Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant travaillait depuis novembre 2006 pour le même employeur, la compagnie Jarvis Industries Canada ltd., fournisseuse d’équipements et de machinerie destinés aux usines de transformation de viande animale, communément appelées abattoirs. Il occupait le poste de représentant technique pour la province de Québec et les provinces maritimes. Suite à un changement à la direction de l’entreprise en 2016, nombreux changements de procédures ont été instaurés. L’appelant était en désaccord avec certains changements, notamment le retrait de certains pouvoirs et responsabilités, la réduction de son accès aux informations critiques de ses clients et l’introduction de procédures plus lourdes, rigides et qu’il considère inutiles. L’appelant a décidé de quitter son emploi en raison des modifications à ses conditions de travail et par surcroit parce que l’employeur n’aurait pas honoré l’augmentation de salaire qui avait été promise.

[3] La Commission de l’assurance-emploi (la Commission) a jugé que l’appelant n’était pas fondé de quitter volontairement son emploi et par conséquent l’a exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Questions préliminaires

[4] L’audience s’est tenue en personne, mais l’employeur a participé par téléconférence en raison de sa distance significative du lieu de l’audience. L’audience s’est déroulée en français au choix de l’appelant. L’employeur a bénéficié des services d’un interprète afin de traduire l’audience et aussi de lui permettre de s’exprimer en anglais à l’audience, ce qui était la langue de son choix.

Questions en litige

[5] Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’appelant a-t-il subi une modification importante de ses fonctions?
  2. Le départ volontaire de l’appelant constituait-il la seule solution raisonnable dans ses circonstances?

Analyse

[6] Bien que dans son avis d’appel, l’appelant ait écrit se sentir victime d’un congédiement déguisé, cet argument n’a pas été repris par l’appelant ou sa représentante lors de l’audience et la totalité de la preuve déposée ne couvre pas cette piste. Je considère donc qu’il est admis par l’appelant qu’il a lui-même pris la décision de quitter son emploi en mars 2018.

[7] La question globale qui doit être analysée par le Tribunal est si l’appelant était fondé à quitter son emploi selon la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). En règle générale, une personne qui quitte son emploi de façon volontaire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (article 30 de la Loi). Je reconnais cependant la Loi prévoit des exceptions et que parfois une personne peut être fondée à quitter volontairement son emploi et être éligible aux prestations d’assurance-emploi. Le fardeau de preuve revient à l’appelant.

[8] Le Tribunal s’est penché sur les motifs de départ de l’appelant dans son analyse en répondant aux questions suivantes :

Question en litige no 1 : L’appelant a-t-il subi une modification importante de ses fonctions?

[9] Le paragraphe 29 c) de la Loi énonce une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent justifier le fait qu’une personne quitte volontairement son emploi. Par exemple, le sous-paragraphe 29c)(ix) de la Loi prévoit qu’une modification importante des fonctions peut rendre le départ volontaire justifié.

[10] En l’espère, je conclue que l’appelant a subi une modification importante de ses fonctions.

[11] L’appelant a expliqué qu’en 2016, le directeur de la compagnie a quitté et que deux nouvelles personnes sont arrivées en poste à la direction (S. et J.). Il ajoute que tout s’est bien passé au début avec les nouveaux gestionnaires, mais qu’au fil du temps, de nouveaux règlements ont été introduits ainsi que plusieurs changements dans ses fonctions.

[12] En août 2017, l’appelant a subi un infarctus du myocarde suite auquel il a été en arrêt de travail durant environ quatre mois. L’appelant indique que les modifications les plus significatives dans ses fonctions sont survenues durant son congé de maladie. Il note que durant sa convalescence, il a continué à jeter un coup d’œil aux courriels du travail et a pris connaissance des courriels de S., le directeur, avisant de changements dans les façons de faire, ce qu’il a constaté plus concrètement à son retour en janvier 2018.

[13] Parmi ces changements, l’appelant indique qu’un GPS a été mis sur le camion d’entreprise qu’il utilisait dans le cadre de son travail, l’introduction de l’obligation de faire l’inventaire du matériel se retrouvant dans son camion chaque mois au lieu de deux fois par année. L’appelant affirme qu’il n’était pas d’accord et que cette nouvelle obligation lui faisait perdre une journée de travail par mois et qu’il estimait qu’il s’agissait d’une perte de temps. Il soutient de plus que l’employeur lui a retiré l’accès aux rapports de vente, un outil de travail qu’il estimait crucial pour bien faire son travail. Son compte courriel de compagnie, mais particulier a été fermé et il devait maintenant utiliser une adresse courrielle générique pour tout le territoire du Québec au nom de « Québec Sales ». Il n’avait plus la tâche de fournir des soumissions aux clients, cette tâche ayant été rapatriée par les gens du bureau. Il indique qu’il jouissait d’une certaine discrétion à l’époque relativement aux crédits pouvant être accordés à ses clients, mais qu’il devait dorénavant obtenir l’approbation à chaque fois. L’appelant a aussi exprimé son désaccord avec la nouvelle politique de pourboires selon laquelle il devait maintenant laisser 10% de pourboire au restaurant lors de ses déplacements au lieu du 15% habituel.

[14] L’employeur reconnait avoir mis de l’avant les changements soulevés par l’appelant. Il souligne que ces changements étaient de nature administrative soit provenant du bureau chef, soit parce que la nouvelle administration a jugé nécessaire de faire certains ajustements pour le bien de l’entreprise et un contrôle plus adéquat de l’information, des dépenses et des tarifs accordés aux clients ainsi que pour un fonctionnement plus efficace. Il soutient que les changements implantés n’ont jamais modifié les conditions de travail comme telles ou l’essence du travail de l’appelant.

[15] L’employeur soutient de plus que contrairement aux prétentions de l’appelant, les deux nouvelles personnes à la direction de Jarvis Industries Canada ltd. n’ont pas été embauchées afin de restructurer la compagnie. Il affirme cependant qu’en tant que nouveau gestionnaire, il était dans leur mandat de voir à gestion efficace de l’entreprise, la résolution de problème et comme dans toute compagnie, l’analyse et l’amélioration constante des stratégies et opérations.

[16] Je retiens de la preuve que l’appelant a vécu plusieurs changements des processus internes et procédures en milieu de travail depuis 2016, particulièrement vers la fin de 2017. J’estime que les changements de politiques internes, par exemple sur le remboursement des pourboires, les rapports de dépenses et l’accès à l’information n’ont modifié en rien les fonctions de l’appelant. Il en est de même pour l’installation d’un GPS sur son véhicule de compagnie. Malgré ces changements, il continuait toujours à remplir les mêmes fonctions, avec quelques modifications dans l’application des procédures. Cependant, j’estime que certains changements ont affecté son autonomie et sa capacité à prendre certaines décisions au sein de l’entreprise, ce qui vient modifier ses fonctions comme telles. J’estime que le retrait de certaines responsabilités constitue un changement dans les fonctions d’un employé.

[17] Je note que l’appelant a exprimé sa frustration concernant sa dernière augmentation salariale qui était de 3% contrairement à l’augmentation de 10% qu’il avait reçue l’année précédente. Il affirme que l’employeur lui avait promis une augmentation salariale de cette ampleur, ce qui ne s’est pas concrétisé. Je ne traiterai pas de ce point séparément puisque l’appelant a clairement établi lors de l’audience que la réelle raison de son départ était la modification de ses fonctions et que la déception de son augmentation salariale n’avait été qu’une goutte qui a fait déborder le vase. Dans ces circonstances, l’augmentation salariale de l’appelant sera prise en compte à la prochaine question en analysant le contexte du départ de l’appelant.

Question en litige no 2 : Le départ volontaire de l’appelant constituait-il la seule solution raisonnable dans ses circonstances?

[18] Afin de déterminer si l’appelant était fondé à quitter son emploi, ce dernier doit de plus démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas (Canada (Procureur général) c. Patel, 2010 CAF 95 (Patel), Bell, A-450-95, Landry, A-1210-92). En effet, le juge Létourneau dans la décision Hernandez rappelle qu’en conjonction avec les exceptions citées à l’article 29 de la Loi, il est impératif de considérer aussi si le fait de quitter volontairement son emploi constituait la seule solution raisonnable et que de ne pas le faire constituerait une erreur de droit (Hernandez, 2007 FCA 320).

[19] Dans le présent cas, je conclus que le départ de l’appelant ne constituait pas la seule solution raisonnable dans ses circonstances, pour les raisons qui suivent.

[20] L’appelant soutient que la Commission a appliqué le test relatif aux départs volontaires de façon erronée. Citant la Cour d’appel fédérale dans Chaoui, 2005 CAF 66, il avance que la Commission a pris sa décision en analysant si le départ constituait la seule solution raisonnable alors qu’il fallait aussi analyser l’aspect des modifications des conditions d’emploi. J’admets que la Commission s’est plutôt concentrée sur l’insatisfaction de l’appelant concernant son augmentation de salaire que sur une modification importante des fonctions de l’appelant. Il fallait effectivement en tenir compte dans l’analyse du départ volontaire.

[21] Cependant, je ne crois pas que la Commission ait appliqué le test de façon erronée. Elle a considéré, tel qu’indiqué dans son argumentaire, les griefs de l’appelant concernant les changements au travail. Par contre, elle a simplement conclut que la réelle raison du départ de l’appelant était cette insatisfaction par rapport à l’augmentation salariale, ce qui explique son penchant pour cette raison dans son analyse.

[22] J’aimerais de plus rappeler que l’analyse se fait en deux temps et qu’essentiellement, le test ultime est bel et bien de démontrer que dans les circonstances d’une personne, le départ volontaire constituait la seule solution raisonnable (Canada (PG) c. White, 2011 CAF 190). Un prestataire peut rencontrer une des circonstances listées à l’article 29 de la Loi sans pouvoir faire la démonstration que son départ constituait la seule solution raisonnable. Le cas échéant, il devrait être exclu du bénéfice des prestations.

[23] Ainsi, bien que l’appelant ait subi une modification importante de ses fonctions, conformément au sous-paragraphe 29c)(ix) de la Loi, il lui reste une étape à franchir pour renverser son exclusion des prestations.

[24] En l’espèce, j’estime que l’appelant s’est senti attaqué et dégradé de se voir retirer certaines responsabilités et l’a très mal pris. Selon les déclarations de l’appelant, j’estime que c’est son égo qui a été affecté. Je comprends que l’appelant a joui d’une importante discrétion et d’un certain pouvoir durant plusieurs années au sein de l’entreprise dans le cadre de ses fonctions et que cette perte d’autonomie est difficile. Cependant, l’appelant ne m’a pas convaincu que les difficultés rencontrées par ces changements de culture d’entreprise l’aient laissé sans autre choix que de quitter.

[25] Un désaccord avec certains changements d’ordre administratifs et de ne pas vouloir accepter une légère perte de pouvoirs relève plutôt d’une décision personnelle à mon avis. La goutte qui a fait déborder le vase et qui lui a fait prendre sa décision finale était son insatisfaction par rapport à son augmentation salariale. Cela ajoute à l’aspect personnel de son choix de quitter. Or, le régime d’assurance-emploi ne peut supporter les coûts des choix personnels des appelants, aussi louables soient-ils. L’appelant peut bien être en désaccord avec les décisions de ses plus récents directeurs, il n’est pas pour autant justifié de quitter son emploi. S’il est vrai que certaines fonctions ont changé, je retiens de la preuve que ni son salaire ni ses conditions de travail n’ont changé au point de le placer dans une situation précaire qui le forçait à quitter. Que l’employeur décide de changer quelques politiques et fonctionnements internes s’il le juge pertinent relève de son droit de gestion. Devant ces changements, l’appelant avait le choix de rester ou de quitter. Mais, encore une fois, ce choix de rester ou de quitter relève d’une décision personnelle puisqu’intimement lié avec sa vision personnelle des choses.

[26] Une personne en désaccord avec certaines pratiques de l’employeur a toujours comme option de se chercher un autre emploi et de quitter seulement lorsqu’un autre emploi sera disponible. Cela constitue une solution raisonnable qui était possible. Or, l’appelant a confirmé n’avoir fait aucune démarche de recherche d’emploi avant de quitter Jarvis Industries Canada ltd.

[27] Une autre solution raisonnable et attendue d’un prestataire est qu’il tente de résoudre les conflits avec un employeur avant de quitter jusqu’à ce que son départ devienne la seule solution raisonnable (White). Sans que la Cour d’appel fédérale précise une limite de temps lors de laquelle une personne doit tenter de résoudre les conflits, j’estime que dans ce cas-ci, la décision de l’appelant de quitter a été plus rapide que raisonnable. Il est retourné au travail en janvier 2018 et a démissionné le 15 mars 2018, environ deux mois suivant son retour. L’appelant soutient avoir tenté de régler les conflits avec son emploi, en vain. Il soutient avoir soumis des échanges de courriels démontrant la négociation entre les parties. Je retiens de cette preuve documentaire que les échanges concernaient presque exclusivement le salaire de l’appelant, ce qui ne démontre pas qu’il a tenté de résoudre le problème lié aux modifications de ses fonctions. Je ne vois aucune preuve démontrant que l’appelant se soit adressé à son employeur pour tenter de discuter de ses fonctions. Les courriels de l’employeur annonçant les directives et annotés de commentaires personnels de l’appelant ne font que démontrer son désaccord avec les changements, ce qui a déjà été clairement établi. Des échanges plus concrets à propos de ses fonctions sont notables, mais se sont produits après le départ de l’appelant. Ils ne sauraient donc supporter l’idée que l’appelant a fait son possible pour régler la situation avec son employeur.

[28] Le principe selon lequel l’assuré au régime d’assurance emploi ne doit pas provoquer de risque ou de certitude de chômage est le principe fondamental des régimes d’assurance a été clairement énoncé par la Cour d’appel fédérale: « …un système d’assurance contre le chômage et ses termes doivent être interprétés en ayant égard à l’obligation qui pèse normalement sur tout assuré de ne pas provoquer délibérément la réalisation du risque » Tanguay A-1458-84. Dans ce cas-ci, je conclus que l’appelant s’est malheureusement lui-même placé dans une position de chômage alors que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui. Il appert de la preuve que l’appelant s’est fâché amèrement suite à la nouvelle gestion de son employeur et n’a pas démordu de sa colère jusqu’à se convaincre lui-même qu’il devait partir. Malheureusement, sur la balance des probabilités, j’estime que de devenir sans-emploi n’était pas la seule solution raisonnable.

[29] Ceci dit, je ne remets pas en question la décision de l’appelant de quitter l’emploi. Il a jugé que ses conditions n’étaient plus à la hauteur de ce qu’il méritait et il voulait s’éviter du stress considérant sa condition médicale. Dans ces circonstances, je suis d’avis qu’il a agi selon ce qu’il croyait être la meilleure option pour lui. Cependant, la décision de quitter demeure malheureusement une décision personnelle qui ne saurait justifier des prestations au sens de la Loi.

Conclusion

[30] L’appel est rejeté.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 5 décembre 2018

En personne

S. C., appelant

Laetitia Tremblay, représentante de l’appelant

J. S., mise en cause (employeur)

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