Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le prestataire a démontré qu’il avait un motif valable justifiant toute la période de retard dans la présentation de sa demande initiale de prestations d’assurance‑emploi (AE).

Aperçu

[2] L’appelant (prestataire) a immigré au Canada en mars 2017. Il a eu trois emplois consécutifs avant de perdre son dernier emploi le 13 mars 2018. Aucun de ses employeurs ne lui a remis de relevé d’emploi. Il n’a pas présenté de demande de prestations d’AE. Il ne connaissait pas le programme d’AE. Il a découvert le régime d’AE en discutant avec une autre passagère dans l’autobus. Il s’est rendu dans un bureau de Service Canada où on lui a parlé de l’AE, il a présenté une demande de prestations d’AE le 29 juin 2918 et, quelques jours plus tard, Service Canada a communiqué avec lui pour lui demander d’obtenir son relevé d’emploi. Il a essayé de faire antidater sa demande au 11 mars 2018. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté la demande du prestataire initialement et après révision. Le prestataire interjette appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

Le prestataire est-il admissible à l’antidatation de sa demande au 11 mars 2018?

Analyse

[3] L’antidatation des demandes initiales est prévue à l’article 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. La Loi prévoit qu’une demande devrait être antidatée si 1) un motif valable justifiait le retard dans la présentation de la demande pendant toute la période du retard et 2) la partie prestataire montre qu’elle était admissible aux prestations à la date antérieure.

[4] Pour prouver qu’elle avait un motif valable pour avoir retardé la présentation de sa demande initiale de prestations d’AE, la partie prestataire doit démontrer qu’elle a fait ce qu’une personne raisonnable et prudente aurait fait dans les mêmes circonstances pour se renseigner sur ses droits et obligations aux termes de la Loi (Kamgar c Canada (Procureur général), 2013 CAF 157). La partie prestataire doit démontrer qu’elle avait un motif valable de ne pas avoir présenté de demande de prestations pendant toute la période de retard. En l’espèce, la période de retard est du 11 mars 2018 au 24 juin 2018.

Le prestataire avait-il un motif valable justifiant le retard de présentation de la demande pendant toute la période écoulée?

[5] Oui, même si le prestataire n’a pas fait des démarches raisonnablement rapides pour présenter une demande de prestations d’AE, il a démontré que des circonstances exceptionnelles justifiaient son inaction.

[6] Les tribunaux ont qualifié le critère de la « personne raisonnable » en soulignant que si une partie prestataire n’a pas agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente, il faut tenir compte de la possibilité de l’existence de circonstances exceptionnelles (Canada (Procureur général) c Caron, A‑39585). Il est donc clair que, sauf circonstances exceptionnelles, on attend d’une partie prestataire dans la situation du défendeur qu’elle « vérifie assez rapidement » les obligations que lui impose la Loi (Canada (Procureur général) c Somwaru, 2010 CAF 336).

[7] Le prestataire a affirmé dans son témoignage qu’il a immigré du Liban au Canada en mars 2017. Il a obtenu un livre quand il est arrivé à l’aéroport. Il avait du mal à tenir le livre pour le lire. Il ne savait pas qu’il existait des groupes qui aidaient les nouveaux arrivants. Des conducteurs de taxi lui ont parlé de ces organismes. Il a assisté à quelques séances d’orientation où il a appris des notions sur les opérations bancaires, la location d’un logement, la façon d’utiliser l’autobus, et il a assisté à des ateliers sur le démarrage d’une entreprise. Le prestataire a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait pas eu d’information dans les ateliers au sujet des services du gouvernement fédéral. Il est maintenant affilié à une association pour les nouveaux immigrants. L’association offre des ateliers sur la recherche d’emploi, de l’aide de spécialistes de l’emploi et des simulations d’entrevues d’embauche.

[8] Le prestataire a expliqué qu’aucun de ses employeurs antérieurs ne lui a dit comment les retenues d’AE sur son chèque seraient utilisées. Ses collègues ne lui ont pas parlé de l’AE. Il a affirmé qu’il ne connaît toujours pas les trois taxes retenues sur son chèque de paye. Lorsqu’il regarde des offres d’emploi, il voit le salaire, mais ne sait pas exactement combien il gagnerait.

[9] Le prestataire a affirmé qu’il était dans l’autobus le lendemain de la fin de son dernier emploi, lorsqu’une femme s’est assise à côté de lui et lui a demandé s’il travaillait. Il a répondu [traduction] « non ». Elle lui a alors demandé s’il [traduction] « recevait de l’AE ». Il lui a demandé [traduction] « qu’est-ce que c’est? » Elle a répondu que [traduction] « s’il est admissible il pourrait obtenir de l’aide financière provenant d’un remboursement fiscal ». La femme lui a dit qu’il devait aller à [traduction] « Assurance Canada » pour présenter une demande et voir s’il est admissible. Peu après, il s’est rendu dans un bureau de Service Canada et a raconté son histoire. Il n’avait pas travaillé depuis mars. Il a reçu un appel quelques jours plus tard. L’agent lui a expliqué en quoi consistait le programme. Le prestataire a expliqué qu’il n’a pas reçu de relevé d’emploi lorsqu’il a quitté les trois emplois qu’il a occupés. L’agent de Service Canada a dit au prestataire d’obtenir ses relevés d’emploi. Il a communiqué avec ses employeurs pour les obtenir. Après l’audience, le prestataire a soumis une copie d’un courriel à son deuxième employeur daté du 21 juin 2018, dans lequel il demandait un relevé d’emploi, et une copie d’un message texte daté du 9 juillet à son premier employeur dans lequel il demandait un relevé d’emploi. Le 26 juin 2018, le deuxième employeur du prestataire a envoyé le relevé d’emploi au prestataire en pièce jointe à un courriel. La demande initiale d’AE du prestataire a été reçue le 29 juin 2018. Le 11 juillet, le premier employeur du prestataire a avisé le prestataire que le document était prêt à être ramassé au magasin. Le prestataire a affirmé que Service Canada a dû demander le relevé d’emploi au troisième employeur. Le prestataire a affirmé que le relevé d’emploi du troisième employeur a été produit le 23 août 2018, parce que les deux relevés d’emploi antérieurs de l’employeur étaient incorrects.

[10] Le prestataire a mentionné dans sa demande de révision qu’à l’époque il n’était pas au courant que le gouvernement avait ce type de programmes. À l’époque, il existait une barrière linguistique. Le prestataire a affirmé dans son témoignage qu’il [traduction] « débutait à peine » en anglais et qu’il avait de la difficulté écouter et à comprendre les Canadiens qui parlaient vite, utilisaient l’argot ou avaient un accent.

[11] La Commission a fait valoir que le prestataire n’a pas a agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation pour s’enquérir de ses droits et obligations sous le régime de la Loi. Le prestataire a fini de travailler le 12 mars 2018 et n’a pas présenté sa demande de prestations avant le 29 juin 2018. Il a mentionné qu’il ne savait pas que ce programme existait parce qu’il était nouveau au Canada. Il a affirmé qu’après avoir été sans emploi pendant trois mois il avait des problèmes financiers et a décidé de vérifier auprès de Service Canada à la fin de juin. La Commission a soutenu que le prestataire a mentionné que rien ne l’empêchait de présenter sa demande à une date antérieure.

[12] Lorsqu’une partie prestataire ne présente pas sa demande en temps opportun et qu’en bout de ligne, son ignorance de la loi est la raison de cette omission, on devrait considérer qu’il a prouvé l’existence d’un « motif valable » s’il réussit à démontrer qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer des droits et obligations que lui impose la Loi. Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n’existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des circonstances est requise, ce qui exclut toute possibilité d’un critère exclusivement objectif (Procureur général du Canada c Albrecht, A‑172‑85).

[13] Selon la Commission, le prestataire a eu deux vagues conversations à propos de l’AE : l’une concernant les heures requises et l’autre lorsque quelqu’un lui a dit qu’il devrait présenter une demande et voir la suite des choses. Le prestataire n’était pas en mesure de dire quand ces conversations ont eu lieu. Il a dit à la Commission que les personnes avec qui il vivait ne lui ont pas parlé de l’AE. La Commission a conclu que le prestataire a décidé de présenter une demande d’AE trois mois après avoir cessé de travailler, lorsqu’il avait des problèmes financiers. Selon le témoignage livré par le prestataire, il a découvert l’AE et la façon de présenter une demande grâce à une étrangère dans l’autobus. Dans son témoignage, le prestataire n’a pas fait référence aux difficultés financières comme étant la raison de sa demande d’AE. Il a soutenu que la seule chose qui l’avait empêché de présenter une demande d’AE était son manque de connaissances. Le Tribunal privilégie la preuve du prestataire donnée directement au Tribunal en ce qui concerne le moment et la façon dont il a pris connaissance de l’AE et des démarches qu’il a faites pour s’informer au sujet de l’AE parce que la preuve était détaillée et il était franc et cohérent dans ses déclarations au Tribunal. La preuve au dossier concernant les conversations du prestataire et de la Commission n’est pas concluante en ce qui a trait à quand et avec qui le prestataire a eu des conversations au sujet de l’AE.

[14] Le Tribunal estime que le prestataire a démontré qu’il avait un motif valable durant toute la période du retard justifiant le fait qu’il n’a pas pris de mesures raisonnablement rapides en raison de circonstances exceptionnelles. Le prestataire a récemment immigré au Canada, il était un nouveau membre du système d’emploi canadien et sa recherche d’information au sujet de l’AE était entravée parce qu’aucun de ses anciens employeurs n’avait produit de relevé d’emploi. Le Tribunal note qu’un relevé d’emploi fournit des renseignements importants concernant le moment et la façon de présenter une demande d’AE. L’exigence selon laquelle le prestataire doit prendre des mesures rapides afin de « s’assurer de ses droits et de ses obligations conférés par la Loi » peut s’appliquer une fois que le prestataire est au courant des circonstances concernées par la Loi. Le Tribunal accepte que le prestataire n’a reçu de relevé d’emploi d’aucun de ses employeurs comme le montrent sa preuve selon laquelle c’est un agent de Service Canada qui lui a dit d’obtenir ses relevés d’emploi, le message texte et le courriel qu’il a fournis montrant les dates auxquelles il a demandé les relevés d’emploi à ses deux premiers employeurs, ainsi que la date à laquelle le relevé d’emploi du troisième employeur a été finalisé. Le Tribunal accepte que le prestataire ne pouvait pas savoir qu’il fallait communiquer avec Service Canada lorsqu’il a cessé de travailler parce qu’il n’a reçu de relevé d’emploi de la part d’aucun de ses employeurs. Le Tribunal accepte que les collègues et les amis du prestataire n’ont pas discuté du régime d’AE avec lui. Lorsqu’il a pris connaissance du régime d’AE et qu’on lui a dit qu’il devrait présenter une demande, il s’est rendu dans un centre de Service Canada et s’est informé au sujet des prestations. Lorsqu’il en a reçu l’instruction, il a obtenu les relevés d’emploi requis. Par conséquent, le Tribunal juge que le prestataire a démontré qu’il avait un motif valable pour avoir présenté sa demande en retard et bien qu’il n’ait pas pris de mesures immédiates pour s’informer de ses droits et obligations au titre de la Loi, il a pris des mesures immédiates dès qu’il a été mis au courant de l’existence du programme d’assurance-emploi. Par conséquent, le Tribunal estime que les circonstances du prestataire étaient exceptionnelles et que, par conséquent, il a fait ce que toute personne raisonnable placée dans sa situation aurait fait.

Le prestataire aurait-il rempli les conditions requises pour recevoir des prestations le 11 mars 2018?

[15] La Commission n’a pas fourni d’observation à cet égard. Le prestataire a demandé que sa demande de prestations d’AE soit antidatée en date du 11 mars 2018. Le Tribunal souligne que dans les renseignements supplémentaires concernant la demande de prestations, datés du 26 octobre 2018, un agent de Service Canada a consigné : [traduction] « Expliqué au prestataire que les 16 semaines auxquelles il avait droit lui ont été versées. S’il avait présenté sa demande lorsqu’il a fini de travailler, il aurait eu droit à plus de prestations ». Compte tenu de l’absence de preuve à cet égard et de la déclaration de l’agent au prestataire, le Tribunal estime que le prestataire était admissible au bénéfice des prestations à la date antérieure du 11 mars 2018.

Conclusion

[16] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 11 décembre 2018

Téléconférence

E. I., appelant

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