Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelant a démontré qu’il avait un motif valable de retarder la présentation de sa demande de prestations.

Aperçu

[2] L’appelant a quitté son emploi d’enseignant par suite de son licenciement par l’employeur. Il a commencé à remplir des déclarations bimensuelles, mais il a ensuite arrêté parce qu’il avait été congédié et qu’on lui avait dit qu’il pourrait ne pas avoir droit à des prestations, dans lequel cas il devrait rembourser les sommes d’argent qu’il aurait touchées. L’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario a fait enquête sur le congédiement de l’appelant et a conclu à l’absence de culpabilité ou d’inconduite professionnelle. L’appelant a été informé de cette conclusion le 9 novembre 2017 et a demandé l’antidatation de sa demande de prestations le 24 juillet 2018. L’intimée en est arrivée à la conclusion que l’appelant n’avait pas de motif valable de retarder la présentation de sa demande de prestations durant toute la période écoulée. 

Questions préliminaires

[3] Le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent (alinéa 3(1)a), Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale). S’il accorde un ajournement à la demande d’une partie, le Tribunal doit refuser toute demande subséquente d’ajournement de l’audience à moins que la partie puisse établir que l’ajournement est justifié par des circonstances exceptionnelles (paragraphe 11(2), Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale).

[4] L’audience devait être tenue le 2 janvier 2019. L’appelant a demandé l’ajournement de l’audience afin de permettre à ses parents, qui étaient absents du 9 décembre au 26 décembre 2018, de l’aider à se préparer pour l’audience, soit en tant que représentant(s), soit pour lui offrir leur soutien moral. L’appelant a indiqué également qu’il avait eu de la difficulté à obtenir des documents à l’appui de son appel. Dans l’intérêt de la justice naturelle, le Tribunal a accordé l’ajournement en application de l’article 11 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale et a fixé la nouvelle date d’audience au 15 janvier 2019.

[5] Le 7 janvier 2019, l’appelant a demandé que l’audience prévue le 15 janvier 2019 soit ajournée au moins jusqu’au mois de mars 2019 afin qu’il puisse bien se préparer pour celle-ci. Il a indiqué qu’il avait été difficile d’obtenir tous ses dossiers médicaux et tous les relevés d’emploi dont il avait besoin. Le Tribunal n’est pas convaincu que l’appelant a établi que sa demande d’ajournement est justifiée par des circonstances exceptionnelles.

[6] L’appelant a déposé son appel le 27 novembre 2018. Compte tenu de l’ajournement d’un peu moins de deux semaines qui lui a été accordé, l’appelant a disposé de sept semaines pour recueillir les documents dont il avait besoin à l’appui de son appel contre la décision de réexamen de l’intimée selon laquelle il n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable de retarder la présentation de ses demandes de prestations bimensuelles. L’appelant a demandé un autre ajournement de plus de six semaines, sans toutefois préciser les efforts qu’il avait faits pour obtenir les documents, la nature de la difficulté qu’il avait éprouvée à les obtenir, et le lien que ces documents avaient avec la question du motif valable de retarder la présentation de ses demandes de prestations bimensuelles.

[7] Pour les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal a refusé la demande de l’appelant visant à ajourner l’audience jusqu’au mois de mars 2019. 

[8] Lors de l’audience, tenue le 15 janvier 2019, le représentant de l’appelant a présenté des observations supplémentaires de vive voix à l’appui de sa demande d’ajournement de l’audience, faisant valoir encore une fois la nécessité d’obtenir des documents. Bien qu’il n’ait pas conclu que les documents se rapportant au licenciement de l’appelant étaient pertinents à l’égard de la question à trancher, le Tribunal a cependant conclu que les documents médicaux que le représentant de l’appelant avait en sa possession étaient pertinents. Toutefois, en raison de l’heure, l’audience a été ajournée.

Question en litige

[9] L’appelant a-t-il établi qu’il avait un motif valable de retarder la présentation de ses demandes de prestations durant toute la période écoulée?

Analyse

Question en litige : L’appelant a-t-il établi qu’il avait un motif valable de retarder la présentation de ses demandes de prestations durant toute la période écoulée?

[10] Le Tribunal conclut que l’appelant avait un motif valable de retarder la présentation de ses demandes de prestations durant toute la période écoulée. 

[11] Toute demande de prestations pour une semaine de chômage comprise dans une période de prestations doit être présentée dans le délai prévu par règlement (paragraphe 50(4) de la Loi sur l’assurance-emploi). Cette demande de prestations pour une semaine de chômage doit être présentée dans les trois semaines suivant la semaine pour laquelle des prestations sont demandées (paragraphe 26(1) du Règlement sur l’assurance-emploi). Pour qu’une demande de prestations soit considérée comme ayant été présentée à une date antérieure, le prestataire doit démontrer qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard (paragraphe 10(5) de la Loi sur l’assurance-emploi). Le prestataire qui ne remplit pas une condition ou ne satisfait pas à une exigence prévue par l’article n’est pas admissible au bénéfice des prestations tant qu’il n’a pas rempli cette condition ou satisfait à cette exigence (paragraphe 50(1) de la Loi sur l’assurance-emploi).

[12] C’est au prestataire qu’il incombe de démontrer l’existence d’un motif valable (Canada (P.G.) c Persiiantsev, 2010 CAF 101; Paquette c Canada (P.G.), 2006 CAF 309). Le prestataire démontre qu’il avait un motif valable s’il prouve qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans les mêmes circonstances pour connaître ses droits et obligations sous le régime de la Loi (Mauchel c Canada (P.G.), 2012 CAF 202; Bradford c Canada (P.G.), 2012 CAF 120; Canada (P.G.) c Kaler, 2011 CAF 266).

[13] Par souci de clarté, le 10 février 2016, l’appelant a présenté une demande bimensuelle pour la période de déclaration du 24 janvier au 6 février 2016. Le 6 mars 2016, il a tenté de présenter une demande bimensuelle pour la période de déclaration du 7 au 20 février 2016, mais il a alors été invité à appeler l’intimée. Comme il n’en a rien fait, cette demande bimensuelle a été annulée. 

[14] L’appelant était tenu, aux termes du Règlement sur l’assurance-emploi, de présenter une demande de prestations pour la semaine du 7 au 13 février 2016 dans un délai de trois semaines suivant la semaine pour laquelle il présentait une demande, à savoir au plus tard le 5 mars 2016. Le Tribunal conclut par conséquent que la période en question, pour laquelle l’appelant doit démontrer qu’il avait un motif valable, va du 5 mars 2016, soit le dernier jour où il aurait pu présenter une demande pour la semaine se terminant le 13 février 2016, au 24 juillet 2018, date à laquelle l’appelant a demandé l’antidatation de sa demande.

[15] Dans la demande qu’il a faite à l’intimée d’antidater sa demande de prestations, l’appelant a affirmé qu’il avait cessé de présenter ses demandes parce qu’on lui avait dit et qu’il avait réalisé qu’il était peut-être exclu du bénéfice des prestations parce qu’il avait été licencié. Il a ajouté qu’il avait aussi été informé qu’il pourrait devoir rembourser les sommes d’argent qu’il avait touchées. L’appelant a dit à l’intimée qu’il n’y avait rien qui l’empêchait physiquement de s’informer de ses droits et de ses responsabilités et a confirmé qu’il n’avait pas communiqué avec l’intimée pour s’informer de son admissibilité continue au bénéfice des prestations.

[16] L’appelant n’a pas participé à l’audience, bien qu’il ait été celui qui a déposé son avis d’appel et demandé le premier ajournement de l’audience. À l’audience, son père, qui l’a représenté et qui a également témoigné pour son compte, a fait mention d’une dépression dont son fils avait souffert, et qui avait mené à son licenciement. Il a déclaré qu’après avoir reçu un diagnostic erroné de trouble bipolaire, l’appelant avait obtenu un diagnostic juste de trouble de l’adaptation, qui remontait à 2015. Le père de l’appelant a indiqué que ce dernier était soumis à des facteurs de stress continus, notamment son licenciement, le fait que celui-ci a été rapporté à l’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario, ses problèmes de relations et une procédure qui était en cours et qui résultait du fait que l’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario avait renvoyé son dossier au Comité d’aptitude professionnelle, en plus de tous ses problèmes de santé. 

[17] Le père de l’appelant a déposé un certain nombre de documents médicaux se rapportant spécifiquement à l’état de santé de son fils à l’appui de son appel :

  • Un rapport d’un hôpital concernant la présence de l’appelant au service d’urgence le 2 octobre 2015, au cours de laquelle il s’est plaint de palpitations et de douleurs à la poitrine, ce que le père de l’appelant a mentionné à l’audience et dans ses observations;
  • une lettre d’un psychologue clinicien, datée du 27 juin 2016, dans laquelle le diagnostic de trouble de l’adaptation est posé à l’égard de l’appelant;
  • une lettre d’un psychiatre, datée du 8 décembre 2016, dans laquelle le psychiatre défend le diagnostic de trouble bipolaire qu’il a posé à l’égard de l’appelant le 30 mars 2016;
  • la conclusion à laquelle en est venu l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario et la décision qu’il a rendue le 12 juin 2017, concernant le diagnostic de trouble bipolaire établi par le psychiatre;
  • une lettre datée du 14 janvier 2019, rédigée par un médecin, qui affirme que l’appelant a été incapable de travailler du mois de décembre 2015 jusqu’à ce jour en raison de problèmes de santé mentale. La lettre dresse une liste de six dates auxquelles le médecin a évalué l’appelant entre le 11 février 2016 et le 18 décembre 2018.

[18] Le 4 février 2019, l’intimée a présenté des observations supplémentaires après avoir examiné la preuve soumise par le père de l’appelant. Elle a fait valoir qu’après avoir examiné les renseignements supplémentaires et la preuve produite à l’appui, elle en est arrivée à la conclusion que l’appelant avait un motif valable de ne pas remplir ses déclarations durant la période en question. Le Tribunal est d’accord avec l’intimée pour les motifs qui suivent.

[19] Le Tribunal accepte, sur le fondement de la preuve médicale, que l’appelant souffre d’un trouble de l’adaptation, que le stress a pour effet d’aggraver. L’un des documents médicaux génériques que le père de l’appelant a déposé est ce qui paraît être un feuillet de renseignements de la Clinique Mayo intitulé [TRADUCTION] « Santé mentale et trouble de l’adaptation ». Le document mentionne que les signes et les symptômes dépendent du type de trouble de l’adaptation et peuvent varier d’une personne à une autre, mais il précise qu’une personne atteinte d’un tel trouble souffre davantage de stress que ce à quoi l’on pourrait normalement s’attendre en réponse à un événement stressant, ce qui cause des problèmes considérables dans la vie de la personne en cause. L’un des symptômes relevés consiste, pour cette personne, à éviter de faire des choses importantes, comme aller au travail ou acquitter des factures. Le document affirme que, bien que les symptômes se manifestent dans un délai de trois mois suivant un événement stressant et qu’ils durent au plus six mois suivant la fin de l’événement stressant, les troubles de l’adaptation persistants ou chroniques peuvent subsister pendant plus de six mois, surtout si le facteur de stress est continu, comme le chômage.

[20] Persuadé par la description des circonstances auxquelles l’appelant a dû faire face, dont son congédiement, le diagnostic erroné, l’enquête par l’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario sur son licenciement, la procédure en cours devant le Comité d’aptitude professionnelle et les problèmes de relations qu’il éprouvait avec sa fiancée, le Tribunal en arrive à la conclusion que l’appelant continue de faire face à un stress. Il conclut que ce stress ainsi que le trouble de l’adaptation dont souffre l’appelant sont suffisants pour démontrer que l’état de santé de l’appelant a compromis sa capacité de présenter ses demandes bimensuelles, et qu’il avait un motif valable de retarder la présentation de sa demande entre le 5 mars 2016 et le 24 juillet 2018.

[21] Le père de l’appelant a soumis un certain nombre de décisions rendues par un juge-arbitre (que l’on appelle CUB) à l’appui de ses prétentions. S’il n’est pas lié par les décisions CUB, le Tribunal est convaincu que bien que l’ignorance de la loi ne soit généralement pas acceptée comme étant une raison d’antidater une demande de prestations, il pourrait y avoir des circonstances supplémentaires qui mènent à la conclusion qu’un motif valable justifie le retard. 

[22] L’appelant a dit à l’intimée qu’il n’a pas communiqué avec elle pour s’enquérir de son admissibilité à des prestations après que son représentant syndical lui eut dit qu’il pourrait peut-être être exclu du bénéfice des prestations. Le père de l’appelant a présenté une lettre d’un avocat dans laquelle ce dernier renvoie à une conversation qu’il a eue avec le père de l’appelant au sujet de la situation de ce dernier le 20 juillet 2018. L’avocat a suggéré que l’appelant demande à l’intimée d’antidater sa demande de prestations. L’appelant a présenté cette demande d’antidatation le 24 juillet 2018.

[23] Le Tribunal conclut qu’en raison des circonstances uniques de l’appelant en ce qui concerne son ignorance de la loi, ainsi que de son état de santé, qui a compromis sa capacité d’agir comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente, ce n’est que lorsque son père a obtenu des conseils d’un avocat qu’il a compris qu’il pouvait demander l’antidatation de sa demande de prestations, ce qu’il a fait rapidement par la suite. Le Tribunal conclut par conséquent que l’appelant a démontré qu’il avait un motif valable de retarder la présentation de sa demande de prestations entre le 5 mars 2016 et le 24 juillet 2018.

Conclusion

[24] L’appel est accueilli.

 

Appel entendu le :

Mode d’instruction :

Comparutions :

1er février 2019

Téléconférence

G. C., représentant de l’appelant

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