Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelante n’a pas quitté volontairement son emploi de camionneuse chez X (ci-après, X) et ne peut donc être exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (AE) pour ce motif. L’appelante n’a pas non plus perdu son emploi chez X en raison de son inconduite.

Aperçu

[2] L’appelante a établi une demande de prestations régulières d’AE prenant effet le 31 décembre 2017. X a informé l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission), de son point de vue selon lequel l’appelante a quitté son emploi volontairement lorsqu’elle a abandonné le camion qu’elle conduisait en route vers Montréal et a refusé la directive de l’employeur de reprendre la conduite après une réparation. La Commission a imposé une exclusion d’une durée indéterminée à l’appelante pour avoir volontairement quitté son emploi sans justification. L’appelante a demandé à la Commission de réexaminer sa décision, faisant valoir qu’elle a été congédiée de son emploi sans motif le 4 janvier 2018, alors qu’elle attendait que le camion soit réparé et qu’elle a reçu un texte de l’employeur l’informant de son congédiement. La Commission a maintenu sa décision et l’appelante a interjeté appel auprès de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (ci-après, le Tribunal). Son appel a été rejeté par le Tribunal le 12 juillet 2018.

[3] L’appelante a porté la décision de la division générale en appel devant la division d’appel du Tribunal. Dans sa décision rendue le 12 octobre 2018, la division d’appel a accueilli l’appel de l’appelante et a renvoyé l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience devant un autre membre du Tribunal.

Questions en litige

[4] L’appelante est-elle exclue du bénéfice des prestations d’Æ parce qu’elle a quitté volontairement son emploi chez X sans justification?

[5] L’appelante est-elle exclue du bénéfice des prestations d’AE parce qu’elle a été congédiée de son emploi pour cause d’inconduite, parce qu’elle a laissé son emploi?

Analyse

[6] Une prestataire qui quitte volontairement son emploi se trouve exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi à moins qu’elle puisse établir qu’elle avait une « justification » pour quitter son emploi : article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (ci-après, Loi sur l’AE). D’après un principe bien établi, il existe une justification si, eu égard à toutes les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, la prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi (voir White 2011 CAF 190, Macleod 2010 CAF 301, Imram 2008 CAF 17).

[7] Le fardeau initial de la preuve repose sur la Commission, à qui il incombe de démontrer que l’appelante a quitté son emploi volontairement; une fois qu’il a été satisfait sur ce point, le fardeau de la preuve passe à l’appelante, à qui il incombe de démontrer qu’elle était « fondée » à quitter son emploi, c’est-à-dire qu’elle a quitté son emploi avec « justification » (voir White, supra; Patel, A-274-09).

[8] En fait, l’article 30 de la Loi prévoit une exclusion indéfinie du bénéfice des prestations pour deux motifs connexes : lorsqu’un prestataire est congédié par un employeur en raison de sa propre inconduite ou quitte volontairement son emploi sans justification. Dans l’arrêt Borden 2004 CAF 176, la Cour d’appel fédérale a expliqué l’importance de ce lien comme suit :

« Dans Procureur général du Canada c Easson, A-1598-92, 1er février 1994, la Cour a clairement indiqué que le « congédiement pour inconduite » et le « départ volontaire sans motif valable » sont deux notions rationnellement liées parce qu’elles renvoient toutes deux à des situations où la perte d’emploi résulte d’une action délibérée de l’employé. La Cour ajoute que les deux notions sont également liées pour des raisons très pratiques : il est souvent difficile de déterminer à partir de la preuve contradictoire, surtout pour la Commission, si le chômage résulte de la propre inconduite de l’employé ou de la décision de l’employé de quitter son emploi. En fin de compte, comme la question juridique est une exclusion en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi, la décision de la Commission ou du juge-arbitre peut être fondée sur l’un ou l’autre des deux motifs d’exclusion, pourvu qu’elle soit étayée par la preuve. Ce faisant, un prestataire ne subit aucun préjudice parce qu’il sait que ce qui est demandé est une exclusion du bénéfice des prestations et que c’est lui qui connaît les faits qui ont mené à la demande de l’ordonnance d’exclusion ».

Il s’agit alors de déterminer si une exclusion en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi sur l’assurance-emploi est justifiée — pour l’un ou l’autre des deux motifs d’exclusion — sur la base de la preuve présentée au Tribunal.

[9] Cela est conforme à l’explication donnée par la division d’appel (DA) au paragraphe 25 de sa décision du 12 octobre 2018, dans laquelle la DA a indiqué que si le Tribunal conclut que l’appelante a été licenciée, il peut être nécessaire de déterminer si le licenciement était attribuable à sa propre inconduite.

Première question en litige : L’appelante a-t-elle quitté son emploi volontairement?

[10] Lorsqu’une exclusion est envisagée pour le départ volontaire d’un emploi sans justification, le Tribunal doit d’abord déterminer si le prestataire a effectivement quitté volontairement son emploi.

[11] L’opinion d’X selon laquelle le comportement de l’appelante équivalait à quitter son emploi n’est pas déterminante pour trancher cette question. Pour que le départ soit volontaire, il doit y avoir une preuve crédible que l’appelante elle-même a pris l’initiative de rompre la relation d’emploi. Le Tribunal conclut qu’il n’y a pas de telle preuve dans le cas de l’appelante.

[12] L’appelante a témoigné de ce qui suit :

  • Elle conduisait un camion pour X lorsque celui-ci est tombé en panne à X (Ontario) le 31 décembre 2017.
  • Elle a immédiatement communiqué avec l’employeur, « mais ils m’ont ignoré pendant quelques heures », jusqu’à environ 5 h lorsque le propriétaire a appelé et lui a dit de « continuer sa route ». L’employeur voulait que le camion conduit à Montréal soit « peu importe la panne ».
  • L’appelante a dit que c’était impossible parce que le voyant « DEF » était allumé et que le camion ne fonctionnait pas correctement. Le DEF est un fluide antipollution ajouté au carburant du camion.
  • Elle a appelé X, le fabricant du camion, pour obtenir de l’assistance routière, mais ils n’ont pu rien faire. Elle a appelé certains ateliers de réparation, mais c’était déjà tard dans la journée la veille du jour de l’an et elle n’a pu joindre personne.
  • Il faisait très froid, « autour de moins 50 », mais elle est demeurée dans le camion pendant toute la nuit.
  • Le 1er janvier 2018, elle a continué d’appeler des ateliers de réparation, elle a parlé avec l’employeur et a attendu que l’employeur prenne une décision sur ce que l’on ferait avec le camion.
  • Vers 12 h le 1er janvier 2018, le moteur du camion « a cessé de tourner » et l’employeur a finalement décidé d’envoyer quelqu’un pour le remorquer.
  • Le camion a été remorqué à un atelier de réparation à X vers 23 h le 1er janvier 2018. L’appelante a voyagé dans la dépanneuse jusqu’à l’atelier de réparation de X.
  • L’employeur n’était pas disposé à lui offrir un hôtel ou un endroit où elle pourrait rester à X. À l’atelier de réparation, on lui a dit qu’ils ne regarderaient même pas le camion avant quelques jours. Elle a appelé un ami pour la prendre à X et la conduire chez elle à Winnipeg, où elle attendrait des instructions.
  • Le lendemain matin (2 janvier 2018), elle a communiqué avec X pour expliquer ce qui s’était passé et où le camion avait été remorqué. X possède un système satellite pour effectuer le diagnostic informatique de ses camions et ils participent au processus de réparation.
  • Une fois dans l’atelier de réparation, elle n’a pas appelé son employeur la nuit du 1er janvier 2018 parce qu’il était presque minuit à ce moment-là. Toutefois, elle a communiqué avec l’employeur le lendemain matin (2 janvier 2018). L’employeur a dit qu’il la tiendrait informée parce que la réparation devait prendre environ 2 semaines.
  • Toutefois, X menaçait de faire payer à l’appelante le remorquage et les réparations du camion parce qu’ils disaient que c’était de sa faute si le camion était tombé en panne.
  • Elle s’est entretenue avec X le 3 janvier 2018 au sujet des tests qu’ils avaient effectués. X lui a dit que son diagnostic était [traduction] « ce n’est pas une erreur du conducteur » et a confirmé que la réparation prendrait environ 2 semaines.
  • Elle a appelé de nouveau l’atelier de réparation le lendemain, le 4 janvier 2018, mais on lui a dit qu’on ne lui avait pas permis de lui donner d’autres renseignements sur le camion parce qu’on l’avait mise à pied.
  • Plus tard ce jour-là, elle a reçu un texte de l’employeur (pièce GD3-51) dans lequel l’employeur déclarait qu’elle avait été congédiée « le jour même ».
  • Le soir même, elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi.
  • Elle croit qu’X l’a congédiée parce que le problème avec le camion n’était pas de sa faute et qu’ils n’étaient donc pas en mesure de la faire payer pour le remorquage et les réparations.
  • Elle devait obtenir un chèque de paye le 5 janvier 2018, mais elle n’a reçu aucune paye ce jour-là.
  • Cela a donné lieu à un échange de messages textes sur ce qui lui était dû.
  • X n’avait pas l’intention de la payer. Ils lui ont fait diverses promesses de la payer le 11 ou le 12 janvier, soit vers le moment où le camion serait prêt, si elle allait chercher le camion et terminait l’itinéraire. Comme elle avait déjà trouvé un autre emploi, elle leur a dit qu’elle ne passerait pas ramasser le camion. 
  • Selon elle, X n’avait pas l’argent nécessaire pour payer les réparations, et même si elle retournait travailler pour eux et conduisait le camion à Montréal, on ne l’aurait pas payée pour ce voyage. C’est parce qu’elle connaît le chauffeur que X a embauché pour la remplacer, un homme nommé « X ». Il était à X le 12 janvier 2017, mais il a dû rester environ une semaine « en attendant qu’X paie la facture de réparation pour que le camion puisse reprendre la route ». X n’était pas payé pendant qu’il attendait.
  • X a finalement pris le camion le 18 janvier 2018 et s’est rendu à Montréal.
  • Il a fallu un certain temps, mais X a finalement payé à l’appelante « à peu près tout » ce qui lui était dû.

[13] L’appelante a déclaré avec insistance qu’elle n’avait jamais abandonné le camion, mais qu’elle était restée avec le véhicule jusqu’à ce qu’il soit remorqué de façon sécuritaire à l’atelier de réparation selon la volonté de l’employeur. Toutefois, l’appelante soutient que l’employeur l’a abandonnée le 31 décembre 2017, lorsqu’il s’attendait à ce qu’elle conduise un camion en panne à Montréal et qu’il a refusé de l’installer à l’hôtel, ce qui signifiait qu’elle devait rester dans le camion pendant la nuit à -50 °C jusqu’à ce que le camion soit finalement à court de carburant et qu’il doive être remorqué. Elle a maintenu le contact avec l’employeur et a aidé X en leur fournissant l’information pour les diagnostics, mais lorsque le problème du camion n’a pas été attribué à une erreur de la chauffeuse — et qu’il n’y avait aucun motif de recouvrer des coûts auprès d’elle — elle a été congédiée par message texte le 4 janvier 2018.

[14] Le Tribunal accepte le témoignage de l’appelante selon lequel elle n’a jamais quitté son emploi et qu’en fait, elle surveillait activement le processus de réparation et attendait d’autres instructions de l’employeur lorsqu’elle a été congédiée le 4 janvier 2018. L’appelante a fourni une chronologie détaillée des événements qui est étayée par sa demande de prestations d’AE le 4 janvier 2018 — pendant lesquels on lui a donné une cessation d’emploi pour cause de congédiement (GD3-9) — ce qui est conforme à ses déclarations initiales à la Commission (GD3-34 à GD3-36) et pendant le processus de révision (GD3-170 à GD3-173 et GD3-176). L’appelante a été particulièrement convaincante dans son témoignage au sujet de la façon dont l’employeur retenait sa paye pour tenter de l’amener à retourner travailler pour son entreprise après la réparation du camion. Le Tribunal note que cela est conforme à sa déclaration durant le processus de révision selon laquelle « X », chez X, lui a dit le 11 janvier 2018 qu’elle recevrait le reste de ce qui lui était dû si elle retournait au travail (GD3-176).

[15] Le Tribunal accorde moins de poids aux déclarations de l’employeur parce qu’elles ont changé au fil du temps — en commençant par sa première version des événements à la Commission (GD3-29) lorsqu’il a dit qu’il avait logé l’appelante dans un hôtel pour une ou deux nuits et qu’elle avait ensuite disparu. L’appelante a fourni des relevés d’appels et des captures d’écran de textes montrant des contacts avec l’employeur tout au long de la période entre le 31 décembre 2017 et le 4 janvier 2018, et nie vigoureusement qu’elle a été logée dans un hôtel par l’employeur ou que l’employeur lui a offert de payer un hôtel lorsque le camion est tombé en panne le 31 décembre 2017. Au cours du processus de révision, le représentant de l’employeur a d’abord dit qu’ils avaient logé l’appelante dans un hôtel à X (Ontario), mais il a ensuite admis qu’il ne se souvenait pas s’ils l’avaient fait et qu’il n’était pas certain de ce qui s’était passé (GD3-175).

[16] Le Tribunal est également troublé par la déclaration de l’employeur selon laquelle l’appelante a abandonné son emploi vers le 12 janvier 2018 lorsqu’on lui a demandé si elle voulait retourner au travail (GD3-175). Cela renforce en fait la preuve de l’appelante selon laquelle elle a été congédiée par le texte de l’employeur en date du 4 janvier 2018, qui indiquait clairement qu’elle avait été congédiée ce jour-là (GD3-51). Le reste de leurs communications entre le 4 et le 11 janvier 2018 se rapportait aux tentatives de l’appelante cherchant à obtenir sa paie pour le travail déjà effectué. Pourquoi l’employeur devrait-il demander à l’appelante si elle voulait retourner travailler pour lui si elle était toujours considérée comme employée? Le représentant de l’employeur a admis qu’il ne se souvenait pas si l’appelante avait répondu ou manifesté de l’intérêt (GD3-175). L’impression générale créée par les déclarations contradictoires de l’employeur et son indifférence désinvolte à l’égard des détails de ce qui s’est réellement produit est le désir d’empêcher l’appelante de recevoir des prestations d’AE. Cela n’est pas utile pour déterminer la cause réelle de la cessation d’emploi de l’appelante.

[17] Pour ces motifs, le Tribunal accorde le plus de poids au témoignage de l’appelante et conclut que l’appelante n’a pas initié son départ de chez X.

[18] Le Tribunal conclut donc que l’appelante n’a pas quitté volontairement son emploi chez X et que, par conséquent, elle ne peut être exclue du bénéfice des prestations d’AE pour ce motif.

Deuxième question en litige : L’appelante a-t-elle abandonné son emploi chez X?

[19] La Commission a fait valoir que l’appelante a abandonné son emploi le 12 janvier 2018 lorsqu’elle a omis de « reprendre son emploi » après la réparation du camion (GD4-3).

[20] Le Tribunal n’est pas d’accord. Le Tribunal conclut que l’appelante n’a jamais abandonné son emploi chez X — elle ne l’a pas fait lorsque le camion est tombé en panne et qu’elle est retournée à Winnipeg le 1er janvier 2018; elle ne l’a pas fait lorsque l’employeur a communiqué avec elle le 12 janvier 2018 au sujet d’un retour au travail pour eux.

[21] Pour les motifs énoncés dans l’analyse de la question 1 ci-dessus, le Tribunal accepte le témoignage de l’appelante selon lequel elle n’a pas abandonné le camion lorsqu’il est tombé en panne. L’appelante a fourni un témoignage détaillé et crédible au sujet des mesures qu’elle a prises lors de la panne du camion et des communications qu’elle a eues avec l’employeur entre le 31 décembre 2017 et le 4 janvier 2018. En revanche, la preuve de l’employeur sur les événements survenus au cours de cette période n’est pas fiable.

[22] Le Tribunal conclut que l’emploi de l’appelante a pris fin parce qu’X a décidé de la congédier le 4 janvier 2018, comme le démontre le texte de l’employeur (pièce GD3-51).

[23] La conclusion du Tribunal selon laquelle l’appelante a été congédiée le 4 janvier 2018 est amplement étayée par le témoignage de l’appelante au paragraphe 12 ci-dessus, et par le fait qu’elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi le même jour et a donné comme motif de cessation d’emploi chez X le congédiement. Elle est également appuyée par les actions de l’appelante, qui a cherché immédiatement un emploi auprès d’un autre employeur. L’appelante a été congédiée le 4 janvier (un jeudi). Elle a témoigné qu’elle a commencé à chercher un nouvel emploi le lundi 8 janvier, qu’elle s’est rendue à une entrevue d’emploi et qu’elle a été embauchée par « X » entre le 9 et le 12 janvier, et qu’elle a commencé à travailler pour eux le 17 janvier.

[24] La conclusion du Tribunal au sujet du congédiement de l’appelante le 4 janvier 2018 est également étayée par le témoignage de l’appelante au sujet de ce que l’atelier de réparation lui a communiqué le 4 janvier 2018 sur le fait qu’on ne les autorisait plus à lui fournir des renseignements sur le camion, ce qu’ils ont confirmé par écrit dans la lettre présentée à la pièce AD 5-1. Cette lettre de X, datée du 4 septembre 2018, a été rédigée par le technicien de X qui a informé X que le problème du camion n’était pas attribuable à une erreur de la chauffeuse. Il s’agit d’un élément de preuve très pertinent et il vaut la peine de le citer intégralement :

« Le camion de transport 318 d’X est tombé en panne à l’extérieur de X (sic) entre Noël et le Nouvel An 2017 – 2018.

L’unité a été remorquée chez X à X parce que la défaillance du moteur avait rendu le camion inutilisable.

Le bon de travail de réparation a été ouvert le 3 janvier 2018.

Lorsque j’ai communiqué avec X au sujet de la réparation, on m’a demandé de NE PAS parler à la chauffeuse, car elle avait été mise à pied — c’était pendant la semaine entre le 3 et le 5 janvier » (AD5-1).

[25] Comme l’appelante n’était plus à l’emploi d’X le 4 janvier 2018, elle n’avait pas d’emploi à abandonner lorsqu’X l’a appelée le 12 janvier 2018. L’appel du 12 janvier 2018 constituait une nouvelle offre d’emploi. L’appelante a refusé l’offre d’emploi parce qu’elle avait obtenu un emploi ailleurs et que son nouvel emploi allait commencer sous peu, et parce qu’elle n’avait pas réglé ses problèmes de rémunération. L’appelante n’avait pas de contrat de travail ni aucune autre obligation envers X lorsqu’ils ont communiqué avec elle le 12 janvier 2018 au sujet de son retour au travail, maintenant que le camion était prêt à être ramassé. Le fait qu’au 12 janvier 2018, X retenait toujours des sommes d’argent dues à l’appelante pour le kilométrage et les heures travaillées avant son congédiement — et ne semblait prête à verser ces sommes d’argent que sous réserve du retour de l’appelante au travail — ne constitue pas une preuve d’abandon de travail, mais plutôt d’une tentative pour forcer l’appelante à conduire le camion de l’employeur le reste du chemin jusqu’à Montréal.

[26] Pour ces motifs, le Tribunal conclut que l’appelante n’a pas abandonné son emploi chez X et que, par conséquent, elle ne peut être exclue du bénéfice des prestations d’AE pour ce motif.

Troisième question en litige : L’appelante a-t-elle perdu son emploi chez X en raison de sa propre inconduite?

[27] L’article 30 de la Loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi s’il a perdu son emploi ou a été suspendu de son emploi en raison de son inconduite.

[28] C’est à la Commission qu’il incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite (Larivee, A-473-06; Falardeau, A-396-85).

[29] Le terme « inconduite » n’est pas défini dans la Loi sur l’assurance-emploi. Son sens aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi a plutôt été établi par la jurisprudence des tribunaux et des organismes administratifs qui ont tenu compte de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi et qui ont énoncé des principes directeurs qui doivent être pris en compte suivant les circonstances.

[30] Pour prouver qu’il y a eu inconduite, il faut démontrer que l’employée s’est comportée autrement que la façon dont elle aurait dû se comporter et qu’elle a fait cela de manière volontaire ou délibérée ou avec une insouciance telle qu’elle frôlait le caractère délibéré (Eden A-402-96). Eden A-402-96. Pour qu’elle ait commis une inconduite, il faut démontrer que l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite nuisait à l’exécution de ses fonctions pour l’employeur et que par conséquent, le congédiement constituait une véritable possibilité (Lassonde A-213-09, Mishibinijima A-85-06, Hastings A-592-06, Lock 2003 FCA 262), et que la mauvaise conduite affecterait le rendement au travail de l’appelante ou nuirait aux intérêts de son employeur ou nuirait irrémédiablement à la relation employeur-employée (CUB 73528).

[31] Comme l’indique la Cour d’appel fédérale dans Macdonald A-152-96, le Tribunal doit déterminer la cause réelle de la cessation d’emploi de l’appelante et s’il s’agit d’une inconduite aux termes de l’article 30 de la Loi.

[32] Le Tribunal a déjà conclu que l’appelante n’a pas causé la rupture de la relation d’emploi et n’a pas abandonné son emploi. Son emploi a plutôt pris fin parce que l’employeur a décidé de la congédier le 4 janvier 2018, décision qu’il a communiquée non seulement à l’appelante, mais aussi au technicien de X qui réparait le camion.

[33] Une conclusion d’inconduite, avec les graves conséquences qu’elle comporte, ne peut être tirée que sur la base d’une preuve claire de la conduite elle-même et non simplement sur la base de spéculations et de suppositions. Il appartient à la Commission de prouver la présence d’une telle preuve, indépendamment de l’opinion de l’employeur (Crichlow A-562-97). Le Tribunal doit être saisi d’une preuve suffisamment détaillée pour déterminer comment l’employée s’est comportée et pour juger s’il s’agissait d’une inconduite (Joseph c C.E.I.C. A-636-85).

[34] En l’espèce, il n’y a pas de comportements identifiés par l’employeur comme de l’inconduite; il s’agit simplement d’une déclaration catégorique selon laquelle X considérait l’appelante comme ayant abandonné son emploi lorsque le camion est tombé en panne et qu’elle a refusé de continuer à le conduire après qu’il ait été réparé. Comme l’indique l’analyse des questions 1 et 2 ci-dessus, le Tribunal ne trouve pas cela crédible.

[35] Il se peut fort bien que l’employeur ait conclu qu’il ne souhaitait plus que l’appelante travaille pour eux après que le camion eut été remorqué pour des réparations à X. La Cour d’appel fédérale a statué que le Tribunal n’a pas à déterminer si le congédiement effectué par l’employeur était justifié ou si la sanction était appropriée (Caul 2006 CAF 251), mais plutôt à déterminer si la conduite de l’employé a constitué une inconduite au sens de la Loi (Marion 2002 CAF 185).

[36] Pour les motifs énoncés ci-dessus, il n’y a aucune preuve crédible indiquant un comportement délibéré ou insouciant de la part de l’appelante dont elle savait ou aurait dû savoir qu’il aurait pu entraîner sa mise à pied. Par conséquent, la Commission ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que l’appelante avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Le Tribunal conclut donc que l’appelante ne peut être exclue du bénéfice des prestations d’AE pour avoir perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

Conclusion

[37] Le Tribunal conclut que l’appelante n’a pas quitté volontairement son emploi chez X et que, par conséquent, elle ne peut être exclue du bénéfice des prestations d’AE en vertu de l’article 30 de la Loi pour ce motif.

[38] Le Tribunal conclut en outre que l’appelante n’a pas abandonné son emploi chez X ou qu’elle n’a pas eu de comportements qui pourraient être considérés comme une inconduite aux fins de l’article 30 de la Loi. Par conséquent, l’appelante ne peut être exclue du bénéfice des prestations d’AE en vertu de l’article 30 de la Loi parce qu’elle a perdu son emploi chez X en raison de sa propre inconduite.

[39] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 28 février 2019

Téléconférence

J. H., appelante

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