Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] Après avoir purgé une partie d’une peine de prison pour avoir commis diverses infractions, l’appelant a obtenu une libération conditionnelle à partir du 18 septembre 2018. À titre de condition de libération, l’appelant s’est engagé à suivre une thérapie contre la dépendance au Pavillon X (le Pavillon) entre le 18 septembre 2018 et le 13 décembre 2018. Il a présenté une demande de prestations de maladie dès le début de sa thérapie.

[3] La Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a toutefois refusé de verser des prestations à l’appelant pendant sa thérapie au Pavillon, car elle a déterminé que l’appelant était détenu dans une prison ou un établissement semblable.

[4] L’appelant conteste la décision de la Commission. Il soutient que le Pavillon X n’est pas une prison ou un établissement semblable et qu’il n’y est pas détenu. De plus, il considère qu’il est malade et qu’il doit suivre ce traitement contre la dépendance.

Question en litige

[5] L’appelant est-il inadmissible à recevoir des prestations de maladie pendant sa thérapie au Pavillon X? Autrement dit,

  1. L’appelant est-il détenu dans une prison ou un établissement semblable selon l’article 37 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi)?
  2. Si oui, l’appelant peut-il quand même recevoir des prestations en vertu des dispositions de l’article 54 du Règlement sur l’assurance-emploi (le Règlement)?
  3. L’appelant est-il incapable de travailler par suite d’une maladie? Si oui, aurait-il été sans cela disponible pour travailler?

Analyse

Mise en contexte

[6] L’appelant purge depuis le 20 décembre 2017 une peine de prison de 516 jours d’incarcération pour avoir commis diverses infractions. Le 9 juin 2018, la Commission des libérations conditionnelles du Québec (CLCQ) lui a octroyé une libération conditionnelle avec hébergement au X, une maison de transition.

[7] Le 17 août 2018, cette libération conditionnelle a toutefois été suspendue, car l’appelant avait développé un problème de dépendance au jeu alors qu’il était en maison de transition. Puisque la maison de transition n’était pas en mesure de gérer ce problème de dépendance et de fournir de l’aide à l’appelant, celui-ci a dû être renvoyé au pénitencier, où il a été incarcéré pendant un mois.

[8] Le 17 septembre 2018, la CLCQ a annulé la suspension de la libération conditionnelle de l’appelant. Dans le cadre de ses conditions de libération, elle lui a toutefois imposé de séjourner au Pavillon X, un centre de traitement des dépendances, pour suivre une thérapie fermée d’une durée de 3 mois avant de pouvoir retourner en maison de transition (GD3-39 à 42). Considérant être malade, l’appelant a déposé une demande pour obtenir des prestations de maladie dès le 18 septembre, certificat médical à l’appui (GD3-19).

[9] En refusant de verser des prestations, la Commission a initialement invoqué les dispositions de l’article 37 de la Loi. Elle a déterminé que l’appelant était détenu dans une prison ou un établissement semblable et lui a imposé une inadmissibilité à partir du 20 août 2018 (GD3-25). Lors de la révision, la Commission a toutefois invoqué le concept de disponibilité en mentionnant : « N’eût été de votre maladie, vous avez l’obligation de résider dans une prison ou dans une institution semblable. » (GD3-46). Dans ses soumissions, la Commission soutient toutefois qu’il s’agit d’une «erreur d’écriture» et que la lettre de révision aurait simplement dû indiquer : « Détenu dans une prison ou un établissement semblable. » (GD4-4)

[10] Bien qu’il s’agisse peut-être d’une erreur d’écriture, il n’en demeure pas moins que la Commission n’avait pas tort en abordant la disponibilité de l’appelant, puisque les concepts de « disponibilité » et de « détention dans une prison ou un établissement semblable » sont fortement reliés (Garland c Commission Canadienne de l’emploi et de l’immigration, A-1132-84). 

[11] Ces deux notions sont donc pertinentes dans le contexte du présent dossier afin de déterminer si l’appelant est bel et bien visé par les dispositions de l’article 37 de la Loi alors qu’il séjourne au Pavillon et s’il peut recevoir des prestations de maladie pendant cette période.

[12] Le Tribunal constate aussi que la Commission a imposé une inadmissibilité à l’appelant à partir du 20 août 2018. Ceci est curieux, étant donné que la demande de prestations de maladie ne prend effet qu’à partir du 23 septembre 2018 (GD4-1). Quoi qu’il en soit, personne ne remet en question le fait que l’appelant était inadmissible au bénéfice des prestations alors qu’il était incarcéré du 17 août 2017 au 18 septembre 2018, suite à la suspension de sa libération conditionnelle. La décision du Tribunal porte donc uniquement sur la demande de prestations de maladie et sur l’admissibilité de l’appelant à ce type de prestations à partir de la semaine du 23 septembre 2018, alors qu’il était hébergé au Pavillon.

L’appelant est-il inadmissible à recevoir des prestations de maladie pendant sa thérapie au Pavillon X?

[13] Le Tribunal considère que l’appelant n’est pas inadmissible à recevoir des prestations de maladie pendant la période en litige, et ce pour les raisons suivantes.  

L’appelant est-il détenu dans une prison ou un établissement semblable?

[14] Un prestataire ne peut recevoir des prestations d’assurance-emploi pour toute période au cours de laquelle il est détenu dans une prison ou un établissement semblable (art. 37 de la Loi).

[15] Toutefois, le prestataire qui est détenu dans une prison ou un établissement semblable et à qui a été accordé, pour chercher et accepter un emploi dans la société, une libération conditionnelle, une semi-liberté, une permission de sortir ou un certificat de disponibilité n’est pas inadmissible au bénéfice des prestations du seul fait de l’application de l’article 37 de la Loi. (Article 54 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement).

[16] D’abord, il convient de noter que lorsqu’il séjournait en maison de transition, avant d’être envoyé au Pavillon, l’appelant avait droit à des prestations régulières puisqu’il pouvait sortir et n’avait pas de restrictions pour se chercher un emploi (GD3-44, GD4-4). Ainsi, tout porte à croire que, pendant cette période, l’appelant était détenu dans un établissement semblable à une prison au sens de l’article 37 de la Loi (la maison de transition), mais qu’il remplissait les exigences de l’exception prévue à l’article 54 du Règlement, puisqu’il avait la possibilité de se chercher et d’accepter un emploi.

[17] Une fois admis au Pavillon X, la situation de l’appelant a toutefois changé. En effet, la thérapie suivie par l’appelant au Pavillon X est un programme fermé que l’appelant a accepté de suivre, à la demande de la CLCQ, afin de lui permettre de traiter une dépendance. Il semble que les maisons de transition qui accueillent normalement les personnes en libération conditionnelle, tel le X, n’aient pas la capacité de fournir ce genre de soins spécialisés et de prendre en charge des personnes ayant de tels problèmes. C’est d’ailleurs pourquoi la libération conditionnelle de l’appelant a été suspendue après quelques mois en maison de transition : il avait développé un problème de jeu que la maison de transition n’était pas en mesure de gérer (GD3-31).

[18] Les nouvelles conditions auxquelles l’appelant est assujetti dans le cadre de sa libération conditionnelle sont strictes et la complétion du programme contre la dépendance au Pavillon X fait partie intégrante de ces conditions (GD3-34).

[19] Le personnel du Pavillon confirme que l’appelant n’est pas détenu et n’est pas tenu de demeurer sur place 24h/24, mais qu’il est en thérapie fermée. Ainsi, il ne peut pas aller dormir chez lui les soirs de semaine. Selon P. P., témoin et agent de liaison du Pavillon, l’appelant peut sortir les fins de semaines et les mercredis et vendredis après-midi. Le reste du temps, il doit suivre sa thérapie au Pavillon. L’appelant confirme d’ailleurs lui-même qu’il peut effectivement sortir pour aller faire des courses, mais qu’il doit être présent au pavillon pour ses trois thérapies par jour et qu’il ne pourrait pas occuper un emploi à temps plein dans ces conditions.

[20] Dans la décision Crupi c Commission canadienne de l’emploi et de l’immigration, A-451-85 , la Cour d’appel fédérale a déterminé qu’un hôpital n’était pas une prison ou un établissement semblable. Ainsi, selon cette décision, une personne malade devant séjourner dans un hôpital pour une période donnée suite à une ordonnance de la Cour pourra recevoir des prestations de maladie, puisque l’intention du législateur est de permettre aux prestataires qui ne sont pas disponibles au travail par suite d’une maladie de recevoir ce type de prestations.

[21] Le Pavillon X est un organisme qui fournit de l’aide et du soutien aux personnes souffrant de dépendances, tel l’alcoolisme ou la toxicomanie. Selon M. Poisson, l’agent de liaison du Pavillon, la grande majorité des personnes fréquentant le Pavillon sont présentes de leur propre initiative et n’ont pas à se conformer à une quelconque ordonnance de la Cour ou de la CLCQ. Ces personnes ont généralement été référées par des hôpitaux, CLSC ou des organismes communautaires. Seules 20% des personnes hébergées au Pavillon sont judiciarisées et sont assujetties à des conditions particulières. Les personnes hébergées au Pavillon y sont généralement sur une base volontaire, puisqu’elles doivent être motivées à réussir leur traitement (GD6- 74 à 109).

[22] Ainsi, bien que le Pavillon ne soit évidemment pas un hôpital, cet organisme a malgré tout le mandat de fournir des soins à des personnes souffrant d’une maladie (la dépendance). L’appelant éprouve une dépendance à l’alcool qui, selon son agent de liaison, s’est transformée en dépendance au jeu de hasard alors qu’il était en maison de transition; il séjourne donc dans ce centre parce qu’il doit recevoir un traitement spécialisé contre cette dépendance.

[23] D’ailleurs, l’agent de liaison du Pavillon a réitéré que son centre n’était en aucun cas une prison ou un établissement de détention, même s’il leur arrivait d’héberger des personnes assujetties à des conditions particulières imposées par une cour ou la CLCQ.

[24] Dans son argumentaire, la Commission soutient que le critère qui doit être utilisé pour établir si un établissement peut être qualifié de semblable à une prison consiste à déterminer si le séjour dans un tel lieu est utilisé à des fins de détention ou de punition. Dans le cas de l’appelant, la Commission s’appuie sur le fait que la thérapie lui a été imposée par la CNLC, qu’il n’avait pas le choix de suivre ce programme et qu’il serait en liberté illégale s’il devait s’en absenter pour conclure que l’appelant était bien dans une prison ou un établissement semblable.

[25] Le Tribunal reconnait que la notion de « prison ou établissement semblable » peut faire référence à d’autres types d’établissements qui retiennent des personnes en détention dans des conditions ou pour des raisons similaires à celles des pénitenciers (Garland et Crupi, précitées). Toutefois, il ne faut pas non plus trop s’éloigner du libellé de l’article 37, qui fait clairement référence à la qualification de l’établissement où le séjour à lieu (qui doit être une prison ou quelque chose de semblable) et non aux conséquences particulières qui pourraient survenir si l’appelant ne respectait pas une de ses conditions de libérations.

[26] Qui plus est, et contrairement à ce que soutient la Commission, le Tribunal considère que la thérapie suivie par l’appelant au Pavillon n’a pas un but punitif. En effet, même s’il est vrai que les conditions dans lesquelles l’appelant suit sa thérapie comportent des similarités avec une détention, puisqu’il peut seulement sortir du Pavillon à des moments prédéterminés, cette limitation à sa liberté est une conséquence des nécessités particulières de sa thérapie, qui se déroule en milieu fermé. Autrement dit, même si l’appelant est toujours sous le coup d’une sentence, son confinement obligatoire au Pavillon est relié au traitement de sa dépendance et n’a pas un but principalement punitif.

[27] Ainsi, le Tribunal considère que le Pavillon X ne peut pas être considéré comme une prison ou un établissement semblable au sens où la Loi l’entend. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas pertinent pour le Tribunal de se pencher sur l’applicabilité de l’article 54 du Règlement au présent cas.

L’appelant est-il incapable de travailler par suite d’une maladie? Si oui, aurait-il été sans cela disponible pour travailler?

[28] Un prestataire est inadmissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi pour tout jour ouvrable d’une période de prestation où il ne peut prouver :

  1. qu’il est capable de travailler et disponible à cette fin, mais incapable d’obtenir un emploi convenable, ou
  2. qu’il est incapable de travailler par suite d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine prévue par règlement et aurait été sans cela disponible pour travailler.
    (Article 18 de la Loi)

[29] D’emblée, le Tribunal est prêt à reconnaitre que les dépendances, que ce soit à la drogue, à l’alcool ou au jeu constituent des maladies. Ainsi, une personne qui démontre être incapable de travailler en raison d’une telle maladie devrait normalement pouvoir recevoir des prestations de maladie au terme de l’alinéa 18(1)b) de la Loi.

[30] Dans le présent dossier, le Tribunal n’a pas de raisons de douter de l’incapacité à travailler de l’appelant pendant la période en litige. D’abord, il a déposé un certificat médical appuyant cette incapacité à travailler entre le 18 septembre 2018 et le 14 décembre 2018 (GD-19). Ensuite, sa version des faits concernant la nécessité de traiter adéquatement ses problèmes de dépendance est crédible, constante et appuyée par la preuve au dossier, notamment la décision rendue par la CNLC (GD3-33).

[31] Aux yeux du Tribunal, il n’y a rien qui empêcherait l’appelant d’être disponible pour chercher et obtenir un emploi convenable s’il n’était pas malade. En effet, dans cette situation, celui-ci aurait manifestement poursuivi son séjour en maison de transition afin de compléter sa réintégration en société et aurait continué de recevoir des prestations régulières.

[32] À titre illustratif, pour reprendre l’exemple cité par son représentant : si l’appelant s’était blessé pendant son séjour en maison de transition et avait dû être hospitalisé pour y recevoir des soins médicaux, celui-ci aurait probablement eu droit à des prestations de maladie pendant son séjour à l’hôpital. Pour le Tribunal, la même logique est applicable à la situation de l’appelant au Pavillon, puisqu’il a dû être envoyé dans ce centre spécialisé pour recevoir des soins visant à  traiter ses dépendances.

[33] Aux yeux du Tribunal, bien qu’il soit vrai que l’appelant n’était pas capable ou disponible pour chercher et occuper un emploi pendant son séjour au Pavillon, cette situation était due aux exigences de la thérapie obligatoire qu’il devait suivre pour traiter sa maladie, et non aux conditions particulières de sa détention. En l’absence de cette maladie, l’appelant serait demeuré en maison de transition et aurait été disponible pour chercher et occuper un emploi.

[34] Le Tribunal considère que l’appelant a démontré son incapacité à travailler pour raison de maladie pendant son séjour au Pavillon. Il a aussi démontré qu’il aurait été, sans cette maladie, disponible pour travailler.

Conclusion

[35] L’appel est accueilli. L’appelant n’est pas inadmissible à recevoir des prestations de maladie pendant son séjour au Pavillon.

[36] Il convient de préciser que le séjour de l’appelant au Pavillon doit se terminer au cours de la semaine du 10 décembre. À la fin de son séjour, l’appelant retournera en maison de transition pour poursuivre sa réintégration en société, et pourrait donc être admissible à recevoir des prestations régulières, sous réserve des dispositions législatives entourant de versement de ces prestations.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

11 décembre 2018

Téléconférence

C. D., appelant
Me Jean-Guy Ouellet, représentant de l’appelant
P. P., témoin et agent de liaison du Pavillon X.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.