Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’intimé, H. W. (prestataire), a été licencié le 6 février 2013. Il a présenté une demande de prestations ordinaires d’assurance-emploi et a touché de telles prestations à compter du 10 février 2013. Le prestataire a intenté en juin 2013 une poursuite contre son employeur pour congédiement abusif, et il a réglé son différend avec son employeur. L’appelante, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a conclu que les sommes versées par suite du règlement avaient valeur de rémunération aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi et, après la répartition de sa rémunération, que le prestataire avait reçu un versement excédentaire de prestationsNote de bas de page 1.

[3] La division générale a rejeté l’appel formé par le prestataire tout en apportant une modification. Elle a conclu que la somme du règlement constituait une rémunération qui devait être répartie sur sa période de prestations à partir du 19 juin 2016. Compte tenu de cette répartition, la division générale a conclu que le prestataire n’avait pas de versement excédentaire à rembourser. La Commission interjette appel de la décision de la division générale au motif que celle-ci a commis une erreur de droit en établissant le moment de la répartition. Même si les parties conviennent que la division générale a erré à cet égard, le prestataire nie avoir un versement excédentaire à rembourser. Il soutient que l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi prescrit un tel remboursement.

[4] Je dois déterminer si la division générale a commis une erreur de droit et, si tel est le cas, si le prestataire a un versement excédentaire à rembourser ou si un tel remboursement est prescrit. Concluant que la division générale a commis une erreur de droit, j’accueille l’appel. Je conclus également que l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi ne prescrit pas le recouvrement d’un versement excédentaire compte tenu des faits de l’espèce.

Questions en litige

[5] Je dois trancher les deux questions suivantes :

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la somme versée par suite du règlement devait être répartie conformément à l’article 36(11) plutôt qu’à l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi?

Question en litige no 2 : Dans le cas où s’applique l’article 36(11) du Règlement sur l’assurance-emploi, l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi prescrit-il néanmoins un remboursement?

Analyse

[6] Aux termes de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] La Commission soutient que la division générale a commis l’erreur décrite à l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS puisqu’elle n’aurait pas convenablement réparti la rémunération que l’employeur avait versée au prestataire par suite du règlement. Le prestataire ne se prononce pas sur cette question précise; il affirme cependant que les articles 46(1) et 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi empêchent la Commission de recouvrer un versement excédentaire de prestations. La Commission soutient que le recouvrement demandé s’inscrit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. 

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la somme versée par suite du règlement devait être répartie conformément à l’article 36(11) plutôt qu’à l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi?

[8] Dans l’instance devant la division générale, la Commission a fait valoir que la rémunération du prestataire devait être répartie conformément à l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi à compter de la semaine de son licenciement ou de la cessation de son emploi, soit à compter du 6 février 2013. Selon la Commission, la division générale n’a pas tenu compte de ces observations et a ainsi commis une erreur de droit en appliquant l’article 36(11) du Règlement sur l’assurance-emploi sans considérer l’applicabilité de l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi.

[9] Le prestataire n’a pas présenté d’observations ni pris position relativement à cette questionNote de bas de page 2. Je note qu’il a soutenu, dans son avis d’appel à la division générale, que l’article 36(11) du Règlement sur l’assurance-emploi ne s’appliquait pas puisque le règlement à l’amiable ne lui avait pas octroyé l’indemnité de retraite liée à certaines semainesNote de bas de page 3.

[10] En dépit des observations des parties, la division générale a jugé que l’article 36(11) du Règlement sur l’assurance-emploi devait être appliqué. Elle n’a pas mentionné l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi ni cherché à savoir si cette disposition s’appliquait. Je souscris aux observations des parties voulant que la division générale a commis une erreur de droit en appliquant l’article 36(11) du Règlement sur l’assurance-emploi et en répartissant la somme versée par suite du règlement à compter de la semaine du 19 juin 2016. Conformément à l’article 36(11), il y a répartition de la rémunération si celle-ci est payée ou payable, entre autres, par suite du règlement d’un différend, et qu’elle est attribuée ou versée à l’égard de semaines précises. L’article 36(11) ne s’applique pas en l’espèce puisque le procès-verbal du règlement montre que le règlement n’a pas été conclu à l’égard de semaines précisesNote de bas de page 4.

[11] Je conviens que la division générale a erré du fait qu’elle n’a pas tenu compte de l’argument de la Commission voulant qu’il fallait appliquer l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi. Voici le libellé de l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi :

Répartition de la rémunération aux fins du bénéfice des prestations

36 (9) Sous réserve des paragraphes (10) à (11), toute rémunération payée ou payable au prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi est, abstraction faite de la période pour laquelle elle est présentée comme étant payée ou payable, répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi, de sorte que la rémunération totale tirée par lui de cet emploi dans chaque semaine consécutive, sauf la dernière, soit égale à sa rémunération hebdomadaire normale provenant de cet emploi.

[12] L’article requiert que la rémunération soit répartie à compter de la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi. Dans l’affaire qui nous occupe, le prestataire a travaillé jusqu’au 6 février 2013. Autrement dit, en application de l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi, la division générale aurait dû répartir la somme versée par suite du règlement à compter de la semaine du 6 février 2013.

Réparation demandée

[13] La Commission réclame que j’accueille l’appel. L’article 59 de la Loi sur le MEDS me confère le pouvoir de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives que je juge indiquées, ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

Question en litige no 2 : L’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi prescrit-il un remboursement?

[14] Comme je l’ai noté précédemment, la division générale aurait dû appliquer l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi. Si elle l’avait fait, un versement excédentaire aurait été obtenu.

[15] Le prestataire soutient que l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi opère néanmoins de façon à empêcher un recouvrementNote de bas de page 5. Il fait également valoir que, pour des raisons de justice naturelle, la Commission ne devrait pas être autorisée à recouvrer un versement excédentaire, comme elle n’a pas fourni de copie de son étude complète.

[16] La division générale a cependant jugé inutile de déterminer si le remboursement était prescrit en vertu de l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi et si la Commission devait produire une copie de son étude montrant que son coût administratif était vraisemblablement inférieur à la valeur du versement excédentaire. Il me revient donc de déterminer si le versement excédentaire occasionné est prescrit en application de l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi.

[17] Voici l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi :

Restrictions

46.01 Aucune somme n’est à rembourser aux termes de l’article 45 ou à retenir aux termes du paragraphe 46(1), à titre de remboursement d’un versement excédentaire de prestations, s’il s’est écoulé plus de trente‑six mois depuis le licenciement ou la cessation d’emploi du prestataire pour lequel la rémunération est payée ou à payer et que, de l’avis de la Commission, le coût administratif pour la détermination du remboursement est vraisemblablement égal ou supérieur à sa valeur.

[18] Les parties sont d’accord pour dire que cet article fait intervenir un critère en deux étapes. Premièrement, ce critère nécessite que plus de 36 mois se soient écoulés depuis le licenciement ou la cessation d’emploi pour lequel la rémunération a été payée ou était payable. Deuxièmement, conformément à ce critère, la Commission doit être d’avis que le coût administratif pour déterminer le remboursement soit vraisemblablement égal ou supérieur à la valeur dudit remboursement. Les parties conviennent que la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire à la seconde étape.

[19] Si les parties admettent que plus de 36 mois se sont écoulés depuis le licenciement ou la cessation d’emploi du prestataire, la Commission maintient que le versement excédentaire doit quand même être remboursé, comme elle estime peu probable que le coût administratif pour déterminer le remboursement soit égal ou supérieur au montant du remboursement. Dans l’instance devant la division générale, la Commission a avancé que son coût administratif moyen s’élevait à 329 $ en 2016, ce qui est largement en deçà de la somme à rembourser de 7 963 $Note de bas de page 6.

[20] À de nombreuses occasions, et aussi récemment que le 24 août 2018Note de bas de page 7, le prestataire a réclamé une copie de l’étude ayant permis à la Commission de déterminer son coût administratif. Le prestataire soutient qu’il n’a pas eu l’occasion de contester le montant du coût administratif et qu'il a ainsi été privé de justice naturelle comme la Commission ne lui a pas fourni une copie complète de son étude. Il affirme notamment qu’il devrait avoir droit de connaître les qualifications des experts ayant calculé le coût administratif ainsi que les présomptions sur lesquelles ils pourraient avoir fondé leurs calculs. Après tout, une fausse présomption pourrait saper la fiabilité des calculs. Il prétend ne pas pouvoir connaître la preuve à produire sans cette information et que la division générale ne lui a donc pas accordé une audience équitable.

[21] Le prestataire soutient que, compte tenu du temps dont a disposé la Commission pour produire une copie de son étude, je devrais tirer une conclusion défavorable à l’endroit de la Commission, à savoir qu’elle cherche à cacher l’étude parce que celle-ci ne lui est pas favorable.

[22] La Commission a expliqué comment elle avait calculé son coût administratif en réponse à une requête de la division générale pour qu’elle fournisse un [traduction] « compte rendu complet et détaillé » de son calculNote de bas de page 8. La Commission a expliqué qu’elle avait consulté des intervenants des bureaux régionaux et central et qu’un seuil, permettant de savoir quand le coût administratif doit vraisemblablement être égal ou supérieur au montant d’un versement excédentaire, avait été établi par l’entremise d’un examen des coûts administratifs et d’une analyse des données recueillies auprès des régions. Elle a expliqué qu’elle avait calculé son coût administratif en analysant les données fournies par les bureaux régionaux qui avaient été recueillies dans le cadre d’une étude des temps et mouvements, incluant les coûts fixes et ceux des ressources humaines. La Commission a aussi expliqué que ses coûts administratifs comprenaient les demandes de renseignements, les révisions des demandes de prestations, les recalculs, les communications avec les prestataires, le recouvrement des dettes, et les appels.

[23] J’ai également ordonné à la Commission de produire une copie de son étude, en réponse à la requête du prestataire, et j’ai invité les parties à présenter des observations quant à la nécessité de tenir une autre audience dans cette affaire. La Commission a demandé une prolongation du délai pour se conformer à mon ordonnance, invoquant la [traduction] « complexité et la quantité des données à amasser pour justifier le calcul du coût administratifNote de bas de page 9 » ainsi que la période des vacances. Le prestataire a avancé que je devrais refuser la prorogation demandée comme la Commission n’avait pas expliqué pourquoi il lui fallait recueillir des données additionnelles afin de justifier le calcul de son coût administratif. Le prestataire a soutenu que la Commission devrait produire l’étude telle qu’elle était au moment où elle s’y est fiée.

[24] Ultimement, j’ai dispensé la Commission de fournir une copie complète de son étude puisque j’ai jugé inutile qu’elle présente les données sous-jacentes. J’ai cependant précisé qu’il serait utile d’avoir un résumé de son compte rendu original expliquant davantage le calcul de son coût administratif, c’est-à-dire une explication qui soit plus détaillée que le résuméNote de bas de page 10 qu’elle a annexé à sa lettre du 21 août 2017. Je me demandais aussi quelle était la taille des échantillons utilisés pour chaque région en 2013, lorsque la Commission avait établi le seuil.

[25] En guise de réponse, la Commission a expliqué qu’elle avait calculé son coût administratif au moyen d’exercices d’établissement des coûtsNote de bas de page 11 et que la taille des échantillons variait selon les régions, allant d’environ 700 pour la région de l’Atlantique à 5000 à 6000 pour le Québec et l’Ontario. À part les renseignements fournis sur la taille des échantillons, la réponse de la Commission ne différait pas fondamentalement de sa Justification du coût administratif, annexée à sa lettre du 21 août 2017.

[26] Le prestataire a affirmé que je ne devrais pas permettre à la Commission de substituer son explication à l’étude qu’elle a véritablement faite ou à un témoin pertinent qui pourrait être soumis à un contre-interrogatoire. Le prestataire soutient que la Commission manque au règlement et aux principes de justice naturelle du fait qu’elle n’a pas produit l’étude ni un témoin pertinent, ce qui justifie de tirer une conclusion défavorable à son endroit.

[27] Comme je l’ai déjà précisé, les parties conviennent que l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi fait intervenir une considération en deux étapes et que la Commission a un pouvoir discrétionnaire relativement à la seconde étape. La Commission était tenue d’agir de façon judiciaire et non arbitraire en exerçant ce pouvoir discrétionnaireNote de bas de page 12. La Cour d’appel fédérale a statué qu’un pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé de façon judiciaire si l’on parvient à établir que le décideur a agi de mauvaise foi, ou dans un but ou pour un motif irrégulier, qu’il a pris en compte un facteur non pertinent ou ignoré un facteur pertinent ou qu’il a agi de manière discriminatoireNote de bas de page 13.

[28] Même si la Commission n’a pas produit l’étude complète ni un témoin pouvant s’exprimer sur l’étude, je suis convaincue qu’elle n’a pas agi arbitrairement, mais bien de façon judiciaire en déterminant son coût administratif. L’explication présentée à la division générale décrit la façon dont elle a calculé son coût administratif. D’après cette explication, il semble que la Commission se soit attardée aux considérations les plus importantes dans le calcul de son coût administratif. Je ne constate pas qu’elle aurait agi de mauvaise foi ou pour un but ou pour motif irrégulier, pris en compte un facteur non pertinent ou ignoré un facteur pertinent, ou agi de manière discriminatoire.

[29] Il était inutile d’examiner rigoureusement l’étude de la Commission pour établir son coût administratif puisque cela supposerait que la Commission devait correctement établir ce coût. En vertu de l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission dispose d’une vaste latitude dans la mesure où elle agit de façon judiciaire; cette disposition n’exige aucunement que la Commission fasse preuve de précision. En effet, même si la méthodologie et les calculs de la Commission étaient carrément déficients, on ne pourrait l’empêcher d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour cette simple raison, dans la mesure où elle a agi de façon judiciaire pour déterminer son coût administratif. Je juge que la Commission n’a pas manqué à la justice naturelle du fait qu’elle n’a pas produit une copie de son étude ou un témoin. Pour autant que la Commission a démontré qu’elle a agi de façon judiciaire en établissant son coût administratif, rien ne permet à un prestataire de contester l’exactitude du coût administratif calculé ou d’exiger que la Commission fournisse une copie de son étude complète et des données utilisées à cette fin. Je refuse de tirer une conclusion défavorable en l’espèce puisque la Commission a expliqué le calcul de son coût administratif, et qu’elle a aussi démontré qu’elle avait cherché à le calculer de façon délibérative.

[30] En somme, compte tenu des étapes suivies par la Commission dans le but d’établir son coût administratif, je conclus que le remboursement n’est pas prescrit par application de l’article 46.01 de la Loi sur l’assurance-emploi.

Conclusion

[31] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 4 décembre 2018

Téléconférence

Julie Villeneuve, représentante de l’appelante
H. W., intimé
Kristjan Surko, représentant de l’intimé

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