Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelante, A. E. (prestataire), a quitté son emploi pour de nombreuses raisons, dont son état de santé, et a présenté une demande de prestations régulières d’assurance-emploi. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, lui a accordé des prestations de maladie, mais a rejeté sa demande de prestations régulières au motif qu’elle a quitté volontairement son emploi sans justification. La Commission a maintenu cette décision après révision. La prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais celle-ci a rejeté son appel. La prestataire interjette maintenant appel devant la division d’appel.

[3] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de toutes les circonstances, comme le prévoit l’article 29(c) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), et en ne tenant pas compte de tous les éléments portés à sa connaissance.

[4] J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Compte tenu de toutes les circonstances, j’estime que la prestataire était fondée à quitter son emploi et qu’elle ne devrait pas être exclue du bénéfice des prestations.

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi sans tenir compte de toutes les circonstances?

[6] La division générale a-t-elle conclu que la prestataire n’avait pas fourni de preuve à l’appui du fait qu’elle était fondée à quitter son emploi en raison de sa relation conflictuelle avec une supérieure, sans tenir compte des lettres et des notes remises au personnel par la supérieure?

Analyse

[7] La division d’appel ne peut intervenir à l’égard d’une décision de la division générale que si elle peut conclure que cette dernière a commis l’une des erreurs correspondant aux « moyens d’appel » prévus à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[8] Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi sans tenir compte de toutes les circonstances?

[9] En accordant la permission d’en appeler, j’ai jugé qu’il était défendable que la division générale ait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de toutes les circonstances avant de conclure que l’appel de la prestataire avait une chance raisonnable de succès, comme le prévoit l’article 29(c) de la Loi sur l’AE. Plus particulièrement, j’ai constaté que la division générale n’a pas analysé les affirmations de la prestataire concernant des heures de travail supplémentaires non rémunérées, ce qui constitue un facteur pertinent au titre de l’article 29(c)(viii).

[10] Je note que la Commission convient maintenant que la division générale a commis une erreur de fait ou de droit en ne tenant pas compte du témoignage de la prestataire concernant des heures de travail supplémentaires non rémunérées et en n’analysant pas l’incidence de ce facteur comme le prévoit l’article 29(c)(viii) de la Loi sur l’AE.

[11] Dans sa demande de révision, la prestataire a déclaré à la Commission qu’elle était [traduction] « obligée de travailler en dehors de ses heures de travail (à la maison) sans être rémunéréeNote de bas de page 1 ». Elle a affirmé avoir travaillé plus de 15 heures sans être rémunérée du 24 février 2018 au 31 mars 2018. Elle a également déclaré à la Commission que la direction a tenu des réunions du personnel pendant sa pause-dîner non rémunérée à plus de 15 reprisesNote de bas de page 2. La prestataire a dit à la Commission qu’elle avait déjà parlé de ses heures de travail non rémunérées à son employeur de manière informelle, mais que celui-ci avait répondu qu’il s’agissait d’un [traduction] « travail d’équipe ». Elle a également déclaré qu’elle s’était renseignée pour savoir si elle pouvait déposer une plainte auprès du ministère du TravailNote de bas de page 3. La division générale n’a fait allusion à aucun de ces éléments de preuve et elle n’a pas analysé l’application de l’article 29(c)(viii), « excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci ». La division générale a commis une erreur de droit au titre de l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS en ne tenant pas compte de l’une des circonstances pertinentes énumérées dans la liste des circonstances de l’article 29(c).

[12] De plus, la division générale a commis une erreur dans la façon dont elle a appliqué le droit à la circonstance décrite à l’article 29(c)(x), « relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur ». La division générale a conclu que l’appelante n’a pas fourni d’éléments de preuve pour appuyer le fait qu’elle était fondée à quitter son emploi au titre de l’article 29(c)(x), « relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieurNote de bas de page 4 ».

[13] Les circonstances individuelles, comme les relations conflictuelles avec un supérieur, ne sont pas adéquatement analysées pour déterminer si elles constituent une « justification » indépendamment des autres circonstances. Selon l’article 29(c) de la Loi sur l’AE, une justification est une décision qui doit être rendue en tenant compte de toutes les circonstances. La prestataire n’est pas tenue d’établir une « justification » en se rapportant uniquement aux relations conflictuelles, à moins que celles-ci ne soient la seule circonstance découlant de la preuve qui aurait pu avoir une incidence sur ses solutions raisonnables autres que celle de quitter son emploi.

[14] De plus, la division générale a affirmé que la partie prestataire a l’obligation de tenter de régler ses différends avec un supérieur hostile avant de quitter son emploiNote de bas de page 5, mais cela est incorrect. La Cour d’appel fédérale a reconnu qu’une partie prestataire a généralement l’obligation [traduction] « de tenter de résoudre ses conflits de travail » avec l’employeur avant de quitter son emploiNote de bas de page 6. Toutefois, ce n’est pas la même chose que d’exiger qu’une partie prestataire tente de régler ses différends avec un supérieur réputé être hostile. La nature ou l’ampleur de la relation conflictuelle peut être telle qu’elle exclut toute tentative de réconciliation.

[15] Si la preuve permet de conclure que la relation entre un supérieur et une partie prestataire est conflictuelle, cette relation conflictuelle doit être considérée comme un facteur pertinent dans la question de savoir si la partie prestataire n’avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, que la partie prestataire ait ou non fourni la preuve qu’elle a tenté de résoudre le différend. La division générale n’a pas analysé les circonstances entourant la relation conflictuelle de la prestataire avec sa supérieure conjointement avec les autres facteurs découlant des circonstances visant à déterminer si la prestataire était fondée à quitter son emploi.

[16] La division générale fait valoir qu’elle se fonde sur l’arrêt Landry c Canada (Procureur général)Note de bas de page 7. Dans Landry, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’elle doit examiner si la partie prestataire a quitté son emploi dans certaines circonstances et, dans la négative, si la partie prestataire n’avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter immédiatement son emploi. Landry est une décision de 1993 dans laquelle l’article 28(4)(b) de l’ancienne Loi sur l’assurance-chômage a été appliqué et dont l’application est limitée à la bonne interprétation et à l’application du critère de l’article 29(c) de la Loi sur l’AE actuelle.

[17] Quoi qu’il en soit, ni Landry ni la législation actuelle ne laisse croire qu’une partie prestataire doit prouver qu’elle a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes avant de déterminer qu’elle n’avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, comme le donne apparemment à penser la paraphrase de la division générale. Il revient à la Commission, et au Tribunal dans le cadre d’un appel, de tenir compte de toutes les circonstances et de déterminer si la partie prestataire a établi qu’elle n’avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi.

[18] Quoique l’on fasse de la référence à Landry, il est évident que la division générale a commis une erreur de droit au titre de l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS en ne tenant pas compte de « toutes les circonstances » avant de déterminer que la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, comme le prévoit l’article 29(c).

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle conclu que la prestataire n’avait pas fourni de preuve à l’appui du fait qu’elle était fondée à quitter son emploi en raison de sa relation conflictuelle avec une supérieure, sans tenir compte des lettres et des notes remises au personnel par la supérieure?

[19] Dans ses observations à l’appui de l’accueil du présent appel, la Commission a laissé entendre que la division générale avait commis une erreur lorsqu’elle a déclaré que la prestataire [traduction] « n’avait pas fourni de preuve à l’appui du fait qu’elle était fondée à quitter son emploi en vertu de l’article 29(c)(x), “relations conflictuelles [...] avec un supérieurNote de bas de page 8” ». La Commission a noté que la prestataire avait étayé ses arguments concernant l’attitude négative et stressante de la supérieure envers son personnel avec des copies d’entrées de registre et des avisNote de bas de page 9 de la supérieure au personnel.

[20] Il semble que la Commission a interprété la conclusion de la division générale comme si l’appelante n’avait pas établi l’existence d’une relation conflictuelle avec sa supérieure. S’il s’agit de la bonne interprétation, la Commission a alors raison de dire que la division générale a ignoré la preuve corroborante fournie par la prestataire.

[21] À titre de précision, la division générale n’a pas affirmé que la prestataire n’avait pas fourni de preuve pour appuyer l’existence d’une relation conflictuelle, mais plutôt qu’elle n’avait pas fourni de preuve à l’appui du fait qu’elle était fondée à quitter son emploi en raison de cette relation conflictuelle. Le reste de l’analyse de la division générale concerne les circonstances dans lesquelles la relation conflictuelle peut être considérée comme une justification. La conclusion de la division générale selon laquelle la prestataire [traduction] « n’avait fourni aucune preuve » portait sur l’existence d’une « justification » et non sur l’existence d’une relation conflictuelle.

[22] Néanmoins, la Commission a raison de dire que la division générale a ignoré des éléments de preuve pertinents. La preuve à laquelle la Commission fait maintenant allusion demeure pertinente pour déterminer les circonstances dans lesquelles la relation conflictuelle s’est développée. Il est donc potentiellement pertinent de déterminer si la prestataire avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi. Bien qu’un tribunal puisse souvent présumer qu’il a tenu compte de la preuve portée à sa connaissanceNote de bas de page 10, une telle présomption ne peut s’appliquer s’il existe des éléments de preuve sur un point en particulier, et le tribunal déclare qu’il n’y en a aucun.

[23] Par conséquent, la division générale a commis une erreur en concluant que la relation conflictuelle entre la prestataire et sa supérieure n’a pas permis d’établir que la prestataire était fondée à quitter son emploi, parce que la division générale n’a pas tenu compte de tous les éléments portés à sa connaissance, comme le prévoit l’article 58(1)(c) de la Loi sur le MEDS.

Conclusion

[24] L’appel est accueilli.

Réparation

[25] Comme j’ai accueilli l’appel, l’article 59 de la Loi sur le MEDS me confère le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale. J’estime que le dossier est complet et je rendrai la décision que la division générale aurait dû rendre.

[26] Dans son plaidoyer devant la division d’appel, la représentante de la Commission m’a invité à rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, et a laissé entendre que la prestataire devrait également avoir gain de cause sur la question de fond.

[27] La prestataire était exclue du bénéfice des prestations au titre de l’article 30(1) de la Loi sur l’AE parce qu’il avait été décidé qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justification. La Commission a exprimé son doute quant au fait qu’elle avait elle-même établi que la prestataire avait quitté volontairement son emploi, et elle a également laissé entendre que si la prestataire avait quitté volontairement son emploi, elle avait été fondée à le faire.

[28] Je n’ai pas trouvé d’erreur pertinente dans la décision de la division générale ayant servi à déterminer si la prestataire avait quitté volontairement son emploi, et je n’aborderai pas cette question. J’ai seulement examiné si la prestataire était fondée à quitter son emploi, ce qui, selon l’article 29(1) de la Loi sur l’AE, s’applique lorsque la prestataire n’a d’autres solutions raisonnables que celle de partir compte tenu de toutes les circonstances.

[29] La prestataire a quitté son emploi pour plusieurs raisons, mais son état de santé semble être la plus importante. En octobre 2017, la médecin de la prestataire lui a donné une lettre précisant qu’il lui était interdit de soulever des charges de plus de 10 livres et de se pencher à répétitionNote de bas de page 11. La prestataire a affirmé qu’elle avait donné cette lettre à l’école, mais que celle-ci lui avait répondu que les lits des enfants (qu’elle devait transporter à l’heure de la sieste) pesaient moins de 10 livres et qu’elle pouvait quand même les souleverNote de bas de page 12. La prestataire a déclaré que l’employeur considérait qu’il n’y avait aucun [traduction] « objet lourd à soulever » dans le cadre de ses fonctionsNote de bas de page 13. Selon la prestataire, l’employeur lui a dit qu’il n’y avait [traduction] « aucune façon de lui retirer ses tâches et qu’il n’y avait rien à faire ». On lui a [traduction] « simplement dit de ne pas utiliser sa main ou son bras droit ». La prestataire a affirmé qu’elle continuait de travailler malgré le fait qu’elle devait transporter les lits des enfants, soulever des [traduction] « choses lourdes » comme de la nourriture et de la vaisselle jusqu’à la cuisine tout au long de la journée, ainsi que pousser des chariotsNote de bas de page 14.

[30] La prestataire a déclaré que son travail exigeait également qu’elle utilise constamment son bras droit, et que les mouvements répétitifs ont exacerbé ses douleurs au bras droit. Elle a affirmé avoir utilisé un vaporisateur désinfectant à répétition pour nettoyer les tables et d’autres espaces au moins 10 fois par jour. À la mi-mai 2018, la médecin de la prestataire lui a conseillé de prendre quatre mois de congé et de se reposer pour soigner [traduction] « sa tendinite du coude droit et son syndrome du canal carpien droit qui se sont aggravés en effectuant même des travaux légersNote de bas de page 15 ». La médecin a déclaré que son travail d’éducatrice au niveau préscolaire exigeait qu’elle utilise sa main et son bras droits, ce qu’elle [traduction] « ne pouvait pas faire ».

[31] L’employeur était au courant des restrictions médicales de la prestataireNote de bas de page 16 et du fait qu’elle trouvait que ses tâches ne respectaient pas ces restrictions, mais il l’a laissée travailler malgré tout. L’employeur a confirmé à la Commission qu’il aurait été peu probable de trouver des tâches plus légères ou différentes à la prestataire compte tenu de la nature de son posteNote de bas de page 17.

[32] Après avoir examiné les restrictions médicales et le compte rendu non contesté des tâches de la prestataire, je suis convaincu que ses fonctions régulières ne respectaient pas ses restrictions professionnelles. De plus, je suis convaincu que l’employeur ne lui a pas offert des tâches adaptées qui respectaient les restrictions énoncées dans le certificat médical original.

[33] Je suis également convaincu, selon la date du rapport médical du 16 mai 2018Note de bas de page 18, que la prestataire n’avait d’autre choix que de quitter son emploi au plus tard le 1er septembre 2018, soit la date du rapport [traduction] « au-delà de laquelle [la prestataire était] incapable de travailler ».

[34] Si je limite ma considération, pour le moment, aux fonctions de la prestataire et aux dangers qu’elles représentent pour sa santé, je devrais déterminer que la prestataire n’avait d’autres solutions raisonnables que celle de quitter son emploi, au moins de façon temporaire. Cela limite les [traduction] « solutions raisonnables [possibles] autres que celle de partir » à l’éventualité d’un congé de maladie pour la période de l’incapacité de la prestataire. Par conséquent, la seule question que je dois trancher est celle de savoir s’il aurait été raisonnable pour la prestataire de demander un congé de maladie d’au moins quatre mois, compte tenu de toutes les circonstances.

[35] La prestataire a affirmé avoir dit à son employeur qu’elle souhaitait partir pour des raisons médicales, mais qu’on ne lui avait pas offert de prendre congé. Elle croyait qu’elle serait contrainte de démissionner et qu’elle n’avait d’autre choix que de le faireNote de bas de page 19. L’employeur a affirmé qu’il aurait été disposé à lui offrir un congé en déclarant ce qui suit : [traduction] « Bien entendu, nous avons l’obligation de lui fournir des mesures d’adaptationNote de bas de page 20 ».

[36] Selon la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c PatelNote de bas de page 21, le fardeau incombe à la partie prestataire d’établir qu’elle était fondée à quitter son emploi. Dans Patel, la Cour a refusé le raisonnement du juge-arbitre (le décideur dans la décision qui faisait l’objet d’une révision de la Cour) selon lequel la partie prestataire aurait eu besoin d’un congé d’une durée indéterminée et que, par conséquent, le congé aurait été refusé s’il avait été demandé. La Cour a déclaré que le juge-arbitre a supposé un fait pour lequel il n’y avait aucun fondement : il a déclaré que rien dans le dossier ne permettait de conclure qu’un congé, s’il avait été demandé, aurait été refusé.

[37] L’arrêt Patel énonce que sans preuve, je ne peux pas seulement supposer que l’employeur aurait refusé le congé de la prestataire si elle l’avait demandé. Toutefois, Patel ne précise pas que la seule façon pour une partie prestataire d’établir qu’elle ne pouvait pas prendre un congé temporaire comme solution raisonnable à son départ est si cette partie prestataire avait d’abord demandé l’autorisation de partir et qu’on la lui avait refusée.

[38] En l’espèce, j’estime que le fait de demander un congé de maladie n’était pas une solution raisonnable autre que celle de quitter son emploi. La prestataire avait déjà mentionné ses restrictions médicales et sa difficulté à exécuter ses tâches à l’employeur, mais selon elle, elle n’avait pas l’impression que l’employeur respectait ses préoccupationsNote de bas de page 22. Au sujet des problèmes de santé de la prestataire, l’employeur a répondu qu’il n’y avait rien à faireNote de bas de page 23. La prestataire a continué d’exécuter ses tâches régulières en supportant sa douleur au bras qui était devenue chronique.

[39] L’employeur avait l’obligation légale de prendre des mesures d’adaptation pour tenir compte de l’invalidité de la prestataireNote de bas de page 24, au point que ces mesures causent un préjudice abusif à l’employeur. Il est concevable que ces [traduction] « mesures d’adaptation » n’aient pu comprendre qu’une certaine forme d’analyse des exigences de travail, à condition que l’analyse ait permis de conclure que les tâches régulières de la prestataire pouvaient être exécutées en toute sécurité par la prestataire dans le cadre de ses restrictions médicales. L’employeur aurait pu être obligé d’offrir un congé de maladie comme solution de rechange ou en complément des tâches adaptées.

[40] Toutefois, l’employeur admet n’avoir offert aucune mesure d’adaptation à la prestataire : il a permis à la prestataire de conserver son emploi, mais il a exigé qu’elle effectue ses tâches régulières. La réponse de l’employeur au sujet du premier certificat médical remet en question son engagement par rapport à son [traduction] « obligation de fournir des mesures d’adaptation » qu’il affirmait concernant la possibilité d’un congé de maladie, lorsque la prestataire a démissionné.

[41] La prestataire devait non seulement remplir ses fonctions régulières sans mesures d’adaptation, mais elle aurait également subi de la pression de la part de son employeur pour faire des heures supplémentaires à partir de la maison. L’employeur en était apparemment à un moment critique dans ses démarches pour satisfaire aux conditions d’agrément au même moment où la prestataire faisait état de ses problèmes de santé. La prestataire a mentionné une période précise, du 24 février au 31 mars 2018, pendant laquelle elle a fait ces heures supplémentaires.

[42] L’employeur n’a pas contesté le fait que la prestataire n’avait pas été payée pour participer aux réunions du personnel pendant ses pauses ni pour faire des heures supplémentaires à la maison. Toutefois, il a déclaré que la prestataire n’était pas tenue de faire des tâches autres que les mêmes préparations typiques que le personnel éducateur accompli pour les salles de classe. Il n’y avait aucun élément de preuve concernant des préparations [traduction] « typiques » effectuées par le personnel éducateur, mais je doute que les attentes parascolaires envers le personnel professionnel salarié dans l’enseignement ne s’appliquent également aux éducateurs de la petite enfanceNote de bas de page 25 qui travaillent dans un établissement préscolaire privé (selon le relevé d’emploi de la prestataire, son taux horaire était d’en moyenne 16,65 $Note de bas de page 26). Quoi qu’il en soit, je préfère la preuve de la prestataire en ce qui a trait à la nature de ses heures supplémentaires. Contrairement à l’employeur, la prestataire a affirmé avec précision qu’elle avait fait 15 heures de travail supplémentaires non rémunérées entre le 24 février 2018 et le 31 mars 2018, et que ce travail était destiné au processus d’agrément exceptionnel de l’école, ce qui ne constitue pas des préparations habituelles pour les salles de classe.

[43] Comme je l’ai noté, l’employeur aurait pu offrir un congé de maladie à la prestataire bien plus tôt, lorsque la prestataire lui a fait part de ses problèmes pour la première fois. L’employeur l’a plutôt laissée travailler sans mesures d’adaptation. Ce n’est pas surprenant que la prestataire n’ait pas pensé à demander un congé de maladie à son employeur lorsqu’elle lui a remis la lettre de sa médecin. Au même moment, l’employeur était en pleine crise relativement à l’agrément et exigeait apparemment que tout le monde travaille aussi fort que possible pour atteindre cet objectif.

[44] J’ai tenu compte de la preuve non contestée de la prestataire selon laquelle le personnel était sous pression en lien avec le processus d’agrément MontessoriNote de bas de page 27. J’ai également tenu compte du fait que les entrées du registre ou les avis de sa supérieure vers la fin de février 2018 appuient le fait que la direction mettait beaucoup de pression sur le personnel pour se préparer en vue de l’agrément, soit environ au même moment où la prestataire a fait des heures supplémentairesNote de bas de page 28.

[45] J’estime qu’il est important que la prestataire déclare avoir fait des heures supplémentaires dans la période qui a immédiatement précédé son invalidité totale due au travail. À mon avis, l’exigence selon laquelle la prestataire devait faire des heures supplémentaires à ce moment-là, à l’appui des préparatifs en vue de l’agrément de l’école, donne à penser que la charge de travail et la pression peuvent avoir été particulièrement élevées juste avant que la prestataire ne quitte son emploi. Le rapport médical du 16 mai 2018 précise que l’état de santé de la prestataire s’est aggravé, ce qui l’a rendue incapable de travailler à compter de la mi-avril. Cela découle apparemment du fait que la prestataire [traduction] « effectuait même des travaux légers », et le rapport a précisé que la prestataire était soumise à des exigences qu’elle [traduction] « ne pouvait pas remplirNote de bas de page 29 ». D’après cela, j’estime qu’une augmentation de sa charge ou de son rythme de travail pourrait bien avoir contribué à exacerber ses symptômes jusqu’à ce qu’elle devienne invalide.

[46] L’employeur soutient qu’il aurait accordé un congé si on lui en avait fait la demande. La prestataire n’est pas en mesure de contester ce point. Par conséquent, j’accepte le fait que le congé de maladie était une solution de rechange possible au fait de quitter son emploi.

[47] Néanmoins, je n’accepte pas le fait que de demander un congé de maladie aurait été une solution raisonnable autre que celle de quitter son emploi. Je reconnais que la prestataire a déclaré qu’elle aurait pris un congé si elle avait su que c’était une option, mais je n’accepte pas le fait qu’il aurait été raisonnable ou prudent pour elle de le faire.

[48] Qu’elle ait pris un congé ou qu’elle ait démissionné, la prestataire aurait probablement été sans emploi pendant au moins quatre mois. Elle a décrit et corroboré le niveau qu’avait atteint la relation conflictuelle avec sa supérieure à l’époque où elle travaillait. Bien qu’elle n’ait probablement pas été la seule membre du personnel avec qui la supérieure avait une relation conflictuelle, il est évident qu’elle n’a pas été exclue : elle a déclaré qu’après avoir commis une petite erreur, la supérieure la surveillait en adoptant une [traduction] « attitude négative », et que la direction adjointe a [traduction] « fait de même » par la suite. Elle a également déclaré que la supervision l’intimidait et l’a rendue dépriméeNote de bas de page 30. Lorsque la prestataire a démissionné, elle n’avait aucune raison de croire que la relation conflictuelle avec sa supérieure aurait été différente quatre mois plus tard ou qu’il y aurait eu moins de pression au travail.

[49] Plus important encore, l’employeur n’avait pas pris au sérieux les problèmes soulevés par la prestataire en lien avec son trouble physique et ses tâches. La prestataire avait donc continué à travailler à ses propres risques. Un congé de maladie aurait pu permettre à la prestataire de soulager ses symptômes, mais elle savait déjà que ses tâches régulières avaient aggravé son état de santé et que son employeur ne pouvait pas lui offrir des mesures d’adaptation. Elle aurait dû retourner travailler dans les mêmes conditions et être soumise au même stress qui avaient provoqué son invalidité au départ. Le fait de demander un congé de maladie n’était pas une autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi.

[50] J’ai tenu compte de la relation conflictuelle entre la prestataire et sa supérieure, du défaut de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour tenir compte de la blessure et des limitations de la prestataire lorsqu’elle en a fait part pour la première fois (ce qui aurait pu être contraire au droit), du niveau de stress élevé en lien avec le processus d’agrément et des heures supplémentaires que la prestataire a effectuées sans être rémunérée à la suite de la pression qu’elle a subie. Après avoir tenu compte de toutes les circonstances, j’estime que le fait de prendre un congé de maladie n’était pas une autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi. La prestataire n’avait donc aucune autre solution raisonnable que celle de partir.

[51] J’estime que la prestataire était fondée à quitter son emploi et qu’elle ne devrait pas être exclue du bénéfice des prestations au titre de l’article 30(1) de la Loi sur l’AE.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 14 mars 2019

Téléconférence

A. E., appelante

Louise Laviolette, représentante de l’intimée

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