Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] La permission d’en appeler est refusée.

Aperçu

[2] Le demandeur, K. A. (prestataire), a démissionné de son emploi et a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a établi initialement que le prestataire était exclu du bénéfice des prestations, mais a modifié sa décision après révision et a accueilli la demande. L’employeur du prestataire a interjeté appel auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a accueilli l’appel et a de nouveau exclu le prestataire du bénéfice des prestations. Le prestataire demande maintenant la permission d’en appeler à la division d’appel.

[3] Il n’existe aucune chance raisonnable de succès en appel. Le prestataire n’a pas démontré de quelle manière il est possible de soutenir que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, qu’elle a commis une erreur de droit ou qu’elle a ignoré ou mal interprété des faits importants.

Questions préliminaires

La demande de permission d’en appeler a-t-elle été présentée en retard?

[4] Au titre de l’article 57(1)(a) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), une partie doit présenter une demande de permission d’en appeler dans les 30 jours suivant la date où elle reçoit communication de la décision. À moins que la partie puisse prouver le contraire, une décision qui lui est transmise par la poste ordinaire est présumée avoir été reçue le dixième jour suivant celui de sa mise à la poste, comme le prévoit l’article 19(1)(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement sur le TSS).

[5] La décision de la division générale était datée du 29 octobre 2018, mais elle a été postée au prestataire, accompagnée d’une lettre de présentation datée du 30 octobre 2018. La demande de permission d’en appeler du prestataire n’a pas été déposée avant le 13 décembre 2018.

[6] Cependant, le délai n’est pas calculé à partir de la date de mise à la poste, mais à partir de la date à laquelle la décision est communiquée à une partie. En application de l’article 19(1)(a) du Règlement, une décision envoyée par la poste ordinaire est présumée avoir été reçue le dixième jour suivant celui de sa mise à la poste, jour qui correspond, en l’espèce, au 9 novembre 2018. Le délai de 30 jours suivant le 9 novembre 2018 correspond au 9 décembre 2018. Par conséquent, si la demande de permission d’en appeler a été déposée en retard, il s’agirait d’un retard de quatre jours seulement.

[7] Le prestataire mentionne qu’il a reçu la décision seulement le 15 novembre 2018 et laisse entendre que cela pourrait être en lien avec la grève de Postes Canada. J’admets d’office le fait que des moyens de pression ont été exercés à Postes Canada à partir de la fin octobre, lesquels comprenaient des grèves tournantes. Il est plausible que ce moyen de pression ait retardé la livraison de la décision au prestataire. J’admets par conséquent qu’il a reçu la décision le 15 novembre 2018, ce qui signifie que sa demande de permission d’en appeler a été reçue dans les 30 jours qui ont suivi la date à laquelle la décision lui a été communiquée.

[8] Je juge que la demande de permission d’en appeler a été déposée dans les délais prescrits.

Questions en litige

[9] Peut-on soutenir que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence?

[10] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en déterminant que le prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi sans tenir compte de « toutes les circonstances »?

[11] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit dans la façon dont elle a appliqué la norme de la prépondérance des probabilités?

[12] Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur en appliquant mal la jurisprudence?

[13] Peut-on soutenir que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

Analyse

[14] La division d’appel ne peut intervenir dans une décision de la division générale que si elle peut déterminer que cette dernière a commis l’une des erreurs correspondant aux « moyens d’appel » prévus à l’article 58(1) de Loi sur le MEDS.

[15] Pour accorder la permission d’en appeler et permettre à l’appel de se poursuivre, je dois d’abord conclure qu’au moins l’un des moyens d’appel confère à l’appel une chance raisonnable de succès. Une chance raisonnable de succès a été assimilée à une cause défendableNote de bas de page 1.

[16] Les moyens d’appel prévus à l’article 58(1) sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige no 1 : Peut-on soutenir que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence?

[17] Dans les observations jointes à la demande de permission d’en appeler, le prestataire fait valoir que la membre de la division générale a fait preuve de partialité. Cet argument est fondé sur l’opinion du prestataire selon laquelle la division générale a conclu, sans preuve à l’appui, que l’absence au travail du prestataire n’était pas motivée et qu’elle a conclu également que la preuve n’appuyait pas le fait que le prestataire avait été délibérément exclu des réunions « de type caucus ».

[18] La division générale a examiné la preuve selon laquelle le prestataire avait été absent un jour pendant la période de préavis. Au paragraphe 19 de sa décision, la division générale a mentionné que l’employeur avait dit que le prestataire ne s’était pas présenté au travail une journée pendant sa période de préavis et que cela avait été confirmé par un courriel de la gestionnaire du prestataire aux Ressources humainesNote de bas de page 2. L’employeur a aussi déclaré que le prestataire n’avait informé personne de la raison de son absence ce jour-là. La division générale a aussi reconnu le témoignage du prestataire selon lequel il avait appelé pour se déclarer malade, mais qu’il ne pouvait pas être certain d’avoir parlé à sa gestionnaire ou à quelqu’un d’autre. Par suite de cet examen, la division générale a établi que le prestataire avait eu une absence non motivée pendant sa période de préavis.

[19] Le prestataire a raison d’affirmer que la conclusion de la division générale selon laquelle il a eu une [traduction] « absence non motivée » pendant sa période de préavis n’était pas nécessaire à la décision de la division générale selon laquelle le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi. Malgré cela, la conclusion de la division générale était appuyée par la preuve, ne démontre pas de partialité en soi, et rien dans la décision ne laisse entendre que la division générale s’est appuyée sur la conclusion ou qu’elle a eu une incidence sur l’issue de quelque manière que ce soit.

[20] D’autres éléments de preuve que la division générale a rejeté expressément dans sa décision parce qu’ils n’étaient pas pertinents incluaient la preuve concernant la manière dont le prestataire a remis sa démission; la question de savoir si le prestataire a fait de fausses déclarations au sujet des produits de l’employeur et la façon dont le prestataire a été escorté des installations de l’employeur. Il ne me semble pas manifeste que l’un de ces autres éléments de preuve aurait été pertinent pour la décision ou aurait pu avoir une incidence sur l’issue. Je ne constate aucune tendance évidente laissant entendre que la division générale a déterminé la pertinence de la preuve en s’appuyant sur la question de savoir si elle soutenait ou contestait la position du prestataire.

[21] Le fait que la division générale a tiré une conclusion non nécessaire au sujet d’un élément qui n’était pas pertinent à sa décision et qui n’a pas servi de fondement à sa décision ne permet pas de soutenir que la division générale a fait preuve de partialité.

[22] L’autre motif de l’argument du prestataire selon lequel la division a fait preuve de partialité est celui que la division générale n’avait pas de fondement probatoire pour conclure qu’il n’avait pas été exclu des caucus. Au contraire, la division générale s’est appuyée sur la preuve de l’employeur selon laquelle le caucus hebdomadaire vise tout le personnel du service, que le personnel est prié d’assister à au moins un des deux caucus hebdomadaires, et qu’elle-même ou un autre employé faisait la tournée des postes de travail pour annoncer les réunions lorsqu’elles avaient lieu. Elle s’est aussi appuyée sur la propre preuve du prestataire selon laquelle il savait que les réunions avaient lieu au même moment toutes les semaines et qu’il avait interprété le défaut de la gestionnaire de l’aviser personnellement comme une indication qu’il n’était pas invité.

[23] Le fait que la division générale a établi que la preuve n’appuyait pas l’idée que le prestataire était délibérément exclu ne laisse pas entendre qu’on peut soutenir que la division générale a fait preuve de partialité.

[24] Il n’est pas facile, en appel, de réussir à démontrer qu’il y a eu partialité. Comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada :

Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère [de partialité], ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C’est une conclusion qu’il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l’intégrité judiciaire. De fait, l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice tout entièreNote de bas de page 3.

[25] On ne peut soutenir que les conclusions que conteste le prestataire pourraient, individuellement ou collectivement, créer une allégation raisonnable de partialité. Le prestataire n’a pas démontré qu’on peut soutenir que la membre de la division générale a commis une erreur au titre de l’article 58(1)(a) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 2 : Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit en déterminant que le prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi sans tenir compte de « toutes les circonstances »?

[26] L’article 30(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi sur l’AE) prévoit que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification. L’article 29(c) de la Loi sur l’AE prévoit que la justification pour quitter volontairement un emploi ou prendre congé d’un emploi existe si le prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi ou prendre congé, compte tenu de toutes les circonstances.

[27] L’article 29(c) énumère un certain nombre de circonstances qui doivent être prises en considération lorsqu’elles sont présentes. Le prestataire énumère un certain nombre de circonstances figurant dans la liste, notamment l’article 29(c)(vi) « assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat »; l’article 29(c)(ix), « modification importante des fonctions »; l’article 29(c)(x), « relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur »; l’article 29(c)(xiii), « incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi »; et l’article 29(c)(xiv), « toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement ».

[28] Le prestataire admet qu’il n’avait pas l’assurance raisonnable d’un autre emploi lorsqu’il a quitté son poste. Puisque la circonstance mentionnée à l’article 29(c)(vi) n’était pas présente, la division générale n’avait pas besoin de la prendre en considération.

[29] La circonstance la plus évidente qui ressort des arguments et du témoignage du prestataire semble être celle d’une « incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi », conformément à l’article 29(c)(xiii) de la Loi sur l’AE. Cependant, la division générale a abordé précisément et directement cette circonstance dans la décision.

[30] La rétroaction de l’employeur au prestataire quant à la manière dont il pourrait exécuter ses tâches plus efficacement et le transfert temporaire de la prise d’appels pour qu’il puisse rattraper le retard dans la gestion de ses dossiers, deux de ses tâches régulières, ne donnent pas à penser qu’il y a eu une « modification importante des fonctions » au titre de l’article 29(c)(ix). La preuve n’appuie pas une conclusion selon laquelle il y a eu une modification importante du type, du volume ou de l’horaire de travail.

[31] Le prestataire laisse aussi entendre que la rétroaction qu’il a reçue de la gestion équivaut à des « relations conflictuelles avec un supérieur ». Bien que la division générale n’ait pas fait référence à l’article 29(c)(x) précisément, il est évident que la division générale a tenu compte de l’importance des circonstances que le prestataire qualifie de relations conflictuelles avec un supérieur. Au paragraphe 14, la division générale a examiné la preuve contradictoire entre le témoignage du prestataire selon lequel la gestionnaire a crié après lui et l’a menacé de le congédier et la preuve de l’employeur selon laquelle la gestionnaire n’a pas crié ni ne l’a menacé mais a demandé au prestataire d’examiner si le poste était adéquat pour lui. Le prestataire a ensuite convenu que l’employeur lui avait dit d’examiner si le poste était adéquat pour lui, mais que ce n’est [traduction] « pas ce que vous dites, c’est la façon dont vous le ditesNote de bas de page 4 ». Tout compte fait, la Commission a déterminé que la version des événements de l’employeur était plus vraisemblable.

[32] Au-delà de l’allégation du prestataire selon laquelle l’employeur lui a crié après et l’a menacé, le prestataire a aussi prétendu que la gestionnaire cherchait des poux et cherchait à trouver des erreurs, toutefois la division générale a établi que le comportement dont se plaignait le prestataire concernait la tentative de la gestionnaire d’encadrer le prestataire pour améliorer son rendement. Elle s’est appuyée en partie sur le courriel du prestataire du 24 janvier 2018 exprimant son appréciation pour la rétroaction. D’après moi, les conclusions de la division générale liées aux circonstances que le prestataire qualifie maintenant de « relations conflictuelles avec un superviseur » démontrent que la division générale avait tenu compte de l’article 29(c)(x).

[33] L’article 29(c)(xiv) n’est pas applicable aux faits en l’espèce. Cet article fait référence aux autres circonstances « prévues par règlement », ce qui signifie stipulées dans la réglementation. Les circonstances prévues par règlement sont énumérées à l’article 51.1 de la Loi sur l’AE, et les autres circonstances qui sont décrites dans cet article ne s’appliquent pas à ces faits.

[34] La liste de circonstances prévues à l’article 29(c) ne se veut pas exhaustive, toutefois le prestataire n’a pas mentionné une autre circonstance pertinente qui ressort clairement de la preuve, mais que la division générale a omis d’examiner.

[35] J’estime qu’on ne peut pas soutenir que la division générale n’a pas examiné toutes les circonstances comme le prévoit l’article 29(c) de la Loi sur l’AE.

Question en litige no 3 : Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur de droit dans la façon dont elle a appliqué la norme de la prépondérance des probabilités?

[36] Le prestataire fait valoir que la division générale a mal appliqué la norme de la prépondérance des probabilités parce qu’elle a privilégié la preuve de l’employeur fondée sur [traduction] « des suppositions et des conclusions hypothétiquesNote de bas de page 5 ».

[37] La division générale a tiré une conclusion générale défavorable à l’égard de la crédibilité du prestataire de sorte que là où sa preuve et celle de l’employeur étaient en conflit, la division générale a privilégié la preuve de l’employeur. Cette conclusion semble avoir été influencée par la teneur et le ton du courriel du prestataire en réponse à la rétroaction de l’employeur et de sa lettre de démission, car les deux concordaient avec la position de l’employeur selon laquelle il n’y avait aucune relation conflictuelle ni de pression pour inciter à démissionner. La division générale a aussi constaté les rétractations subséquentes du prestataire concernant ses remarques dans ces communications; il semblait prétendre qu’il n’était pas franc ou sincère lorsqu’il les a écritesNote de bas de page 6.

[38] Comme le prestataire l’a signalé et comme je l’ai reconnu plus haut, l’absence du prestataire pendant sa période de préavis n’est pas pertinente relativement à la question de savoir s’il avait un motif valable pour quitter son emploi en premier lieu. Cependant, le prestataire soutient qu’il s’agit d’un autre exemple de la manière dont la division générale a mal appliqué la prépondérance des probabilités. La division générale a tiré une conclusion selon laquelle l’absence du prestataire au travail un jour donné était [traduction] « non motivée » à partir du simple fait qu’il était absent et qu’il y avait eu des communications entre la gestion confirmant son absence.

[39] Pendant l’audience orale, la gestionnaire de l’employeur a répondu à la question du prestataire concernant la raison pour laquelle le prestataire avait dû être escorté des lieux de travail de l’employeur en disant que le prestataire [traduction] « ne s’était pas présenté au travail sans explication ». Je souligne que le prestataire n’a pas réfuté cela dans son propre témoignage. Ainsi, la division générale était fondée à tirer la conclusion selon laquelle il n’avait pas donné d’explication à l’employeur concernant son absence et à conclure qu’il s’agissait d’une [traduction] « absence non motivée ». Rien dans la manière dont la division générale a examiné la preuve ne laisse entendre qu’elle a mal interprété son rôle ou la manière dont elle devait apprécier la preuve.

[40] Le prestataire semble être d’avis que sa preuve devrait être privilégiée lorsqu’elle est en contradiction avec celle de l’employeur, en raison d’un [traduction] « déséquilibre du pouvoirNote de bas de page 7 ». Il est possible que le prestataire interprète mal la loi : il n’existe pas de présomption selon laquelle la preuve de l’employeur est en quelque sorte moins crédible parce qu’un employeur a plus de pouvoir qu’un employé, tout comme il n’existe pas de présomption selon laquelle la preuve du prestataire devrait être ignorée parce qu’il fournit une preuve dans ses propres intérêts : pour obtenir des prestations d’assurance-emploi.

[41] Pour rendre une décision fondée sur la prépondérance des probabilités, un décideur est tenu d’apprécier l’ensemble de la preuve, y compris le témoignage, les déclarations et les documents, tant ceux du prestataire que ceux de l’employeur, et cela exige une évaluation de la crédibilité, de la fiabilité et du caractère significatif de l’ensemble de la preuve. En l’espèce, il incombe au prestataire de prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il était fondé à quitter son emploi, et par conséquent il avait la responsabilité d’établir que sa superviseure avait une relation conflictuelle avec lui et que cette relation conflictuelle ne lui était pas essentiellement imputable. Il lui incombait aussi d’établir qu’il subissait une incitation indue à quitter son emploi ou d’établir toute autre circonstance ayant eu une incidence sur sa décision de quitter son emploi. Il lui incombe d’établir qu’il n’avait d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi en raison de ces circonstances.

[42] La Cour suprême du Canada a décrit la « prépondérance des probabilités » dans l’arrêt FH c McDougall :

Lorsqu’une règle de droit exige la preuve d’un fait (le « fait en litige »), le juge ou le jury doit déterminer si le fait s’est ou non produit. Il ne saurait conclure qu’il a pu se produire. Le droit est un système binaire, les seules valeurs possibles étant zéro et un. Ou bien le fait s’est produit, ou bien il ne s’est pas produit. Lorsqu’un doute subsiste, la règle selon laquelle le fardeau de la preuve incombe à l’une ou l’autre des parties permet de trancher. Lorsque la partie à laquelle incombe la preuve ne s’acquitte pas de son obligation, la valeur est de zéro et le fait est réputé ne pas avoir eu lieu. Lorsqu’elle s’en acquitte, la valeur est de un, et le fait est réputé s’être produit. À mon avis, la seule façon possible d’arriver à une conclusion de fait dans une instance civile consiste à déterminer si, selon toute vraisemblance, l’événement a eu lieuNote de bas de page 8.

[43] Le prestataire a aussi fait valoir que la division générale n’a pas déterminé si son départ était un [traduction] « congédiement déguisé » selon la prépondérance des probabilités. Un employé peut prétendre un [traduction] « congédiement injustifié » pour contester sa cessation d’emploi dans une poursuite pour renvoi injustifié, mais le terme ne s’applique pas en l’espèce. La division générale devait déterminer si le prestataire devait être exclu pour avoir quitté volontairement son emploi ou s’il avait un [traduction] « motif valable » de quitter son emploi. La division générale n’a pas besoin de déterminer si les actions de l’employeur équivalaient à un congédiement déguisé.

[44] On ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit dans son application de la [traduction] « prépondérance des probabilités » et on ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur de droit au titre de l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS.

Question en litige no 4 : Peut-on soutenir que la division générale a commis une erreur en interprétant mal la jurisprudence?

[45] Le prestataire soutient également que la division générale a cité à tort l’arrêt Canada (Procureur général) c LamondeNote de bas de page 9. L’arrêt Lamonde est une cause dont les faits sont relativement différents des faits en l’espèce. Cependant, le principe qui a servi à rendre la décision est le suivant : « Les circonstances auxquelles réfère le paragraphe 29c), et dont il faut tenir compte pour déterminer si le fait de prendre congé peut être justifié par celles-ci, sont celles qui existaient au moment où le défendeur a pris congé de son emploi ». La division générale a cité l’arrêt Lamonde à l’appui de sa détermination selon laquelle elle ne pouvait pas examiner les circonstances après la démission du prestataire. Il n’y a pas de cause défendable au motif que la division générale a commis une erreur de droit en faisant cela.

Question en litige no 5 : Peut-on soutenir que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[46] Le prestataire soutient que la division générale a ignoré ou mal interprété plusieurs faits. Bien qu’ils ne soient pas clairement définis et qu’ils chevauchent certaines des questions dont j’ai déjà discuté, j’ai tenté de compiler et de paraphraser ci-dessous les contestations factuelles que j’ai pu relever. Le prestataire fait valoir que :

  1. on lui a crié après à de nombreuses reprises et non pas seulement lors d’une réunion visant à discuter de son rendement quant au service à la clientèle;
  2. la division générale a ignoré que l’employeur planifiait de la congédier;
  3. d’autres services ainsi que des vendeurs et des clients lui ont crié après et l’ont réprimandé;
  4. la division générale a mal interprété la nature de son courriel de [traduction] « reconnaissance » et sa lettre de démission;
  5. la division générale n’a pas tenu compte du déséquilibre des pouvoirs;
  6. la division générale aurait dû tenir compte du caractère irrationnel de démissionner sans motif valable;
  7. il n’y a pas de preuve que son absence pendant sa période de préavis n’était pas motivée;
  8. il n’avait pas de formation officielle pour l’emploi.

[47] Avant que je réponde à chacun de ces éléments, il est important de comprendre qu’un tribunal n’a pas besoin de mentionner dans ses motifs de décision chacun des éléments de preuve lui ayant été présentés, mais il est présumé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve, comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Simpson c Canada (Procureur général)Note de bas de page 10.

[48] En réponse au point 45a) ci-dessus, je note que le prestataire a fait référence dans sa demande de prestations à une discussion particulière concernant son service à la clientèle avec une gestionnaire les 20 et 23 janvier, mais il semble que ces références visent la même discussionNote de bas de page 11. Il n’y a pas de preuve qu’on lui a [traduction] « crié après » à d’autres occasions. Dans ses déclarations à la Commission, il n’a pas fait référence à des cris sauf en lien avec la discussion du 20 janvierNote de bas de page 12. Lorsque le prestataire a affirmé dans son témoignage que la gestionnaire avait crié, cela concernait le même incident, tout comme son interrogatoire de la gestionnaire sur la question de savoir si elle a crié. Si on a crié après le prestataire à d’autres occasions, cela ne figurait pas dans la preuve portée à la connaissance de la division générale. On ne peut pas soutenir que la division générale n’a pas examiné la preuve selon laquelle l’employeur a crié après le prestataire à plusieurs reprises.

[49] Dans son deuxième point ci-dessus, 45b), le prestataire laisse entendre que la division générale n’a pas compris ou examiné sa preuve selon laquelle on lui avait dit qu’il pourrait être congédié en raison de son rendement professionnel. La preuve selon laquelle le prestataire aurait été congédié s’il n’avait pas démissionné est essentiellement venue du prestataire. Il a déclaré dans sa demande de prestations qu’on lui avait dit plusieurs fois qu’il pourrait être congédiéNote de bas de page 13. Cependant, la division générale a fait référence au témoignage de l’employeur dans lequel, à la demande du prestataire, [traduction] « l’[employeur] a énuméré plusieurs clients et plaintes internes visant le prestataire lors de l’audienceNote de bas de page 14 ». La division générale a aussi noté que le prestataire avait mentionné [traduction] « qu’il savait que son rendement était suffisamment insatisfaisant pour qu’il soit congédié éventuellement et la seule option qu’il avait autre que le congédiement était de démissionner avant que cela ne se produiseNote de bas de page 15 ».

[50] Cependant, le prestataire a également mentionné dans sa demande que la gestionnaire des relations avec la clientèle lui avait dit que l’employeur aurait pu le congédier, mais qu’il ne voulait pas le congédier parce qu’il s’attendait à ce qu’il progresse. Le prestataire a écrit qu’on lui avait dit qu’il devrait rester. La gestionnaire des relations avec la clientèle a témoigné au nom de l’employeur à l’audience, et la preuve qu’elle a fournie était qu’elle avait dit au prestataire qu’il devrait se demander si le type de poste qu’il occupait était approprié pour lui, à savoir les relations avec la clientèle.

[51] On ne peut pas soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété la preuve au sujet des possibilités de congédiement du prestataire.

[52] Concernant le point 45c), le prestataire fait valoir que la division générale a ignoré la preuve selon laquelle d’autres services, ainsi que des vendeurs et des clients lui ont crié après et l’ont réprimandéNote de bas de page 16. Comme il a été mentionné ci-dessus, la division générale a fait référence aux nombreux objets de plaintes. Elle a aussi fait référence à la mention par le prestataire à un milieu de travail [traduction] « toxique » et a noté « ne pas avoir parlé à quiconque de ses sentiments concernant l’environnement de travailNote de bas de page 17 ». À mon avis, la division générale a abordé la question, qu’elle ait mentionné ou non la manière avec laquelle les plaintes ont été communiquées au prestataire par des personnes autres que la direction et on ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur en ne comprenant pas que le prestataire pourrait s’être fait crier après par d’autres personnes.

[53] Le point 45d) concerne le témoignage et la prétention du prestataire selon lequel son courriel au sujet de la rétroaction et sa lettre de démission étaient faux ou non sincères et se voulaient ironiques. D’après ce que je comprends, le prestataire laisse entendre que la division générale n’aurait pas dû s’appuyer sur cette preuve lorsqu’elle a déterminé quelle était sa relation avec sa superviseure ou quel type de pression il subissait chez son employeur. La division générale a noté le témoignage du prestataire selon lequel tout ce qu’il avait écrit dans sa lettre de démission était fauxNote de bas de page 18 et qu’il avait menti parce qu’il sentait qu’il avait besoin d’un motif pour quitter son emploi afin qu’il parte [traduction] « sur une note positive ». En ce qui concerne le courriel que le prestataire a envoyé concernant sa rétroaction, le prestataire a laissé entendre que la division générale a commis une erreur en ceci qu’elle a omis d’interpréter ce courriel comme étant [traduction] « railleur ». Je comprends d’après ce qu’il dit que le courriel de réponse ne reflétait pas ses sentiments réels à propos de la rétroaction qu’il avait reçue et était donc également faux.

[54] Le prestataire ne nie pas avoir écrit le courriel et, selon moi, la division générale était autorisée à prendre le courriel au pied de la lettre comme élément de preuve selon lequel la rencontre avec la gestionnaire avait pour but de donner de la rétroaction concernant le rendement du prestataireNote de bas de page 19 et que le ton de la rencontre était constructifNote de bas de page 20. Ce n’est pas mon rôle de réévaluer ou de soupeser à nouveau la preuve qui a été portée à la connaissance de la division générale. On ne peut pas soutenir que la division générale a omis de tenir compte de l’explication du prestataire selon laquelle il a induit en erreur l’employeur relativement à son opinion au sujet de l’employeur ou de sa rétroaction.

[55] Au point 45e), le prestataire fait valoir que la division générale n’a pas pris en considération le [traduction] « déséquilibre des pouvoirs » entre un employeur et un employé. Le « déséquilibre des pouvoirs » n’est qu’une étiquette; il ne s’agit pas d’un fait primaire. Cela exige une évaluation des circonstances. Le prestataire semble me demander d’établir tout d’abord qu’un déséquilibre des pouvoirs existait, puis de conclure que la division générale aurait dû également établir qu’il y avait déséquilibre des pouvoirs et en tenir compte. Cependant, le prestataire n’a pas souligné un élément de preuve que la division générale aurait ignoré ou mal interprété, et la division générale n’a pas commis d’erreur en omettant d’examiner les faits dans l’optique d’une exploitation potentielle des employés par les employeurs. Toute relation employeur-employé donne lieu à un « déséquilibre des pouvoirs » en quelque sorte, mais il serait absurde que cela signifie que tout employé a un motif valable de quitter son emploi. On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur en ne reconnaissant pas un « déséquilibre des pouvoirs ».

[56] Le point 45f) concerne l’argument du prestataire selon lequel la division générale n’a pas expliqué pourquoi le prestataire a quitté son emploi alors qu’il avait plusieurs bonnes raisons de rester. Le prestataire semble dire que la division générale a omis de présumer qu’il aurait agi de façon rationnelle et flegmatique et que son propre intérêt en demeurant employé ne lui aurait pas permis de quitter son emploi sauf si les circonstances avaient été objectivement intolérables.

[57] Malheureusement pour le prestataire, la division générale n’est pas tenue de présumer que les personnes agissent de façon rationnelle. De plus, les prestataires peuvent avoir d’excellentes raisons de quitter leur emploi, toutefois cela ne signifie pas que leurs bonnes raisons seront considérées comme une « justification » au sens de la Loi sur l’AE. Une justification n’équivaut pas à un motif valable selon la Loi sur l’AE. On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur en ne présumant pas que les actions du prestataire étaient rationnelles ou en n’examinant pas les raisons pour lesquelles il aurait préféré conserver son emploi.

[58] Le point 45g) concerne aussi l’affirmation du prestataire selon laquelle il n’y avait pas de preuve que son absence pendant sa période de préavis n’était pas motivée. Comme nous l’avons abordé précédemment, la question de savoir si l’absence du prestataire était motivée ou non n’était pas pertinente à la décision à rendre, conformément à l’arrêt Lamonde, et la division générale ne s’est pas appuyée sur ce fait pour rendre sa décision. Toute erreur au titre de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS exige que la division générale ait [traduction] « fondé sa décision » sur une conclusion de fait erronée. La division générale n’a pas fondé sa décision sur sa conclusion selon laquelle l’absence du prestataire n’était pas motivée et, par conséquent, le prestataire ne peut soutenir que la division générale a commis une erreur au titre de l’article 58(1)(c).

[59] Le dernier point, 45h), concerne l’affirmation du prestataire selon laquelle la division générale a ignoré le fait qu’il n’avait pas reçu de formation officielle pour l’emploi. La preuve laisse entendre qu’il occupait un emploi pour lequel le mode habituel de formation était l’apprentissage [traduction] « sur le terrain » et qu’il recevait de la rétroaction au sujet de son rendement. Le fait que le prestataire n’a pas reçu de formation officielle n’est pas contesté, en fait.

[60] Cependant, le prestataire n’a pas expliqué en quoi cette absence de formation officielle était pertinente aux questions ou à la conclusion de la division générale selon laquelle le prestataire a quitté son emploi sans justification parce qu’il avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi. On ne peut pas soutenir que la division générale a commis une erreur en ne faisant pas référence à cet élément de preuve en particulier.

[61] Je reconnais que le prestataire n’est pas d’accord avec de nombreuses conclusions de la division générale ni avec la façon dont elle a apprécié et analysé la preuve; cependant, le simple fait d’être en désaccord avec ces conclusions ne représente pas un moyen d’appel prévu à l’article 58(1) de la Loi sur le MEDSNote de bas de page 21. En réclamant d’apprécier la preuve de nouveau, la partie prestataire n’invoque pas non plus un moyen d’appel qui conférerait à l’appel une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 22.

[62] Le prestataire ne peut soutenir que la division générale a ignoré ou mal interprété l’un des éléments de preuve auxquels il a fait référence. Toutefois, conformément à la directive donnée par la Cour fédérale dans l’arrêt Karadeolian c Canada (Procureur général)Note de bas de page 23, j’ai examiné le dossier pour savoir si d’autres éléments de preuve auraient été ignorés ou mal interprétés, ce qui pourrait donc soulever une cause défendable.

[63] Je n’ai pas trouvé d’élément de preuve important qui aurait été pertinent pour la décision de la division générale, mais pour lequel il serait possible de soutenir que la division générale l’aurait ignoré ou mal interprété. Les conclusions de la division générale semblent aussi être raisonnablement ancrées dans la preuve, et il n’est pas défendable qu’elles aient été tirées de façon abusive ou arbitraire.

[64] Il est impossible de soutenir que la division générale aurait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance au titre de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

[65] L’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès.

Conclusion

[66] La permission d’en appeler est refusée.

Représentant :

K. A., non représenté

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