Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, S. C. (prestataire), travaillait comme X jusqu’à ce qu’elle soit congédiée par son employeur en juillet 2012, peu après avoir annoncé sa grossesse. La prestataire a d’abord présenté une demande de prestations ordinaires d’assurance-emploi. Elle l’a par contre retirée et y a substitué une demande de prestations de maternité et de prestations parentales. Elle a touché 7 275 $ en prestations de maternité du 2 septembre 2012 au 15 décembre 2012, et 16 975 $ en prestations parentales du 16 décembre 2012 au 17 août 2013.

[3] En mai 2014, la prestataire a entamé une poursuite judiciaire contre son ancien employeur pour congédiement abusif, et la réclamation a été réglée. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission), a conclu, au stade initial et après révision, qu’une partie des sommes versées à titre de règlement avait valeur de rémunération. Elle a donc imputé cette rémunération à sa période de prestations, ce qui a donné lieu à un trop-payé de 7 275 $ en prestations de maternité et de 4 077 $ en prestations parentalesNote de bas de page 1. Dans une autre lettre à son intention, la Commission a avisé la prestataire qu’elle ne pouvait pas réexaminer la question du remboursement d’une dette, [traduction] « comme elle ne fait pas partie des questions que la Commission est habilitée à réexaminerNote de bas de page 2 ».

[4] Le prestataire a interjeté appel de la décision de révision de la Commission devant la division générale. La division générale a confirmé la décision de la Commission. Le prestataire accepte la conclusion de la division générale voulant que près de 33 000 $ versés par son ancien employeur à titre de règlement avaient valeur de rémunération; elle conteste cependant sa conclusion qu’un trop-payé doit être remboursé au titre de l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi. Essentiellement, selon les arguments de la prestataire, la division générale aurait erré dans son interprétation de l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi en concluant qu’elle devait rembourser un quelconque trop-payé. Elle soutient subsidiairement que, s’il lui faut rembourser un trop-payé, la division générale a erré en concluant qu’elle devait rembourser la somme brute des prestations de maternité et des prestations parentales, plutôt que la somme nette qu’elle avait touchée.

[5] Il me faut décider si la division générale a commis une erreur de droit et, si tel est le cas, rendre la décision appropriée en l’espèce.

Question en litige

[6] La question fondamentale est de savoir si la division générale a commis une erreur de droit en interprétant l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi.

Analyse

Moyens d’appel

[7] Aux termes de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi?

a. Contexte général

[8] La prestataire soutient que la division générale a mal interprété l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi parce qu’elle a conclu que la disposition s’appliquait à son cas et qu’elle était tenue de rembourser un trop-payé, et que le montant du trop-payé correspondait à la somme brute de ses prestations de maternité et de ses prestations parentales plutôt qu’à leur somme nette. Voici ce que prévoit l’article :

Lorsque le prestataire reçoit des prestations au titre d’une période et… pour toute autre raison, l’employeur… se trouve par la suite tenu de lui verser une rémunération, notamment des dommages-intérêts pour congédiement abusif..., ce prestataire est tenu de rembourser au receveur général à titre de remboursement d’un versement excédentaire de prestations les prestations qui n’auraient pas été payées si, au moment où elles l’ont été, la rémunération avait été ou devait être versée.

[9]  Selon l’interprétation de la division générale, cet article signifiait que la prestataire était tenue de rembourser un trop-payé puisque son ancien employeur lui avait versé, pour la même période que celle où elle avait reçu des prestations d’assurance-emploi, des dommages-intérêts liés à sa réclamation pour congédiement abusif. La division générale a également conclu que la prestataire devait rembourser une somme que la Commission ne lui aurait pas versée si l’employeur lui avait versé une rémunération au cours de la même période.

[10] Dans l’instance devant la division générale, la prestataire a fait valoir que l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi ne s’appliquait pas puisqu’elle n’aurait pas travaillé même si elle avait conservé son emploi comme elle était en congé de maternité. Son employeur ne lui aurait donc pas versé de salaire.

[11] La prestataire affirme qu’elle aurait touché des prestations de maternité et des prestations spéciales plutôt qu’un revenu d’emploi. Selon la prestataire, comme elle était en congé de maternité et n’aurait pas touché de revenu d’emploi du 2 septembre 2012 au 17 août 2013, tout trop-payé aurait dû exclure les sommes lui ayant été versées en prestations de maternité et de paternité. La division générale a tenu compte des observations de la prestataire à ce sujet. Elle a conclu que l’article 45 ne faisait pas de distinction entre les prestations ordinaires et les prestations spéciales et qu’il y avait bel et bien un trop-payéNote de bas de page 3.

b. Interprétation de l’article 45

[12] La prestataire soutient qu’à la simple lecture de l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi, rien ne l’oblige à faire un remboursement puisque la rémunération et les prestations doivent avoir été versées au titre de la même période. Autrement dit, la prestataire soutient que « la période » du versement des prestations spéciales doit être « la même période » que celle pour laquelle son employeur était tenu de lui verser des dommages-intérêts pour congédiement abusif. Elle soutient que ces deux périodes ne se superposent pas puisque les dommages-intérêts pour congédiement abusif visaient à l’indemniser durant une période où elle n’aurait pas été en congé si elle n’avait pas été congédiée. Elle n’aurait pas travaillé durant son congé de maternité ou son congé parental. La prestataire soutient que la division générale n’aurait pas dû impartir la somme versée à titre de règlement sur la même période que son congé de maternité puisqu’elle n’était absolument pas capable de travailler durant cette période. Selon la prestataire, une interprétation juste de l’article 45 voudrait que la répartition de toute rémunération provenant de son règlement avec l’employeur soit suspendue ou reportée jusqu’à la fin de son congé.

[13] Parallèlement, la prestataire soutient que la division générale a mal interprété l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi, notamment parce qu’elle n’a pas appliqué les règles générales d’interprétation des lois. Elle soutient que la division générale a adopté une approche excessivement restrictive et n’a pas assez prêté attention à l’esprit, à l’objet et au contexte de la Loi sur l’assurance-emploi et du régime d’assurance-emploi. Elle avance plus précisément que la division générale a jugé que ses prestations spéciales étaient des avantages accessoires nécessitant un remboursement sans tenir compte du moment où avait débuté sa période de préavis.

[14] La prestataire soutient que, conformément à l’article 12 de la Loi d’interprétation et à la jurisprudence établieNote de bas de page 4, la division générale aurait dû donner une interprétation vaste et libérale aux articles 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi et 45 de la Loi sur l’assurance-emploi s’il y avait toute ambiguïté ou discordance entre ces dispositions. Elle soutient que la division générale aurait dû interpréter l’article 45 d’une manière qui soit cohérente [traduction] « avec les principes fondamentaux et souples en matière d’équité et d’indemnisationNote de bas de page 5 » et aurait dû être guidée par l’esprit et l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi.

[15] En vertu de l’article 36(9) du Règlement sur l’assurance-emploi, toute rémunération payée ou payable au prestataire en raison de son licenciement ou de la cessation de son emploi est répartie sur un nombre de semaines qui commence par la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi. Cet article spécifie également la façon de procéder à cette répartition.

[16] La prestataire affirme que la Loi sur l’assurance-emploi se veut réparatrice : elle soutient que les prestations de maternité visent ainsi à protéger les femmes enceintes ayant besoin d’un congé de maternité, et que les prestations parentales visent à protéger les parents vulnérables qui sont incapables de travailler puisqu’ils doivent s’occuper d’un enfant. Elle fait valoir que, contrairement aux prestations ordinaires qui servent à remplacer temporairement le revenu de personnes incapables de trouver un emploi, les prestations de maternité sont destinées aux femmes qui ne peuvent travailler en raison d’une grossesse et les prestations parentales sont destinées aux personnes qui ne peuvent travailler parce qu’il leur faut s’occuper d’un enfant.

[17] La prestataire affirme que l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi vise à prévenir une double indemnisation pour le même motif. Par exemple, il sert à empêcher un prestataire de toucher à la fois des prestations ordinaires d’assurance-emploi et des dommages-intérêts versés dans le cadre d’une procédure judiciaire pour congédiement abusif. Elle soutient que cet article n’entre en jeu que si la période de prestations ordinaires d’assurance-emploi d’un prestataire coïncide avec la période de préavis après-emploi.

[18] La prestataire avance que des considérations de principe s’opposent fortement au fait de retirer à une employée enceinte de prestations spéciales, comme les prestations de maternité et les prestations parentales, et de la priver du droit de demander réparation en cas de congédiement abusif. La prestataire soutient que les sommes qu’elle a reçues comme prestations spéciales d’assurance-emploi et au titre d’un règlement de la part de son employeur ne représentent ni une indemnisation excessive ni des avantages accessoires.

[19] Selon la prestataire, si la division générale avait appliqué les règles générales d’interprétation des lois en tenant compte de l’esprit et des objectifs de la Loi sur l’assurance-emploi, elle aurait évité l’absurde résultat d’avoir carrément éliminé toutes ses prestations de maternité et diminué le montant de ses prestations parentales. Elle soutient qu’il est insensé de la priver de la totalité des prestations spéciales comme ces prestations visaient à la protéger durant et après sa grossesse, alors qu’elle s’occupait de son bébé et était donc incapable de travailler.

[20]  La prestataire affirme que l’interprétation de la division générale avantage en réalité un employeur qui congédierait une femme enceinte peu avant son congé de maternité ou un parent peu avant son congé parental, l’empêchant ainsi de demander des prestations spéciales et le dissuadant de demander réparation contre un congédiement abusif. La prestataire affirme qu’une telle interprétation dérobe au prestataire les moyens de composer avec le bouleversement économique causé par une incapacité involontaire à travailler et limiterait, plutôt que d’étendre, les protections conférées par la Loi sur l’assurance-emploi et toute loi provinciale applicable en matière de normes d’emploi.

[21] La prestataire fait valoir que la rémunération provenant du règlement aurait dû être imputée entièrement sur sa rémunération escomptée à la suite de sa période de prestations d’assurance-emploi ayant pris fin le 17 août 2013, puisque le règlement avec son employeur reposait nécessairement sur la supposition qu’elle aurait continué à travailler avant et après son congé de maternité et son congé parental si elle n’avait pas été congédiée.

[22] La prestataire soutient que les tribunaux ont établi que les employeurs ne peuvent inclure le congé de maternité d’une employée dans sa période de préavis. Elle soutient que le même principe devrait s’appliquer aux circonstances de l’espèce et pour l’interprétation de l’article 45, et que les prestations spéciales seraient ainsi préservées et ne seraient pas un facteur dans le calcul d’un trop-payé. La prestataire se fonde sur deux décisions de la Colombie-Britannique : Whelehan v Laidlaw Environmental Services LtdNote de bas de page 6 et Wells v Patina Salons LtdNote de bas de page 7.

[23] Dans Whelehan, la juge Allan a conclu que le congé de maternité de madame Whelehan ne devrait pas coïncider avec la période de préavis applicable. La cour a jugé que, pour établir la bonne période de préavis, il fallait tenir compte du fait que madame Whelehan était alors enceinte d’environ sept mois et incapable de chercher un emploi. La cour a comparé les visées du préavis raisonnable et du congé de maternité. Si les employeurs sont légalement tenus d’indemniser pour une durée appropriée les employés ayant été congédiés pour leur permettre de trouver un autre emploi convenable sans être déraisonnablement désavantagés sur le plan financier, la philosophie à la base du congé de maternité est d’assurer le maintien du poste de la mère en son absence. La cour s’est exprimée comme suit : [traduction] « Le principe à la base du congé de maternité […] ne serait pas respecté si un employeur pouvait congédier une employée enceinte au début de son congé de maternité de façon à ce que sa période préavis s’écoule durant son congé. »

[24] Dans Wells, la jugeSatanove a suivi la même logique que dans Whelehan pour conclure qu’un congé de maternité est exclu des périodes de préavis, sans quoi on irait à l’encontre du principe servant à protéger les femmes des sanctions en milieu de travail dues à une grossesse. La prestataire souligne que ces protections sont également garanties par la législation de plusieurs provinces en matière de normes d’emploi, notamment celle de l’Ontario et celle de la Colombie-Britannique.

[25] La Commission affirme que la division générale a correctement interprété l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi et que je devrais m’abstenir de lui donner l’interprétation que la prestataire m’exhorte à adopter et qui serait contraire au sens ordinaire de l’article. Comme le souligne la Commission, la Cour a reconnu dans Canada (Procureur général) c KneeNote de bas de page 8 que « des règles rigides sont toujours susceptibles de donner lieu à des résultats sévères qui paraissent en contradiction avec les objectifs du régime législatif. Toutefois, aussi tentant que cela puisse être dans certains cas […], il n’est pas permis aux arbitres de réécrire la loi ou de l’interpréter d’une manière contraire à son sens ordinaire. »

[26] La Commission soutient que l’article ne fait aucune distinction entre les prestations ordinaires et les prestations spéciales, et que la discrétion et les exceptions n’ont donc pas lieu d’être. 

[27] Quant à l’interprétation législative, la position de la Commission est certes une approche; par contre, elle présuppose que le sens ordinaire de l’article est absolument limpide, ce qui n’est pas nécessairement le cas, et ne tient pas compte d’autres aspects de l’interprétation. Une autre approche d’interprétation des lois, probablement plus moderne, consiste à lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateurNote de bas de page 9.

[28] Toutefois, la prestataire soutient que, même selon son sens ordinaire, il demeure manifestement clair que l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi exclut les prestations spéciales et que cette interprétation s’harmonise avec l’esprit global et l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi.

[29] Les observations de la prestataire revêtent un certain attrait. Les décisions Whelehan et Wells présentent des considérations de principe valides selon lesquelles des prestataires dans cette situation devraient être admissibles à des prestations spéciales, telles que des prestations de maternité et des prestations parentales, sans que celles-ci ne soient escamotées par le versement de dommages-intérêts à la suite d’une réclamation pour congédiement abusif. Après tout, un tel règlement est indépendant d’une demande de prestations spéciales et n’y est pas lié. Les prestations spéciales offrent aussi surtout une certaine protection financière et sécurité d’emploi aux femmes demandant congé.

[30] Toutefois, je ne peux accéder aux observations de la prestataire voulant que le sens ordinaire de l’article exclue nécessairement les prestations spéciales. Aucune mention n’est explicitement faite à des prestations spéciales. Le législateur aurait facilement pu préciser que seules les prestations ordinaires étaient comprises dans les prestations que reçoit le prestataire « au titre d’une période », mais il ne l’a pas fait.

[31] Bien que je suis d’accord que l’interprétation que la prestataire confère à cet article servirait l’objectif d’offrir une certaine protection, et qu’elle s’harmonise aussi avec l’esprit et l’objet de la Loi sur l’assurance-emploi, je ne peux conclure que la division générale a erré comme la prestataire le laisse entendre. Je constate que la prestataire n’a produit aucune preuve montrant clairement l’intention du législateur. Bien que l’intention du législateur ne soit pas à elle seule déterminante de l’interprétation d’une loi, elle est souvent une considération primordiale, comme je l'estime l’être en l’espèce. J’aurais pu être tentée de tirer une conclusion différente si l’article avait établi un lien autre la nature de la rémunération et la nature des prestations mais, aux fins de l’article 45, je ne suis pas convaincue de pouvoir distinguer les prestations ordinaires des prestations spéciales d’après les références faites aux expressions « au titre d’une période » et « au titre de la même période ».

[32] Enfin, il y a la question des retenues à la source. Le libellé pertinent de l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi indique « les prestations qui n’auraient pas été payées ». La prestataire a reçu une somme nette de 6 390 $ en prestations de maternité, après retenues, mais il lui est demandé de rembourser 7 275 $. La prestataire soutient que cette interprétation de l’article 45, l’obligeant à rembourser la somme brute des prestations, ne peut être exacte : il est insensé qu’elle doive rembourser une somme supérieure à la somme des prestations qu’elle a touchées. Je conviens qu’il est injuste et absurde d’exiger qu’un prestataire rembourse une somme supérieure à celle qu’il a reçue, mais pour les mêmes raisons qui m’ont fait conclure que l’article n’exclut pas les prestations spéciales, je ne peux déduire que le législateur avait l’intention que la prestataire doive seulement rembourser la somme nette des prestations. La législature a défini la somme à rembourser sur le fondement du trop-payé, sans faire référence à des retenues quelconques.

Conclusion

[33] Je conclus que la division générale n’a pas erré en interprétant l’article 45 de la Loi sur l’assurance-emploi. Par conséquent, l’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 16 octobre 2018

Vidéoconférence

S. C., Appellant
Martha Cook, représentante de l’appelante
Me S. Prud’Homme, représentante de l’intimée (observations écrites seulement)

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