Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelante est ambulancière paramédicale. Elle avait travaillé pendant près de cinq ans comme employée occasionnelle sur appel pour une entreprise qui fournissait des services de sauvetage industriel à divers chantiers de construction. L’appelante a quitté son emploi le 3 septembre 2017 pour des préoccupations en matière de sécurité, le fait qu’elle était victime de harcèlement de la part du couple qui était propriétaire de l’entreprise, des heures excessives et des heures supplémentaires non rémunérées, et le fait de se faire offrir un salaire pour un emploi potentiel qui n’était pas égal à celui offert à un collègue masculin pour le même emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (l’« intimée ») a exclu l’appelante du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi (AE) à compter du 3 septembre 2017. La Commission estime qu’elle n’était pas fondée à quitter son emploi. L’intimée estime que l’appelante avait d’autres solutions raisonnables que de démissionner.

Questions préliminaires

[3] Cette affaire a été instruite pour la première fois par la division générale le 9 mai 2018 et une décision a été rendue le 6 juin 2018. L’appelante a demandé la permission de faire appel de cette décision, et la division d’appel lui a accordé cette permission le 1er août 2018. La division d’appel a rendu une décision le 28 novembre 2018. Elle a conclu que l’appelante avait soulevé la question de ses heures excessives et de ses heures supplémentaires non rémunérées ainsi que la question concernant la façon dont elle a considéré le comportement de l’employeur comme étant du harcèlement pour justifier son départ, et que la division générale a commis une erreur en ne tenant pas compte de la pertinence de ces circonstances. Par conséquent, l’affaire a été renvoyée à la division générale pour réexamen.

[4] Le membre du Tribunal qui a réexaminé cette affaire a exprimé à l’avocat de l’appelante sa position quant à l’enregistrement de l’audience tenue le 9 mai 2018. Le membre du Tribunal a fait savoir que l’enregistrement n’avait pas été écouté, car il considérait qu’il s’agissait d’une nouvelle audience et que la décision devrait être fondée sur la preuve qui lui serait présentée. L’avocat de l’appelante était d’accord. Par conséquent, le membre du Tribunal n’a pas écouté l’enregistrement de l’audience initiale du 9 mai 2018 et n’a pas tenu compte de la preuve orale présentée à l’audience initiale pour rendre sa décision.

[5] Deux anciens collègues de travail de l’appelante ont témoigné pour appuyer son appel, E. F. (E.F.) et E. C. (E.C.).

Questions en litige

[6] Question en litige no 1 : L’appelante a-t-elle volontairement quitté son emploi?

[7] Question en litige no 2 : Si oui, l’appelante était-elle fondée à volontairement quitter son emploi?

Analyse

[8] Toute partie prestataire est exclue du bénéfice des prestations d’AE si elle quitte volontairement son emploi sans justification (Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), art 30(1)).

[9] L’intimée a le fardeau de prouver que le départ était volontaire. Une fois le fardeau établi, c’est à l’appelante de démontrer qu’elle était fondée à quitter son emploi. Pour prouver qu’elle était fondée à le faire, elle doit démontrer qu’aucune autre solution raisonnable ne s’offrait à elle, compte tenu de toutes les circonstances (Canada (Procureur général) c White, 2011 CAF 190.

Question en litige no 1 : L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi?

[10] Oui. L’appelante a quitté volontairement son emploi le 3 septembre 2017.

[11] La question de savoir si la personne a quitté volontairement son emploi et celle de savoir si la personne a subi un congédiement déguisé sont deux questions différentes au sens de la Loi. Au moment de décider si l’appelante a quitté volontairement son emploi, la question à trancher est la suivante : l’employée avait-elle le choix de rester ou de partir? (Canada (Procureur général) c Peace, 2004 CAF 56).

[12] Le relevé d’emploi (RE) daté du 12 septembre 2017 délivré par l’employeur mentionne que l’appelante a travaillé du 6 octobre 2012 au 4 septembre 2017. Le code « E » (départ volontaire) a été indiqué comme motif de délivrance. Le RE indique « départ volontaire sans préavis » dans la section des commentaires. 

[13] L’appelante a déclaré qu’elle a donné sa démission à l’employeur par courriel le 3 septembre 2017. Le courriel figure au dossier. Il est adressé à l’un des propriétaires de l’employeur et indique : [traduction] « Je vous écris pour vous informer que je démissionne de mon poste auprès de [nom de l’employeur] dès aujourd’hui, le 3 septembre 2017. J’ai aimé travailler avec [nom de l’employeur] pendant près de six ans et j’ai été fière de mon travail et de mon dévouement. Je vous remercie des occasions que vous m’avez données au fil des ans. Je déposerai les clés de la remorque en ma possession pour le projet X. » (GD3-37)

[14] Aucun élément de preuve ne démontre que c’est l’employeur qui a amorcé la cessation d’emploi.

[15] Le Tribunal conclut que l’appelante avait le choix de rester ou de quitter son emploi et elle a décidé de quitter volontairement son emploi le 3 septembre 2017.

Question en litige no 2 : L’appelante était-elle fondée à quitter volontairement son emploi?

[16] Oui. L’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi. Compte tenu de toutes les circonstances, le Tribunal conclut que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

[17] Le critère visant à déterminer si la partie prestataire est fondée à quitter son emploi au titre de l’article 29 de la Loi sur l’AE consiste à se demander si, compte tenu de toutes les circonstances et selon la prépondérance des probabilités, l’appelante n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi (Canada (Procureur général) c White, 2011 CAF 190). L’article 29(c) de la Loi sur l’AE prévoit une liste non exhaustive de circonstances diverses qui peuvent être prises en considération pour déterminer si la partie prestataire est fondée à quitter volontairement son emploi.

Les circonstances de son départ

[18] L’appelante a déclaré qu’elle a quitté son emploi le 3 septembre 2017 pour diverses raisons. Sa raison principale était qu’elle était préoccupée par le fait de devoir travailler avec du matériel de sécurité dangereux, de travailler avec des membres du personnel qui n’avait pas reçu la formation appropriée et de les superviser. Cela menaçait sa propre sécurité et pouvait lui faire perdre son permis d’ambulancière paramédicale. Elle a déclaré qu’une autre raison pour laquelle elle a quitté son emploi était le harcèlement qu’elle subissait de la part du couple qui était propriétaire de l’entreprise, qui lui téléphonait ou lui envoyait constamment des messages textes ou qui se présentait chez elle les jours où elle ne travaillait pas. Elle a également fondé sa décision sur le fait de devoir travailler un nombre d’heures excessif, que ses heures supplémentaires n’étaient pas rémunérées et le fait qu’elle se soit fait offrir un salaire inférieur à celui d’un collègue masculin pour le même emploi, même si elle avait plus d’ancienneté que lui.   

Conditions de travail qui constituent un danger pour la santé et la sécurité

[19] Le Tribunal a examiné si la situation de l’appelante cadre avec les dispositions de l’article 29(c)(iv) de la Loi : conditions de travail constituant un danger pour la santé ou la sécurité.

La preuve de l’appelante

[20] L’appelante a déclaré que l’employeur l’a embauchée en novembre 2012 pour faire des opérations de sauvetage. Un couple (M. « A. » et Mme « A. ») était propriétaire de l’entreprise. L’entreprise fournissait des employés pour des opérations de sauvetage et du personnel infirmier à des chantiers de construction industrielle. L’appelante a déclaré qu’elle est certifiée comme ambulancière paramédicale, infirmière, technicienne en sauvetage et qu’elle est également certifiée pour effectuer des opérations de sauvetage en hauteur et en espace clos.       

[21] L’appelante a déclaré dans son témoignage qu’elle a quitté son emploi le 3 septembre 2017 pour de nombreuses raisons. Cependant, la raison principale était liée aux préoccupations en matière de sécurité. Plus particulièrement, certains des employés avec lesquels elle devait travailler n’avaient aucune expérience en sauvetage industriel. Elle a mentionné qu’après 2014, le calibre du personnel travaillant avec cet employeur avait diminué. Certains membres du personnel étudiaient encore pour devenir ambulanciers paramédicaux ou pompiers, et certains croyaient que c’était un travail facile et ne comprenaient pas la gravité potentielle de la rapidité avec laquelle quelque chose pourrait mal tourner sur un chantier. L’appelante a expliqué que lorsqu’elle a commencé à travailler pour cet employeur, les nouveaux membres du personnel recevaient une formation de trois jours de la part de l’employeur. La formation comprenait une journée et demie de théorie et une journée et demie de formation pratique où les membres du personnel s’exerçaient à utiliser l’équipement et à entrer dans des espaces clos. Toutefois, avec le temps, l’employeur a réduit la formation à une journée et demie seulement. L’appelante a affirmé que la déclaration de l’employeur à l’intimée selon laquelle les employés suivaient 40 heures de formation avant de se rendre sur le chantier (GD3-38) était fausse. Aucun membre du personnel n’a suivi 40 heures de formation avant de se rendre sur un chantier. Un nouveau membre du personnel n’a suivi que 16 heures de formation.

[22] L’appelant a expliqué qu’en raison de la nature de l’emploi, qui est sur appel et occasionnel, le taux de roulement du personnel était élevé. Souvent, les membres du personnel temporaire qui n’avaient pas terminé leur formation étaient envoyés sur le chantier à la dernière minute parce que les emplois se présentaient à la dernière minute. L’appelante a expliqué que le manque de formation adéquate signifiait que les membres du personnel ne savaient pas toujours comment utiliser correctement l’équipement de sécurité ou effectuer les sauvetages.

[23] En plus du personnel peu formé, l’appelante a déclaré que l’employeur ne tenait pas à jour les documents concernant les certificats requis. Elle a expliqué que, sur certains chantiers, la formation et les certificats sont obligatoires et que les entrepreneurs demandent les certificats à l’employeur au cas où le ministère du Travail les demanderait. Elle a ajouté que, bien qu’il incombe à chaque membre du personnel de maintenir leur niveau de compétence, l’employeur a l’obligation de préparer les certificats et de conserver des dossiers. L’appelante savait que l’employeur ne consignait pas adéquatement la formation des membres du personnel et ne gardait pas les dossiers à jour. Elle a donné l’exemple d’un chantier où son employeur a fourni à un entrepreneur un certificat de formation en sauvetage en espace clos datant de 2013, même si elle avait obtenu un certificat pour enseigner le sauvetage en espace clos.   

[24] L’appelante a déclaré qu’un autre grand problème lié à la sécurité était le fait que les membres du personnel ne recevaient pas l’équipement de sécurité approprié et que l’équipement n’était pas bien entretenu. Elle a parlé aux propriétaires à maintes reprises de l’état de l’équipement. L’appelante a déclaré qu’on lui a dit qu’elle ne pouvait pas utiliser le nouvel équipement de l’employeur, pour éviter de le salir. L’appelante a expliqué que, toutefois, dans un contexte industriel, tout devient sale. Le fait de ne pas fournir l’équipement approprié mettait sa vie en danger ainsi que celle des autres. Les propriétaires lui disaient qu’ils allaient s’occuper des problèmes, mais rien n’était jamais fait, et toutes les questions qu’elle tentait d’aborder tombaient dans l’oreille d’une sourde.    

[25] Malgré le risque pour la sécurité, l’appelante a déclaré qu’elle était dans un cercle vicieux, n’ayant pas d’autre emploi à temps plein. Elle a continué d’accepter les contrats, même si elle ne voulait pas se mettre dans une situation dangereuse, car elle avait besoin d’un chèque de paie. Cependant, avec le temps, les choses sont devenues intolérables. L’appelante a déclaré qu’elle ne voulait pas continuer d’être mise dans une situation où elle-même ou quelqu’un d’autre pourrait être blessé, et c’est la raison pour laquelle elle a finalement démissionné. 

[26] L’appelante a parlé du moment de sa démission dans son témoignage. Elle a expliqué qu’elle avait pris un congé de trois semaines du 15 août 2017 au 4 septembre 2017 parce qu’elle avait subi une fausse couche. Les propriétaires étaient au courant de la raison du congé, mais ils ne l’ont pas respecté. Pendant le congé, les propriétaires l’appelaient constamment et lui envoyaient des messages textes pour lui demander de travailler, car ils manquaient de personnel. Au cours de la dernière semaine du congé, soit le mardi précédant la fin de semaine de la fête du Travail en 2017, Mme A. a envoyé un message à l’appelante pour lui dire qu’ils avaient obtenu un nouveau contrat sur le site X pour s’occuper de sauvetage médical, en espaces clos et en hauteur. Ils voulaient qu’elle se rende sur place pour assurer la liaison et superviser une équipe de sauvetage de deux à trois personnes. L’appelante a déclaré qu’au moment de cette offre, elle était épuisée mentalement et physiquement, mais que les propriétaires lui ont demandé de prendre une décision rapidement. Elle a dit à Mme A. qu’elle devait en discuter avec son conjoint.   

[27] L’appelante a déclaré que l’employeur avait déjà eu un contrat sur ce chantier pour effectuer des opérations de sauvetage en espace clos en 2015. Elle y a travaillé pendant cinq semaines jusqu’à ce que son employeur perde le contrat de sauvetage. L’appelante a également travaillé sur le chantier X de mars 2016 à juillet 2017 comme infirmière. Lors du contrat de sauvetage en 2015, l’employeur a envoyé un nouvel employé travailler avec l’appelante. Mme A. avait déclaré à l’appelante qu’il était un ambulancier paramédical certifié. Cependant, il n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire ni de la façon d’installer l’équipement. L’appelante en a parlé à Mme A. et celle-ci lui a dit de se débrouiller avec cet employé. Lorsque l’appelante est revenue à la maison après le projet, elle a parlé à Mme A. encore une fois, qui lui a confirmé que le nouvel employé n’était pas, en fait, un ambulancier paramédical. L’appelante craignait que cela se reproduise si elle retournait au projet X pour faire des opérations de sauvetage.

[28] L’appelante a expliqué que le chantier X était un projet de construction d’envergure où une centrale électrique était en cours de construction. Le chantier lui-même était d’une superficie de 25 acres et se trouvait sur une propriété de 93 acres. 800 personnes y travaillaient. Certaines personnes travaillaient 100 pieds dans les airs et d’autres sous terre. L’appelante a déclaré qu’il s’agissait d’un chantier très complexe et que le fait que des personnes qui n’avaient aucune expérience en sauvetage industriel y travaillent n’était pas sécuritaire.

[29] L’appelante avait des préoccupations sur le fait d’accepter ce poste, car il impliquait qu’elle quitte son domicile pendant de longues périodes, et elle craignait, en raison de son expérience précédente, que les nouveaux membres du personnel n’aient pas reçu une formation adéquate. Elle s’inquiétait également du fait de devoir superviser des personnes qui n’avaient peut-être pas les certificats requis. Elle a expliqué que cela pourrait entraîner l’imposition d’amendes de la part du ministère ou même une peine d’emprisonnement en cas de décès, dont elle serait responsable en tant que superviseure.    

[30] L’appelante a déclaré qu’elle s’était bel et bien rendue sur le chantier X le jeudi et le vendredi de cette semaine, à la demande des propriétaires. Elle a rencontré l’un des nouveaux employés et elle croyait comprendre que les propriétaires l’avaient embauché par téléphone. Les propriétaires lui avaient demandé de rapporter le certificat de cet employé. Elle a vérifié son certificat et il avait seulement obtenu un certificat en ligne pour la sensibilisation aux espaces clos, ce qui ne voulait pas dire qu’il pouvait effectuer des sauvetages en espace clos. L’appelante a déclaré qu’il est essentiel de pouvoir compter sur vos collègues dans les situations de sauvetage industriel. Cette personne n’était pas certifiée pour faire du sauvetage en espace clos.

[31] En rentrant du chantier, l’appelante a téléphoné à Mme A. pour discuter de ses préoccupations. Elle lui a parlé des obstacles qui existaient sur ce chantier, car l’entreprise remplaçait une autre entreprise de sauvetage et qu’elle n’y avait pas travaillé depuis près de deux ans pour la prestation de services de sauvetage. Elle a essayé d’expliquer à Mme A. que la mise sur pied du projet serait un défi important. L’appelante a confirmé qu’ils n’ont pas parlé précisément du fait que les membres du personnel n’avaient pas de formation adéquate, car la réponse de Mme A. à l’égard de ses autres préoccupations était [traduction] « je vais gérer ce contrat comme bon me semble ». L’appelante a déclaré que Mme A. se souciait peu de ce que l’appelante disait. Après avoir réfléchi à ces questions au cours de la fin de semaine, l’appelante a ensuite remis sa démission par courriel le lundi suivant, le 3 septembre 2017.   

[32] Les renseignements fournis par l’appelante dans sa demande de prestations et à l’intimée concordaient avec son témoignage. Dans sa demande de prestations, l’appelante a affirmé qu’elle ne voulait pas risquer de perdre son permis d’ambulancière paramédicale ou risquer la vie d’autres personnes dans cette situation en ayant des membres du personnel non formé sur le chantier. 

La preuve d’E. F.

[33] Le témoin de l’appelante, E. F., a corroboré les préoccupations de l’appelante en matière de sécurité. Il est maintenant pompier à temps plein au Texas. E. F. a expliqué qu’il détient une formation poussée en sauvetage et qu’il est l’une des 125 personnes dans le monde qui ont obtenu un certificat de spécialiste en recherche et sauvetage en milieu urbain. Il a déclaré qu’il avait travaillé pour le même employeur que l’appelante à titre de technicien de sauvetage pour effectuer des sauvetages à la corde et des sauvetages en espace clos de mai 2016 à août 2017 et qu’il avait visité de 15 à 20 chantiers de travail pour cet employeur. E. F. a déclaré qu’il avait travaillé sur plusieurs chantiers avec l’appelante et qu’elle avait une formation poussée en sauvetage. Il a expliqué qu’en Ontario, si du travail est effectué en espaces clos ou en hauteur dans le cadre d’un projet de construction, l’employeur devait embaucher une entreprise comme celle où ils travaillaient, pour être en disponibilité au cas où il fallait procéder à une opération de sauvetage en hauteur ou en espace clos.

[34] E. F. a déclaré que lorsqu’il a commencé à travailler pour cet employeur, tout semblait bien aller. Cependant, à mesure qu’il obtenait une formation plus poussée en sauvetage, il a commencé à remarquer d’autres lacunes dans les façons de faire de l’employeur. Ils devaient utiliser de l’équipement défectueux et de l’équipement qui n’était pas à la hauteur. Même si l’entreprise avait des harnais de sauvetage, elle leur fournissait des harnais pour travailleurs de la construction, et non des harnais de sauvetage. Il a expliqué qu’il pouvait être dangereux de se servir de harnais de construction pour les sauvetages et il en avait parlé au propriétaire. Toutefois, le problème n’a pas été réglé. Il en a eu assez d’utiliser le mauvais harnais, de sorte qu’il a acheté son propre harnais de sauvetage. E. F. a confirmé que, sur tous les sites où il a travaillé avec l’appelante, on ne leur a pas fourni les harnais de sauvetage appropriés.

[35] E. F. a expliqué qu’il y avait aussi un problème avec les cordes sur chaque chantier où il s’est rendu avec l’appelante. Il a expliqué que les câbles de sécurité doivent être entretenus d’une certaine façon. Elles doivent être nettoyées correctement. Toutefois, à sa connaissance, l’employeur nettoyait les câbles seulement une fois par année. Il remarquait de la saleté, des traces d’usure, des taches liquides et des taches possiblement chimiques sur les câbles, et ces câbles auraient dû être jetés. Il a souligné qu’il avait demandé aux propriétaires de nouveaux câbles à de nombreuses reprises, mais qu’ils n’avaient pas été fournis. E. F. a insisté sur la nécessité de pouvoir compter sur l’équipement pour les opérations de sauvetage.     

[36] E. F. a donné un autre exemple de matériel défectueux. Il a expliqué que les treuils qu’ils devaient utiliser se tortillaient parfois. Si un crochet sur le treuil sortait avec une étiquette rouge, cela signifiait que le treuil devait être mis hors service. Toutefois, l’employeur ne le faisait pas et le personnel n’avait pas d’autre choix que d’utiliser des treuils qui auraient dû être mis hors service.

[37] E. F. a déclaré qu’en plus des problèmes d’équipement, il était préoccupé par le fait que bon nombre des membres du personnel n’avaient pas la formation requise pour le travail. Il a donné l’exemple des appareils respiratoires autonomes. Il a expliqué que les gens doivent être rasés pour porter un masque et qu’il peut être vital en cas de problème. Cependant, certains membres du personnel ne le savaient pas. D’autres ne connaissaient pas les concepts de base des câbles, les différents systèmes de poulie, ou ne savaient pas comment assembler l’équipement ou utiliser des moniteurs de gaz. Il a déclaré que seulement très peu d’employés savaient comment utiliser correctement l’équipement.

[38] E. F. a déclaré que certains des employés avaient de l’expérience dans le domaine des services de gestion des urgences ou des services de gestion des urgences préhospitaliers. Toutefois, la plupart d’entre eux voulaient simplement un chèque de paie. E. F. a expliqué qu’il s’agissait d’un problème parce que, si quelque chose tournait mal, votre vie, celle de votre partenaire et celle du travailleur étaient en danger. Il était essentiel de pouvoir compter sur votre partenaire. E. F. a expliqué qu’à son avis, les employés n’ont pas reçu la formation appropriée sur les exigences du poste. Il a dit qu’en Ontario, il y a un certain nombre d’heures de formation à faire pour le sauvetage. Toutefois, c’est à l’employeur de pousser la formation de ses employés. Il avait l’impression que la qualité de la formation s’était détériorée au fil du temps dans cette entreprise. E. F. a déclaré que les membres du personnel avaient peut-être les certificats exigés sur papier, mais que bon nombre d’entre eux ne savaient pas vraiment ce qu’ils faisaient.

[39] E. F. a expliqué les circonstances qui ont entraîné son départ de l’entreprise. Il a déclaré qu’il était censé commencer le projet X en 2017 et travailler à titre de sauveteur principal et superviseur du projet en alternance avec l’appelante. Ils feraient plus ou moins le même travail, mais avec des horaires différents. On lui a dit qu’il serait payé de 28 $ à 30 $ l’heure. Il pensait qu’il était le seul à qui l’on offrait une rémunération supplémentaire. Il avait entendu dire que différentes personnes avaient reçu différentes offres. Il était censé se rendre en voiture au chantier X pour commencer, mais l’employeur lui a dit qu’il avait des gens sur place et qu’il n’avait plus besoin de lui. E. F. avait demandé à d’autres employés qui se trouvaient sur le chantier et on lui a dit qu’il s’agissait de nouveaux membres du personnel qui n’avaient pas suivi la formation requise. Il a également parlé au chef de la formation de l’employeur qui a dit à E. F. qu’il n’avait pas formé les nouveaux employés et qu’il ne savait pas qui les avait formés. E. F. a déclaré qu’il avait quitté l’entreprise le lendemain parce qu’il ne voulait pas devoir faire face à des conditions dangereuses et qu’il ne voulait pas travailler avec des personnes qui ne pouvaient pas assurer sa sécurité. Il estimait que l’employeur mettait à risque la vie des travailleurs.

La preuve d’E. C.

[40] La témoin de l’appelante, E. C. a également corroboré les préoccupations de l’appelante en matière de sécurité. Elle a déclaré qu’elle est ambulancière paramédicale, qu’elle est technicienne de soins ambulanciers et qu’elle a un certificat en sauvetage en espace clos. Elle a travaillé comme ambulancière militaire au cours des cinq dernières années.

[41] E. C. a déclaré qu’elle travaillait pour cet employeur depuis 2014 et qu’elle travaille encore techniquement pour cet employeur. Elle n’a toutefois accepté aucun contrat pour eux depuis un an et demi. Elle avait travaillé sur des chantiers partout à X et X en Ontario pour cet employeur.

[42] E. C. a déclaré qu’en 2016, elle a travaillé sur le projet X en tant qu’infirmière. Elle a occupé ce poste en alternance avec l’appelante. Elles travaillaient de 8 à 10 heures par jour, une semaine à la fois. Les heures supplémentaires n’étaient pas rémunérées et elle ne savait pas si l’employeur avait un permis pour permettre le travail supplémentaire. Les heures supplémentaires étaient accumulées. Elle a expliqué qu’il s’agissait d’un très grand chantier et qu’une centrale électrique alimentée au gaz naturel y était construite. On construisait des roulottes et des tours, et des travaux en espaces clos et en hauteur y était effectué.    

[43] E. C. a déclaré qu’elle avait fait part à l’employeur de ses préoccupations au sujet des pratiques pour les certificats. Elle a expliqué qu’elle était censée suivre un cours chaque année pour renouveler son certificat pour travailler comme technicienne en espace clos. Toutefois, elle ne l’a fait peut-être qu’une seule fois. Même si elle connaissait son travail, elle n’avait pas le certificat requis. Le cours était planifié dans son horaire, puis environ une journée avant le début du cours, M. A. annulait sa participation et l’envoyait sur un autre chantier. Elle avait exprimé ses inquiétudes à ce sujet, mais on ne lui a jamais donné le cours. Elle n’était pas certaine de ce que l’employeur mettait sur les certificats qui étaient fournis aux entrepreneurs alors qu’elle n’avait pas le certificat officiel requis. Elle soupçonnait que si cela lui était arrivé, cela arrivait probablement aussi à d’autres employés.

[44] E. C. a ajouté qu’à certaines occasions, l’équipement ne fonctionnait pas. Elle a donné un exemple de 2016 où un appareil respiratoire ne fonctionnait pas sur un chantier où elle se trouvait. Elle a demandé à M. A. de régler le problème tous les jours pendant une semaine, mais rien n’a été fait. E. C. a expliqué que cette pièce d’équipement est nécessaire pour le sauvetage en espace clos. Elle a donné un autre exemple de 2017, lorsqu’elle était sur un chantier à Woodstock, où le crochet du treuil qui sert à la montée et la descente d’une personne en espace clos était sorti. Le treuil présentait des problèmes d’intégrité et elle a refusé de l’apporter sur le chantier. Elle a envoyé des photos à M. A. Cependant, il lui a dit qu’elle pouvait s’en servir pour la journée. Elle a toutefois refusé de s’en servir. L’employeur n’a pas remédié à la situation et elle a pu obtenir un treuil de remplacement de quelqu’un d’autre que l’employeur.   

[45] E. C. a également remarqué des problèmes de formation. Elle a souligné qu’à partir de 2016, il semblait y avoir un grave manque de formation. Les nouveaux membres du personnel ne savaient pas quel type de comportement ils devaient adopter sur les lieux de travail. Un membre du personnel s’endormait sur un chantier. E.C. a expliqué que la formation des nouveaux membres du personnel est passée de trois jours à un jour et demi.    

[46] E. C. a expliqué pourquoi elle n’avait pas accepté de travail de cet employeur depuis un an et demi. Elle a déclaré que M. A. lui avait aussi demandé de se rendre sur le chantier X en 2017. Elle a dit à M. A. qu’elle voulait savoir quels étaient leurs responsabilités, leur salaire et où ils resteraient. Elle s’inquiétait parce qu’elle n’avait pas été payée auparavant pour son temps de déplacement pour se rendre au site X et en revenir. Même si elle a demandé à M. A. à plusieurs reprises de lui envoyer cette information par courriel, il ne l’a jamais fait, alors elle n’a pas accepté ce contrat. Par la suite, elle a cessé d’accepter des emplois auprès de cet employeur parce que, chaque fois qu’elle soulevait un problème, les propriétaires tournaient autour du pot et donnaient l’impression qu’ils travaillaient sur une solution, mais rien n’était fait, et cela était difficile pour elle.

La preuve de l’employeur

[47] M. A. a informé l’intimée qu’il avait demandé à l’appelante de superviser un nouveau projet, mais non les nouveaux membres du personnel. Il a déclaré que tout le monde était formé et que l’entreprise ne met jamais sur le terrain des personnes qui ne sont pas formées parce qu’elle ne veut pas ternir sa réputation. L’employeur a expliqué que les employés doivent avoir suivi 40 heures de formation interne et que, comme le projet devait commencer rapidement, ils ont utilisé leurs employés actuels. Il a précisé en outre qu’ils ajouteraient d’autres employés dès que leur formation était complétée. Il a déclaré que toutes les personnes occupant des rôles et des postes doivent être certifiées. Il a déclaré que tous les membres du personnel ont des diplômes et des certificats et qu’ils sont mieux formés que l’appelante. Il a ajouté que celle-ci possédait peut-être plus d’heures de service, mais pas plus d’heures de formation. L’employeur a déclaré que, du point de vue de la sécurité ou de la formation, tous les employés sont plus que qualifiés.

[48] Le Tribunal n’accepte pas le témoignage de l’employeur selon lequel les membres du personnel recevaient 40 heures de formation. Cela ne concorde pas avec les éléments de preuve crédibles et avérés présentés par l’appelante et E. C. selon lesquels seulement une journée et demie de formation était donnée. Le Tribunal rejette également la preuve de l’employeur selon laquelle les employés actuels allaient travailler au projet X.  Cela ne concorde pas avec le témoignage crédible de l’appelante selon lequel elle s’était bel et bien rendue sur le site et avait rencontré une personne nouvellement embauchée avec qui elle devait travailler au projet et qui avait seulement obtenu un certificat en ligne pour la sensibilisation aux espaces clos. 

[49] Le Tribunal conclut que les conditions de travail de l’appelante constituaient un danger pour sa sécurité au titre de l’article 29(c)(iv) de la Loi et qu’elle a quitté son emploi dans ces circonstances. À cet égard, le Tribunal accepte les éléments de preuve crédibles de l’appelante, corroborée par les deux témoins, selon lequel cet employeur n’a pas fourni l’équipement de sécurité requis sur les chantiers, n’a pas entretenu l’équipement de sécurité, n’a pas tenu à jour les renseignements relatifs aux certificats de sécurité et a mis l’appelante dans des situations dangereuses en ne donnant pas une formation suffisante aux employés avec lesquels elle devait travailler et superviser. La preuve présentée par l’appelante et les deux témoins est indéniable : l’employeur a fourni de l’équipement de sécurité inadéquat et mal entretenu sur ses chantiers. Ses membres du personnel étaient également mal formés. 

Pratiques contraires à la Loi

[50] Le Tribunal a examiné si l’employeur se livrait à des pratiques [traduction] « contraires à la loi » au titre de l’article 29(c)(xi) de la Loi.

[51] L’appelante a soutenu qu’une des raisons pour lesquelles elle a démissionné était qu’elle devait travailler plus d’heures que ce qui était permis et qu’elle n’était pas rémunérée pour les heures supplémentaires, ce qui contrevenait à la Loi sur les normes d’emploi (LNE). De plus, l’employeur avait l’intention de violer les dispositions de la LNE relatives au salaire égal pour un travail égal en offrant à un collègue de sexe masculin un salaire plus élevé qu’à elle pour faire exactement le même travail, malgré le fait qu’elle avait plus d’ancienneté.    

[52] L’article 17 de la LNE prévoit un maximum quotidien de huit heures par jour de travail et de 48 heures par semaine de travail à moins que l’employeur et l’employé en aient convenu autrement et que l’entente soit approuvée par le ministère du Travail.

[53] L’article 22 de la LNE prévoit le paiement d’un salaire au taux d’une fois et demie le taux normal pour chaque heure travaillée en sus de 44 heures par semaine.

[54] Dans sa demande de prestations, l’appelante a déclaré qu’elle avait été obligée de travailler de cinq à six quarts de 12 heures de suite, sans compter les quatre heures de trajet aller-retour en voiture pour se rendre sur le chantier. Elle a affirmé avoir travaillé 140 heures au cours d’une période de paie de deux semaines et qu’elle n’avait pas été rémunérée pour des heures supplémentaires, car l’employeur a dit qu’ils n’en avaient pas les moyens. Elle a ajouté qu’elle n’était pas payée pour aller chercher d’autres membres du personnel et faire des courses (GD3-12).

[55] L’appelante a déclaré la même chose dans son témoignage, affirmant que ses heures étaient sporadiques et différentes selon les chantiers. Elle pouvait travailler de 2 à 16 heures par jour ou plus sur un chantier. Lorsqu’elle était au chantier X comme infirmière, elle travaillait des quarts de 10 heures, sept jours sur sept, en alternant les quarts de jour et les quarts de nuit. Elle était à X pendant deux semaines, puis rentrait chez elle pendant une semaine. Elle pouvait avoir un jour ou deux de congé pendant cette période de deux semaines à X, mais elle devait parfois aussi travailler les fins de semaine. Elle ne savait pas si l’employeur avait obtenu une exemption du ministère du Travail pour permettre ces longues heures. De plus, elle n’était pas payée pour ses heures supplémentaires après avoir travaillé plus de 44 heures par semaine. M. « A. » lui a dit qu’ils n’avaient pas les moyens de payer des heures supplémentaires, alors ils ont plutôt mis ses heures supplémentaires en banque, qu’ils lui ont versées au taux de rémunération normal en octobre 2016. L’appelante a confirmé dans son avis d’appel que la période pendant laquelle elle a travaillé comme infirmière au chantier X était de mars 2016 à juillet 2017.

[56] Bien que l’appelante n’ait pas fourni de talons de paie ou de feuilles de temps corroborant le nombre excessif d’heures et le fait qu’elle n’était pas rémunérée pour des heures supplémentaires, le Tribunal accepte que l’appelante était obligée de faire des heures supplémentaires supérieures à 44 heures par semaine et qu’elle n’était pas rémunérée pour ses heures supplémentaires lorsqu’elle a travaillé au chantier X de mars 2016 à juillet 2017. Le Tribunal reconnaît également qu’elle était tenue de travailler plus de huit heures par jour à d’autres chantiers, travaillant parfois des quarts de 16 heures. Le témoignage de l’appelante au sujet des heures de travail et du fait qu’elle n’était pas rémunérée pour des heures supplémentaires a été corroboré par celui d’E. C. qui avait travaillé avec elle sur le chantier X. 

[57] Le Tribunal conclut que l’employeur a enfreint les articles 17 et 22 de la LNE en ce qui a trait à l’exigence relative au nombre excessif d’heures de travail et au fait que les heures supplémentaires n’étaient pas rémunérées, et que ces pratiques étaient contraires à la loi au titre de l’article 29(c)(xi) de la Loi. Aucun élément de preuve ne montre que l’employeur avait obtenu du ministère du Travail l’autorisation de permettre ces pratiques. Le Tribunal accepte également que les inquiétudes de l’appelante étaient fondées concernant le fait que cette situation se reproduirait si elle retournait au chantier X.    

[58] Le Tribunal n’est pas convaincu qu’il y a eu violation des dispositions de la LNE relatives au salaire égal pour un travail égal. L’article 42 de la LNE prévoit qu’un employeur ne peut pas payer un employé à un taux de salaire inférieur à celui d’un autre employé sur la base du sexe lorsque les deux employés effectuent un travail essentiellement semblable dans le même établissement, que leur travail exige des compétences, des efforts et des responsabilités essentiellement semblables et est effectué en vertu de conditions de travail semblables. Les exceptions à cette règle sont lorsque la différence dans le taux de salaire est liée à une échelle d’ancienneté, une distinction fondée sur le mérite, un système qui détermine le salaire en fonction de la quantité ou la qualité de la production, ou sur tout autre facteur que le sexe.

[59] L’appelante a déclaré que l’emploi qui lui avait été offert au chantier X était le même que celui offert à E. F. Elle avait plus de certificats médicaux et plus d’ancienneté qu’E. F., même si celui-ci avait des certificats de sauvetage de plus haut niveau. Elle a demandé 28 $ de l’heure pour retourner sur ce chantier. L’employeur a offert 25 $, et elle a accepté. Cependant, elle a découvert qu’on avait offert 28 $ à E. F. pour le même emploi. E. F. a déclaré qu’on lui avait offert de 28 $ à 30 $ pour faire le même travail que l’appelante pendant un quart de travail différent. Toutefois, il n’a jamais commencé ce travail, car le propriétaire lui a dit qu’il n’avait plus besoin de ces services. 

[60] Il semble que l’employeur avait l’intention d’enfreindre les dispositions de la LNE relatives au salaire égal pour un travail égal selon le Tribunal. Toutefois, E.F. n’a jamais réellement commencé à travailler au projet X et n’a pas été rémunéré pour ce projet. Par conséquent, l’appelante et E. F. n’ont pas été payés à un taux différentiel, et le Tribunal conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 42 de la LNE. Ce n’est pas comme si l’employeur avait réellement commis une infraction : il n’en avait que l’intention.

Harcèlement

[61] Le Tribunal a également examiné si l’appelante était victime de « harcèlement » au titre de l’article 29(c)(i) de la Loi.

[62] La Loi sur l’AE ne définit pas le harcèlement. La définition de harcèlement fournie par le Oxford Reference Dictionary est la suivante : [traduction] « continuellement poser problème à une personne et embêter cette personne; faire de multiples attaques contre (un ennemi) » (Oxford University Press, 1986). Le dictionnaire Oxford en ligne définit le « harcèlement » comme une [traduction] « pression ou intimidation agressive ».

[63] La Loi sur la santé et la sécurité au travail définit le « harcèlement en milieu de travail » de la manière suivante (a) fait pour une personne d’adopter une ligne de conduite caractérisée par des remarques ou des gestes vexatoires contre un travailleur dans un lieu de travail lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns, ou (b) du harcèlement sexuel au travail; (article 1).

[64] L’avocat de l’appelante a soutenu que la définition de « harcèlement » dans la Loi ne devrait pas se limiter à la définition de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario, et que le terme « harcèlement » devrait être interprété au sens large conforme à la nature réparatrice de la loi.

[65] Le Tribunal accepte la définition de harcèlement du dictionnaire Oxford en ligne comme définition acceptable du terme « harcèlement » au titre de l’article 29(c)(i) de la Loi. Le Tribunal conclut que le harcèlement aux termes de la Loi comprendrait donc des pressions ou de l’intimidation agressive de la part d’un employeur.

[66] L’appelante a déclaré qu’au début, elle avait une bonne relation de travail avec les propriétaires de l’entreprise. Cependant, au fil du temps, les choses ont été très tendues parce qu’ils comptaient beaucoup sur elle pour gérer leurs chantiers. Ils ne mettaient jamais les pieds sur un grand nombre de chantiers. Les propriétaires vivaient près de chez elle et lui téléphonait et lui envoyait des messages texte constamment lorsqu’elle était en congé. Même lorsqu’elle était en congé de trois semaines après avoir subi une fausse couche, ils ont continué de communiquer avec elle pour lui demander de travailler. Ils se présentaient aussi chez elle sans la prévenir pour déposer des documents. L’appelante a déclaré qu’elle n’appréciait pas le fait que les propriétaires communiquaient constamment avec elle. Elle leur a dit qu’il n’était pas nécessaire qu’ils viennent chez elle il y a quelques années. Elle a aussi demandé à Mme A. de faire preuve de courtoisie et de téléphoner avant de se présenter, mais Mme A. a seulement éclaté de rire.

[67] L’appelante a mentionné un incident qui s’est produit le 31 décembre 2016. Elle était censée être en congé ce jour-là. M. A. s’était présenté à son domicile à 6 h parce qu’un autre membre du personnel avait téléphoné pour prendre une journée de maladie et il souhaitait que l’appelante soit sur un chantier à 7 h 30. Comme l’appelante n’avait pas répondu à son téléphone, M. A. s’est rendu chez elle. L’appelante n’était pas habillée quand elle a répondu à la porte, croyant que c’était son conjoint. Il partait tôt et, à l’occasion, il oubliait ses clés à l’intérieur. Elle était donc sortie du lit rapidement pour ouvrir la porte, croyant que c’était son conjoint. Lorsqu’elle a ouvert la porte, M. A. a dit que c’était une bonne et heureuse nouvelle année pour lui en l’apercevant et qu’elle devrait se rappeler de garder son téléphone cellulaire allumé pour que leur prochaine rencontre matinale soit plus convenable. L’appelante a déclaré qu’elle se sentait mal à l’aise avec M. A. par la suite. Il faisait parfois référence à l’incident qui l’avait rendue mal à l’aise. Elle avait l’impression qu’elle n’avait pas d’intimité. Les propriétaires passaient toujours devant chez elle en voiture et savaient si elle était à la maison. L’appelante a eu l’impression qu’ils avaient complètement dépassé les limites d’une relation employeur-employée.

[68] Le Tribunal accepte les éléments de preuve crédibles de l’appelante concernant l’incident du 31 décembre 2016 et le fait que les propriétaires communiquaient constamment avec l’appelante par téléphone, par messages texte et en se présentant chez elle sans l’avertir, même lorsqu’elle ne travaillait pas.

[69] Le Tribunal conclut que ces comportements équivalaient à du harcèlement au sens de la Loi. Les propriétaires savaient que l’appelante n’appréciait pas le fait qu’ils se rendent chez elle, car elle leur avait dit que ce n’était pas nécessaire et avait demandé à Mme A. de lui téléphoner avant de se présenter chez elle. Même si elle n’avait pas abordé la question avec eux, les propriétaires auraient dû savoir que le fait de se rendre chez une personne à plusieurs reprises lorsqu’elle est en congé était un comportement indésirable et intimidant. De plus, M. A. aurait dû savoir que les références répétées à l’incident du 31 décembre 2016 étaient un comportement inapproprié et importun de la part d’un employeur envers un employé. Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que ces propriétaires n’ont pas respecté l’intimité de l’appelante lorsqu’elle était en congé après avoir subi une fausse couche.

[70] Le Tribunal conclut que les propriétaires ont adopté un comportement de harcèlement au sens de la Loi et qu’il s’agissait d’un facteur dans la décision de démissionner de l’appelante.

Solutions raisonnables

[71] Le Tribunal doit maintenant examiner, compte tenu de toutes les circonstances, y compris les conditions de travail qui ont constitué un danger pour la sécurité de l’appelante, les heures supplémentaires et les heures supplémentaires non payées par l’employeur qui constituait une pratique contraire à la loi et le harcèlement, l’appelante n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi.

[72] L’appelante est tenue de résoudre les conflits en milieu de travail avec un employeur ou de démontrer qu’elle a fait des efforts pour trouver un autre emploi avant de prendre une décision unilatérale de quitter un emploi (Canada (Procureur général) c White, 2011 CAF 190).

[73] Lorsqu’il y a des préoccupations en matière de sécurité, une solution raisonnable autre que celle de quitter son emploi peut être de discuter d’abord avec l’employeur de la possibilité d’adopter des mesures pour réduire les craintes relatives aux conditions de travail dangereuses. (Canada (Procureur général) c Hernandez, 2007 CAF 320).

[74] L’intimée soutient que l’appelante avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi. L’intimée soutient qu’elle aurait pu conserver son emploi jusqu’à ce qu’elle se trouve un autre emploi. Elle aurait aussi pu faire part de ses préoccupations au sujet des nouveaux employés à son employeur pour confirmer ce qu’elle croyait au sujet de leur formation, et au sujet de sa paie.

[75] L’intimée soutient qu’une autre solution raisonnable aurait été que l’appelante communique avec des organismes externes, comme les organismes régionaux de réglementation de la santé et de la sécurité au travail, l’organisme chargé de délivrer les permis d’ambulancier paramédical en Ontario, ou la commission des relations de travail, au sujet de ses préoccupations concernant la sécurité et les certificats requis pour les employés, et les questions de rémunération.

[76] L’appelante a déclaré qu’elle n’avait pas d’autres solutions raisonnables. Elle affirme que si elle était retournée au projet X, il aurait fallu qu’elle travaille avec de nouvelles personnes non formées sur cet énorme chantier de construction et qu’elle aurait pu recevoir une amende ou une peine d’emprisonnement si un décès survenait sur le chantier et que le personnel n’avait pas les certificats requis. Elle a ajouté qu’en tant que leur superviseure, elle aurait pu être tenue responsable. De plus, il y avait un risque que ses employés, les travailleurs et elle-même se blessent en raison des problèmes de sécurité. Le chantier était d’une superficie de 25 acres et 800 personnes y travaillaient. Le chantier était extrêmement complexe et le fait que des personnes qui n’avaient aucune expérience du sauvetage industriel ou sur ce chantier en particulier y travaillaient était vraiment préoccupant. L’appelante a déclaré qu’elle a envisagé de signaler l’employeur au ministère du Travail, mais elle croyait que le processus serait trop prenant et elle voulait simplement se retirer de la situation. Elle et ses collègues ont demandé plusieurs fois à l’employeur de régler les problèmes de sécurité, mais rien n’a été fait. Elle avait toléré la situation le plus longtemps possible, mais la situation était devenue intolérable. L’appelante a déclaré que le fait d’en parler encore aux propriétaires n’aurait pas réglé le problème. Ils disaient qu’ils remédieraient à la situation, mais ils ne le faisaient jamais.    

[77] Le Tribunal accepte les éléments de preuve de l’appelante selon lesquels elle a essayé à maintes reprises d’aborder les problèmes de sécurité avec l’employeur, tout comme ses collègues, mais en vain. 

[78] Le Tribunal n’est pas d’accord que le fait de discuter spécifiquement avec l’employeur de la formation des nouveaux employés sur le projet X était une solution raisonnable pour l’appelante. En tentant de discuter des préoccupations globales du projet, la réponse que l’appelante a reçue de Mme A. était qu’elle allait gérer le projet comme bon lui semblait. Dans ces circonstances, une discussion sur la formation des nouveaux membres du personnel aurait été futile selon le Tribunal. Le Tribunal conclut aussi que toute discussion au sujet de la rémunération des heures supplémentaires ou des heures supplémentaires aurait également été futile. La tendance décrite par l’appelante et ses deux collègues au moment d’aborder des problèmes avec les propriétaires était que ces derniers faisaient de fausses promesses, sans que rien de concret ne soit fait pour répondre à leurs préoccupations.

[79] L’intimée soutient qu’une solution raisonnable au départ aurait été que l’appelante conserve son emploi jusqu’à ce qu’elle trouve un autre emploi ou qu’elle ait fait part de ses préoccupations à des organismes externes.    

[80] Le Tribunal n’est pas d’accord que l’une ou l’autre de ces solutions est raisonnable, dans les circonstances. L’appelante avait toléré la situation aussi longtemps qu’elle avait pu le faire. Si elle avait continué à travailler au projet X ou même à tout autre projet géré par cet employeur pendant une période indéterminée jusqu’à ce qu’elle obtienne un autre emploi, elle aurait mis sa sécurité et peut-être celle des autres en danger. Si elle avait signalé ses préoccupations à un organisme externe, il aurait fallu beaucoup de temps pour régler la question. Le Tribunal estime qu’il n’est pas raisonnable que l’appelante conserve son emploi dans des conditions dangereuses jusqu’à ce qu’elle obtienne un autre emploi ou qu’elle signale les problèmes à des organismes externes. Les risques pour la sécurité n’étaient pas mineurs. Compte tenu de la nature de l’emploi de l’appelante et des chantiers industriels où elle devait travailler, le risque pour la sécurité était immense. De plus, la question de la sécurité n’était pas le seul problème, même si c’était le problème principal. À ce problème s’ajoutaient le harcèlement et les pratiques de l’employeur contraires à la loi. Le Tribunal n’est pas d’accord pour dire qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que l’appelante ait continué de travailler dans ce milieu dangereux et favorisant l’exploitation. Le tribunal conclut que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’appelante n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi.    

Conclusion

[81] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Le 28 janvier 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

L. A., Appelante

Wesley Jamieson, représentant de l’appelante

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