Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelante (prestataire) a perdu son emploi en raison de son inconduite.

Aperçu

[2] Le 14 juin 2017, la prestataire a fait appel à la division générale pour contester la décision découlant d’une révision de l’intimée (Commission). Celle-ci a maintenu sa décision selon laquelle la prestataire n’était pas admissible à recevoir des prestations régulières d’assurance-emploi parce qu’elle avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[3] L’audience qui devait avoir lieu le 16 janvier 2018 a été reportée au 22 février 2018, car l’interprète ne pouvait pas être présent. Avant l’audience du 22 février 2018, la prestataire a demandé que l’audience ait lieu à un autre moment, car elle entrait en conflit avec un rendez-vous médical. La date de l’audience a donc été changée au 3 avril 2018. Lorsque la prestataire ne s’est pas présentée à l’audience le 3 avril 2018, on lui a accordé un ajournement au 3 juillet 2018. Lorsque la prestataire ne s’est pas présentée à l’audience du 3 juillet 2018, la division générale a procédé sur la foi du dossier, conformément à l’article 12(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, et elle a rejeté l’appel.

[4] La prestataire a fait appel à la division d’appel en affirmant qu’on ne lui avait pas donné l’occasion d’être entendue. La division d’appel a accueilli l’appel et elle a demandé que l’affaire soit renvoyée à la division générale aux fins de réexamen. La prestataire s’est présentée à l’audience en personne du 30 janvier 2019 et a fourni un témoignage sous serment avec l’aide d’un interprète.

Questions en litige

[5] Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[6] La prestataire a-t-elle posé les gestes qui ont mené à sa perte d’emploi?

[7] Dans l’affirmative, la conduite de la prestataire constitue-t-elle une inconduite?

Analyse

[8] Il incombe à la Commission de prouver que la prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite. Ce fardeau de la preuve est établi selon la prépondérance des probabilités, ce qui signifie qu’il est plus probable qu’improbable que les faits ou les événements aient eu lieu comme il a été décrit.

[9] Les éléments de preuve doivent être suffisamment détaillés pour décider si la prestataire a posé les gestes dont elle est accusée, puis pour juger si ce comportement est considéré comme une inconduite (Joseph c Canada (Procureur général), A-636-85).

[10] S’il est prouvé qu’il y a eu inconduite, la prestataire sera exclue du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi au titre de l’article 30(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

a) Pourquoi la prestataire a-t-elle perdu son emploi?

[11] La prestataire ne conteste pas qu’elle a perdu son emploi parce qu’elle n’a pas respecté la politique de l’employeur sur la violence et le harcèlement en milieu de travail. La prestataire a volontairement admis qu’elle avait agi de façon violente envers sa collègue de travail le 7 juin 2016; que ces gestes allaient à l’encontre de la politique de l’employeur; et que c’était pour cette raison qu’elle avait perdu son emploi. La prestataire a affirmé qu’elle était au courant que son employeur avait une politique qui interdisait les [traduction] « mauvais comportements », comme se disputer au travail ou avoir une mauvaise attitude envers ses collègues. La prestataire a précisé qu’elle comprenait que de tels comportements étaient considérés comme de la [traduction] « violence ».

[12] La Commission a soumis des éléments de preuve de la lettre que l’employeur a envoyée à la prestataire le 20 juin 2016. Cette lettre explique entre autres que la cessation d’emploi de la prestataire est entrée en vigueur le 7 juin 2016 en raison d’une [traduction] « violation de la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail ». Par conséquent, la prestataire a perdu son emploi parce qu’elle n’a pas respecté la politique de l’employeur sur la violence et le harcèlement en milieu de travail.

b) La prestataire a-t-elle posé les gestes qui ont mené à sa perte d’emploi?

[13] Oui. Il ne fait aucun doute que le 7 juin 2016, la prestataire a commis un acte de violence envers sa collègue de travail, qui a été enregistrée par une des caméras de surveillance de l’employeur. La prestataire a affirmé que le 7 juin 2016, durant la pause, elle avait déposé son sac sur la table du coin repas et qu’elle était partie mettre son café au micro-ondes. Lorsque la prestataire est revenue, une collègue était assise dans la chaise près de son sac et elle avait le bras sur le sac de la prestataire.

[14] La prestataire a dit qu’elle avait demandé à sa collègue d’enlever son bras et que celle-ci avait répondu quelque chose dans une autre langue (éthiopien) qui avait fait rire les personnes assises tout près. La prestataire a dit qu’elle ne savait pas ce que sa collègue avait dit, mais qu’elle s’était sentie [traduction] « insultée » parce que les autres riaient. La prestataire a ensuite dit que quand elle avait vu que sa collègue ne bougeait pas, elle l’avait poussée. Sa collègue s’est alors levée et a dit à la prestataire de ne pas la toucher. La prestataire a dit qu’elle avait giflé sa collègue et que celle-ci avait dit qu’elle la signalerait l’employeur. La prestataire a dit que c’est là qu’elle avait poussé sa collègue une deuxième fois lorsqu’elle avait essayé de passer à côté d’elle.

[15] La preuve de la Commission comprend des déclarations de l’employeur, trois déclarations écrites de témoins; un grief déposé par le syndicat, et une copie de la lettre d’excuses de la prestataire. Les déclarations fournies par l’employeur et les témoins des événements du 7 juin 2016, et qui [sic] correspondent au témoignage de la prestataire ci-dessus.

[16] La prestataire a confirmé qu’elle savait que ses gestes à l’égard de sa collègue constituaient de la « violence » et qu’elle avait agi ainsi parce que sa [traduction] « colère avait pris le dessus ». Même si la prestataire a posé ces gestes sous l’effet de la colère, il ne fait aucun doute qu’elles constituent de la violence en milieu de travail et qu’elles enfreignent la politique de l’employeur. Il est aussi incontestable que ce sont les gestes de violence de la prestataire qui ont mené à sa perte d’emploi.

c) La conduite de la prestataire constitue-t-elle une inconduite?

[17] Oui. Il y a inconduite lorsque la conduite d’une partie prestataire était délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque la partie prestataire savait, ou aurait dû savoir, que sa conduite était de nature à entraver l'exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu'elle soit congédiée (Canada (Procureur général) c Lemire, 2010 CAF 314).

[18] La prestataire a affirmé que durant les événements du 7 juin 2016, elle s’était sentie insultée et que sa [traduction] « colère avait pris le dessus » lorsque tout le monde s’était mis à rire après que sa collègue a dit quelque chose dans sa langue éthiopienne. La prestataire a avoué que c’était sous le coup de la colère elle avait intentionnellement poussé, giflé, puis bousculé sa collègue; ce que j’estime appuie l’observation de la Commission selon laquelle les gestes de la prestataire étaient conscients et délibérés. Par conséquent, je dois maintenant évaluer si la prestataire savait, ou aurait dû savoir, qu’il y avait une réelle possibilité que ses gestes mènent à son congédiement.

[19] La prestataire a affirmé que durant les neuf ans où elle a travaillé dans ce milieu de travail multiculturel, beaucoup de ses collègues de travail parlaient différentes langues. Elle a expliqué que les employés s’entraidaient à traduire de l’anglais à leur langue maternelle. Elle a dit qu’elle avait entendu parler de cet emploi par un membre de sa communauté, qui lui avait servi d’interprète durant son orientation et sa formation. La prestataire a aussi affirmé que ses collègues de travail interprétaient pour elle durant les réunions mensuelles du personnel au besoin.

[20] La prestataire a témoigné devant moi que sa capacité à parler et comprendre l’anglais était équivalente à un [traduction] « niveau 1 ». Lorsque je lui ai demandé de clarifier ce qu’elle voulait dire par [traduction] « niveau 1 », elle a expliqué qu’elle comprend de façon « générale » ce qui est dit en anglais. La prestataire a précisé qu’elle comprend assez l’anglais pour demander à quelqu’un de lui expliquer quelque chose dans sa langue maternelle, le dinka, ou en arabe si jamais elle n’est pas certaine d’avoir bien compris.

[21] La prestataire a affirmé qu’elle n’est pas capable de lire l’anglais et qu’elle demande donc aux autres de traduire des documents pour elle. La prestataire a confirmé qu’elle avait reçu les documents d’appel du Tribunal et qu’elle avait demandé à une personne de sa communauté de les traduire pour elle avant l’audience.

[22] La prestataire a affirmé qu’elle préfère répondre en dinka à l’oral, parce qu’elle a l’impression de mieux pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle. Durant l’audience, il est devenu évident que la prestataire comprenait effectivement ce que je disais en anglais de façon générale, parce qu’elle a parfois répondu à mes questions ou fait des commentaires sur ce que je disais avant que l’interprète lui explique ce que j’avais dit en dinka.

[23] La prestataire a entre autres compris lorsque j’ai demandé si l’employeur l’avait renvoyée à la maison en attendant qu’une enquête soit menée. La prestataire a immédiatement répondu « oui » avant que l’interprète n’intervienne. De plus, lorsque j’ai paraphrasé son témoignage concernant la personne du syndicat qui avait communiqué avec elle et qui était à la rencontre en vue d’un règlement, la prestataire a répondu avant que l’interprète n’intervienne.

[24] Même si la prestataire a répondu rapidement, avant que mes questions et déclarations soient interprétées, je me suis assurée que l’interprète lui dise ce que j’avais dit en dinka, puis j’ai ensuite demandé à la prestataire de répondre de nouveau. Je note que dans ces situations, la prestataire n’a jamais changé ses réponses après l’interprétation, et qu’elle avait effectivement ce qu’elle appelait un [traduction] « niveau 1 » ou une compréhension générale de l’anglais oral.

[25] La prestataire a affirmé qu’on l’avait informée verbalement des [traduction] « règlements de l’employeur » concernant la violence durant son orientation et à chaque réunion mensuelle du personnel. La prestataire a aussi confirmé qu’on lui avait fourni des documents du syndicat, qui comprenaient la politique sur la violence et le harcèlement en milieu de travail, écrite en anglais. Elle a affirmé que des membres de sa communauté l’avaient aidée à traduire ces documents.

[26] La Commission a présenté des éléments de preuve montrant que l’employeur avait affirmé que la politique sur la violence et le harcèlement était imprimée sur des affiches qui étaient placées un peu partout dans le lieu de travail, et qu’ils en discutaient à chacune de leurs réunions mensuelles. L’employeur a aussi affirmé que la politique dit clairement que tout geste de violence pourrait mener au congédiement. La prestataire a confirmé qu’il y avait [traduction] « beaucoup » de documents affichés sur les murs, mais qu’ils étaient en anglais.

[27] Lorsqu’on lui a demandé si elle avait déjà demandé qu’on traduise les affiches ou les documents pour elle, elle a répondu que non et qu’elle avait seulement demandé à ses collègues de traduire l’horaire des vacances pour elle. La prestataire a affirmé qu’elle n’avait pas demandé qu’on lui traduise les autres documents parce que c’était seulement l’horaire des vacances qui l’intéressait. La prestataire a ensuite clarifié que l’employeur discutait de leur politique sur la violence en milieu de travail durant leurs réunions mensuelles, et elle a confirmé qu’on leur avait dit que tout geste de violence pourrait mener à une perte d’emploi.

[28] La prestataire a expliqué que son employeur animait leurs réunions mensuelles durant lesquelles ils discutaient des exigences en matière de santé et sécurité, comme le besoin de porter de la protection auditive. La prestataire a confirmé qu’à chaque réunion mensuelle, son employeur discutait aussi des [traduction] « règles » concernant [traduction] « l’interdiction de se disputer »; [traduction] « d’avoir une mauvaise attitude envers les autres ou d’être violent »; et du fait que les employés doivent être courtois entre eux.

[29] La prestataire a témoigné que lors de chaque réunion mensuelle, l’employeur expliquait que toute personne qui ne respectait pas les [traduction] « règles » et qui avait un [traduction] « mauvais » comportement en milieu de travail serait suspendue ou congédiée. Même si la Commission n’a pas fourni de copie papier de la politique de l’employeur sur la violence et le harcèlement en milieu de travail, j’estime que selon le témoignage de la prestataire, celle-ci comprenait bien que se conformer à la politique de l’employeur sur la violence et le harcèlement en milieu de travail était l’une des conditions de son emploi.

[30] Après avoir entendu l’explication de la prestataire de ce qui s’est produit le 7 juin 2016, je ne suis pas convaincue que sa collègue de travail ait intentionnellement refusé d’enlever son bras ou de s’asseoir ailleurs afin que la prestataire perde son emploi, car la prestataire aurait pu partir pour aller demander de l’aide à une superviseure ou un superviseur. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’était pas allée demander de l’aide au lieu de réagir de manière violente, la prestataire a affirmé que sa colère avait pris le dessus.

[31] J’estime aussi que, malgré la barrière linguistique, la prestataire savait, aurait dû savoir, ou a délibérément ignoré qu’elle pourrait être congédiée si elle avait un [traduction] « mauvais » comportement ou un comportement « violent » envers une ou un collègue de travail. La prestataire a avoué qu’elle comprenait qu’elle devait se conformer à la politique de l’employeur interdisant les comportements violents et que si elle y manquait, elle violait volontairement une obligation formelle de son contrat de travail. Par conséquent, j’estime que la prestataire savait, ou aurait dû savoir, qu’un tel comportement pourrait mener à son congédiement étant donné que ses gestes enfreignaient directement la politique de l’entreprise. Ainsi, je juge que les gestes de violence que la prestataire a posés à l’égard de sa collègue le 7 juin 2016 constituent une inconduite.

[32] De plus, comme il a été établi précédemment, j’estime qu’il existe un lien de causalité entre le fait que la prestataire a enfreint la politique de l’employeur sur la violence et le harcèlement, et sa perte d’emploi. Cela signifie que l’inconduite de la prestataire a causé sa perte d’emploi (Canada (Procureur général) c Cartier, 2001 CAF 274; Smith c Canada (Procureur général), A-875-96; Canada (Procureur général) c Nolet, A-517-91).

[33] La prestataire a soutenu qu’elle a maintenant l’impression qu’elle n’aurait pas dû signer l’accord de règlement avec son syndicat étant donné qu’une personne dans sa communauté lui a ensuite dit que l’employeur aurait dû lui donner un avertissement puisqu’il s’agissait de sa première infraction. La prestataire n’était au courant d’aucune loi ou raison obligeant l’employeur de lui donner un avertissement, autre que le fait qu’elle était une bonne employée qui n’avait rien fait de mal avant les événements du 7 juin 2016. Nul ne conteste que cela était peut-être la première infraction de la prestataire; toutefois, la question qu’il faut trancher n’est pas de savoir si elle a été une bonne employée au cours des dernières années. Il s’agit plutôt de savoir si les gestes que la prestataire a posés le 7 juin 2016 constituent une inconduite.  

[34] La prestataire soutient aussi qu’elle a l’impression que l’employeur a refusé de la laisser revenir au travail en raison de ses divers problèmes de santé liés au milieu de travail, incluant l’asthme et une perte auditive. Même si la prestataire a fourni des documents médicaux confirmant qu’elle a des problèmes de santé, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que ces problèmes sont liés à son emploi ou que l’employeur a maintenu sa décision de la congédier en raison de ses problèmes de santé ou maladies. Comme il a été affirmé par la prestataire, l’employeur a plutôt dit qu’il avait refusé sa demande de revenir au travail parce qu’ils étaient inquiets qu’elle se venge ou qu’elle [traduction] « s’en prenne » à sa collègue si on lui permettait de revenir dans les locaux de l’employeur.

[35] Comme il a été expliqué durant l’audience, je ne suis pas tenue de décider si son congédiement était justifié. Mon rôle consiste plutôt à juger si la conduite de la prestataire équivaut à une inconduite au sens de la Loi sur l’AE (Procureur général du Canada c Marion, 2002 CAF 185).

[36] En réponse à l’argument de la prestataire selon lequel elle est admissible à ses prestations étant donné que cela fait presque neuf ans qu’elle travaille pour l’employeur, l’assurance-emploi est un régime d’assurance et non un fonds de pension ou un programme fondé sur les besoins qui peut être utilisé à volonté. L’admissibilité aux prestations ne dépend pas seulement de la cotisation au régime, mais aussi du respect des conditions établies dans la Loi sur l’AE.

[37] Je suis sensible à la situation de la prestataire compte tenu des circonstances qu’elle a présentées; toutefois il n’existe aucune exception ni aucune latitude pour l’exercice de la discrétion. Je ne peux pas interpréter ou réécrire la Loi sur l’AE d’une manière qui est contraire à son sens ordinaire, même par compassion (Canada (Procureur général) c Knee, 2011 CAF 301).

Conclusion

[38] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Le 30 janvier 2019

Mode d’instruction :

En personne

Comparutions :

T. G., appelante (prestataire)
Riak Lok, interprète

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