplement pas de sa participation à une dispute et a donc été tirée de façon abusive et arbitraire. J’estime que la division générale a commis une erreur au titre de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS en concluant que le prestataire a tenu une conduite qui, comme il le savait ou aurait dû le savoir, pouvait mener à son congédiement.

Conclusion

[19] L’appel est accueilli.

Réparation

[20] L’article 59 de la Loi sur le MEDS me permet de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour révision, de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision rendue par la division générale. À mon avis, le dossier est complet, et je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[21] L’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE) prévoit qu’un requérant qui est congédié pour inconduite est exclu du bénéfice des prestations. La division générale a noté à juste titre que l’inconduite doit constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail.

[22] Le registre des appels téléphoniques de la Commission montre que l’employeur était d’avis que le prestataire avait bu et qu’il croyait également que la dispute était sur le point de se transformer en altercation physique lorsqu’il est intervenu. Dans sa demande de prestations du 7 février 2017, le prestataire décrit que la raison de son congédiement était qu’il se disputait avec un collègueNote de bas de page 6. Il a déclaré [traduction] « s’être disputé avec un collègue » et a répété [traduction] « s’être disputé au travail pendant les heures de travail » lors d’une discussion avec la Commission le 7 mars 2017Note de bas de page 7. On a consigné plus tard qu’il a dit avoir eu une [traduction] « bagarre avec un autre employé », en faisant référence au même incident.

[23] Il incombe à la Commission de démontrer l’inconduite. Les déclarations de l’employeur ne révèlent pas le fondement de ses croyances et ne sont pas corroborées. La division générale ne s’est pas appuyée sur la preuve de l’employeur et n’a pas conclu explicitement que le prestataire était physiquement agressif, menaçant ou intoxiqué, et a plutôt conclu que l’inconduite était démontrée sur le fondement de la participation du prestataire à une dispute.

[24] J’accepte que la seule conduite qui est démontrée par la preuve portée à la connaissance de la division générale est la participation à une dispute verbale avec un autre employé à sa résidence gérée par l’employeur, rien de plus et rien de moins.

[25] Ni le manuel de l’employé ni aucun des avertissements antérieurs reçus par le prestataire ne mentionne la [traduction] « dispute » comme étant un comportement interdit ou une conduite qui pourrait donner lieu au congédiement. J’estime que le prestataire n’avait pas un devoir explicite ou implicite envers son employeur de ne jamais prendre part à une dispute.

[26] Si le prestataire n’avait pas l’obligation d’éviter de se disputer avec une autre personne dans sa résidence, alors on ne peut pas dire que le prestataire savait ou aurait dû savoir que son congédiement était une possibilité réelle par suite de sa dispute. Par conséquent, j’estime que la dispute du prestataire ne constituait pas de l’inconduite au sens de l’article 30 de la Loi sur l’AE et que la conduite du prestataire n’était pas de nature à l’exclure du bénéfice des prestations.

Mode d’instruction :

Observations :

Questions et réponses

Z. T., appelant
C. Walker, pour l’intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.