Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant, R. F. (prestataire), a déjà travaillé dans le passé comme enseignant suppléant. Il a accepté une charge d’enseignement le 8 décembre 2017 et il a fait une demande de prestations d’assurance-emploi pendant le congé de Noël du 25 décembre 2017 au 5 janvier 2018. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a rejeté sa demande parce que des prestations ne sont pas habituellement versées pendant la période de congé et elle n’acceptait pas qu’une exception s’applique. Le prestataire a demandé une révision, mais la Commission a décidé de maintenir sa décision originale. Il a ensuite interjeté appel devant la division générale, qui a rejeté son appel. Son appel se retrouve maintenant devant la division d’appel.

[3] L’appel du prestataire est accueilli. La division générale a jugé que le prestataire n’était pas un suppléant sans tenir compte de la manière dont l’employeur a caractérisé sa charge et du fait que le prestataire a été nommé seulement jusqu’au retour de l’enseignante qu’il remplaçait.

Questions en litige

[4] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’appliquer l’interprétation judiciaire de la signification de « base occasionnelle ou de suppléance »?

[5] La division générale a-t-elle omis de prendre en considération la preuve selon laquelle le contrat de travail du prestataire pourrait prendre fin à tout moment?

[6] Était-il abusif ou arbitraire pour la division générale de prendre en considération le fait que le prestataire a continué de travailler au-delà de la période de congé et pour la durée du semestre scolaire?

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur en ignorant la preuve du prestataire selon laquelle la Commission avait approuvé ses prestations dans des circonstances semblables par le passé, ou approuvé les prestations d’autres enseignants dans des circonstances semblables?

Analyse

[8] La division d’appel ne peut intervenir à l’égard d’une décision de la division générale que si elle conclut que cette dernière a commis l’une des erreurs correspondant aux « moyens d’appel » prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[9] Les moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur en omettant d’appliquer l’interprétation judiciaire de la signification de « base occasionnelle ou de suppléance »?

[10] La division générale a jugé que l’emploi en enseignement du prestataire ne correspondait pas à la définition d’enseignement « sur une base occasionnelle ou de suppléance » étant donné qu’il travaillait des journées complètes et qu’il remplaçait une enseignante à temps plein dans le cadre d’un contrat d’enseignement occasionnel à long terme.

[11] Dans Arkinstall c Canada (Procureur général), la Cour d’appel fédérale a maintenu une décision du juge-arbitre (dans le cadre du système d’appel précédent) dans laquelle celui-ci a conclu qu’un enseignant n’était pas embauché sur une « base occasionnelle ou de suppléance » parce qu’il était employé « de manière continue et pour une durée prédéterminéeNote de bas de page 1 ».

[12] Dans la décision relative à la demande de permission d’en appeler, j’ai reconnu qu’il était possible de soutenir que la division générale avait commis une erreur de droit en omettant d’appliquer le critère juridique approprié selon Arkinstall.Bien que l’interprétation d’Arkinstall soit discutable, je ne suis pas convaincu que dans cet arrêt, il a en effet été soutenu qu’une personne employée de manière continue et pour une durée prédéterminée doit nécessairement être considérée comme étant employée sur une base occasionnelle ou de suppléance.

[13] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c BlanchetNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a déterminé que la signification devant être donnée aux termes « occasionnelle » et « suppléance » pour les besoins de l’article 33(2)(b) du Règlement sur l’assurance-emploi comporte une question de droit. En même temps, Blanchet n’a pas élaboré ou fait référence à un critère juridique. Blanchet a plutôt cité le Guide de la détermination de l’admissibilité, édition 2007, qui explique « qu’il y a "suppléance" lorsqu’une personne est sur appel ou qu’elle peut remplir les fonctions d’un autre enseignant temporairement, durant par exemple, les congés sans solde, les vacances ou les congés de maladieNote de bas de page 3 ». La Cour a affirmé qu’elle « [était] d’accord qu’il faut donner à ces termes le sens usuel et usité du dictionnaire et non un sens littéraire, philosophique ou figuré ».

[14] Ainsi, je ne suis pas convaincu que Arkinstall a réellement établi un critère juridique ou que la division générale a été obligée de comprendre « enseignement sur une base occasionnelle ou de suppléance » dans un sens juridique ou technique. J’estime que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit au titre de l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS en omettant de [traduction] « suivre » Arkinstall ou d’autres fondements juridiques lorsqu’elle a jugé que le prestataire n’avait pas été embauché sur une base occasionnelle ou de suppléance.

[15] Je note que Blanchet a aussi conclu que le fait d’’utiliser le sens ordinaire du dictionnaire pour « occasionnelle » ou « suppléance » ne devrait pas constituer la fin de l’analyse. La définition doit être appliquée aux faits particuliers. Autrement dit, il faut examiner les faits particuliers pour déterminer si le prestataire a été embauché sur une base occasionnelle ou de suppléance.

[16] Puisque l’application de la jurisprudence (qui en l’espèce est une interprétation simple de l’article 33(2)(b) du Règlement) aux faits établis est ce qu’on appelle une « question mixte de fait et de droit », je ne suis pas habilité à l’examiner. Comme il a été récemment cité dans Quadir c Canada (Procureur général)Note de bas de page 4, la division d’appel n’a pas compétence pour examiner des questions mixtes de fait et de droit. Ainsi, je ne peux pas examiner la manière dont la division générale a appliqué le droit aux faits.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle omis de prendre en considération la preuve selon laquelle le contrat de travail du prestataire pourrait prendre fin à tout moment?

[17] Un des arguments du prestataire était qu’il avait été embauché pour remplacer une enseignante pour une durée indéterminée. L’employeur a confirmé que le prestataire avait été embauché [traduction] « jusqu’à une date indéterminéeNote de bas de page 5 ». Sa lettre d’embauche indique qu’il [traduction] « sera le remplaçant de : [une personne en particulier] » et que le contrat prendra fin à une [traduction] « [d]ate [i]ndéterminée »Note de bas de page 6. La lettre d’embauche indiquait aussi que la durée du contrat du prestataire [traduction] « ne devait pas dépasser la fin de l’année scolaire en cours, ou le retour de l’enseignante habituelle, selon ce qui se produirait en premierNote de bas de page 7 ». La commission scolaire du prestataire a rédigé une lettre le 3 mai 2018 pour confirmer que la nomination du prestataire en tant qu’enseignant occasionnel à long terme [traduction] « pourrait prendre fin au cours des jours ou des semaines à venirNote de bas de page 8 ». La lettre d’embauche démontre aussi que l’employeur du prestataire classifiait sa nomination comme étant [traduction] « occasionnelle » et caractérisait son rôle comme étant un rôle de suppléant pour une enseignante en particulier.

[18] Le prestataire a aussi affirmé à la division d’appel que, avant la période de congé scolaire de Noël, il ne savait pas s’il retournerait enseigner après Noël étant donné que l’enseignante qu’il remplaçait pouvait revenir au travail à tout moment. Il n’y a aucun enregistrement audio de l’audience de la division générale, alors il m’est impossible de déterminer si l’argument du prestataire réitère la preuve appréciée par la division générale ou s’il s’agit d’un nouvel élément de preuve. Toutefois, d’autres éléments de preuve au dossier appuient l’argument du prestataire selon lequel il n’avait pas un nombre précis de jours de travail garanti.

[19] Dans son analyse visant à déterminer si le prestataire avait été embauché sur une base occasionnelle ou de suppléance, la division générale a seulement pris en considération le fait qu’il remplaçait une enseignante à temps plein et qu’il travaillait des [traduction] « journées complètes » dans le cadre d’un contrat de travail occasionnel à long terme. La division générale n’a pas analysé ou même mentionné la preuve selon laquelle le prestataire était seulement autorisé à travailler jusqu’à ce que l’enseignante qu’il remplaçait revienne, ou qu’il n’avait pas été embauché pour une durée déterminée ou pour un nombre d’heures ou de jours de travail garantis.

[20] De plus, la division générale n’a pas tenu compte du fait que la lettre d’embauche confirme que l’employeur considérait le prestataire comme ayant été embauché comme enseignant suppléant. Bien que cela ne soit pas un facteur déterminant, dans l’affaire Stephens c Canada (Ministre du Développement et des Ressources humaines)Note de bas de page 9, la Cour d’appel fédérale a souligné que « le fait qu’un contrat d’enseignement ait été qualifié de [TRADUCTION] "contrat de suppléance" constitue un élément pertinent ».

[21] La division générale a déterminé que l’emploi du prestataire n’était pas exercé sur une base occasionnelle ou de suppléance sans tenir compte du fait qu’il avait été embauché pour une période indéterminée et que l’employeur avait classifié son poste comme étant un poste d’enseignant suppléant. Par conséquent, la division générale a commis une erreur au titre de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS. Elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle agi de façon abusive ou arbitraire en omettant de tenir compte du fait que le prestataire a continué de travailler après la période de congé et pendant toute la durée du semestre scolaire?

[22] Lorsque la Commission a rendu sa décision initiale de refuser au prestataire le bénéfice des prestations pendant la période de congé, elle l’a fait en se fondant sur les renseignements auxquels elle avait accès à ce moment. Pour l’application de l’article 33(2)(b) du Règlement, il fallait déterminer si le prestataire avait été embauché pour travailler sur une base occasionnelle ou de suppléance pendant sa période de référence avant le congé de Noël, ce qui signifie avant la période de congé du 25 décembre 2017 au 5 janvier 2018.

[23] Le contrat de suppléance du prestataire est entré en vigueur le 8 décembre 2017, alors cela faisait un peu plus de deux semaines qu’il faisait de la suppléance lorsque la période de congé a commencé. Le prestataire soutient qu’il serait injuste que la division générale ait fondé sa décision sur le fait que l’enseignante n’est pas retournée travailler du 5 janvier 2017 à la fin de l’année scolaire le 30 juin 2018, un fait que ni lui ni son employeur n’auraient connu lorsque le prestataire a accepté l’emploi.

[24] Je suis d’accord avec le prestataire jusqu’à un certain point. L’embauche du prestataire pour travailler comme enseignant sur une base occasionnelle ou de suppléance avant la période de congé ne dépend pas de ce qui s’est passé après la période de congé, sauf dans la mesure où le prestataire et son employeur auraient pu savoir ou anticiper ce qui se produirait avant le congé scolaire. S’il avait été décidé avant le congé que l’enseignante habituelle pouvait retourner au travail à tout moment, le fait qu’elle ne soit pas, en fait, retournée travailler pour le reste du semestre scolaire ne devrait pas être pertinent à la demande de prestations pour ce congé en particulier.

[25] Si la division générale a jugé que le prestataire n’était pas un enseignant suppléant selon des éléments de preuve non pertinents, cela pourrait être considéré comme une conclusion abusive ou arbitraire ou une conclusion tirée sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale. Toutefois, pour qu’il s’agisse d’une erreur au titre de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS, il faudrait cette conclusion ou ce résultat découle de la prise en considération de ces éléments de preuve non pertinents. Dans la décision de la division générale selon laquelle le prestataire n’avait pas été embauché pour travailler sur une base occasionnelle ou de suppléance, rien ne me porte à croire que la division générale a fondé sa décision sur la preuve démontrant combien de temps l’enseignante habituelle avait été absente après la période de congé. Par conséquent, je n’estime pas que la division générale a commis une erreur au titre de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

[26] Toutefois, le prestataire avait aussi soutenu que son contrat d’enseignant avait pris fin et que l’exemption à l’article 32(2)(a) du Règlement devrait s’appliquer, car il ne pouvait pas savoir si l’enseignante habituelle retournerait au travail immédiatement après le congé de Noël. Je reconnais que la division générale a tenu compte de ce qui s’est produit après la période de congé pour déterminer que le contrat de travail n’avait pas pris fin. Je ne suis pas d’accord qu’il était inapproprié pour la division générale de le faire.

[27] Lorsqu’on détermine qu’un contrat a pris fin, cela signifie nécessairement que l’on considère qu’il ne se poursuivra pas. De même, lorsqu’on détermine qu’un contrat se poursuit, cela signifie nécessairement que l’on considère qu’il n’a pas pris fin. Pour déterminer si un emploi d’enseignement a pris fin (ou si la période de congé est plutôt une pause dans la relation d’emploi), il faut nécessairement comparer la relation entre une partie prestataire et un employeur avant la période de congé avec la relation après cette période.

[28] Lorsque la division générale a discuté des événements après la période de congé,Note de bas de page 10 elle a seulement observé le fait que le prestataire a continué d’enseigner après la période de congé dans le cadre du même contrat de travail qu’avant la période de congé. Je ne suis pas convaincu que cet élément de preuve n’était pas pertinent ou que sa prise en compte ait entraîné une injustice à l’égard du prestataire.

[29] Le fait que la division générale ait tenu compte de cet élément de preuve pour déterminer que le contrat d’enseignement du prestataire n’avait pas pris fin ne constitue pas une erreur au titre de l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS. Il ne s’agit pas non plus d’un manquement au principe de justice naturelle selon l’article 58(1)(a), comme le prestataire semblait laisser entendre.

Question en litige no 4 : La division générale a-t-elle commis une erreur en ignorant l’élément de preuve du prestataire démontrant que la Commission avait approuvé ses prestations dans des circonstances semblables par le passé, ou qu’elle avait approuvé les prestations d’autres enseignants dans des circonstances semblables?

[30] La division générale avait raison de ne pas tenir compte de cet élément de preuve. Je comprends que le prestataire est préoccupé par le fait que les décisions devraient être cohérentes, mais le rôle de la division générale consiste à appliquer le droit aux faits portés à sa connaissance et à rendre une décision fondée sur ces faits. Bien que la division générale soit tenue de suivre les décisions des tribunaux d’instance supérieure, comme la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale (comme je le suis), elle n’est pas tenue de suivre d’autres décisions de la division générale ou d’examiner les faits et les conclusions d’autres décisions de la Commission.

[31] La division générale n’a commis aucune erreur au titre de l’article 58(1) de la Loi sur le MEDS en omettant de tenir compte de l’élément de preuve du prestataire concernant des décisions liées à des demandes semblables.

Conclusion

[32] L’appel est accueilli.

Réparation

[33] Le dossier n’est pas complet. Un enregistrement audio de l’audience instruite par la division générale n’est pas disponible, alors je ne dispose pas de tous les éléments de preuve dont disposait la division générale. Je ne peux pas rendre la décision que la division générale aurait rendue.

[34] Par conséquent, je renvoie l’affaire à la division générale pour réexamen, conformément au pouvoir que me confère l’article 59 de la Loi sur le MEDS.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 15 janvier 2019

Téléconférence

R. F., appelant

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