Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli en partie.

Aperçu

[2] Une enquête de la Commission a révélé l’existence d’un système illégal de banque d’heures chez l’employeur. Ce système permettait aux employés d’obtenir une plus grosse rémunération assurable afin de retirer plus de prestations d’assurance-emploi. L’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a donc rendu une décision relative à la rémunération assurable et au nombre d’heures d’emploi assurables touchant trois périodes de prestations d’assurance-emploi de l’appelante.

[3] Considérant que l’appelante a fait des fausses déclarations, la Commission a déterminé qu’elle pouvait réexaminer les demandes de prestations dans un délai de 72 mois. Ainsi, la Commission a modifié le taux de prestations pour la demande de prestations débutant le 4 septembre 2011. De plus, la Commission a imposé une pénalité de 90$ pour la demande de prestations débutant le 15 septembre 2013 et une pénalité de 330$ pour la demande de prestations débutant le 7 septembre 2014.

[4] L’appelante est en désaccord avec ces décisions. Elle soutient que la pénalité imposée ne tient pas compte de toutes les circonstances et a un effet démesuré sur l’appelante. De plus, elle indique que la modification du taux de prestations de la demande du 4 septembre 2011 ne respecte pas les délais prévus pour le réexamen. Le représentant demande aussi au Tribunal de se prononcer sur la question de défalcation.

Questions préliminaires

[5] Le 4 décembre 2018, le représentant a indiqué retirer certains appels pour l’appelante. Néanmoins, le représentant indiquait maintenir certaines questions retrouvées dans ces appels. Ainsi, afin d’éviter la confusion, le Tribunal a précisé les questions en litige pour chacun des dossiers lors de l’audience.

[6] L’audience a donc été tenue le 6 décembre 2018. En accord avec les parties, une audience conjointe a été tenue pour les appelantes P. P. (GE-18-2233; GE-18-2234; GE-18-2235 et GE-18-2236), C. M. (GE-18-1261; GE-18-1266; GE-18-1267; GE-18-1268; GE-18-1269; GE-18-1270), F. G. (GE-18-2247; GE-18-2249 et GE-18-2250) et M. F. (GE-18-2722; GE-18-2723; GE-18-2724 et GE-18-2725).

[7]  Les dossiers ont aussi été joints par appelante. Par conséquent, malgré la tenue d’une audience commune, une décision individuelle par appelante a été rédigée. De plus, une demande de rendre anonyme les décisions a été présentée au Tribunal. Le Tribunal a pris en considération les raisons invoquées par les appelantes et a rédigé les décisions en rendant anonymes les appelantes, l’employeur et la localité des appelantes.

[8] Le représentant porte donc en appel les questions suivantes pour chacun des dossiers :

No. dossier du Tribunal : Période de prestations : Litige :
GE-18-2247 4 septembre 2011 Délai de réexamen et défalcation
GE-18-2249 15 septembre 2013 Pénalité et défalcation
GE-18-2250 7 octobre 2014 Pénalité et défalcation

[9] Le représentant a aussi demandé à ce que le Tribunal se prononce sur la question de la défalcation pour chacune des appelantes.

Questions en litige

Délai de réexamen (Dossier GE-18-2247)

[10] L’appelante a-t-elle fait une déclaration fausse ou trompeuse qui permettait à la Commission de réviser sa décision dans un délai de 72 mois suivants le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables ?

[11] La Commission a-t-elle exercé son pouvoir de réexamen dans les délais impartis ?

Pénalité (Dossiers GE-18-2249 et GE-18-2250)

[12] La Commission pouvait-elle imposer une pénalité à l’appelante ?

Défalcation

[13] Le trop-payé peut-il être défalqué ?

Analyse

Question en litige no 1 : L’appelante a-t-elle fait une déclaration fausse ou trompeuse qui permettait à la Commission de réviser sa décision dans un délai de 72 mois suivants le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables ?

[14] Le Tribunal est d’avis que la Commission pouvait réviser la demande de prestations dans un délai de 72 mois.

[15] La Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations. Néanmoins, si la Commission estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d’un délai de soixante-douze (72) mois pour réexaminer la demande (Loi sur l’assurance-emploi (« LAE »), paragr. 52 (1)) et paragr. 52 (5)).

[16] Afin de réexaminer une demande de prestations dans les 72 mois, la Commission n’a pas le fardeau de prouver « que le prestataire avait sciemment fait des fausses déclarations ». La législation exige seulement que la Commission « estime qu’une déclaration fausse ou trompeuse ait été faite ». Pour arriver à cette conclusion, la Commission doit se satisfaire qu’un appelant ait fait une déclaration ou représentation fausse ou trompeuse relativement à une demande de prestations. Ainsi, la simple existence d’une déclaration fausse ou trompeuse suffit, si la Commission est raisonnablement satisfaite de ce fait, pour l’application de ce paragraphe, sans qu’il soit nécessaire de rechercher l’intention de son auteur (Canada (Procureur général) c Dussault, 2003 CAF 372).

[17] L’appelante a confirmé qu’un système de banque d’heures existait chez son employeur. Elle a témoigné en détail de la situation prévalant chez l’employeur en plus d’expliquer les impacts sur sa situation personnelle. De plus, l’Agence du revenu du Canada a confirmé que le relevé d’emploi émis par l’employeur était erroné et a donc déterminé des heures d’emploi assurables ainsi qu’une rémunération assurable, différentes de ce que l’employeur avait indiqué sur le relevé d’emploi.

[18] Pour sa part, la Commission considère que la demande de prestations faite le 2 septembre 2011 et le faux relevé d’emploi déposé à l’appui de cette demande sont des déclarations fausses. La Commission a rendu sa décision le 1er mars 2017 pour des actes délictueux commis le 2 septembre 2011, date du dépôt de la demande de prestations, soit soixante-cinq (65) mois après les fausses déclarations. De plus, la prestataire a été avisée du trop-payé le 4 mars 2017.

[19] Pour ce qui a trait au nouvel examen d’une demande, le Tribunal n’a pas à déterminer si cette omission a été faite dans l’intention de tromper la Commission, mais simplement à déterminer si la Commission pouvait raisonnablement considérer qu’il s’agissait d’une déclaration fausse ou trompeuse. Le Tribunal est d’avis que la Commission était raisonnablement satisfaite de l’existence de ces déclarations fausses ou trompeuses, pour réexaminer les demandes de prestations dans un délai de 72 mois, comme le prévoit l’art. 52 (5) de la Loi.

[20] Le Tribunal doit donc se pencher sur la question à savoir si la Commission a exercé son pouvoir de réexamen dans les délais prévus par la Loi.

Question en litige no 2 : La Commission a-t-elle  exercé son pouvoir de réexamen dans les délais impartis ?

[21] Le Tribunal est d’avis que la Commission n’a pas exercé son pouvoir de réexamen dans les délais impartis. Le Tribunal est d’avis que la Commission a complété le processus de réexamen le 25 avril 2018. Par conséquent, elle pouvait réexaminer la demande de prestations de l’appelante débutant le 4 septembre 2011, seulement à partir du 26 avril 2012, soit dans un délai de 72  mois.

[22] Le représentant soutient que la Commission n’a rendu aucune décision en lien avec la modification du taux de prestations en lien avec la demande de prestations débutant le 4 septembre 2011. Ainsi, le représentant soutient que, conformément à la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale, le processus décisionnel n'est complété qu'au moment où la décision et le relevé de compte sont notifiés au prestataire. Bien que le paragraphe 52 (2) de la Loi exige qu’une décision soit notifiée lorsque la Commission emploie son pouvoir de réexamen, dans le présent cas, la Commission n’a pas rendu de décision sur le changement du taux de prestation. La Commission peut seulement réclamer le trop-payé produit par les déductions découlant de la rémunération que l’appelante n'aurait pas déclarée. Subsidiairement, le représentant soutient que si la Commission jugeait qu'elle avait le pouvoir de réclamer le trop-payé découlant de la modification du taux de prestation en invoquant la notification du 15 février 2018, il est d’avis que le processus décisionnel aurait seulement été complété à cette date, soit lorsque la Commission a notifié l’appelante de la nouvelle valeur de ce dernier. Par conséquent, la Commission pourrait seulement réclamer un trop-paye à partir du 15 février 2012.

[23] La jurisprudence a établi que le processus de réexamen comprend quatre étapes : « le réexamen de la demande de prestations, la décision (que j'appellerai la décision du trop-payé) à l'effet que le prestataire a reçu une somme à laquelle il n'avait pas droit, le calcul de cette somme (que j'appellerai le calcul du trop-payé) et la notification au prestataire. Elle a dit, aussi, que ces quatre étapes devaient être complétées à l'intérieur du délai de trente-six mois imparti » (Brien Rajotte c Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) CAF #A-426-93 ; Brière c Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) CAF #A-637-86 ; Canada (Procureur général) c Laforest, CAF #A-607-87).

[24] Le Tribunal constate que la Commission a établi  une demande de prestations d’assurance-emploi débutant le 4 septembre 2011. Le 7 septembre 2016, suite à une enquête, l’Agence du revenu du Canada a rendu une décision relative au nombre d’heures d’emploi assurables ainsi qu’à la rémunération assurable de l’appelante pour la période du 3 avril 2011 au 9 novembre 2011 (GE-18-2247/GD3-19/20). Le 1er mars 2017, la Commission avise alors l’appelante qu’elle estime que des déclarations fausses et trompeuses ont été faites lorsque celle-ci a déposé une demande de prestations d’assurance-emploi avec un relevé d’emploi comportant de faux renseignements et n’a pas déclaré exactement sa rémunération pour la période du 4 septembre 2011 au 5 mai 2012. La Commission indique disposer d’un délai de 72 mois pour réexaminer la demande de prestations (GE-18-2247/GD3-25/26). Le même jour, la Commission rend une décision et indique à l’appelante qu’elle a omis de fournir des renseignements à 2 reprises, lorsqu’elle a présenté une demande de prestations d'assurance emploi le 4 septembre 2011 contenant de faux renseignements au niveau de la période d'emploi ainsi qu'un relevé d'emploi contenant de fausses informations en sachant qu'il ne reflétait pas la réalité. La Commission réajuste la rémunération déclarée pour les semaines entre le 4 septembre 2011 et le 29 avril 2012.

[25] Le Tribunal constate que l’écran présentant les détails sur l’avis de dettes détaille plusieurs montants de trop-payé pour lesquels l’explication est « Vous n’avez pas déclaré votre revenu adéquatement, ce qui a causé un trop-payé » ou « Une pénalité a été établie, ce qui a causé un trop-payé (GD3-31/32).

[26] Le 15 décembre 2017 et le 8 mai 2018, le représentant présente alors une demande de révision qui porte principalement sur les questions de pénalité (GD3-38 à GD3-40 et GD3-51 à GD3-55).

[27] Puis, le 25 avril 2018, suite aux questionnements du représentant, la Commission transmet un document explicatif du trop-payé (GD7-2 à GD7-15). La Commission indique, pour la demande du 4 septembre 2011 que « suite au nouveau calcul de la demande, le taux de prestations est passé de 228$ à 199$. Les gains ont été corrigés en fonction des décisions de l’ARC (voir tableaux 2). Un trop payé [n]et de 1 749$ a été créé pour cette demande. Une pénalité non monétaire a été imposée. » (GD7-2). La Commission fournit un tableau explicatif démontrant que le taux de prestations a été modifié de 228$ à 199$ (GD7-6).

[28] Enfin, le 8 juin 2018, la Commission rend la décision de révision (GD3-73). Elle indique que sa décision en lien avec l’établissement d’une période de prestations – assurabilité du relevé d’emploi n’a pas été modifiée et que le relevé d’emploi a été modifié selon la décision d’assurabilité rendue par l’Agence du revenu du Canada. « Un nouveau calcul de votre demande a été fait. Cette correction a eu un impact sur votre taux de prestations qui est passé de 228$ à 199$, ce qui explique une partie de votre trop-payé pour cette demande. » (GD3-73).

[29] Le Tribunal est d’avis que la Commission n’a pas avisé l’appelante d’une décision concernant la modification de son taux de prestations avant le 25 avril 2018. En effet, dans sa décision du 1er mars 2017, la Commission réfère au fait que le relevé d’emploi contenait de fausses informations. La Commission n’indique même pas que cela pourrait avoir un impact sur le taux de prestations de l’appelante et poursuit sa décision en ajustant la rémunération par semaine pour la période en litige. Puis, la Commission indique qu’elle n’émet pas de pénalité et précise qu’un avis de violation pour l’ensemble du dossier a été émis (GD3-28).

[30] Le Tribunal prend en considération le fait que l’appelante avait reçu un avis de dette. Le Tribunal prend en considération qu’un avis de dette est considéré comme étant une décision de la Commission et qu’il permet à un prestataire de porter appel de cette décision. De plus, cet avis de dette permet à la Commission de percevoir les sommes liées (Braga c Canada (Procureur général) 2009 CAF 167).

[31] Néanmoins, le Tribunal est d’avis que contrairement aux décisions qu’elle rend généralement, la décision rendue par la Commission ne laisse pas sous-entendre qu’une modification du taux de prestations pourrait être faite. De plus, le Tribunal prend appui sur l’exemple de décision transmis par le représentant qui reflète le type de modèle de décision que la Commission utilise généralement en matière de taux de prestations ou du nombre de semaines d’admissibilité. La Commission libelle généralement sa décision de manière à indiquer qu’un nouveau calcul de la demande a été effectué suite aux modifications apportées au relevé d’emploi. « Il en résulte que votre taux hebdomadaire de prestations est maintenant de 290.00$ au lieu de 468.00$, et que le nombre maximum de semaines établi pour votre demande est maintenant de 40 semaines au lieu de 39 semaines » (GD7A-45).

[32] Ainsi, afin de s’assurer que la Commission a procédé au réexamen dans le délai imparti, il faut que la Commission avise le prestataire de sa décision ainsi que du fait qu’un trop-payé y est lié (Brière). De plus, la Commission doit compléter le processus de réexamen qui comprend 4 étapes (« le réexamen de la demande de prestations, la décision du trop-payé à l'effet que le prestataire a reçu une somme à laquelle il n'avait pas droit, le calcul du trop-payé et la notification au prestataire) à l’intérieur du délai imparti (Brien Rajotte; Brière; Laforest).

[33] Le Tribunal est d’avis que la Commission n’avait pas notifié l’appelante qu’une décision avait été rendue en lien avec le taux de prestations avant le 25 avril 2018, lorsqu’elle détaille la teneur du trop-payé. Même assistée d’un représentant, l’appelante n’était pas en mesure de savoir qu’une telle décision avait été rendue à son encontre. L’appelante était informée d’un trop-payé, mais étant donné la manière dont la lettre de décision a été rédigée, elle ne pouvait soupçonner qu’une décision avait été rendue au sujet de la modification du taux de prestations de sa demande. Le trop-payé n’apparaissait lié qu’à la modification de la rémunération à laquelle la Commission référait dans sa décision.

[34] Le Tribunal est d’avis que c’est au moment de remettre les tableaux explicatifs des trop-payés, que l’appelante est avisée de la décision relative au taux de prestations. En effet, le Tribunal est d’avis qu’aucune notification préalable n’a été faite concernant ce litige avant cette date. L’appelante a demandé la révision de la décision qu’elle avait à son encontre (répartition de la rémunération et pénalité), mais en aucun moment elle ne pouvait se douter qu’une modification de taux de prestations était intervenue dans son dossier. Même le représentant ne fait aucune argumentation à ce sujet puisqu’il n’y a pas d’indication qu’une telle décision a été rendue. Le Tribunal est donc d’avis que bien que les tableaux se voulaient comme explication additionnelle pour le représentant et l’appelante, il s’agit dans les faits de la première notification à l’appelante de la décision en lien avec le taux de prestations

[35] Le Tribunal est d’avis que la Commission a complété le processus de réexamen le 25 avril 2018 lorsqu’elle a avisé l’appelante de sa décision concernant la question du taux de prestations. Ainsi, la Commission avait 72 mois à partir de cette date afin de réexaminer la demande de prestations. La Commission pouvait donc réexaminer la question du taux de prestations à partir du 26 avril 2012.

[36] Le tableau explicatif du trop-payé démontre que l’appelante a reçu des prestations d’assurance-emploi pour la période du 4 septembre 2011 au 29 avril 2012. Par conséquent, le Commission ne pouvait réexaminer la période de prestations avant le 26 avril 2012 et ne peut réclamer de trop-payé lié à la modification du taux de prestations avant cette date.

[37] Enfin, puisque les dossiers des appelantes ont été entendus ensemble, le Tribunal ne peut s’empêcher de remarquer les traitements différents de ceux-ci. Dans le cas présent, la Commission a pris en considération que la date de l’avis de dettes faisait foi de la première notification alors que dans d’autres cas, elle a jugé qu’il s’agissait de la date de la décision. Cette différence de traitement se constate aussi pour les questions de pénalité alors que pour des situations similaires, les éléments invoqués par les appelantes ont reçu des traitements différents.

[38] Par conséquent, l’appel est accueilli en partie sur cette question.

Question en litige no 3 : La Commission pouvait-elle imposer une pénalité ?

[39] Lorsque la Commission prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent que le prestataire ou une personne agissant pour son compte a, à l’occasion d’une demande de prestations, fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse, elle peut lui infliger une pénalité pour chacun de ces actes (LAE, alinéa 38 (1) a)).

[40] La Commission peut, en guise de pénalité, donner un avertissement à la personne qui a perpétré un acte délictueux (LAE, art. 41.1).

[41] Afin de faire cette détermination, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

  • La Commission a-t-elle démontré que l’appelante a fait des déclarations fausses ou trompeuses ?
  • Si oui, ces déclarations ont-elles été faites sciemment ?
  • Si oui, la Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire en déterminant le montant de la pénalité à être imposée ?
  • Sinon, quelle doit être la pénalité imposée ?

La Commission a-t-elle démontré que l’appelante a fait des déclarations fausses ou trompeuses ?

[42] Le Tribunal est d’avis que la Commission a démontré que l’appelante a fait des déclarations fausses ou trompeuses.

[43] La Commission a le fardeau de démontrer que le prestataire a sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses. Puis, le prestataire doit expliquer pourquoi ces déclarations ont été faites (Canada (Procureur général) c Purcell, CAF A-694-94).

[44] Le fardeau de la preuve, qui repose sur la Commission, consiste à établir, selon une prépondérance des probabilités, qui n'est pas hors de tout doute raisonnable, que le prestataire a fait une fausse déclaration ou représentation sachant que celle-ci était fausse ou trompeuse (Canada (Procureur général) c Gates, CAF #A-600-94).

[45] La Commission soutient qu’elle a démontré que la prestataire a fait des fausses déclarations lorsqu’elle a déposé deux demandes de prestations (demandes débutant le 15 septembre 2013 et le 7 septembre 2014) avec des fausses informations et lorsqu’elle a produit des relevés d’emploi qu’elle savait erroné. De plus, pendant les périodes de prestations, la prestataire a déclaré ne pas avoir travaillé pendant certaines semaines, alors que c’était faux. La question posée est très claire et ne laisse aucune place à l’interprétation, puisqu’on lui demande si elle a travaillé, oui ou non, et la prestataire a répondu non, alors que les faits au dossier démontrent qu’elle avait travaillé. La Commission soutient que la prestataire savait que les déclarations qu’elle faisait étaient fausses, et elle les faisait dans le but d’avoir des semaines de chômage plus élevées.

[46] Le Tribunal est satisfait que la Commission ait démontré que l’appelante a fait des déclarations fausses ou trompeuses puisqu’elle n’a pas déclaré la totalité de ses gains ou a déclaré ne pas avoir travaillé alors que ce n’était pas le cas. Par conséquent, le Tribunal doit se pencher sur la question à savoir si ces déclarations fausses ou trompeuses ont été faites sciemment.

L’appelante a-t-elle fait ces déclarations fausses ou trompeuses sciemment ?

[47] Le Tribunal est d’avis que sur une balance des probabilités, l’appelante a sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses.

[48] Un prestataire ne doit pas seulement faire une déclaration fausse ou trompeuse. Celle-ci doit aussi avoir été faite sciemment. Il faut donc, sur une balance des probabilités, que le prestataire ait une connaissance du fait qu’il faisait une déclaration fausse ou trompeuse (Mootoo c Canada (Ministère du Développement des ressources humaines) 2003 CAF 206).

[49] Pour déterminer si le prestataire avait une connaissance subjective du fait qu’il faisait une déclaration fausse ou trompeuse, le Tribunal peut toutefois tenir compte du bon sens et de facteurs objectifs. Lorsqu’un « prestataire prétend ignorer un fait connu du monde entier, le juge des faits peut à bon droit refuser de le croire et conclure qu’il connaissait bel et bien ce fait bien qu’il le nie. Le fait que le prestataire ignore une évidence peut donc mener à une inférence légitime selon laquelle il ment. Le critère appliqué n’est pas objectif pour autant, mais il permet de tenir compte d’éléments objectifs pour trancher la question de la connaissance subjective. Si, en définitive, le juge des faits est d’avis que le prestataire ne savait effectivement pas que sa déclaration était fausse, l’irrégularité visée par le paragraphe [38(l)] n’a pas été commise. » (Mootoo).

[50] L’appelante a expliqué qu’elle a agi tel que son employeur lui a dit de faire. En raison des faibles possibilités d’emploi dans la région, elle sentait qu’elle n’avait pas le choix et ne pouvait faire autrement. L’appelante a indiqué qu’elle a vécu la transition entre la gestion faite par le père et celle par le fils qui a mis en place le système de banque d’heures. Elle a expliqué qu’elle faisait ce que l’employeur lui disait de faire. Elle comprend aujourd’hui qu’il s’agissait d’une pratique interdite et illégale et subit les conséquences de ses gestes.

[51] Le Tribunal est d’avis que l’appelante ne pouvait ignorer qu’elle devait déclarer toutes les heures et la rémunération qu’elle recevait de son employeur pendant sa période de chômage. Cette obligation est clairement identifiée dans la section « Vos responsabilités » de la demande d’assurance-emploi. De plus, la question des heures travaillées et de la rémunération est clairement posée lorsqu’un prestataire remplit ses déclarations hebdomadaires pendant sa période de chômage.

[52] Le Tribunal est d’avis que, sur une balance des probabilités, l’appelante a sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses puisqu’elle ne pouvait ignorer l’obligation de déclarer les heures de travail effectuées et la rémunération reçue de son employeur, même s’il s’agissait d’une pratique établie chez celui-ci.

La Commission a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire a lorsqu’elle a déterminé le montant de la pénalité ?

[53] Le Tribunal est d’avis que la Commission n’a pas exercé son pouvoir judiciaire de manière discrétionnaire lorsqu’elle a imposé une pénalité à l’appelante.

[54] C’est un principe élémentaire de droit que le juge-arbitre ne peut modifier le montant d’une pénalité sauf s’il peut être établi que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière non conforme à la norme judiciaire ou qu’elle a agi de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance (Canada (Procureur général) c Uppal, 2008 CAF 388).

[55] Le Tribunal note que la Commission a imposé une pénalité de 90$ (GE-18-2249) et de 330$. Elle précise que la pénalité aurait dû être de 318$ dans ce dossier (GE-18-2250/GD4-10).

[56] La Commission soutient qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire étant donné qu’elle a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes à l’affaire au moment de fixer le montant de la pénalité.

[57] Le Tribunal constate que la Commission a considéré plusieurs circonstances atténuantes et établi un pourcentage lié à celles-ci :

  • Situation financière difficile de la prestataire au moment où elle a fait des fausses déclarations : 5 %
  • Situation financière difficile actuellement : 7,5 %
  • Situation économique régionale : 5 %
  • Faible niveau d’instruction : 5 %
  • Regrets : 2,5 %
  • Système de banque d’heures imposé par l’employeur : 10 %

[58] La Commission indique que dans les deux dossiers en litige, en tenant compte de toutes les circonstances atténuantes, la Commission a réduit de 35 % la pénalité sur le trop-payé net dans les trente-six (36) mois de l’infraction, conformément aux articles 38(2) et 40 de la Loi.

[59] Le Tribunal constate que la Commission a considéré plusieurs circonstances atténuantes et établi un pourcentage de 35% lié à celles-ci.

[60] Le représentant soutient que certaines circonstances n’ont pas été prises en considération lorsque la Commission a rendu sa décision sur la pénalité. Il souhaite que le Tribunal modifie la pénalité en une pénalité non monétaire ou la réduite à un montant symbolique de 1$.

[61] Le représentant soulève la situation de la localité où habite et travaille l’appelante. Il réfère au portrait de la situation du développement social dressé par la MRC qui détaille la situation particulière de la région ainsi que le niveau de pauvreté économique de la région. Il soulève le fait que l’appelante n’a eu aucune implication dans la mise en place du système de banque d’heures et qu’elle n’était qu’une simple employée. De plus, il détaille la situation personnelle et familiale de l’appelante et soumet des documents afin de démontrer le niveau actuel de précarité de l’appelante (GD7A).

[62] Le représentant ajoute que la Commission soulève le fait que la Commission n’a pas tenu compte correctement de la précarité financière de l’appelante et de l’impact du remboursement du trop-payé. De plus, le représentant soulève le fait que la Commission n'ait pas été homogène pour la détermination de la pénalité. En effet, certains employés ayant également demandé la révision de leur dossier ont vu leur pénalité monétaire transformée en avertissement, malgré une situation personnelle très similaire à celle de l'appelante. Finalement, le représentant soulève le fait que le système de banque d'heures n’était pas à l’avantage de l’appelante puisque l’Agence du revenu du Canada a déterminé une différence entre les salaires payés et la rémunération assurable. Ainsi, seulement pour 2013, ce sont plus de 400.00$ que la travailleuse n'aura pas reçus en salaire pour des heures pourtant travaillées et qui sont maintenant perdus.

[63] Le Tribunal prend en considération les témoignages crédibles des appelantes. Les quatre appelantes ont témoigné de manière détaillée et ont fourni des témoignages concordants et émotifs.

[64] Sans vouloir généraliser leurs situations, le Tribunal constate que certaines constatations communes se dégagent de ces témoignages. L’employeur était intimidant et autoritaire. Il a pris la relève de son père et a graduellement instauré un système de banque d’heures. Les appelantes ont un niveau d’éducation limité et en raison des difficultés économiques de la région, elles ne pouvaient refuser de travailler. Elles n’ont pas pris part à la mise en place du système de banque d’heures et n’ont pas compris les impacts de celui-ci lors de sa mise en place. Les répercussions de l’enquête ont été très importantes pour chacune d’elle, tant au niveau de leur santé qu’au niveau des difficultés financières rencontrées. La situation les affecte grandement et continuera de les affecter à court et long terme puisque le remboursement de la dette est élevé en regard de leur situation financière précaire.

[65] Enfin, le Tribunal constate que malgré des situations similaires face à la situation de banque d’heures, la Commission n’a pas tenu compte des mêmes facteurs ou de la même valeur pour chacun d’eux pour déterminer le montant de la pénalité pour chacune des appelantes.

[66] Le Tribunal est d’avis que la Commission n’a pas exercé son pouvoir judiciaire de manière discrétionnaire lorsqu’elle a imposé un avertissement à l’appelante puisqu’elle n’a pas pris en considération toutes les circonstances atténuantes liées à la situation de l’appelante. Le Tribunal est d’avis que la Commission n’a pas tenu compte de manière adéquate de la difficulté que représente la situation en regard de la précarité de la situation de l’appelante, celle de la région et les impacts sur sa santé.

Quelle doit être la pénalité imposée ?

[67] Le Tribunal est d’avis que la pénalité à être imposée est de 1$ pour chacun des dossiers en appel.

[68] La Commission peut infliger une pénalité pour toute fausse déclaration faite sciemment par un prestataire (LAE, art. 38). La Commission peut, en guise de pénalité pouvant être infligée, donner un avertissement à la personne qui a perpétré un acte délictueux (LAE, art. 41.1 (1)).

[69] Les pénalités prévues aux articles 38 et 39 ne peuvent être infligées plus de trente-six mois après la date de perpétration de l’acte délictueux ni si une poursuite a déjà été intentée pour celui-ci (LAE, art. 40).

[70] Le Tribunal constate que la Commission a imposé une pénalité correspondant à 50% du montant du trop-payé duquel elle a enlevé 35% pour des circonstances atténuantes. Néanmoins, en vue des circonstances particulières détaillées par l’appelante, de sa situation précaire et des difficultés économiques de la région ainsi que de la situation personnelle de l’appelante, le Tribunal est d’avis que la pénalité doit être réduite à 1$ pour chacun des dossiers.

[71] Par conséquent, puisque le Tribunal a déterminé que la Commission n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire, il est d’avis que la pénalité imposée par la Commission devrait être réduite à un montant de 1$ par dossier, en raison des circonstances atténuantes. Ainsi, la pénalité devrait être de 1$ pour le dossier GE-18-2249 et 1$ pour le dossier GE-18-2250.

[72] L’appel est rejeté avec modifications sur cette question.

Question no 4 : Le trop-payé peut-il être défalqué ?

[73] Le représentant soutient que la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et du Tribunal a établi que le Tribunal peut recommander à la Commission de défalquer un trop-payé lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient.

[74] Quiconque se croit lésé par une décision de révision de la Commission peut interjeter appel de cette décision devant le Tribunal de la sécurité sociale (LAE, art. 113).

[75] Les décisions de la Commission rendues en vertu du Règlement sur l’assurance-emploi qui concernent la défalcation de pénalités à payer, de sommes dues ou d’intérêts courus sur ces pénalités ou sommes ne peuvent faire l’objet de la révision (LAE, art. 112.1).

[76] Le Tribunal est d’avis qu’il n’a pas compétence pour rendre une décision sur la question de défalcation, tel qu’indiqué par le représentant, puisque la Loi prévoit que les questions de défalcation ne peuvent pas faire l’objet d’une révision. L’appelant doit donc s’adresser à la Cour fédérale sur cette question après que la Commission ait rendu une décision à ce sujet.

[77] Le représentant et les appelantes étaient au fait de cette situation. Néanmoins, le représentant souhaitait recevoir une recommandation du Tribunal à l’effet que les trop-payés devraient être défalqués. Il souhaitait mentionner les difficultés financières que ce trop-payé crée pour les appelantes ainsi que leur réalité financière précaire.

[78] Le Tribunal rappelle à la Commission qu’elle a le pouvoir de rendre une décision de défalcation en vertu de l’article 56 (1) f) (iii) du Règlement afin de défalquer le trop-payé réclamé à l’appelante étant donné le préjudice abusif que celui-ci lui impose. La Commission doit prendre en compte les circonstances particulières de l’appelante en lien avec sa situation économique précaire, le peu d’emploi disponible dans la région, les difficultés financières et de santé que le trop-payé a comme impact sur l’appelante.

[79] Le Tribunal ne peut que recommander à la Commission, compte tenu de la situation précaire de l’appelante et des faits particuliers liés à sa situation, que recommander à la Commission de considérer la demande de remboursement afin que le trop-payé ne soit défalqué (J. B. c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2018 TSS 208).

[80] L’appel est rejeté sur cette question.

Conclusion

[81] L’appel est accueilli en partie.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 6 décembre 2018

En personne

M. F., appelante

F. G., appelante

C. M., appelante

P. P., appelante

Me Richard-Alexandre Laniel, représentant des appelantes

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