Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelante a pour profession éducatrice en service de garde. Elle habitait à Montréal et était à l’emploi de X. Un jour, son conjoint de fait de longue date a pris sa retraite et le couple a décidé de déménager à Sainte-Marie de Beauce afin de se rapprocher de leur famille. Ils ont donc planifié les mois suivants en conséquence et sont déménagés à la fin juin 2018, après l’année scolaire. L’appelante a été mise à pied de façon temporaire comme chaque année et elle a pris ses vacances. Suite à ses vacances, elle a remis sa démission le 9 août 2018 à X. Elle a passé une entrevue la semaine suivante et obtenu un poste d’éducatrice en service de garde pour X où elle travaille depuis.

[3] La Commission de l’assurance-emploi (la Commission) a conclu que l’appelante n’était pas justifiée d’avoir quitté volontairement son poste à X parce que son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable dans son cas.

[4] L’appelante de son côté soutient qu’elle devait quitter son emploi pour suivre son conjoint qui voulait se rapprocher de sa famille. Elle soutient de plus qu’elle n’aurait pas quitté son poste si elle n’était pas convaincue qu’elle aurait un emploi pour la prochaine rentrée scolaire.

Questions en litige

[5] Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’appelante avait-elle l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat?
  2. Le départ volontaire de l’appelante constituait-il la seule solution raisonnable dans ses circonstances?

Analyse

[6] La question globale qui doit être analysée par le Tribunal est si l’appelante était fondée à quitter son emploi selon la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). En règle générale, une personne qui quitte son emploi de façon volontaire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (article 30 de la Loi). Le Tribunal reconnait cependant que parfois une personne peut être fondée à quitter volontairement son emploi et être éligible aux prestations d’assurance-emploi. C’est à elle de faire cette démonstration.

[7] Le paragraphe 29 c) de la Loi énonce une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent justifier le fait qu’une personne quitte volontairement son emploi. Je me suis penchée sur les motifs de départ de l’appelante dans mon analyse en répondant aux questions suivantes :

Question en litige no 1 : L’appelante avait-elle l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat?

[8] Parmi les circonstances pouvant rendre une personne justifiée de quitter son emploi, on retrouve au sous-paragraphe 29 c) vi) de la Loi la situation où une personne quitte son emploi lorsqu’elle a l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[9] Pour les raisons qui suivent, je conclus que l’appelante rempli les conditions du sous-paragraphe 29 c) vi) et avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat. J’estime par conséquent que son départ était justifié.

[10] L’appelante a d’abord fait part à la Commission qu’elle avait quitté son emploi pour suivre son conjoint de longue date qui voulait déménager pour se rapprocher de ses petits-enfants. En effet, l’appelante a toujours maintenu cette version des faits. Elle et son conjoint vivent ensemble depuis quatorze ans et ont trois enfants. Son conjoint a pris sa retraite et durant la période des fêtes 2017, alors que le couple vivait à Montréal, il a été décidé en famille que le couple se rapprocherait du reste de sa famille, notamment de la mère de l’appelante, de ses petits-enfants et des sœurs de son conjoint, tous à Sainte-Marie en Beauce.

[11] Je note que la Loi prévoit à son sous-paragraphe 29 c)(ii) qu’une personne pourrait être justifiée de quitter son emploi pour «la nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence». Selon la preuve du présent dossier, je conclus cependant que cette disposition ne s’applique pas à l’appelante en l’espèce. L’appelante n’était pas dans une situation de nécessité. Je retiens plutôt de la preuve que la décision de déménager a été une décision personnelle que le couple a prise ensemble pour leurs propres raisons personnelles. Or, le régime d’assurance-emploi ne peut supporter les coûts des choix personnels des appelants, aussi louables soient-ils (Gagnon, A-1059-84, Astronomo A-141-97, Martel A-1691-92, Campeau 2006 FCA 376).

[12] Cependant, je retiens de la preuve que l’appelante a diligemment pris des précautions et n’a pas provoqué délibérément le risque de chômage. L’appelante travaillait pour X en tant qu’éducatrice au service de garde. Elle occupait depuis les trois dernières années un poste régulier, mais non permanent. L’appelante a terminé l’année scolaire et s’est retrouvée mise à pied comme à chaque année pour la période du congé scolaire. L’appelante et son conjoint sont déménagés à la fin du mois de juin, mais l’appelant n’a pas remis sa démission à ce moment à X. L’employeur a d’ailleurs émis son relevé d’emploi comme chaque année, sans inscrire qu’il s’agissait d’un départ. J’accepte le témoignage de l’appelante expliquant qu’elle a indiqué qu’elle avait démissionné dans la demande de prestations, parce qu’elle se croyait éligible en suivant son conjoint, mais que dans les faits sa démission est survenue le 9 août 2018 seulement et non à la fin de l’année scolaire au mois de juin. L’appelante a plutôt entrepris des démarches de recherche d’emploi soutenues avant de remettre sa démission. Elle a de plus indiqué avoir signé son poste à X au début de l’été pour l’année scolaire 2018-2019 parce qu’elle ne voulait pas se retrouver en chômage et qu’elle aurait fait des pieds et des mains pour commencer l’année scolaire à Montréal si cela s’était avéré nécessaire en attendant de se trouver un emploi en Beauce.

[13] D’autre part, l’appelante a indiqué avoir fait des démarches dès le mois de juillet 2018 auprès des commissions scolaires plus près de la Beauce. Elle a envoyé son curriculum vitae à deux commissions scolaires, a assisté à une séance d’information à Lévis le 3 juillet 2018 pour avoir une idée des postes qui seraient disponibles. L’appelante a expliqué lors de son témoignage que les postes d’éducatrice en service de garde sont attribués selon un processus graduel à partir de la fin des classes en juin, qu’elle connait le fonctionnement et qu’au mois de juillet, en discutant avec les bonnes personnes et en allant au bon endroit, elle pouvait avoir une très bonne idée des possibilités d’emploi dans son domaine.  À sa rencontre à Lévis le 3 juillet, elle a rencontré la technicienne en service de garde qui lui a dit qu’ils avaient toujours besoin d’éducatrice. Elle a également contacté les ressources humaines des deux commissions scolaires où elle a envoyé son curriculum vitae, qui lui ont toutes deux dit qu’ils cherchaient toujours des éducatrices pour les services de garde. L’été progressant, l’appelante savait que des dates butoirs approchaient pour lesquelles les éducatrices doivent accepter ou non leur poste et cela permet de savoir plus concrètement où sont les postes disponibles. Graduellement, elle voyait aussi sur le site web des commissions scolaires que des postes étaient disponibles.

[14] L’appelante a remis sa démission le 9 août 2018. Elle soutient qu’elle l’a fait suite à ses vacances et afin de libérer son poste pour quelqu’un d’autre par courtoisie. Elle avait une entrevue fixée pour le 16 août à X et soutient qu’elle était certaine d’obtenir un emploi suite à toutes ces discussions et ces démarches. Suite à son entrevue, l’appelante a effectivement eu un poste et commencé à travailler le 21 août 2018 en tant qu’éducatrice en service de garde. J’accepte la déclaration de l’appelante à l’effet qu’elle n’aurait pas laissé aller son poste si elle avait des doutes sur ses chances de travailler à court terme.

[15] La Cour d’appel fédérale a rappelé le principe selon lequel l’assuré au régime d’assurance emploi ne doit pas provoquer de risque ou de certitude de chômage. Je reconnais qu’ « …un système d’assurance contre le chômage et ses termes doivent être interprétés en ayant égard à l’obligation qui pèse normalement sur tout assuré de ne pas provoquer délibérément la réalisation du risque » (Tanguay A-14-58-84). J’estime que la conduite de l’appelante démontre qu’elle a agi selon la Loi en respectant ses obligations en ce sens et en ne se plaçant pas dans une situation de chômage délibérément suite à son déménagement. Je retiens de la preuve que l’appelante a plutôt assuré ses arrières en cherchant un autre poste tout en gardant le sien à Montréal pour justement ne pas se retrouver en chômage. J’accorde un poids significatif au fait que l’appelante ait démissionné seulement au mois d’août plutôt qu’au mois de juin et j’estime que cela démontre son respect de ses obligations.

[16] La Commission soutient que l’appelante n’avait pas de promesse d’emploi au moment de donner sa démission à X et donc qu’elle n’était pas justifiée de remettre sa démission le 9 août 2018. Je note que l’appelante a effectivement admis qu’elle n’avait pas de promesse ferme d’emploi le 9 août 2018. Cependant, la question en l’espèce n’est pas savoir si l’appelante avait une promesse d’emploi, mais bien de savoir si elle avait l’assurance raisonnable d’un emploi dans un avenir immédiat.

[17] J’estime que le fait de ne pas avoir de promesse formelle d’embauche n’empêche pas l’appelante d’avoir eu l’assurance raisonnable d’un emploi dans un avenir immédiat. J’accorde un poids significatif au témoignage de l’appelante qui a été logique, clair et cohérent lors de l’audience. Ses explications détaillées du système d’attribution des postes dans son domaine d’éducatrice en service de garde ajoutent à la crédibilité de l’appelante et ont été convaincantes pour déterminer qu’elle avait toutes les raisons de croire qu’elle obtiendrait un poste pour la rentrée scolaire de la fin août 2018. Les faits subséquents à sa démission permettent de confirmer son assurance raisonnable. Elle a effectivement eu un poste d’éducatrice et commencé à travailler en service de garde quelques jours suivant sa démission, le 21 août 2018. L’appelante travaille depuis pour X à chaque jour, faisant même parfois du temps supplémentaire.

[18] Je suis d’avis qu’une interprétation trop stricte du sous-paragraphe 29 c) vi) de la Loi serait une erreur. J’estime que si l’intention du législateur avait été qu’une personne ait une promesse formelle d’emploi, il aurait rédigé la disposition autrement. Je conclus que l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat correspond tout à fait à la situation de l’appelante.

[19] J’accepte le témoignage de l’appelante a l’effet qu’elle avait eu suffisamment de confirmations verbales provenant de sources crédibles pour qu’il soit raisonnable de croire qu’elle était assurée d’un emploi. Par conséquent, je conclus que l’appelante rencontre les exigences du sous-paragraphe 29 c) vi) de la Loi et que son départ volontaire était justifié.

Question en litige no 2 : Le départ volontaire de l’appelant constituait-il la seule solution raisonnable dans ses circonstances?

[20] En général, afin de déterminer si une personne était fondée à quitter son emploi, cette dernière ne doit pas seulement démontrer qu’elle a quitté en raison d’exceptions indiquées à l’alinéa 29 (c) de la Loi. Elle doit de plus démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas (Canada (Procureur général) c. Patel, 2010 CAF 95 (Patel), Bell, A-450-95, Landry, A-1210-92). En effet, le juge Létourneau dans la décision Hernandez rappelle qu’en conjonction avec les exceptions citées à l’article 29 de la Loi, il est impératif de considérer si le fait de quitter volontairement son emploi constituait la seule solution raisonnable et que de ne pas le faire constituerait une erreur de droit (Hernandez, 2007 FCA 320).

[21] Cependant, j’estime que la notion de seule solution raisonnable ne s’applique pas à une personne qui quitte son emploi ayant eu l’assurance raisonnable d’un autre emploi. La raison à cette exception est simplement que de fait, il est difficile, voire impossible, de soutenir ou de conclure qu’une personne qui quitte volontairement son emploi pour en occuper un autre la fait nécessairement parce que son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas, ce qui a été reconnu par la Cour d’appel fédérale (Marier, 2013 FCA 39; Langlois, 2008 FCA 18; Campeau, 2006 FCA 376).

[22] Comme j’ai conclu que l’appelante avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat, je ne traiterai pas de la notion de seule solution raisonnable.

Conclusion

[23] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

20 décembre 2018

Téléconférence

R. N., appelante

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