Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant travaille comme opérateur de grue pour l’entreprise X et est membre du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (local 905), un syndicat regroupant une partie des grutiers de la province. Entre le 18 et le 25 juin 2018, l’appelant n’a pas travaillé, car son chantier était fermé en raison d’un conflit opposant les grutiers et le Gouvernement du Québec.

[3] La Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a déterminé que l’appelant était inadmissible à recevoir des prestations pendant cette période, puisqu’il était dans l’impossibilité de reprendre son emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif.

[4] L’appelant conteste maintenant la décision de la Commission. Il soutient qu’il n’a pas participé au conflit entre les grutiers et le gouvernement, qu’il n’avait aucun intérêt dans ce conflit, qu’il ne l’a pas financé et qu’il attendait simplement d’être rappelé au travail pendant cette période. 

Questions préliminaires

[5] L’appelant ne s’est pas présenté à l’audience. Le Tribunal est convaincu que l’appelant a été avisé de la tenue de l’audience, puisqu’il a lui-même confirmé par courriel avoir reçu l’avis d’audience. Conformément au paragraphe 12(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, le Tribunal a décidé de tenir l’audience en l’absence de l’appelant.

Question en litige

[6] L’appelant était-il inadmissible au bénéfice des prestations entre le 18 et le 25 juin 2018 en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif?

Analyse

L’appelant était-il inadmissible au bénéfice des prestations entre le 18 et le 25 juin 2018 en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif?

[7] Le Tribunal considère que l’appelant n’était pas admissible à recevoir des prestations pendant la période en litige, et ce, pour les raisons suivantes.

[8] Un prestataire qui perd ou qui est incapable de reprendre son emploi en raison d'un arrêt de travail imputable à un conflit collectif à l’endroit où il travaille n'a pas le droit de recevoir des prestations d’assurance-emploi pendant la durée de l’arrêt de travail. Toutefois, le prestataire qui ne participe pas, ne finance pas et n’est pas directement intéressé par le conflit collectif qui a provoqué l’arrêt de travail n'est pas sujet à une inadmissibilité (Article 36 de la Loi sur l'assurance-emploi (Loi)).

[9] À partir du 14 juin 2018, un certain nombre de grutiers du Québec ont entrepris une  grève illégale afin de protester contre une nouvelle règle gouvernementale permettant à des apprentis d’effectuer certaines tâches auparavant réservées aux grutiers plus expérimentés. 

[10] Le 21 juin 2018, le Tribunal administratif du Travail a émis une ordonnance provisoire afin de forcer les grutiers associés à différents syndicats (dont celui de l’appelant) à retourner au travail (GD3-43 à 48). Malgré ceci, le conflit a continué jusqu’au mardi 26 juin, date à laquelle la majorité des grutiers sont retournés au travail suite à des appels de leurs centrales syndicales (GD3-49).

[11] L’appelant a travaillé jusqu’au 15 juin. Il devait retourner au travail le 18 juin, mais l’employeur a décidé de fermer le chantier par crainte de vandalisme lié à la grève (une de leur grue avait été vandalisée quelques jours auparavant, GD3-73 et 74). L’appelant a donc repris le travail le seulement le 26 juin, une fois la grève terminée (GD3-58).

[12] Le terme « conflit collectif » est défini dans la loi comme un conflit, entre employeurs et employés ou entre employés, qui se rattache à l’emploi ou aux modalités d’emploi de certaines personnes ou au fait qu’elles ne sont pas employées (article 2 de la Loi).

[13] Lorsqu'un arrêt de travail survient pendant un conflit collectif, il existe un lien de causalité entre le conflit et l'arrêt de travail (Canada (PG) c Simoneau, A-611-96).

[14] Les articles de journaux au dossier démontrent que le différend a été causé par le mécontentement des grutiers face à l’implantation par le gouvernement de nouvelles règles concernant la formation obligatoire. Il y a d’abord eu une grève d’heures supplémentaires, puis un arrêt de travail complet sur un grand nombre de chantiers. Aux yeux du Tribunal, cela constitue indéniablement un conflit collectif au sens où la Loi l’entend.  

[15] En effet, dans le domaine de la construction, le Gouvernement du Québec est responsable d’encadrer les relations de travail, la formation et la gestion de la main-d’œuvre par le biais de la Loi R-20Note de bas de page 1. Ainsi, le Tribunal estime que le gouvernement provincial peut être impliqué dans un conflit collectif avec des salariés, au même titre que l’employeur régulier de ces salariés, lorsqu’il y a mécontentement relativement aux dispositions ou à l’application de cette loi, puisque la législation dans ce cas touche directement l’emploi et les conditions de travail des salariés de ce domaine.

[16] La preuve au dossier démontre aussi que ce sont les effets de cette grève illégale qui ont empêché l’appelant de reprendre le travail comme prévu. En effet, même s’il semble que l’appelant n’était pas personnellement opposé à retourner au travail, l’employeur a dû fermer le chantier en raison de craintes légitimes de vandalisme si le chantier continuait d’opérer pendant la grève. Ainsi, puisque l’employeur a été atteint par les conséquences de la grève et qu’il a dû cesser temporairement d’exploiter le chantier où travaillait l’appelant pour cette raison, le Tribunal considère que l’arrêt de travail lié au conflit collectif s’est notamment produit à l’endroit où l’appelant exerçait son emploi. 

[17] Étant donné que l'appelant aurait vraisemblablement travaillé pendant cette période s’il n’y avait pas eu de grève et qu'il ne travaillait pas spécifiquement à cause de la grève (GD3-58), le Tribunal peut raisonnablement conclure que l'appelant était effectivement incapable de reprendre son emploi en raison d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif à l'endroit où il était employé.

[18] Par conséquent, l’appelant n’était pas admissible à recevoir des prestations pendant l’arrêt de travail, à moins de pouvoir démontrer qu’il ne participait pas, ne finançait pas ou ne s'intéressait pas directement au conflit collectif qui a provoqué l’arrêt de travail (par. 36 (4) de la Loi).

[19] Il incombe à l'appelant de prouver qu'il n'a pas participé au conflit de travail, qu’il ne l’a pas financé et qu'il n'était pas directement intéressé par celui-ci. (Black c Canada (Commission de l'assurance-emploi), 2002 CAF 255.

[20] Participation : L’appelant soutient que la CCQ n’a pas été démontré qu’il y a eu grève illégale pendant la période en litige (GD2-10). Il fait aussi valoir qu’il n’a pas participé au conflit, car il était contre les actes illégaux et l’intimidation. De plus, il n’a pas fait de piquetage et n’a pas manifesté. Il soutient qu’il ne voulait pas s’absenter du travail pendant la période en litige; c’est plutôt son employeur qui a décidé de suspendre les travaux au chantier.

[21] Les arrêts de travail causés par le conflit collectif ont été fortement médiatisés lorsqu’ils se sont produits, notamment sur le chantier du pont Champlain. De plus, des inspecteurs de la Commission de la Construction du Québec ont constaté que les grutiers n’étaient pas au travail sur un grand nombre de chantiers (GD3-44 et 46). Aux yeux du Tribunal, la preuve est suffisante pour démontrer un arrêt de travail concerté.

[22] L’appelant était du membre de Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (local 905), l’un des deux syndicats regroupant la plupart des grutiers au Québec. La direction du syndicat a pris position contre la grève illégale, toutefois, il semble qu’une bonne partie des individus membres de ce syndicat ont participé à l’arrêt de travail, puisque les grutiers étaient absents sur plusieurs chantiers à l’échelle de la province (GD3-46).

[23] Si un syndicat a été activement mêlé aux événements qui ont mené au conflit de travail, ses membres ne peuvent pas par la suite alléguer qu'ils ont droit à des prestations d'assurance-emploi parce qu'ils ne participaient pas personnellement au conflit, et ce, indépendamment du degré de participation du syndicat au conflit ou de l'intérêt que le syndicat a dans le conflit, ainsi que de toutes les autres circonstances pertinentes. (Black, précitée)

[24] Dans le présent dossier, le Tribunal considère que le syndicat était impliqué dans les évènements entourant le conflit collectif et dans les actions concertées entreprises par ses membres, et ce, indépendamment de la position officielle de la direction de l’organisme. En effet, le syndicat représentant l’appelant a confirmé qu’il était contre la nouvelle règle gouvernementale concernant la formation à l’origine du conflit collectif (GD2-6). De plus, les membres du syndicat ont été cités en tant que partie au conflit dans certains articles de journaux (GD3-38, GD2-6) et l’organisation a été visée par l’ordonnance émise par le Tribunal administratif du Travail.

[25] Par conséquent, l'appelant a participé au conflit de travail, selon le sens donné à cette expression par la jurisprudence, et ce, même s’il n’a pas personnellement choisi de cesser de travailler pendant la période en litige.  

[26] Financement : Le Tribunal est d’accord avec l’intimée : rien ne permet d’établir que l’appelant a participé au financement du conflit collectif, selon le sens donné à cette expression par la décision Hills c Canada (PG), 1988 1 R.C.S. 513.

[27] Intérêt direct : Un prestataire sera considéré comme « directement intéressé » par un conflit de travail s'il a quelque chose à gagner ou à craindre de l'issue de ce conflit (Black, précitée).

[28] Comme mentionné précédemment, l’événement à l’origine du conflit collectif était l’implantation d’une nouvelle règle permettant à des apprentis d’effectuer des tâches auparavant réservées aux grutiers de métier. Aux yeux du Tribunal, l’issue du conflit avait donc un impact potentiel sur les tâches de l’ensemble des grutiers, incluant l’appelant, et sur leurs conditions de travail futures.  

[29] De plus, aux dires des syndicats, les nouvelles règles mises en place par le gouvernement pouvaient compromettre la sécurité sur les chantiers (GD3-42). Si les préoccupations des grutiers sur cet aspect étaient suffisamment importantes pour qu’un grand nombre d’entre eux décident d’arrêter de travailler pour cette raison, alors il va de soi que l’issue du conflit devait les intéresser. Même si l’appelant soutient qu’il n’avait pas d’opinion particulière concernant la grève et qu’il voulait simplement retourner au travail, il demeure qu’il faisait partie d’un groupe de travailleur directement intéressé (ou se considérant directement intéressé) par l’issue du conflit. Le Tribunal considère que l’appelant avait un intérêt direct dans l’issue du conflit.

[30] Le Tribunal conclut que l'appelant n'a pas pu reprendre son emploi en raison d'un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif à l’endroit où il exerçait son emploi. Il n'a pas démontré qu'il ne participait pas et qu’il n’était pas directement intéressé par le conflit collectif qui a provoqué l'arrêt de travail. Par conséquent, l'appelant n'avait pas droit aux prestations d'assurance-emploi du 18 au 25 juin 2018.

Conclusion

[31] L’appel est rejeté.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 3 janvier 2019

Téléconférence

Audience tenue en l’absence des parties

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