Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli.  

Aperçu

[2] L’appelante a travaillé comme éducatrice à la garderie X (« la Garderie ») jusqu’au 22 mai 2018, date à laquelle son emploi a pris fin. L’employeur soutient que l’appelante a quitté volontairement son emploi en démissionnant.

[3] Après examen du dossier, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a déterminé que l’appelante avait quitté volontairement son emploi sans justification. L’appelante a donc été exclue du bénéfice des prestations pour cette raison.

[4] L’appelante conteste maintenant la décision de la Commission. Elle soutient qu’elle n’a pas démissionné de son emploi et qu’elle souhaitait plutôt obtenir une réaffectation ou un retrait préventif en raison des risques reliés à sa grossesse et à ses fonctions d’éducatrice. Elle considère que son employeur l’a congédiée parce qu’elle était enceinte.

Question en litige

[5] L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi à la garderie X?

Analyse

[6] Un prestataire qui quitte volontairement son emploi sans justification est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi)).

[7] Le prestataire est toutefois fondé à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, le départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas (alinéa 29c) de la Loi).

[8] Il incombe à la Commission de prouver que le départ était volontaire, et à l’appelante de démontrer qu’elle était fondée à quitter son emploi. (Green c Canada (Procureur général) 2012 CAF 313)

[9] Donc, en premier lieu et avant de se pencher sur la question de la justification, le Tribunal doit d’abord déterminer s’il y a eu, dans ce dossier, une situation de départ volontaire.

L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi à la Garderie?  

[10] Le Tribunal considère que l’appelante n’a pas quitté son emploi volontairement, et ce, pour les raisons suivantes.

[11] L’employeur soutient que l’appelante s’est présentée au travail le 21 mai 2018 pour l’aviser qu’elle était enceinte et qu’elle voulait quitter son emploi. Le lendemain, elle lui a remis une lettre de démission confirmant son départ. Plus tard au cours de la même journée, l’employeur soutient que le mari de l’appelante s’est présenté à la Garderie et a demandé à voir la lettre de démission déposée par sa femme. Lorsqu’il eut le document en main, il l’a chiffonné et est parti en bousculant le personnel sur place. L’employeur soutient avoir déposé une plainte à la police concernant cet évènement. L’appelante et son mari ont ensuite été avisés de ne plus se présenter en personne à la Garderie (GD3-27,39, 49). Deux autres personnes, soit le parent d’un autre enfant et un agent de police ont confirmé avoir été témoins de l’incident du 22 mai. (GD3-40 et 50)

[12] L’appelante, de son côté, déclare s’être présentée à la Garderie le 21 mai pour informer son employeur qu’elle était enceinte. Conformément à l’avis de son médecin, elle a demandé à être réaffectée à d’autres fonctions ou mise en arrêt de travail de manière préventive, en raison des risques particuliers reliés à l’emploi d’éducatrice à la petite enfance pendant une grossesseNote de bas de page 1.

[13] En réponse, l’appelante soutient que l’employeur lui a demandé de terminer la semaine, afin de lui permettre de trouver une nouvelle éducatrice et l’appelante a accepté. Le lendemain (le 22 mai), elle a travaillé une journée normale. En fin de journée, son mari s’est présenté sur les lieux pour obtenir des explications de la directrice de la garderie concernant les procédures pour obtenir le versement de salaire ou de prestations pendant le retrait préventif de sa conjointe. Selon l’appelante, son mari a eu une conversation animée avec la directrice, car lui et l’employeur n’étaient pas d’accord sur certains éléments. Il a quitté les lieux en chiffonnant le document contenant les informations et procédures concernant le retrait préventif. 

[14] Au cours de la nuit, l’appelante a reçu un courriel de la directrice l’avisant de ne plus se présenter à la Garderie, avec peu d’explications (GD3-42). L’appelante soutient ne jamais avoir dit à son employeur qu’elle souhaitait démissionner et ne jamais avoir préparé de lettre de démission. Au contraire, elle soutient avoir avisé les parents des enfants de son groupe qu’elle arrêtait de travailler de manière préventive et qu’elle serait de retour à la fin de son congé de maternité. Elle considère avoir été congédiée en raison de sa grossesse.

[15] Le Tribunal constate que l’employeur a toujours soutenu, dans ses conversations avec la Commission, que l’appelante avait démissionné de son emploi. Toutefois, le Tribunal note aussi qu’aucun des deux témoins cités par la Commission (GD3-40 et 50) ne semble avoir vu le contenu du document chiffonné par le mari de l’appelante lors de l’incident du 22 mai. L’employeur soutient qu’il s’agissait d’une lettre de démission, mais personne d’autre ne peut en témoigner.

[16] L’appelante soutient plutôt que le document chiffonné par son mari le 22 mai comportait des explications et la marche à suivre pour obtenir des indemnités et un salaire pendant son retrait préventif. Aux yeux du Tribunal, cette explication est tout aussi plausible. De plus, l’appelante a toujours maintenu qu’elle n’avait pas démissionnée de son emploi; elle considère avoir été congédiée, notamment parce que l’employeur ne voulait pas l’accommoder ou débourser pour son retrait préventif.

[17] Lors de l’audience, l’appelante a témoigné avec assurance et a fourni des précisions et des éléments de contexte importants dans le cadre du présent dossier. Le Tribunal estime que l’appelante est sincère lorsqu’elle soutient qu’elle n’avait aucune intention de démissionner et qu’elle souhaitait simplement demander à son employeur de la mettre en arrêt de travail de manière préventive, conformément à l’avis de son médecin.

[18] D’ailleurs, contrairement à ce que soumet la Commission (GD4-4), il s’avère que l’appelante a consulté un médecin spécifiquement en vue de son retrait préventif le 19 mai 2018, soit avant de rencontrer son employeur le 21 mai pour lui annoncer qu’elle était enceinte. En effet, le certificat médical au dossier démontre clairement que l’appelante a rencontré le Dr. Hector le 19 mai et que son retrait préventif a pris effet le même jour. La copie papier du certificat a été envoyée à l’appelante quelques jours plus tard, soit le 29 mai, après avoir été approuvée par un second médecin (GD3-43). Il est donc vraisemblable que celle-ci ait choisi de rencontrer son employeur le 21 mai précisément en vue de discuter du retrait préventif ordonné par le médecin le 19 mai, et non pour parler d’une démission ou d’une fin d’emploi définitive.

[19] En fait, à part la version des faits de la directrice de la garderie, il n’y a rien dans la preuve qui appuie la thèse du départ volontaire. Même les conversations entre l’appelante et son employeur après le 22 mai ne mentionnent pas clairement la démission de l’appelante. La directrice de la garderie avise plutôt l’appelante de ne pas s’approcher de la garderie en raison de l’incident impliquant son mari. Elle mentionne aussi que le médecin doit lui faire parvenir les papiers (concernant le retrait préventif) et explique qu’il incombe à l’appelante, certificat médical en main, de faire sa demande à la CSST (GD3-42).  

[20] Il semble donc que la rupture du lien d’emploi a été provoquée ou précipitée par les actions malheureuses du mari de l’appelante lors de l’incident du 22 mai. C’est suite à cet incident que l’appelante a reçu l’avis formel de rester loin de la garderie, même si elle n’a pas participé à l’incident et qu’elle n’en est pas directement responsable. Aux yeux du Tribunal, si le mari de l’appelante a choisi d’agir de manière brusque ou agressive devant la directrice de la garderie, ce n’est pas à l’appelante d’en faire les frais. 

[21] Ainsi, le Tribunal considère que la balance des probabilités penche légèrement en faveur de l’appelante. En effet, la preuve tend à démontrer que l’appelante a fait preuve de diligence en consultant un médecin en vue d’un retrait préventif avant de discuter avec son employeur. Ainsi, en rencontrant son employeur le 21 mai, le Tribunal estime que l’appelante souhaitait vraisemblablement être réaffectée à d’autres fonctions ou retirée du travail de manière préventive, conformément aux dispositions de la loi provinciale et aux recommandations de son médecin. C’est plutôt l’employeur qui a choisi de mettre fin au lien d’emploi, une journée après avoir été avisé de la grossesse de son employée et suite à un incident dont l’appelante n’est manifestement pas responsable.

[22] Le Tribunal est d’avis que la Commission n’a pas rempli le fardeau qui lui incombait, soit de démontrer que l’appelante a quitté volontairement son emploi. Puisque le Tribunal considère qu’il n’y a pas eu de départ volontaire, il n’est pas pertinent de se poursuivre l’analyse de ce litige.

[23] À titre de commentaire, le Tribunal note que l’appelante a demandé à recevoir des prestations de maternité dans sa demande initialeNote de bas de page 2. Or, comme la Commission le soutient (GD3-30), le Québec offre déjà son propre régime d’assurance parentale, le RQAP. Tel que le prévoit le Règlement sur l’assurance-emploi, si l’appelante a droit à des prestations en vertu du régime provincial pendant et après sa grossesse, elle devient alors automatiquement inadmissible à recevoir des prestations de maternité ou des prestations parentales au terme du régime fédéral d’assurance-emploiNote de bas de page 3. À la lumière de la décision du Tribunal concernant le départ volontaire, ceci n’empêche toutefois pas l’appelante de recevoir un autre type de prestations pendant sa grossesse, comme des prestations régulières, en autant qu’elle remplisse les exigences législatives pour recevoir ce type de prestations. 

[24] Le Tribunal remarque aussi que l’appelante a voyagé à l’extérieur du Canada pendant une longue période après sa fin d’emploi, soit entre le 7 juillet et le 28 septembre 2018 (GD3-48). Une inadmissibilité au bénéfice des prestations pourrait donc être applicable entre ces deux dates, conformément à l’article 37 de la Loi. Toutefois, puisqu’il ne s’agit pas de la question actuellement en litige, le Tribunal ne tire aucune conclusion sur cet aspect et laisse à la Commission le soin de se pencher sur la période hors Canada.

Conclusion

[25] L’appelante n’a pas quitté son emploi volontairement. L’appel est accueilli et l’exclusion imposée par la Commission est annulée.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 14 janvier 2019

Téléconférence

Z. S., appelante

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