Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelante, J. D. (prestataire), a affirmé avoir été congédiée parce qu’elle avait refusé de poser certains gestes médicaux qu’elle n’était pas autorisée à poser selon le College of Alberta Dental Assistants (Collège), l’organisme de réglementation pour les assistants dentaires. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a d’abord accepté que la prestataire n’avait pas été congédiée pour cause d’inconduite conformément à la Loi sur l’assurance-emploi et a agréé sa demande de prestations d’assurance-emploi. L’employeur a demandé une révision de cette décision, soutenant que la prestataire avait été congédiée parce qu’elle avait, de son propre chef, décidé d’utiliser une pièce à main à grande vitesse dans la bouche d’un patient, un geste qui excédait son champ de pratique. Après avoir mené une enquête, la Commission est revenue sur sa décision pour conclure que la prestataire avait été congédiée en raison de son inconduite, et l’a exclue du bénéfice des prestations. La prestataire a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais celle-ci a rejeté son appel. Elle interjette maintenant appel à la division d’appel.

[3] L’appel est accueilli. La division générale n’a pas tenu compte d’une preuve révélant que la prestataire avait été congédiée pour une autre raison que celle avancée par l’employeur, et elle a rejeté une preuve contradictoire d’une façon qui était abusive ou arbitraire ou faisait fi des éléments portés à sa connaissance, ou sans justification convenable.

[4] J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. La prestataire n’est pas exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle a été congédiée pour une autre raison que son inconduite.

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle erré en concluant que la prestataire avait été congédiée pour avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse, sans tenir compte de la preuve montrant que son congédiement était attribuable à une autre raison?

[6] La division générale a-t-elle erré en concluant que la prestataire avait utilisé une pièce à main à grande vitesse

  1. sans tenir compte de la preuve contredisant la déclaration de témoins?
  2. en tirant des conclusions non fondées en l’absence d’une négation explicite de la prestataire et d’après son explication voulant qu’elle [traduction] « ne faisait qu’un ajustement rapide de l’occlusion »?

Analyse

[7] La division d’appel ne peut intervenir à l’égard d’une décision de la division générale que si elle conclut que cette dernière a commis l’une des erreurs correspondant aux « moyens d’appel » prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[8] Les moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle erré en concluant que la prestataire avait été congédiée pour avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse, sans tenir compte de la preuve montrant que son congédiement était attribuable à une autre raison?

[9] La division générale a affirmé que rien n’étayait la déclaration de la prestataire voulant qu’elle avait été congédiée parce qu’elle avait omis de retirer un fil rétracteur.

[10] Dans sa demande de prestations initiale, la prestataire a déclaré qu’elle avait refusé à de nombreuses occasions de faire un recouvrement et une réparation provisoireNote de bas de page 1. Elle a affirmé qu’elle avait parlé le 16 novembre 2017 à une autre dentiste travaillant pour l’employeur, G., qui lui avait dit qu’elle avait été congédiée parce qu’elle avait omis de retirer un fil rétracteur le 6 novembre 2017Note de bas de page 2. Selon la définition du CollègeNote de bas de page 3, le retrait d’un tel fil est une tâche comprise dans le recouvrement et la réparation provisoire.

[11] Dans sa première déclaration à l’intention de la Commission, le 26 avril 2018, la prestataire a affirmé qu’elle avait été congédiée parce que [traduction] « [la] docteure avait dit [qu’elle] avait laissé un fil rétracteur dans la bouche d’un patient. » Dans sa lettre de plainte adressée au Collège en date du 16 novembre 2017, l’employeur affirme que la prestataire avait utilisé une pièce à main à grande vitesse, mais spécifie également que, [traduction] « lorsque le patient [avec lequel la prestataire aurait utilisé une pièce à main à grande vitesse] était revenu pour la fixation de sa couronne, [G. et B., une autre employée de la clinique,] ont toutes deux remarqué que le fil [rétracteur] avait été laissé dans la bouche du patientNote de bas de page 4 ». La lettre de congédiement de la prestataire porte la même date que celle de la plainte.

[12] Autrement dit, la prestataire n’a pas simplement [traduction] « prétendu » qu’elle avait été congédiée parce qu’elle avait refusé de faire un recouvrement et une réparation provisoire (incluant le retrait du fil rétracteur le 6 novembre 2017). Elle a produit une preuve justifiant ce qu’elle pensait. Je conclus que la division générale a erré pour l’application de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS en concluant que l’utilisation d’une pièce à main à grande vitesse était la conduite expliquant le congédiement de la prestataire. Cette conclusion ne tenait pas compte de la preuve étayant la déclaration de la prestataire, voulant qu’elle avait été congédiée parce qu’elle avait omis de retirer le fil rétracteur, un geste pourtant compris dans le recouvrement et la réparation provisoire.

Question en litige no 2a) : La division générale a-t-elle erré en concluant que la prestataire avait utilisé une pièce à main à grande vitesse sans tenir compte de la preuve contredisant la déclaration de témoins?

[13] La division générale a conclu que la prestataire avait utilisé une pièce à main à grande vitesse d’après la preuve produite par deux témoinsNote de bas de page 5, à savoir la représentante des ressources humaines (RH) de l’employeur et une autre employée de la clinique, B. Bien que cette dernière n’ait pas témoigné, elle a cosigné, avec la représentante des RH, une lettre datée du 16 novembre 2017 confirmant qu’elles avaient toutes deux vu la prestataire utiliser une pièce à main à grande vitesseNote de bas de page 6.

[14] La prestataire a affirmé qu’elle s’occupait du patient avec qui on lui reprochait d’avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse, et a fourni une preuve, apparemment acceptée par la division générale, montrant que B. ne travaillait pas ce matin-là. Cet élément incluait un calendrier des rendez-vous et des tâches de la journée ainsi que la fiche de présence de B.

[15] B. n’avait pas travaillé en matinée. Ce constat concorde avec les documents fournis; de plus, l’employeur n’a pas contesté que B. n’avait pas travaillé en matinée, et B. a dit à l’enquêteur du Collège (à la suite d’une plainte déposée par l’employeur) qu’elle avait seulement commencé le travail à 13 h ce jour-làNote de bas de page 7.

[16] Il n’est pas contesté que la prestataire avait travaillé avec G. le jour où il lui est reproché d’avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse. G. n’a pas témoigné lors de l’audience tenue par la division générale. Cependant, l’enquêteur du Collège lui aurait demandé si elle se rappelait le moment où avait eu lieu l’incident avec la pièce à main à grande vitesse, et G. a affirmé que l’incident avait eu lieu en matinée. Selon le rapport, sa version cadre avec la déclaration faite plus tôt par la prestataire dans le cadre de l’enquête, à savoir que la représentante des RH lui avait dit [traduction] « d’arrêter ce qu’elle faisait » ce matin-là, ce que la prestataire a confirmé une seconde fois durant l’enquêteNote de bas de page 8. La prestataire a aussi déclaré auprès de la division générale qu’aucun autre assistant n’était au travail au moment de l’incident.

[17] Si l’incident s’est produit en matinée, comme en conviennent la prestataire et la dentiste avec qui elle travaillait, B. n’aurait pu être témoin de l’incident et sa déclaration commune avec la représentante des RH était mensongère. Je note que, dans sa réponse à l’appel formé par la prestataire auprès de la division générale, l’employeur a affirmé, pour tenter de colmater cette brèche, que G. avait pris du retard par rapport à l’horaire et que l’horaire ne reflétait donc pas le déroulement exact de cette journéeNote de bas de page 9; l’employeur prétend que la prestataire s’occupait toujours du patient du matin lorsque B. était arrivée au travail et l’avait vue utiliser une pièce à main à grande vitesse.

[18] Néanmoins, la division générale n’a pas tiré sa conclusion d’après cette explication. Elle a plutôt accepté que la représentante des RH et B. avaient vu la prestataire utiliser une pièce à main à grande vitesse. La division générale s’est fondée sur le fait que le témoignage de la représentante des RH était corroboré par la déclaration signée par B. et voulant que celle-ci avait assisté à l’incident, même si elle ne travaillait pas ce matin-là. Elle a préféré accepter ce qui précède plutôt que le témoignage de la prestataire voulant que l’incident avait eu lieu en matinée, comme le corroborait la déclaration faite par G. dans le cadre de l’enquête. La division générale a justifié sa préférence en affirmant qu’il n’y avait [traduction] « aucune preuve étayant clairement la prétention de la dentiste que l’événement avait eu lieu en matinée », et que [traduction] « le souvenir précis d’un événement peut s’estomper au fil du tempsNote de bas de page 10 ».

[19] G. n’a pas participé à l’audience de façon à corroborer ou à préciser sa preuve, mais rien ne démontre du point de vue du droit que la mémoire n’est pas fiable et aucune preuve n’étaye la conclusion que les souvenirs de G. se seraient [traduction] « estompés ». La déclaration qu’elle a faite dans le cadre de l’enquête paraît claire et ne donne aucunement à penser qu’elle n’était pas sûre, en faisant cette déclaration, si l’incident avait eu lieu en matinée.

[20] De plus, il n’y a pas lieu de croire que son souvenir de l’incident se serait estompé, compte tenu des circonstances. La prestataire a été congédiée le 16 novembre 2017 en raison d’un incident ayant eu lieu le 6 novembre 2017. Par conséquent, on ne penserait pas que G. essayait pour la première fois, 11 jours après l’incident,de reconstituer les événements ou de s’en rappeler certains détails en discutant avec l’enquêteur le 17 novembre 2017, et on ne s’attendrait pas à ce qu’elle soit étonnée des questions lui ayant été posées dans le cadre de l’enquête.

[21] Qui plus est, rien ne justifie que la déclaration corroborante de G. soit elle aussi être corroborée, particulièrement si l’on considère qu’il est plus probable que les intérêts de G. correspondent davantage à ceux de son employeur actuel qu’à ceux de la prestataire. L’employeur a choisi de ne pas participer à l’appel contre la prestataire, et l’enquête révèle que G. semble avoir soutenu la décision de l’employeur de congédier la prestataire.

[22] Je conclus que la division générale a tiré une conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve contradictoire en se basant sur la véracité de la déclaration commune des RH et de B. pour établir qu’un certain geste avait été posé, et qu’elle a ainsi commis l’erreur décrite à l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

[23] Subsidiairement, je conclus que la division générale a commis une erreur de droit pour l’application de l’article 58(1)(b) du fait que ses motifs n’étaient pas suffisants pour justifier son rejet des éléments de preuve contradictoires, y compris celui où G. corroborait le témoignage de la prestataire selon lequel l’incident avait eu lieu en matinée alors que B. n’aurait pu en être témoin.

Question en litige no 2b) : La division générale a-t-elle erré en concluant que la prestataire avait utilisé une pièce à main à grande vitesse en tirant des conclusions non fondées en l’absence d’une négation explicite de la prestataire et d’après son explication voulant qu’elle [traduction] « ne faisait qu’un ajustement rapide de l’occlusion »?

[24] Même si la division générale a jugé que G. faisait erreur en se rappelant que l’incident avait eu lieu en matinée, elle a accepté que G. se rappelait bien et avait bien rapporté le fait qu’elle avait demandé à la prestataire si elle avait utilisé une pièce à grande vitesse et que la prestataire avait répondu qu’elle ne procédait qu’à [traduction] « un ajustement rapide de l’occlusion ». La division générale a affirmé que la prestataire [traduction] « n’avait pas nié » qu’elle utilisait une pièce à main à grande vitesse, ce qui signifiait qu’elle avait effectivement utilisé cet outilNote de bas de page 11.

[25] Par contre, selon le témoignage que la représentante des RH a livré à la division générale, elle aurait dit à la prestataire de cesser d’utiliser la pièce à main à grande vitesse et que la prestataire avait ensuite continué à [traduction] « ajuster » la couronne en utilisant une pièce à main à basse vitesseNote de bas de page 12. Dans une déclaration faite plus tôt à la Commission, la représentante des RH avait affirmé qu’elle avait dit à la prestataire de cesser d’utiliser la pièce à main à grande vitesse et de plutôt utiliser celle à basse vitesseNote de bas de page 13, ce qui laisse penser que la prestataire aurait pu ajuster l’occlusion sans une pièce à main à grande vitesse.

[26] G. rapporte avoir demandé à la prestataire si elle avait utilisé une pièce à main à grande vitesse et que la prestataire lui avait dit qu’elle ne procédait qu’à un ajustement rapide de l’occlusion. Une façon de voir les choses est qu’il avait été demandé à la prestataire si elle avait posé un certain geste, et qu’elle avait répondu en disant ce qu’elle faisait véritablement. Comme il est possible que la prestataire ait fait l’ajustement chez le patient en question sans recourir à une pièce à main à grande vitesse, la réponse qu’elle a donnée ne servait pas nécessairement à [traduction] « minimiser ses actionsNote de bas de page 14 » ou à justifier son utilisation d’une pièce à main à grande vitesse.

[27] La division générale n’a pas entendu de témoignage de la part de G. et ne disposait pas d’une transcription de son échange avec la prestataire. Les aptitudes de la prestataire en anglais sont manifestement limitées, et la division générale disposait seulement d’une réponse et d’une question approximatives ou paraphrasées par G. qui auraient très bien pu se situer dans une conversation plus vaste. Selon moi, la division générale n’était pas en mesure de déterminer si la prestataire avait ou non [traduction] « nié avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse » ni si l’absence de sa négation explicite permettait de soutenir la déduction selon laquelle elle avait effectivement utilisé un tel outil.

[28] En concluant que la prestataire n’avait pas nié avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse et en concluant sur ce fondement qu’elle avait effectivement utilisé cet outil, la division générale a tiré une conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, pour l’application de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

Conclusion

[29] L’appel de la prestataire est accueilli.

Décision

[30] Comme j’ai accueilli l’appel, l’article 59 de la Loi sur le MEDS me confère le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale. La Commission a convenu que la division générale avait erré, mais suggère que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour réexamen.

[31] Cependant, j’estime que le dossier est complet et je vais donc rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[32] La division générale a analysé les questions en utilisant le bon cadre juridique. Pour décider que la prestataire doit être exclue du bénéfice des prestations, il lui faut conclure qu’elle a commis l’infraction qui lui est reprochée, que cette infraction correspond à une inconduite, et que cette inconduite était la raison de son congédiement.

La prestataire a-t-elle commis l’infraction reprochée?

[33] L’utilisation d’une pièce à main à grande vitesse est indiquée comme raison du congédiement de la prestataire dans sa lettre de congédiement du 16 novembre 2017, et c’est également ainsi que la division générale a caractérisé son inconduite. Rien ne permet de croire que la prestataire aurait utilisé l’outil d’une manière qui dénotait un manque de rigueur ou de maîtrise de sa part : elle était dentiste avant d’arriver au CanadaNote de bas de page 15 et possédait donc sans aucun doute des compétences à ce titre. Cependant, elle détient seulement un permis d’assistante dentaire en Alberta et l’utilisation d’une pièce à main à grande vitesse dans la bouche d’un patient excède son champ de pratiqueNote de bas de page 16. La prestataire n’a pas contesté qu’elle avait uniquement un permis d’assistante dentaire et qu’elle n’était pas autorisée à utiliser une pièce à main à grande vitesse.

[34] Le désaccord factuel concerne la question de savoir si la prestataire avait effectivement employé une pièce à main à grande vitesse dans la bouche d’un patient. Pour conclure qu’elle avait employé un tel outil, la division générale s’est fiée à la déclaration commune de la représentante des RH et de B. et sur le fait que le prestataire n’avait pas nié avoir utilisé l’outil en question. Cependant, j’ai conclu que la division générale avait ainsi erré. J’admets que la prestataire s’occupait du patient avec qui il lui est reproché d’avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse en matinée alors que G. ne se trouvait pas dans la pièce, d’après le témoigne de la prestataire qui a été corroboré par G.

[35] Je comprends que G. a fait sa déclaration environ deux mois après le congédiement de la prestataire, mais sa preuve était claire et je ne peux présumer, sans preuve, que sa mémoire n’est pas fiable, comme je l’ai déjà expliqué aux paragraphes 19 à 21.

[36] S’il me fallait présumer quoi que ce soit, je présumerais que G. se serait rafraîchi la mémoire après l’incident en relatant les événements dans le cadre de l’enquête. Je ne tiens pas ce qui précède comme un fait établi; je ne cherche qu’à montrer qu’on ne peut simplement présumer que la mémoire de madame G. était une circonstance additionnelle.

[37] Normalement, l’on s’attendrait à ce qu’un employeur, avant de congédier un employé, se renseigne sur les circonstances en cause et s’entretienne avec toute personne pouvant détenir de l’information liée au motif du congédiement. L’employeur a déposé la plainte pour lancer l’enquête immédiatement après le congédiement de la prestataire et, environ deux semaines après l’avoir congédiée, a affirmé qu’il intentait aussi une autre poursuite contre la prestataireNote de bas de page 17. Par conséquent, toute la période entre le moment de l’incident et la date où G. a fait sa déclaration pourrait être qualifiée de période où une poursuite judiciaire était intentée ou anticipée. Il est difficile de croire que G. aurait eu à se remémorer pour la toute première fois les événements du 6 novembre 2016 dans le cadre de l’enquête.

[38] Je préfère la preuve de la prestataire corroborée par G. à celle de la représentante des RH recommandée par B., puisque la prestataire et G. sont mieux placées pour se rappeler l'occasion où elles s’occupaient du patient en question. De plus, rien ne porte à croire que G. se positionnerait en faveur de la prestataire. Au contraire, G. semble avoir été d’accord avec les raisons pour lesquelles l’employeur a congédié la prestataireNote de bas de page 18.  

[39] G. n’a pas affirmé qu’elle avait un patient en matinée. Elle a dit que l’incident lui-même avait eu lieu en matinée. L’employeur a laissé entendre que le rendez-vous du patient du matin s’était prolongé jusqu’en après-midi et que l’incident s’était produit en après-midi, alors que B. était présente. Par contre, il n’y a pas là d’explication à la preuve contradictoire de G. J’accepte donc que B. n’était pas au travail le matin où il est reproché à la prestataire d’avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse, et je ne me fonderai pas sur la déclaration de B. pour confirmer que l’incident s’est déroulé de la façon dont le prétend la représentante des RH.

[40] Même si j’ai conclu que l’incident a eu lieu en matinée, je conclus néanmoins que la prestataire avait commencé l’ajustement de la couronne du patient en utilisant effectivement une pièce à main à grande vitesse et qu’elle l’avait terminé au moyen d’une pièce à main à basse vitesse après avoir été interrompue par la représentante des RH, conformément au témoignage de celle-ci.

[41] Dans son témoignage, et en réponse aux questions de la représentante des RH, la prestataire a nié que la représentante lui avait dit de [traduction] « cesser d’utiliser la pièce à main à grande vitesse. » Cependant, en décrivant l’incident, la prestataire a seulement affirmé que la représentante lui avait dit de [traduction] « cesser de faire ce qu’elle faisait », et elle se rappelait donc qu’elle faisait quelque chose que la représentante des RH lui avait demandé d’arrêter de faireNote de bas de page 19. Cependant, la prestataire n’a jamais précisé ce qu’elle était en train de faire à ce moment précis ni ce que la représentante lui avait exactement demandé de [traduction] « cesser de faire », et elle n’a jamais parlé de l’incident en utilisant d’autres termes.

[42] Comme la prestataire est dentiste dans un autre pays, j’estime plausible qu’elle se serait sentie à l’aise d’utiliser une pièce à main à grande vitesse pour effectuer un ajustement rapide l’occlusion. Comme aucune autre explication n’a été avancée quant à ce qu’il lui avait été demandé de [traduction] « cesser de faire », j’accepte la preuve de la représentante des RH voulant qu’il avait été demandé à la prestataire de cesser d’utiliser la pièce à main à grande vitesse et que les RH avaient eu une discussion avec elle à ce sujet le 6 novembre 2017, dans le cadre de laquelle la prestataire avait demandé pourquoi elle n’était pas autorisée à utiliser cet outil alors qu’elle installait des fils rétracteurs sans certification.

[43] Même si G. n’a pas vu la prestataire utiliser la pièce à main à grande vitesse puisqu’elle était en pause, j’accepte la preuve issue de l’enquête dans la mesure où elle révèle que G. s’était entretenue avec la prestataire le jour de l’incident sur le fait qu’il était inacceptable qu’une assistante dentaire utilise une pièce à main à grande vitesse, peu importe la raison. D’après l’enquête, G. avait confirmé que l’incident avait eu lieu en matinée (une preuve que j’ai acceptée) en réponse à une question visant à connaître le moment de l’incident [traduction] « impliquant une pièce à main à grande vitesse ».

[44] Pour toutes ces raisons, je conclus que la prestataire a bel et bien utilisé une pièce à main à grande vitesse, comme on le lui reprochait.

L’utilisation d’une pièce à main à grande vitesse correspond-elle à une inconduite?

[45] Pour conclure que la prestataire a commis une inconduite en utilisant une pièce à main à grande vitesse, il me faut constater ce qui suit :

  1. la prestataire a utilisé la pièce à main à grande vitesse sans autorisation intentionnellement ou délibérément;
  2. en utilisant une pièce à main à grande vitesse sans autorisation, la prestataire manquait à un devoir ou à une obligation envers son employeur;
  3. la prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle pouvait être congédiée en agissant ainsi.

La prestataire a-t-elle utilisé la pièce à main à grande vitesse sans autorisation intentionnellement ou délibérément?

[46] Oui. La prestataire a utilisé la pièce à main à grande vitesse pour ajuster la couronne d’un patient. La division générale disposait d’une preuve établissant que l’emploi de cet outil excédait son champ de pratique à titre d’assistante dentaire.

[47] La prestataire a pu croire que l’employeur lui permettait d’effectuer des recouvrements et des réparations provisoires, lesquelles elle n’était pas non plus autorisée à effectuer; cependant, cela n’a rien à voir avec la question de savoir si elle savait qu’elle n’était pas autorisée à utiliser une pièce à main à grande vitesse. La prestataire n’a pas nié connaître son champ de pratique ni nié savoir qu’elle n’était pas autorisée à utiliser une pièce à main à grande vitesse. Son utilisation de cet outil, peu importe la raison, était délibérée et intentionnelle.

En utilisant une pièce à main à grande vitesse, la prestataire a-t-elle manqué à un devoir ou à une obligation envers son employeur?

[48] Oui. La prestataire est une assistante dentaire professionnelle qui est tenue de respecter un certain champ de pratique. Il peut être justifié que l’employeur soit préoccupé du fait qu’elle utilise une pièce à main à grande vitesse, un geste qui excède la compétence qu’on lui présume posséder et qui pourrait possiblement nuire à la réputation de la clinique ou l’exposer à des poursuites si un patient était blessé.

La prestataire savait-elle ou aurait-elle dû savoir qu’elle pouvait être congédiée pour avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse?

[49] Oui. Je reconnais que la prestataire était probablement plus qualifiée que la moyenne des assistants dentaires en raison de sa formation de dentiste et qu’elle avait pu vouloir recourir à ces compétences. Je reconnais aussi qu’elle n’avait probablement pas agi pour en tirer elle-même un avantage mais qu’elle avait assumé des tâches réservées aux dentistes plutôt par souci de productivité pour la clinique. Selon les RH, la prestataire avait été surprise que son employeur voie d’un mauvais œil son utilisation d’une pièce à main à grande vitesse alors qu’elle comprenait que son employeur l’autorisait à effectuer des recouvrements et des réparations provisoires. Il est possible qu’elle ait jugé qu’il était peu différent d’exécuter une tâche non autorisée et d’exécuter une autre tâche non autorisée.

[50] Néanmoins, indépendamment de la question de savoir si elle savait véritablement qu’elle pouvait être congédiée, elle aurait dû savoir, comme professionnelle, qu’il y aurait de graves conséquences, y compris une possibilité réelle de congédiement, si elle était jugée avoir excédé son champ de pratique. J’accepte que l’utilisation d’une pièce à main à grande vitesse posait un risque important de blessure potentielle. Indépendamment de la compétence réelle de la prestataire à utiliser un tel outil et de la question de savoir si un patient avait déjà été blessé, la prestataire aurait dû savoir qu’elle pourrait potentiellement nuire à réputation de la clinique et l’exposer à des poursuites judiciaires.

La prestataire a-t-elle été congédiée pour avoir utilisé une pièce à main à grande vitesse?

[51] J’ai conclu que la prestataire a adopté un certain comportement et que ce comportement correspond à une inconduite. Il reste cependant à déterminer si la prestataire a été congédiée pour inconduite.

[52] La prestataire soutient avoir véritablement été congédiée parce qu’elle avait refusé de procéder à un recouvrement et à une réparation provisoire. La prestataire a témoigné qu’on lui avait demandé d’effectuer un recouvrement et une réparation provisoireNote de bas de page 20, même après le 6 novembre 2017, mais qu’elle avait refusé de le faireNote de bas de page 21. La prestataire a affirmé qu’on ne lui avait pas demandé d’installer ni de retirer un fil rétracteur le 6 novembre 2017Note de bas de page 22, et elle a expressément nié, le 6 novembre 2017, avoir placé le fil rétracteurNote de bas de page 23 n’ayant pas été retiré de la bouche du patient comme il aurait dû l’être. Par contre, elle n’a pas expressément nié qu’elle effectuait des recouvrements et des réparations provisoires avant le 6 novembre 2017.

[53] La prestataire a affirmé qu'elle [traduction] « n’était pas responsable de [retirer le fil]Note de bas de page 24 ».  Il a été demandé à la représentante de la prestataire si un autre dentiste de la clinique avait déjà demandé à la prestataire d’effectuer un recouvrement et une réparation provisoire, et elle a affirmé que c’était le casNote de bas de page 25, et qu’elle avait aussi demandé à une chef d’équipe, madame R., d’effectuer un recouvrement et une réparation provisoire à sa place et que madame R. y avait consentiNote de bas de page 26. La prestataire n’a pas dit qu’elle aurait demandé à madame R. d’effectuer à sa place chacun des recouvrements et des réparations provisoires qui lui étaient confiés ni que madame R. avait consenti à assumer chacune de ces procédures.

[54] L’employeur a nié avoir déjà demandé à la prestataire de procéder à un recouvrement et à une réparation provisoire puisqu’une telle demande [traduction] « n’aurait aucun sens » compte tenu de la responsabilité à l’égard du patientNote de bas de page 27. Durant l’audience, la représentante des RH a réitéré que [traduction] « personne n’avait dit à la prestataire d’effectuer un recouvrement et une réparation provisoireNote de bas de page 28 », même si elle a reconnu que la prestataire avait fait des recouvrements et des réparations provisoires dans leurs locaux. La représentante des RH a affirmé que l’employeur n’était pas au courant que la prestataire n’était pas certifiée pour cette procédureNote de bas de page 29 avant que la prestataire l’en informe (au cours d’une discussion survenue après l’incident du 6 novembre 2017).

[55] La représentante des RH n’a pas expliqué pourquoi la prestataire effectuait des recouvrements et des réparations provisoires si l’employeur ne lui avait jamais demandé d’en faire et ne l’avait jamais obligée à en faire. Pour sa part, l’employeur n’a jamais expliqué pourquoi il se serait préoccupé de la responsabilité liée au fait que la prestataire faisait des recouvrements et des réparations provisoires, s’il ignorait qu’elle ne détenait pas de certification pour cette procédure.

[56] Sauf erreur, selon sa preuve, l’employeur ignorait que la prestataire n’était pas autorisée à effectuer des recouvrements et des réparations provisoires et ne lui demanderait pas d’en effectuer parce qu’elle n’y était pas autorisée. Cependant, ces deux propositions ne peuvent être réciproquement vraies.

[57] Je préfère la preuve de la prestataire voulant que l’employeur exigeait qu’elle procède à des recouvrements et à des réparations provisoires. La prestataire a déclaré qu’elle avait discuté des limites de sa pratique avec son employeur à son embauche et qu’elle lui avait fourni une copie de ses titres de compétences. La preuve révèle que certains assistants dentaires sont qualifiés pour procéder à des recouvrements et à des réparations provisoiresNote de bas de page 30, et l’employeur a témoigné avoir été étonné d’apprendre, le 6 novembre 2017, que la prestataire n’était pas qualifiée à cette fin. Cela semble concorder avec l’appel téléphonique que l’employeur a ensuite fait auprès du Collège afin de confirmer les titres de compétences de la prestataire.

[58] Le rapport d’enquête du Collège confirme que la prestataire n’était pas certifiée pour faire des recouvrements et des réparations provisoires en date du 6 novembre 2017. Ce rapport révèle aussi que la prestataire a seulement terminé la formation pour faire des recouvrements et des réparations provisoires en janvier 2018. Le retrait d’un fil rétracteur est considéré comme une partie intégrante des recouvrements et réparations provisoires, conformément à la définition du CollègeNote de bas de page 31. La preuve appuie l’affirmation de la prestataire voulant qu’elle n’était pas autorisée à faire des recouvrements et des réparations provisoires, comme l’a aussi reconnu l’employeurNote de bas de page 32.

[59] Il se peut que l’employeur ait simplement présumé que la prestataire était une assistante dentaire autorisée à faire des recouvrements et des réparations provisoires sans consulter ses dossiers. Peu importe si l’employeur a mal compris d’une quelconque façon les limites de la pratique de la prestataire ou s’il les a ignorées, j’accepte qu’il était raisonnable pour la prestataire de croire que l’employeur était au fait de ses titres de compétences et de croire qu’il exigeait qu’elle procède à des recouvrements et à des réparations provisoires, qu’elle ait été autorisée ou non à faire.

[60] Comme il exigeait que la prestataire effectue des recouvrements et des réparations provisoires, je juge que l’employeur a congédié la prestataire parce qu’il a découvert qu’elle n’était pas autorisée à faire cette procédure, ce qui lui a fait craindre des poursuites potentielles. 

[61] La représentante en RH a déclaré que le congédiement de la prestataire n’avait rien à voir avec les recouvrements et réparations provisoires. Cependant, selon son témoignage, elle n’avait pas appelé le Collège au sujet de son utilisation d’une pièce à main à grande vitesse. La représentante avait plutôt appelé le Collège lorsque la prestataire lui avait appris qu’elle n’était pas autorisée à faire des recouvrements et des réparations provisoires, et la représentante a témoigné qu’elle avait ensuite confirmé que la prestataire n’était pas certifiée pour cette procédure.

[62] Je souligne aussi que la prestataire a seulement été congédiée le 16 novembre 2017, soit 10 jours après l’incident du 6 novembre 2017 impliquant une pièce à main à grande vitesse, et ce même si la représentante des RH a qualifié de [traduction] « dangereux » son emploi de cet outil auprès d’un patient. Entre-temps, le patient du 6 novembre 2017 de G., que la prestataire avait aidée, est revenu à la clinique, et il a été découvert qu’un fil rétracteur n’avait pas été retiré comme il aurait dû l’être.

[63] La docteure G. et nul autre représentant de l’employeur n’ont livré de témoignage ou fait de déclaration qui réfuterait l’affirmation de la prestataire voulant qu’elle avait discuté de raisons de son congédiement avec G. et que G. avait attribué son congédiement au fait qu’elle n’avait pas retiré le fil rétracteur le 6 novembre 2017.

[64] C’est parce que la prestataire a utilisé une pièce à main à grande vitesse que l’employeur a pris conscience qu’il s’exposait à des poursuites du fait que la prestataire n’avait pas l’autorisation nécessaire pour faire des recouvrements et des réparations provisoires. Cela dit, je ne peux conclure que la Commission a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire a été congédiée parce qu’elle avait utilisé une pièce à main à grande vitesse.  

[65] Je conclus qu’il est plus probable que la prestataire a été congédiée parce que la clinique a reconnu qu’elle lui avait permis d’effectuer des recouvrements et des réparations provisoires sans autorisation et qu’elle ne pouvait pas la laisser continuer d’en faire. J’accepte la preuve de la prestataire voulant que G. avait attribué son congédiement au fait qu’elle avait omis de retirer le fil rétracteur de la bouche du patient du 6 novembre 2017. Le fait que G. s’attendait à ce que la prestataire retire ce fil, ce qu’elle n’avait pas fait, a vraisemblablement exacerbé les inquiétudes de l’employeur, et la prestataire a été congédiée.

[66] J’accepte que la prestataire a fait des recouvrements et des réparations provisoires au nom de son employeur alors qu’elle n’y était pas autorisée à titre d’assistante dentaire. Cependant, je juge qu’elle avait informé son employeur des limites de sa pratique et que son employeur s’attendait malgré tout à ce qu’elle effectue des recouvrements et des réparations provisoires. Par conséquent, la prestataire ne savait pas, et n’aurait pu savoir, que son employeur la congédierait si elle effectuait un recouvrement et une réparation provisoire.

 

Mode d’instruction :

Observations :

Sur la foi du dossier

Shaoli Wang, représentante de l’appelante

S. Prud’Homme, représentante de l’intimée

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