Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté parce que l’appelante n’a pas démontré que la somme de 148 000 $ reçue de son ancien employeur constitue une indemnité pour avoir renoncé à son droit d’être réintégré dans son ancien poste. Conséquemment, cette somme constitue de la rémunération, et elle doit faire l’objet d’une répartition et cette répartition a été faite correctement.

Aperçu

[2] L’appelante a perdu son emploi et elle a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi. Après avoir étudié la demande, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a versé des prestations. Par la suite, l’ancien employeur de l’appelante lui a versé la somme de 160 000 $. La Commission a décidé que 148 000 $ de cette somme constitue de la rémunération et celle-ci a été répartie sur les semaines de prestations. Cette décision a généré un trop-payé de prestations d’assurance-emploi dont la Commission demande à l’appelante de rembourser. Selon l’appelante, la somme de 148 000 $ ne constitue pas de la rémunération, car celle-ci lui a été versée parce qu’elle a renoncé à son droit de réintégrer son emploi, d’où l’appel dont le Tribunal est saisi.

Questions en litige

[3] Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. Est-ce que la somme de 148 000 $ constitue une rémunération ?
  2. Si oui, cette somme a-t-elle été repartie correctement ?

Analyse

[4] Le Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement) prévoit que la rémunération inclut « le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi » (article 35 du Règlement). La jurisprudence enseigne que les sommes qui constituent une rémunération aux termes de l’article 35 du Règlement doivent être réparties aux termes de l’article 36 du Règlement (Boone et al c Canada (PG), 2002 CAF 257).

a) Est-ce que la somme de 148 000 $ constitue une rémunération ?

[5] L’appelante soutient que selon un règlement intervenu entre elle et son ancien employeur, la somme de 148 000 $ lui a été versée parce qu’elle a renoncé à son droit de réintégrer son emploi. La Cour d’appel fédérale a établi les conditions selon lesquelles un montant versé à la suite d’une cessation d’emploi peut être considéré comme ayant été versé pour compenser la renonciation au droit de réintégrer un emploi. Au départ, le droit d’être réintégré doit exister en vertu d’une loi fédérale ou provinciale, d’un contrat ou d’une convention collective. En second lieu, le prestataire doit avoir demandé à être réintégré et l’entente de règlement doit démontrer que le montant a été versé à titre de compensation pour renoncer au droit d’être réintégré (Canada (PG) c Nicole Meechan, 2003 CAF 368).

[6] Est-ce que le droit à la réintégration existait ? Non, et cette conclusion du Tribunal est basée sur les faits suivants.

[7] L’avocat de l’appelante plaide que cette dernière a été congédiée sans motifs sérieux. L’avocat indique que l’appelante ne pouvait pas déposer une plainte en vertu de la Loi sur les normes du travail du Québec, car elle est exclue de l’application de cette loi parce qu’elle était cadre supérieure. Cependant, l’avocat de l’appelante affirme que cette dernière avait le droit de réintégrer son emploi en vertu des articles généraux sur le droit du travail du Code civil du Québec (C.c.Q), notamment les articles 2091, 2092 et 2094.  Le Tribunal n’est pas de cet avis.

[8] En effet, le droit de l’appelante de réintégrer son emploi n’est pas prévu à l’article 2091 du C.c.Q, car celui-ci stipule que « Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé. Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail ». De plus, le droit à la réintégration n’est pas mentionné à l’article 2094 du C.c.Q qui stipule uniquement qu’une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis un contrat de travail.

[9] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que les articles 2091 et 2094 du C.c.Q. ne donnent pas ouverture au droit à la réintégration après un congédiement. Cette conclusion du Tribunal est renforcée par la décision rendue par la Cour d’appel du Québec où cette dernière mentionne ce qui suit quant au droit à la réintégration fondée exclusivement par le Code civil du Québec : « … notre code civil, à la différence des lois particulières comme le Code canadien du travail et la Loi sur les normes du travail et le Code du travail, consacre aux articles 2091 et 2094 la faculté de l’employeur de résilier unilatéralement le contrat de travail à durée indéterminée moyennant un préavis suffisant ; ces dispositions permettent de rompre définitivement ce lien d’emploi et écartent l’obligation de réintégrer (…) » (Société canadienne des postes c Rippeur 2013 QCCA 1893).

[10] Pour toutes ces raisons, le Tribunal détermine que le droit de l’appelante de réintégrer son emploi n’existait pas en vertu du C.c.Q.

[11] Ayant déterminé que le droit à la réintégration n’est pas prévu aux articles du C.c.Q allégués par l’appelante, le Tribunal se penchera sur le contenu de l’entente afin d’évaluer si celle-ci visait à indemniser l’appelante pour avoir renoncé à un droit à la réintégration (Canada (PG) c Nicole Meechan, 2003 CAF 368).

[12] Est-ce que l’entente de règlement démontre que le montant a été versé à titre de compensation pour renoncer au droit d’être réintégré ? L’analyse de l’entente signée le 24 mai 2018 révèle que la somme de 148 000 $ n’a pas été versée en guise de renonciation au droit de l’appelante de réintégrer son emploi.

[13] L’entente en question a été finalisée le 24 mai 2018 et son préambule prévoit qu’elle a été conclue à la suite des procédures judiciaires instituées par l’appelante contre l’employeur relativement à sa perte d’emploi. L’entente précise que la somme de 160 000 $ est versée à l’appelante à titre d’allocation à la retraite, à titre d’indemnité de départ et à titre de renonciation à sa réintégration (GD3-26). Étant donné que l’entente ne précise pas la valeur qui a été accordée à la renonciation au droit à la réintégration, la Commission a interrogé les parties sur cette question. Toutefois, ni l’employeur, ni l’appelante et son représentant n’ont pu fournir une réponse claire à cette question.

[14] En effet, le 10 juillet 2018 l’ancien employeur a expliqué à la Commission que la somme de 160 000 $ a été versée à titre d’allocation de retraite, d’indemnité de départ et que cette somme doit être ventilée de la manière suivante : 12, 000 $ à titre d’allocation de retraite et le reliquat de 148 000 $ a été versée à titre d’indemnité de départ et d’allocation de retraite, mais il mentionne que l’appelante avait le droit à une indemnité de départ et à la renonciation au droit à la réintégration. Après avoir été mis au courant du fait qu’une somme versée à titre de renonciation au droit à la réintégration ne constitue pas de la rémunération pour les fins de l’assurance-emploi, l’employeur a suggéré à la Commission de considérer la somme de 148 000 $ comme ayant été uniquement payée pour la renonciation au droit à la réintégration (GD3-28). Le Tribunal accorde peu de poids à cette déclaration de l’employeur pour les motifs qui suivent.

[15] En effet, après avoir suggéré à la Commission de considérer la somme de 148 000 $ comme ayant été versée à titre de renonciation au droit à la réintégration, au mois d’août 2018, l’employeur a délivré un relevé d’emploi où il précise qu’une somme de 148 851 $Note de bas de page 1 a été versée à titre d’indemnité de départ (GD3-39), ce relevé d’emploi a par contre été modifié en septembre 2018 pour y indiquer que la somme de 160 000 $ a été versée comme indemnité de départ (GD3-41). Donc, le Tribunal détermine que ces relevés d’emploi contredisent la déclaration de l’employeur indiquant que la somme de 148 000 $ doit être considérée comme ayant été versée uniquement pour compenser le fait que l’appelante a renoncé à son droit à la réintégration. Conséquemment, le Tribunal accorde plus de poids aux relevés d’emploi et détermine que l’appelante a reçu une indemnité de départ.

[16] Qui plus est, l’entente a été signée par l’appelante le 17 mai 2018, cependant, en juillet 2018, elle a déclaré à la Commission qu’elle ne connaissait pas la valeur accordée à sa renonciation de réintégrer son emploi (GD3-29).

[17] De plus, l’avocat de l’appelante qui a négocié l’entente ne pouvait pas non plus préciser à la Commission quelle partie de la somme de 160 000 $ a été versée pour la renonciation au droit à la réintégration (GD3-46 et 47). Devant ce constat, la Commission a déterminé que la somme de 148 000 $ constitue de la rémunération, car elle a été versée à titre d’indemnité de départ. L’appelante prétend que cette somme ne constitue pas de la rémunération et elle a transmis au Tribunal un addendum de l’entente finalisée en janvier 2019 qui précise que la somme de 148 000 $ a été versée parce qu’elle a renoncé à son droit de réintégrer son emploi (GD5). Le Tribunal accorde peu de poids à cet addendum pour les motifs qui suivent.

[18] En effet, l’addendum en question semble avoir été conclu uniquement afin de soustraire l’appelante de l’application du Règlement. Effectivement, l’addendum a été finalisé en janvier 2019, soit environ huit mois après la signature de l’entente initiale qui fut signée en mai 2018. De plus, cet addendum a été finalisé après que la Commission ait conclut que la somme de 148 000 $ n’avait pas été versée parce que l’appelante avait renoncé à son droit de réintégrer son emploi.  

[19] Par ailleurs, l’addendum finalisé en janvier 2019 mentionne que la somme de 148 000 $ a été versée parce que l’appelante a renoncé à son droit de réintégrer son emploi. Toutefois, le Tribunal ne peut ignorer le fait qu’en juillet 2018, les mêmes parties qui ont signé cet addendum ainsi que l’avocat de l’appelante ne pouvaient préciser la valeur qui a été accordée à la renonciation au droit à la réintégration. Finalement, l’avocat de l’appelante à bien préciser durant l’audience que l’addendum a été créé uniquement pour satisfaire aux besoins de l’assurance-emploi.

[20] Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal accorde peu de poids à l’addendum finalisé en janvier 2019, car de l’avis du Tribunal, cet addendum n’est qu’une tentative après coup pour soustraire l’appelante de l’application du Règlement.

[21] La Cour a réaffirmé le principe selon lequel il appartient au prestataire d’établir que tout ou partie des sommes reçues suite à son congédiement constituait autre chose qu’une rémunération (Bourgeois c Canada (PG), 2004 CAF 117). Le Tribunal détermine que l’appelante n’a pas démontré que la somme de 148 000 $ représentait autre chose que des revenus provenant de son emploi.

[22] En effet, l’entente signée en mai 2018 a été conclue dans le cadre d’un règlement à l’amiable donnant suite aux procédures judiciaires que l’appelante avait instituées contre son employeur. L’avocat de l’appelante a indiqué qu’à la suite de sa perte d’emploi, l’appelante a demandé à la Cour supérieure de lui accorder la somme de 400 000 $ à titre d’indemnité départ ; de délai de congé représentant deux années de salaire et de compensation pour le régime de retraite de l’appelante. Ainsi, le Tribunal estime que l’entente conclue en mai 2018 traduisait clairement l’intention des parties, car celle-ci stipule que la somme avait été versée à l’appelante parce qu’elle avait institué des procédures contre son ancien employeur relativement à la perte de son emploi (GD3-25). Donc, le Tribunal conclut que l’appelante a été indemnisée pour une indemnité de cessation d’emploi découlant de diverses réclamations directement reliées à sa perte d’emploi.

[23] Le paragraphe 35 (2) du Règlement prévoit que la rémunération dont il faut tenir compte pour fixer le montant à déduire des prestations est « […] le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi ». À moins qu’une somme ne fasse partie des exceptions prévues au paragraphe 35 (7) du Règlement ou qu’elle ne provienne pas d’un emploi, elle a valeur de rémunération.  

[24] Dans ce dossier, le Tribunal détermine que la preuve soumise ne démontre pas que l’appelante aurait pu bénéficier d’un droit à la réintégration. Le droit à la réintégration n’ayant pas pris naissance, il s’ensuit que l’appelante ne pouvait renoncer à un tel droit en échange d’un dédommagement. Donc, le Tribunal conclut que la somme de 148 000 $ a été versée dans le cadre de l’entente pour dédommager l’appelante de la perte de son emploi. De ce fait, cette somme constitue de la rémunération au sens de l’article 35 du Règlement.

b) Si oui, cette somme a-t-elle été repartie correctement ?

[25] La jurisprudence enseigne que les sommes qui constituent une rémunération aux termes de l’article 35 du Règlement doivent être réparties aux termes de l’article 36 du Règlement (Boone et al c Canada (PG), 2002 CAF 257). Les indemnités de départ doivent être réparties conformément à la façon prescrite au paragraphe 36 (9) du Règlement, soit à partir de la semaine du licenciement ou de la cessation d’emploi.

[26] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la répartition de la somme de 148 000 $ a été faite correctement, car celle-ci a été repartie selon la rémunération hebdomadaire normale de l’appelante à compter de la date de sa cessation d’emploi qui eut lieu le 27 janvier 2017.

Conclusion

[27] L’appelante n’a pas démontré que la somme de 148 000 $ reçue de son ancien employeur constitue une indemnité pour avoir renoncé à son droit d’être réintégré dans son ancien poste. Conséquemment, cette somme constitue de la rémunération, elle doit faire l’objet d’une répartition et cette répartition a été faite correctement.

[28] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

11 février 2019

Téléconférence

M. F., appelante
Pierre Alexandre Guimond, représentant de l’appelant

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