Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] X (employeur) a embauché J. D. (prestataire), comme conducteur de grand routier. Lorsqu’il a d’abord été embauché, le prestataire s’est vu attribuer des parcours de la « plate-forme de chargement ouverte », ce qui exigeait qu’il conduise partout au Canada et aux États-Unis pour une période allant jusqu’à 14 jours. Après sa première année à cet emploi, le prestataire a obtenu un parcours dédié entre la Colombie-Britannique et l’Alberta. Cela signifiait qu’il était loin de chez lui pendant au maximum cinq ou six jours à la fois (et parfois moins).

[3] En août 2017, cependant, l’employeur a annulé le parcours dédié que le prestataire avait fait pendant environ huit ans, et cela a incité le prestataire à démissionner. Le prestataire a expliqué qu’il avait dû démissionner parce que la solution de rechange qui lui avait été proposée par l’employeur, à savoir prendre des trajets de la plate-forme de chargement ouverte, signifiait des absences de la maison plus longues et plus imprévisibles, ce qui n’était pas compatible avec ses obligations familiales.

[4] Le prestataire a rapidement trouvé un autre emploi plus près de son domicile, toutefois cet emploi était saisonnier et il n’y avait pas de garantie d’heures à temps plein. Par conséquent, le prestataire a présenté une demande de prestations régulières d’assurance-emploi (AE), toutefois la Commission de l’assurance-emploi du Canada a rejeté sa demande. Plus précisément, la Commission a exclu le prestataire du bénéfice des prestations d’AE parce qu’il avait volontairement quitté son emploi auprès de l’employeur sans justification, au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). La Commission a maintenu ultérieurement sa décision après révision.

[5] Le prestataire a interjeté appel de la décision de la Commission auprès de la division générale du Tribunal et a obtenu gain de cause. En résumé, la division générale a conclu que l’employeur avait procédé à un changement unilatéral important des tâches du prestataire et que, compte tenu de toutes les circonstances, le prestataire n’avait d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi.

[6] L’employeur conteste maintenant la décision de la division générale devant la division d’appel du Tribunal. J’ai déjà accordé la permission d’en appeler en l’espèce et j’ai conclu à présent que la décision de la division générale est fondée sur une erreur de droit, que l’appel doit être accueilli et que l’exclusion du bénéfice des prestations d’AE du prestataire doit être rétablie. Voici les motifs de ma décision.

Questions en litige

[7] Pour en arriver à cette décision, je me suis concentré sur les questions suivantes :

  1. La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’obligation du prestataire d’essayer de résoudre les problèmes avec son employeur avant de quitter son emploi?
  2. Quelle est la réparation appropriée en l’espèce?
  3. Le prestataire est-il exclu du bénéfice des prestations d’AE?

[8] Je souligne au passage que la Commission n’a pas assisté à l’audience de la division d’appel pour cette affaire, et qu’elle s’est plutôt fiée à ses observations écritesNote de bas de page 1.

Analyse

Cadre juridique de la division d’appel

[9] Pour que l’appel soit accueilli, l’employeur doit montrer que la division générale a commis au moins une des erreurs reconnues (ou moyens d’appel) énoncées à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS). En l’espèce, j’ai axé mon attention sur la question de savoir si la décision de la division générale contient une erreur de droit.

[10] Pour déterminer le degré de minutie avec lequel je dois examiner la décision de la division générale, je me suis attardé au libellé de la Loi sur le MEDSNote de bas de page 2. Ainsi, toute erreur de droit peut justifier que j’intervienne en l’espèce.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’obligation du prestataire d’essayer de résoudre les problèmes avec l’employeur avant de quitter son emploi?

[11] Dans cette cause particulière, la division générale a concentré son attention sur les articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE, qui exclut toute partie prestataire du bénéfice des prestations d’AE si elle quitte volontairement un emploi sans justification. Dans sa décision, la division générale a posé deux questions principales et y a répondu : le prestataire a-t-il volontairement quitté son emploi et, dans l’affirmative, était-il fondé à le faire? La division générale a répondu oui aux deux questions.

[12] La réponse de la division générale à la première question n’est pas contestéeNote de bas de page 3. L’employeur a offert un autre emploi au prestataire au moment où il a annulé son parcours dédié, mais le prestataire a refusé le nouveau poste parce qu’il était d’avis que les périodes passées loin de sa famille seraient trop longues et imprévisibles.

[13] À la deuxième question, la division générale devait évaluer si le prestataire avait prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment où il l’a faitNote de bas de page 4. Dans le cadre de cette évaluation, la division générale était tenue de tenir compte de l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris celles figurant dans la liste à l’article 29(c) de la Loi sur l’AE.

[14] En l’espèce, la division générale a accepté que le prestataire avait démontré qu’il avait une justification parce que l’employeur avait imposé un changement important et unilatéral des fonctions du prestataire, comme le prévoit l’article 29(c)(ix) de la Loi sur l’AENote de bas de page 5.

[15] En ce qui concerne les autres solutions qui s’offraient au prestataire outre que celle de quitter son emploi, la division générale en a examiné seulement une : le prestataire aurait-il pu continuer à travailler pour l’employeur jusqu’à ce qu’il trouve un poste plus convenable? La division générale a répondu non à cette question, et a affirmé que le fait d’être au loin pendant de longues périodes occasionnerait trop de stress pour la famille du prestataire et rendrait cela difficile pour lui de trouver un autre emploiNote de bas de page 6.

[16] En examinant seulement cette autre solution, cependant, j’ai conclu que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de droit. À mon avis, la division générale avait aussi l’obligation d’examiner si le prestataire aurait dû essayer de résoudre ce problème avec l’employeur, ce que la Cour d’appel fédérale a déclaré être obligatoire dans la plupart des casNote de bas de page 7. En d’autres termes, mon intervention en l’espèce est justifiée, car la division générale n’a pas tenu compte de la jurisprudence exécutoire de la Cour d’appel fédérale.

[17] Bien que la Commission ait fait valoir que l’appel devrait être rejeté, ses observations étaient axées sur de possibles erreurs de fait et de justice naturelle. Elle n’a pas abordé précisément les erreurs de droit soulevées dans ma décision relative à la permission d’en appeler, notamment celle dont j’ai discuté plus haut et que j’estime être déterminante en l’espèce.

Question en litige no 2 : Quelle est la réparation appropriée en l’espèce?

[18] Les recours dont je dispose sont énoncés à l’article 59(1) de la Loi sur le MEDS. Parmi les options disponibles, j’ai surtout réfléchi à la question de savoir si je devrais renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[19] Au final, j’ai conclu qu’il s’agit d’une cause où il convient de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre parce que :

  1. la Loi sur l’AE a pour but d’offrir des prestations aux personnes qui ont perdu leur emploi sans en être responsables et constitue un régime qui vise à rendre des décisions rapides;
  2. le Tribunal possède un vaste pouvoir de trancher toute question de droit ou de fait qui est nécessaire pour statuer sur un appelNote de bas de page 8;
  3. cette façon de faire favorise la prise de décisions rapides et rentables et est appuyée par les articles 2 et 3(1)(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

[20] Il vaut également la peine de souligner que le dossier de preuve qui m’a été soumis est complet, et que les parties ont eu la pleine possibilité de présenter des éléments de preuve et de déposer des observations pour expliquer les raisons pour lesquelles le prestataire est ou n’est pas admissible aux prestations d’AE. J’ai également écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale et, par conséquent, je ne vois guère d’avantage à renvoyer l’appel à la division générale pour qu’un autre membre examine le dossier. En fait, cela créerait un risque que le dossier revienne à la division d’appel.

Question en litige no 3 : Le prestataire est-il exclu du bénéfice des prestations?

[21] Oui, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’AE au titre de l’article 30 de la Loi sur l’AE parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification.

[22] Comme il a été mentionné plus haut, le prestataire avait l’obligation de démontrer que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de quitter son emploi au moment où il l’a fait.

[23] Devant la division générale, puis de nouveau à l’audience que j’ai présidée, la question de savoir si la décision de l’employeur d’annuler le parcours dédié du prestataire représentait un changement considérable de ses fonctions, comme le prévoit l’article 29(c)(ix) de la Loi sur l’AE, a fait l’objet d’une importante contestation.

[24] Le prestataire a fait valoir que, après avoir effectué le même parcours dédié pendant huit ans, il s’attendait raisonnablement à continuer. L’employeur a soutenu qu’il avait embauché le prestataire comme conducteur de grand routier, et que la nature essentielle de son emploi demeurait la même. De plus, les conditions initiales de l’emploi du prestataire stipulaient clairement que bien qu’il pouvait demander un parcours dédié, il n’y avait jamais de garantie que ce parcours se poursuivrait. L’employeur a fait valoir que, pour des raisons d’affaires, on ne pourrait pas nuire à sa capacité de modifier les parcours de ses conducteurs.

[25] À mon avis, il n’est pas nécessaire de trancher cette question de façon concluante, car, quel qu’en soit le résultat, le prestataire avait une autre solution raisonnable que celle de quitter unilatéralement son emploi au moment où il l’a faitNote de bas de page 9. Plus précisément, il aurait pu faire part de ses préoccupations à l’employeur pour voir si ses obligations familiales pourraient être prises en compte d’une certaine façon.

[26] L’employeur a présenté une preuve selon laquelle le prestataire aurait pu minimiser les répercussions éventuelles de l’annulation de son parcours dédié sur sa familleNote de bas de page 10. Par exemple, le prestataire aurait pu demander un parcours dédié différent et il aurait pu demander des parcours d’une certaine distance maximale. Le prestataire fait valoir que l’employeur aurait dû lui présenter ces solutions au moment où il lui a annoncé l’annulation de son parcours dédié.

[27] De façon critique, cependant, le prestataire admet qu’il n’a pas non plus essayé de faire part de ses préoccupations à l’employeur à ce moment-làNote de bas de page 11. Il s’est plutôt résigné au fait qu’accepter des voyages de la plate-forme de chargement ouverte était incompatible avec ses responsabilités familiales et il a trouvé rapidement un nouvel emploi qui permettait de travailler plus près de la maison.

[28] Plus tard, le prestataire a réalisé que son nouvel emploi était saisonnier et offrait un peu moins d’heures que ce à quoi il s’attendait, mais il n’est pas en mesure de partager les coûts de ce choix avec d’autres cotisants au régime d’AE parce qu’il a quitté un emploi mieux payé malgré le fait qu’une autre solution raisonnable s’offrait à lui. Plus précisément, lorsque son parcours a été annulé, le prestataire aurait pu discuter de ses obligations familiales avec l’employeur pour voir si ces obligations pourraient être prises en compte. Sans faire cette démarche, le prestataire a omis de démontrer une justification, et la Commission l’a exclu à juste titre du bénéfice des prestations d’AE.

Conclusion

[29] J’ai conclu que la division générale avait fondé sa décision sur une erreur de droit, comme le prévoit l’article 58(1)(b) de la Loi sur le MEDS. Plus particulièrement, la division générale a omis d’examiner les décisions exécutoires de la Cour d’appel fédérale qui exigent que toute partie prestataire voulant démontrer qu’elle était fondée à quitter son emploi tente de résoudre les problèmes avec son employeur avant de quitter unilatéralement son emploi. En l’espèce, le prestataire n’a pas fait une telle tentative. Par conséquent, le prestataire a omis de démontrer qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi auprès de l’employeur, et l’exclusion imposée initialement au prestataire par la Commission devrait être rétablie.

[30] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 7 mars 2019

Téléconférence

Hartley M. Isenberg, représentant de l’employeur/l’appelant
S. Prud’Homme, représentante de la Commission/de l’intimée (observations écrites seulement)
J. D., prestataire/intimé

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

Moyens d’appel

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[...]

Décisions

59 (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

Loi sur l’assurance-emploi

Interprétation

29 Pour l’application des articles 30 à 33 :

[...]

  1. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci‑après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

[...]

(ix) modification importante des fonctions […].

Exclusion : inconduite ou départ sans justification

30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

  1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
  2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale

Principe général

2 Le présent règlement est interprété de façon à permettre d’apporter une solution à l’appel ou à la demande qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

Conduite informelle

3 (1) Le Tribunal :

  1. a) veille à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent […].
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