Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant travaille dans le domaine de la construction. Il a fait une demande renouvelée de prestations d’assurance-emploi prenant effet le 18 février 2018. Il admet avoir quitté son emploi chez X le 16 février 2018. Il affirme avoir quitté pour le non-respect de la convention collective par l’employeur ainsi que le non-respect des conditions d’embauche, particulièrement au niveau de la rémunération. La Commission de l’assurance-emploi (la Commission) a pour sa part déterminé que l’appelant n’était pas justifié de quitter son emploi selon la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). L’appelant a donc été exclu du bénéfice des prestations.

Questions en litige

[3] Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’appelant a-t-il subi une modification importante de ses conditions de rémunérations?
  2. Est-ce que l’appelant était dans une situation où l’employeur avait des pratiques contraires au droit?
  3. Est-ce que le fait de quitter son emploi constituait la seule solution raisonnable dans le cas de l’appelant?

Analyse

[4] La question globale qui doit être analysée par le Tribunal est si l’appelant était fondé à quitter son emploi selon la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). En règle générale, une personne qui quitte son emploi de façon volontaire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (article 30 de la Loi). Le Tribunal reconnait cependant que parfois une personne peut être fondée à quitter volontairement son emploi et être éligible aux prestations d’assurance-emploi. C’est à elle de faire cette démonstration.

[5] Le paragraphe 29 c) de la Loi énonce une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent justifier le fait qu’une personne quitte volontairement son emploi. Le Tribunal s’est penché sur les motifs de départ de l’appelant dans son analyse en répondant aux questions suivantes :

Question en litige no 1 : L’appelant a-t-il subi une modification importante de ses conditions de rémunérations?

[6] Une des circonstances énumérées au paragraphe 29 c) de la Loi qui justifie le départ d’une personne qui quitte son emploi est la modification importante de ses conditions de rémunération (art. 29 c)(vii)).

[7] Le Tribunal conclut qu’en l’espèce, l’appelant a subi une modification importante de ses conditions de rémunération du fait que ses conditions d’embauche n’ont pas été respectées.

[8] L’appelant soutient que lors de sa discussion avec le patron de X, ils se sont entendus sur un contrat de travail et il a été convenu qu’il allait travailler à 80% dans le secteur de la construction neuve et à raison de 20% dans le secteur de la rénovation. Il explique que les travailleurs dans le secteur de la construction neuve sont couverts par la convention collective qui offre nettement de meilleurs avantages, incluant un salaire plus élevé, des frais de déplacement, des assurances, paie de vacances, avantages sociaux et autres conditions de travail. L’appelant note que les travailleurs dans le secteur de la rénovation ne sont couverts par aucune convention collective.

[9] L’appelant affirme que tout s’est bien déroulé pour les deux ou trois premières semaines et que l’employeur respectait l’entente (80% construction neuve, 20% rénovation). Cependant, il indique qu’après cette période, il a été affecté à plus de travaux de rénovation et moins de constructions neuves. Il affirme que vers le mois de décembre, il faisait 100% du travail de rénovation. Il dit en avoir parlé à son employeur qui lui a dit que ce n’était qu’une petite phase et que les choses allaient changer.

[10] L’appelant a expliqué lors de son témoignage que lorsqu’il travaillait en rénovation, il gagnait environ 10$ de l’heure de moins que dans le secteur de la construction neuve.

[11] Bien que non lié par les décisions des juges arbitres, je partage  l’avis du juge Rouleau dans CUB65136 à l’effet que le non-respect des conditions établies à l’embauche est assimilable à une modification des fonctions. Dans ce cas précis, mais pour les mêmes raisons, le non-respect des conditions d’embauche est assimilable à une modification importante de conditions de rémunération. Un travailleur ne peut être pénalisé d’avoir accepté un emploi de bonne foi en se fiant aux termes entendus à l’embauche. J’accorde un poids significatif au témoignage de l’appelant et retiens que les informations qu’il avait reçues de l’employeur à l’embauche ne correspondaient pas aux véritables conditions de travail qu’il vivait à l’emploi. Dans une seule déclaration à la Commission, l’employeur aurait dit qu’il ne se souvenait pas d’avoir promis à l’appelant un pourcentage d’ouvrage en construction neuve. J’estime que cette preuve est non convaincante.

[12] J’accepte que les conditions de travail, suite aux deux ou trois premières semaines d’ouvrage de l’appelant fussent très différentes de ce qui avait été conclu à l’embauche. J’estime que ces cette différence de conditions de travail constitue une modification importante des conditions de rémunération de l’appelant conformément au sous-paragraphe 29 c)(vii) de la Loi.

Question en litige no 2 : Est-ce que l’appelant était dans une situation où l’employeur avait des pratiques contraires au droit?

[13] Le sous-paragraphe 29c)(xi) de la Loi prévoit que lorsque l’employeur a des pratiques contraires au droit, une personne peut être justifiée de quitter emploi.

[14] En l’espèce, je conclus sur la balance des probabilités que l’employeur avait des pratiques contraires au droit en raison de son non-respect de la convention collective de l’appelant.

[15] À ce jour, la Cour d’appel fédérale n’a rendu aucune décision spécifiquement à ce type de circonstances entourant un départ volontaire. Cependant, j’estime raisonnable de conclure que le non-respect par l’employeur des dispositions d’une convention collective peut être assimilé à une pratique contraire au droit. J’estime que dans ce cas, l’appelant a démontré que l’employeur ne respectait pas certaines clauses de la convention collective et donc qu’il ne respectait pas le droit qui régit ses rapports avec ses employés.

[16] L’appelant a fait valoir que l’employeur ne respectait pas la convention collective à propos du paiement de la paie. Je constate que l’article 21.02 de la convention collective dans le secteur résidentiel, déposée en preuve, indique que «le salaire doit être versé en entier, en espèce ou par chèque payable au pair, au plus tard le jeudi de chaque semaine avant la fin de sa journée normale de travail. Avec l’accord du salarié, l’employeur pourra verser le salaire par transfert bancaire.» L’appelant a indiqué à plusieurs reprises et répété lors de son témoignage qu’il avait parfois reçu sa paie le vendredi seulement par dépôt direct. L’employeur n’a d’ailleurs pas nié avoir payé ses employés le vendredi, mais affirme que c’est arrivé à seulement à une ou deux reprises. Il est donc établi que l’employeur a bel et bien été en contravention à la convention collective. Je retiens de la preuve que l’appelant a été payé le vendredi à quelques occasions ce qui n’est pas permis et aussi qu’à d’autres occasions il a reçu sa paie dans son compte de banque en soirée le jeudi, ce qui n’est pas permis non plus puisque c’est après la journée de travail.

[17] L’appelant soutient de plus que l’employeur ne respectait pas l’article 23.04 de la convention collective relativement à la comptabilisation de ses heures de transport. L’appelant affirme que chaque jour, il prenait le véhicule de l’entreprise à X, allait chercher un confrère en chemin et se rendait au lieu de travail, la plupart du temps des chantiers dans la région de Québec. C’est lui qui conduisait.

[18] L’article 23.04 de la convention collective stipule que :

Le temps de transport nécessaire à un salarié pour se rendre au travail avant que commence la journée normale de travail et pour en revenir après, ne fait pas partie de la journée normale de travail et n'est pas rémunérable sauf pour le conducteur du véhicule affecté au transport des salariés pour qui le temps est inclus dans le calcul des heures de travail.

[19] J’accepte le témoignage de l’appelant à l’effet qu’il était le conducteur du véhicule affecté à se rendre sur les lieux du travail. J’estime donc qu’il aurait dû être rémunéré pour son temps de travail à partir de son départ de X le matin jusqu’à son retour chez l’employeur en fin de journée. Or, ce n’est pas ce qui se produisait. L’appelant indique avoir fait part de ses commentaires à cet effet à son patron et ce dernier aurait répondu que personne ne lui avait jamais fait une telle requête, qu’il ne payait pas ce transport en plus de fournir le véhicule et que c’était le fonctionnement de son entreprise. Dans son entrevue avec la Commission, à propos de cette question, l’employeur a répondu que «…c’est pas vrai que les transports était payé quand c’était des travaux sous décret et pas payé quand c’en était pas.» Cette réponse non concluante ne vient ni confirmer ni infirmer la version de l’appelant, mais j’estime raisonnable de croire qu’il ne payait pas le temps de transport de ses employés selon sa déclaration. Encore une fois je conclus donc à une violation de la convention collective et par le fait même une pratique contraire au droit.

[20] L’appelant a par ailleurs fait valoir que l’employeur a exigé à quelques reprises que les employés dont l’appelant fournissent certains outils. L’appelant soutient que l’employeur ne respectait pas la convention collective qui prévoit que les outils doivent être fournis par l’employeur. Il soumet en preuve l’annexe F-2 de la convention qui fait une liste des outils qui doivent être fournis par le charpentier-menuisier. J’estime que la liste est relativement courte et qu’elle indique effectivement que sauf cette liste, les outils doivent être fournis par l’employeur. Ayant accordé un poids significatif au témoignage de l’appelant je retiens donc sa version et conclus que l’employeur s’est adonné à une pratique contraire au droit lorsqu’il exigeait à l’appelant de fournir des outils, autre que ceux sur la liste de l’annexe F-2.

Question en litige no 3 : Est-ce que le fait de quitter son emploi constituait la seule solution raisonnable dans le cas de l’appelant?

[21] Afin de déterminer si l’appelant était fondé à quitter son emploi, ce dernier ne doit pas seulement démontrer qu’il a quitté en raison d’exceptions indiquées à l’alinéa 29 (c) de la Loi. Même en présence de pratiques contraires au droit et de modifications de ses fonctions, il doit en plus démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas (Canada (Procureur général) c Patel, 2010 CAF 95 (Patel), Bell, A-450-95, Landry, A-1210-92). En effet, le juge Létourneau dans la décision Hernandez rappelle qu’en conjonction avec les exceptions citées à l’article 29 de la Loi, il est impératif de considérer si le fait de quitter volontairement son emploi constituait la seule solution raisonnable et que de ne pas le faire constituerait une erreur de droit (Hernandez, 2007 FCA 320).

[22] La Commission soutient que l’appelant avait d’autres solutions raisonnables qui s’offraient à lui. Dans le cas du paiement de la paie, la Commission soutient que l’employeur avait dit être prêt à modifier le moment du versement des payes. Elle ajoute que l’appelant aurait dû patienter jusqu’au changement de l’employeur. L’appelant de son côté soutient avoir été patient et attendu lorsque son patron lui a dit qu’il ferait quelque chose, mais que plus tard, vers la fin du mois de janvier, l’employeur lui a carrément dit qu’il n’allait pas créer deux systèmes de paies. Je ne vois donc pas comme une option raisonnable celle d’attendre puisque l’appelant s’est déjà fait confirmer par l’employeur que le système de paie resterait le même.

[23] L’appelant a indiqué que lorsqu’il a constaté le vendredi matin 16 février 2018 que sa paie n’était toujours pas déposée, il n’avait pas d’argent pour mettre de l’essence dans son véhicule et donc ne pouvait pas se présenter au travail. Il indique que sa paie s’est retrouvée dans son compte autour de 10h30 en matinée le 15 février 2018.

[24] À propos des pratiques de l’employeur contraire au droit ainsi que du non-respect des conditions d’embauche par rapport au secteur de construction neuve/rénovation, la Commission soutient que l’employeur et l’appelant avaient des versions contradictoires et que leur litige pouvait se régler devant d’autres instances tel que la Commission de la construction du Québec (CCQ) ou la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). La Commission est d’avis qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un prestataire fasse des démarches auprès des instances compétentes lorsqu’il croit que ses droits sont lésés. La Commission soutient de plus que l’appelant aurait pu attendre de se trouver un autre emploi avant de quitter X.  

[25] J’estime que la Commission a rendu ses conclusions rapidement et propose des solutions qui ne sont pas raisonnables. Je reconnais que la question ne consiste pas à savoir s’il était raisonnable pour l’appelant de quitter son emploi, mais bien à savoir si c’était la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances (Laughland, 2003 FCA 129). En d’autres mots, il n’est pas suffisant pour un prestataire de prouver qu’il était raisonnable de quitter son emploi. Ce qui est raisonnable peut correspondre à un « motif valable », mais ne constitue pas nécessairement une « justification » (Tanguay A-1458-84). À l’opposé, la Commission ne peut s’attendre à ce que l’appelant opte pour des options déraisonnables avant de quitter.

[26] Je conclus que le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable dans son cas. C’est l’ensemble des circonstances de l’appelant qui doivent être prises en considération. J’accorde un poids significatif au fait que les conditions de travail de l’appelant qui avaient été convenues à l’embauche n’ont pas été respectées. J’accepte les explications de l’appelant et de son représentant à l’effet que les syndicats des employés du domaine de la construction ne font des griefs que pour les mesures disciplinaires. Cette option soulevée par la Commission est donc non-existante. L’appelant a admis que certes, il aurait pu faire une plainte à la CCQ à propos de son salaire. Il indique cependant que malheureusement la CCQ met entre 2 et 4 ans à régler ce type de litige. Dans ces circonstances, je ne pourrais qualifier de raisonnable cette option, surtout lorsqu’il y a divers autres irritants à cet emploi.

[27] J’accorde aussi un poids significatif à la situation de l’appelant par rapport aux distances. L’appelant a expliqué qu’il habitait à 77 kilomètres de l’employeur. Il partait donc de chez lui très tôt le matin, roulait 77 km jusqu’à X pour ensuite prendre le véhicule de la compagnie et se rendre à Québec sur les chantiers. Il faisait le chemin inverse à la fin de la journée. Cela fait des journées très longues et rend difficile la possibilité de faire des démarches de recherches d’emploi. De plus, cela explique pourquoi l’option de rester à l’emploi n’était pas raisonnable. J’accepte la déclaration de l’appelant à l’effet que ses conditions étaient réellement moins avantageuses dans le secteur de la rénovation et qu’il n’aurait jamais accepté l’emploi au départ s’il avait su que l’employeur n’allait pas respecter son entente de l’affecter aux constructions neuves à 80%. Dans ce contexte, en additionnant les pratiques de l’employeur contraire au droit, le non-respect des conditions d’embauches et les difficultés à se faire payer dans les temps requis, j’estime qu’il est plutôt difficile de conclure que de rester au travail constituait une autre solution raisonnable. J’estime que le cumul des circonstances défavorables à l’appelant avec son travail pour X font en sorte que son départ était fondé, car il constituait la seule solution raisonnable.

Conclusion

[28] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

17 décembre 2018

Téléconférence

E. P., appelant
Antoine Berthelot, représentant de l’appelant

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