Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le paiement en dommages‑intérêts généraux de 10 000 $ versé à E. L. (l’« appelante ») n’a pas valeur de rémunération selon l’article 35 du Règlement sur l’assurance‑emploi (le Règlement). Comme il ne s’agit pas d’une rémunération, cette somme ne devrait pas être répartie selon l’article 36 du Règlement.

Aperçu

[2] L’appelante travaillait pour une X depuis 1988. Son employeur l’a congédiée le 21 octobre 2015 sans préavis ni indemnité de préavis en raison d’un détournement de fonds allégué. L’appelante a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi régulières le 30 octobre 2015 et a touché des prestations du 25 octobre 2015 au 20 août 2016. L’appelante a intenté une poursuite pour congédiement injustifié contre son employeur, dans laquelle elle demandait une somme totale de 100 000 $ en dommages‑intérêts pour congédiement injustifié ainsi qu’en dommages-intérêts punitifs, exemplaires et majorés. L’appelante a conclu un règlement à l’amiable après une médiation avec son employeur le 12 février 2018. Le règlement amiable prévoyait qu’en échange d’une quittance complète et définitive à l’employeur, celui-ci verserait à l’appelante une somme d’« allocation de retraite » de 50 000 $ moins les frais juridiques et moins un montant énoncé dans un avis de dette de Service Canada représentant les prestations d’assurance‑emploi reçues par l’appelante et également moins l’impôt sur le revenu retenu au taux de 30 %. Le règlement à l’amiable prévoyait aussi un paiement de 10 000 $ en dommages‑intérêts généraux et un paiement de 27 426,29 $ en frais juridiques.

[3] La Commission de l’assurance‑emploi du Canada (l’« intimée ») a considéré que le règlement intégral de 60 000 $ moins les frais juridiques est compté comme rémunération et a réparti cette somme sur la période de prestations de l’appelante en fonction de sa rémunération hebdomadaire normale à partir de la date de sa cessation d’emploi. L’appelante ne conteste pas que l’allocation de retraite de 50 000 $ constitue une rémunération. Toutefois, elle soutient que le paiement de dommages‑intérêts généraux de 10 000 $ ne constitue pas une rémunération et ne devrait pas être réparti sur sa période de prestations. Elle estime que le paiement de dommages‑intérêts généraux représente les dommages-intérêts pour le préjudice moral attribuable au caractère de « mauvaise foi » du congédiement.

Questions en litige

[4] Question 1 : Le paiement en dommages‑intérêts généraux de 10 000 $ a‑t‑il valeur de rémunération selon l’article 35 du Règlement?

[5] Question 2 : Dans l’affirmative, comment ce paiement devrait‑il être réparti selon l’article 36 du Règlement?

Analyse

[6] La Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») établit un régime d’assurance pour protéger les personnes contre la perte de revenus par suite du chômage. Ce régime a donc pour objet d’indemniser les chômeurs d’une perte; il n’a pas pour objet de verser des prestations à ceux qui n’ont subi aucune perte (Procureur général du Canada c Walford, A-263-78).

[7] La rémunération est définie au paragraphe 35(2) du Règlement comme étant le « revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi » à moins que le revenu relève de l’une des exceptions énoncées au paragraphe 35(7) du Règlement. Revenu est défini au paragraphe 35(1) du Règlement comme étant « tout revenu en espèces ou non que le prestataire reçoit ou recevra d’un employeur ou d’une autre personne, notamment un syndic de faillite ».

[8] Pour être considéré comme une rémunération, le revenu doit provenir de tout emploi ou il doit exister un « lien suffisant » entre l’emploi du prestataire et la somme reçue (Canada [Procureur général] c Roch, 2003 CAF 356).

[9] Les sommes reçues d’un employeur sont présumées avoir valeur de rémunération et doivent par conséquent être réparties sur une période de prestations à moins d’être visées par l’une des exceptions prévues au paragraphe 35(7) du Règlement ou qu’elles ne proviennent pas d’un emploi.

[10] Les sommes qui constituent une rémunération au titre de l’article 35 du Règlement doivent être réparties conformément à l’article 36 du Règlement (Boone et al. c Canada [Procureur général], 2002 CAF 257).

Question 1 : Le paiement en dommages-intérêts généraux de 10 000 $ a‑t‑il valeur de rémunération selon l’article 35 du Règlement?

[11] Non. L’appelante a prouvé qu’en raison de circonstances particulières, le paiement en dommages‑intérêts généraux de 10 000 $ ne constitue pas une rémunération. Ce paiement représente le préjudice moral attribuable au caractère de mauvaise foi du congédiement.

[12] Si un prestataire affirme que les sommes reçues de son employeur ou de son ancien employeur ont été versées pour des raisons qui diffèrent de la perte de revenus d’emploi, dans le cas d’un règlement ou d’une entente fondée sur une poursuite judiciaire, une plainte ou une demande en raison d’un licenciement, il incombe au prestataire de démontrer qu’en raison de « circonstances particulières », une partie de la somme doit être considérée comme une indemnisation pour certaines autres dépenses ou perte s autres qu’une perte de revenus d’emploi (Canada [P.G.] c Radigan, A-567-99; Bourgeois c Canada [P.G.], 2004 CAF 117).

[13] Les « circonstances particulières » pourraient comprendre les sommes versées en règlement du préjudice causé à la santé ou à la réputation d’une personne ou en indemnisation de ses frais de justice ou encore pour la renonciation à un droit de réintégration ou potentiellement des dommages liés à une violation du Code des droits de la personne.

[14] L’intimée fait valoir que le paiement de dommages‑intérêts généraux de 10 000 $ est compté comme rémunération selon le paragraphe 35(2) du Règlement parce que le paiement a été versé afin d’indemniser la prestataire pour la perte de salaire. L’intimée soutient que, pour exclure l’argent de la catégorie de la rémunération payée pour compenser la perte de revenus d’emploi, l’appelante doit établir que le paiement a été demandé pour d’autres raisons et que l’employeur a accepté de la dédommager pour le préjudice, les dommages ou les dépenses. Comme la somme de 10 000 $ n’est pas mentionnée dans le règlement amiable à des fins autres que des dommages‑intérêts généraux, elle est considérée comme un paiement pour la perte de revenus et une rémunération selon l’alinéa 35(2)a) du Règlement.

[15] L’intimée fait aussi valoir que si l’appelante soutient que les dommages‑intérêts généraux ont été payés en raison d’un grand stress mental, alors il serait raisonnablement de s’attendre à ce qu’elle demande une aide professionnelle pour l’aider à faire face à la détresse qu’elle ressent. Si cela a été fait et si l’employeur a accepté de payer les dépenses engagées en raison de cette détresse psychologique, cela serait indiqué dans le règlement amiable.

[16] L’appelante estime que la portion du paiement de dommages‑intérêts généraux ne constitue pas une « rémunération ». Elle soutient que le paiement représente les dommages‑intérêts pour le préjudice moral attribuable au caractère de « mauvaise foi » du congédiement. Elle fait valoir que les dommages‑intérêts généraux ne sont pas pour le congédiement en soi, mais pour le préjudice moral résultant de la « manière » dont le congédiement a été fait, et le règlement amiable indique qu’il s’agissait de l’intention des parties.

[17] L’appelante a déclaré qu’elle avait travaillé pour une X pendant 27 ans. Elle a été congédiée le 21 octobre 2015. Elle avait commencé à occuper un nouveau poste chez son employeur peu avant son congédiement. Elle avait été promue au poste d’X de trois cadres. Elle s’occupait notamment de la réservation de vols, de la comptabilité de l’entreprise, du traitement des comptes de dépenses, de la création des rapports de dépenses et du remboursement de fonds aux cadres. L’appelante a remboursé par erreur des fonds à son compte personnel plutôt qu’à un compte de l’entreprise. L’employeur l’a congédiée parce qu’il estimait qu’elle avait détourné des fonds. L’appelante a déclaré qu’elle avait également fait un remboursement par erreur dans le compte personnel d’un des cadres plutôt que dans le compte de l’entreprise, et que l’employeur avait simplement effectué une transaction pour corriger cette erreur. L’appelante a précisé qu’elle occupait ce poste depuis peu, qu’elle avait demandé une formation et commis simplement une erreur.

[18] L’appelante a dit que le congédiement avait été dévastateur pour elle. Son employeur n’a pas fait d’enquête en bonne et due forme sur ce qui s’était passé. L’employeur l’a traitée de manière embarrassante et intrusive. On lui a dit d’aller au service des ressources humaines où elle a été interviewée. Elle a ensuite été escortée sans pouvoir emporter ses affaires personnelles. L’appelante a signalé que l’employeur n’avait pas enquêté sur ce qu’elle lui avait dit qu’il s’était passé. L’employeur n’a pas tenu compte du fait qu’il s’agissait d’un nouveau poste et qu’elle n’avait pas reçu la formation adéquate, ni de la situation lors de laquelle des fonds avaient été mis par erreur dans le compte personnel d’un cadre et la transaction avait simplement été inversée. L’appelante a déclaré que sa réputation avait été entachée. Elle a travaillé pour cet employeur pendant 27 ans et estimait que cela ne comptait pas pour rien. Elle avait toujours obtenu de bonnes évaluations de rendement, mais rien de cela n’avait semblé compter ni être pris en considération. La situation avait eu des répercussions sur sa santé mentale. Elle était incapable de manger ou de dormir. Ses cheveux tombaient. Elle était anxieuse et se demandait quand elle serait payée et pourrait subvenir aux besoins de sa famille. Elle a dit à l’employeur qu’elle était une mère monoparentale et qu’elle éprouvait des difficultés financières en raison du non‑versement de pensions alimentaires pour enfants, mais elle avait quand même été congédiée. Comme son assurance‑santé a été annulée, elle ne peut pas consulter un psychologue. Elle a cependant demandé l’aide de son médecin de famille et de son pasteur.

[19] L’appelante a déclaré qu’elle avait fait appel à un avocat et qu’une poursuite avait été intentée. Dans la poursuite, elle a demandé des dommages‑intérêts en guise d’indemnité de préavis et de départ, ainsi que des dommages‑intérêts pour souffrance mentale. Elle a conclu un règlement amiable le 12 février 2018. Elle a dit que les conditions du règlement amiable représentaient bien l’intention de son employeur et la sienne. L’employeur a rédigé le règlement amiable, et elle en a accepté les conditions.

[20] L’appelante a indiqué que les dommages‑intérêts généraux de 10 000 $ ne se voulaient pas un dédommagement pour des revenus ou une perte de revenus. Les dommages‑intérêts généraux étaient pour le préjudice moral. L’appelante était présente à la médiation, de même que deux représentants de son employeur, lorsque le règlement à l’amiable a été négocié et signé. Un des représentants de l’employeur était celui qui l’avait congédiée et escortée à l’extérieur de l’immeuble. Il s’est avéré que c’était la première enquête de cette personne. Au cours de la négociation, l’employeur a dit que les 10 000 $ représentaient des dommages‑intérêts généraux pour leur dureté à son endroit. Elle croit qu’ils se sont rendu compte qu’ils n’avaient pas exercé une diligence raisonnable en enquêtant de façon plus approfondie et en trouvant la cause profonde de ce qui s’était passé.

[21] La conseil de l’appelante dans cette affaire l’avait aussi représentée dans la poursuite pour congédiement injustifié et a expliqué comment on en était arrivé aux sommes figurant dans le règlement amiable en ce qui concerne l’allocation de retraite et les dommages‑intérêts généraux. Elle a expliqué que l’autre conseil et elle n’arrivaient pas à s’entendre sur la question de savoir si les indemnités de départ devaient être payées selon l’application du préavis en common law ou du préavis de la Loi sur les normes d’emploi. Comme ils ne parvenaient pas à en arriver à un accord, ils ont décidé qu’ils appelleraient le montant, qui représentait une indemnité de préavis (préavis en common law), une somme pour ses avantages et indemnités de départ une « allocation de retraite ». Elle a fait remarquer que la poursuite était de 100 000 $ en tout, car c’était la limite établie dans les règles de procédure simplifiées. La conseil de l’appelante a expliqué que la poursuite pour dommages‑intérêts majorés et exemplaires représentait le préjudice moral subi par l’appelante et que les dommages‑intérêts punitifs représentaient la punition pour les actions de l’employeur.

[22] La conseil de l’appelante a fait valoir que les sommes convenues avaient été établies de façon très précise. Elle avait déterminé, en fonction des années de service et du salaire de l’appelante, que le versement d’une indemnité de préavis en vertu de la Loi sur les normes d’emploi et d’une indemnité de départ aurait été d’environ 50 000 $. Toutefois, si la poursuite était fondée sur le préavis en common law et l’indemnité de départ, elle aurait été de 110 000 $. Après que l’appelante et l’employeur eurent assisté à la communication de la preuve, le conseil de l’employeur a indiqué que celui‑ci était prêt à conclure une entente de règlement avec l’appelante. Le montant convenu était un compromis entre les 50 000 $ et les 110 000 $ auxquels l’appelante pouvait s’attendre en ce qui a trait à l’indemnité de préavis, à l’indemnité de départ et à ses avantages sociaux. L’appelante a décidé d’accepter le montant minimal. La conseil de l’appelante a signalé que les 50 000 $ ne comprenaient pas les dommages-intérêts pour le préjudice moral. Elle a expliqué que le montant de 10 000 $ avait été déterminé à la lumière d’un examen des décisions antérieures et de ce qui semblait raisonnable dans les circonstances. L’appelante a déclaré que l’information que sa conseil lui avait fournie quant à la façon dont ces sommes avaient été déterminées était correcte.

[23] La déclaration vise l’obtention de dommages‑intérêts pour congédiement injustifié ainsi que des dommages‑intérêts punitifs, exemplaires et majorés inclus dans la somme de 100 000 $. Selon les allégations figurant dans la poursuite, l’appelante a été congédiée par l’employeur sans motif valable et sans préavis. L’employeur a soutenu que l’employée avait enfreint la politique générale sur les dépenses et fait preuve d’inconduite grave pour ce qui des demandes de remboursement. Il a été allégué que le congédiement sans motif valable et sans préavis suffisant ni paiement adéquat tenant lieu de préavis ainsi que le défaut du défendeur de respecter ses obligations en common law constituaient une violation du contrat de travail de l’appelante. Il a été soutenu que l’appelante avait droit, à compter de la date de son congédiement, à certains avantages sociaux, notamment à une assurance médicale, à une assurance dentaire, à une assurance‑vie, à des prestations d’un régime enregistré d’épargne-retraite et à des bonus ainsi qu’à divers frais remboursables en raison de son congédiement injustifié. Il y avait aussi une allégation de détresse psychologique liée à la manière dont le congédiement avait été fait. À cet égard, le paragraphe 15 de la demande indique ce qui suit [traduction] : « La plaignante a souffert de détresse psychologique causée par la violation gratuite et insouciante de son contrat par l’employeur, qui l’a congédiée sans préavis suffisant ni paiement adéquat tenant lieu de préavis, une détresse psychologique qu’il [nom de l’employeur] pouvait prévoir. »

[24] L’appelante et son employeur ont conclu un règlement à l’amiable le 12 février 2018 qui prévoyait les paiements suivants en règlement complet de la demande :

  1. Le défendeur versera à la plaignante la somme de 50 000 $ en guise d’allocation de retraite moins la somme prévue pour les frais juridiques, y compris les honoraires, les débours et la taxe de vente harmonisée (TVH) conformément au paragraphe 3 ci‑dessous, et moins la somme à verser selon l’avis de dette de Service Canada au titre de l’assurance‑emploi conformément au paragraphe 4 moins les retenues d’impôt au taux forfaitaire de 30 % sur le solde.
  2. Le défendeur versera à la plaignante la somme de 10 000 $ en dommages‑intérêts généraux.
  3. Le défendeur versera aux avocats de la plaignante la somme de 27 426,29 $ pour les frais juridiques, y compris les honoraires, les débours et la TVH. Ladite somme sera payée directement à (nom du cabinet d’avocats) et sera confirmée par écrit au défendeur par (nom du cabinet d’avocats) comme due à la plaignante.
  4. La plaignante obtiendra un avis de dette de Service Canada au titre de l’assurance‑emploi, et les sommes décrites au paragraphe 1 ci‑dessus seront assujetties à l’obligation de remboursement décrite dans l’avis de dette de Service Canada.
  5. Tous les montants à payer en l’espèce incluront les réclamations, les avantages, les dommages, les coûts, la TVH, les débours ainsi que toute autre mesure de redressement quelle qu’elle soit.
  6. La plaignante donnera quittance complète et définitive au défenseur.
  7. Le défenseur payera tous les frais de médiation du (nom du médiateur).
  8. Les parties souscriront à une ordonnance prévoyant le rejet de la présente action et de l’action reconventionnelle sans dépense.

[25] En contrepartie des paiements, l’appelante a signé une quittance complète et définitive le 12 février 2018. Celle‑ci prévoit que l’appelante [traduction] « renonce entièrement, définitivement et pour toujours à toute action et cause d’action ainsi qu’à tout contrat et toute réclamation, quelle qu’en soit la nature, que j’ai déjà eu, que j’ai ou que j’aurai peut‑être un jour contre (l’employeur) quelle qu’en soit la cause ou la raison, y compris, sans que soit limitée la portée générale des présentes, à toute action, cause d’action ou réclamation liées à mon emploi contre (l’employeur) ou à la cessation de mon emploi, notamment les réclamations pour non‑paiement de salaire, de rémunération, de bonus et indemnité de départ, pour non‑émission de préavis de licenciement, pour non-versement d’indemnité tenant lieu de préavis, pour congédiement injustifié, pour des avantages, y compris des prestations d’invalidité, des paiements de régimes de pension, de régimes incitatifs ou des droits et pour toute réclamation en vertu des lois sur les normes d’emploi, les droits de la personne ou les pensions applicables. Je reconnais que dans le règlement à l’amiable, comme l’atteste cette quittance complète et définitive, figurent toutes les sommes auxquelles je pourrais avoir droit en vertu des dispositions des lois sur les droits de la personne applicables. En outre, je reconnais que je ne peux et ne pourrai réclamer les dépens que j’ai ou pourrais avoir en vertu des lois sur les droits de la personne applicables. » La quittance contenait aussi une condition selon laquelle [traduction] « la contrepartie qu’il (employeur) m’a donnée ne constitue pas un aveu de responsabilité et, en fait, une telle responsabilité est rejetée. »

[26] Les éléments du règlement amiable doivent être examinés au regard des éléments de preuve propre à chaque affaire (Procureur général du Canada c Dunn, A-231-95). À cet égard, je dois tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve pour déterminer si le paiement de dommages‑intérêts généraux constitue une rémunération.

[27] Je suis d’avis que le règlement amiable, exécuté par les deux parties, indique que le paiement en dommages‑intérêts généraux avait pour but d’indemniser l’appelante pour autre chose qu’une perte de revenus. À cet égard, le règlement répartit le paiement en deux catégories : une allocation de retraite et des dommages‑intérêts généraux. Le règlement prévoit que seule l’allocation de retraite est assujettie au remboursement de l’impôt sur le revenu. Les dommages‑intérêts généraux ne le sont pas. Cela permet d’inférer que les dommages-intérêts généraux ne constituent pas une indemnisation pour des revenus ou tout autre montant imposable. En outre, il est précisé que le remboursement des prestations d’assurance‑emploi doit être fait entièrement à même le paiement de retraite, ce qui indique aussi que les parties souhaitaient que seul le paiement de retraite représente une perte de revenus.

[28] La quittance complète et définitive est rédigée dans des termes généraux de façon à libérer l’employeur de toute réclamation susceptible de découler de l’emploi de l’appelante et de son congédiement. Bien qu’il y ait une renonciation à des réclamations précises, notamment les réclamations pour non‑paiement de salaire, de rémunération, de bonus et indemnité de départ, pour non‑émission de préavis de licenciement, pour non-versement d’indemnité tenant lieu de préavis, pour congédiement injustifié, pour des avantages, y compris des prestations d’invalidité, des paiements de régimes de pension, de régimes incitatifs ou des droits et pour toute réclamation en vertu des lois sur les normes d’emploi, les droits de la personne ou les pensions applicables, la quittance indique que ces réclamations incluent « sans toutefois s’y limiter » d’autres réclamations possibles. La quittance, dans sa forme la plus large, prévoit une renonciation à des réclamations de sommes qui pourraient être considérées comme ayant valeur de rémunération et également des réclamations de sommes qui pourraient être considérées comme n’ayant pas valeur de rémunération. Par conséquent, cela n’apporte rien à l’analyse.

[29] J’estime que la déclaration est conforme à la position de l’appelante, voulant que le paiement de dommages‑intérêts généraux représente autre chose qu’une perte de gains. La poursuite elle‑même visait l’obtention de dommages‑intérêts pour congédiement injustifié ainsi que des dommages‑intérêts punitifs, exemplaires et majorés inclus dans la somme de 100 000 $. Il est donc clair que l’appelante demandait des dommages‑intérêts en plus de ceux liés uniquement au congédiement injustifié. Elle demandait aussi des dommages‑intérêts punitifs, exemplaires et majorés.

[30] Les allégations contenues dans la déclaration font référence au congédiement sans motif valable et sans préavis ni indemnité tenant lieu de préavis. À cet égard, la demande indique que l’appelante a droit, à compter de la date de son congédiement, à certains avantages sociaux, notamment à une assurance médicale, à une assurance dentaire, à une assurance‑vie, à des prestations d’un régime enregistré d’épargne-retraite et à des bonus, et qu’elle a assumé et continuera à assumer des frais nombreux et divers attribuables à son congédiement injustifié. Toutes ces allégations pourraient potentiellement donner lieu à des paiements de « gains », car ils n’ont pas pour but de compenser la perte de revenus d’emploi ou d’avantages.

[31] Toutefois, il est également allégué dans la déclaration que le congédiement de l’appelante et son traitement subséquent par l’employeur étaient de mauvaise foi et que l’employeur avait agi de façon arbitraire et inacceptable à ce moment‑là, alors qu’il savait ou aurait dû savoir que l’appelante était dans un état psychologique vulnérable. La déclaration indique aussi que la plaignante a souffert de détresse psychologique causée par la violation gratuite et insouciante de son contrat par l’employeur, qui l’a congédiée sans préavis suffisant ni paiement adéquat tenant lieu de préavis, une détresse psychologique qu’il [nom de l’employeur] pouvait prévoir. Cette allégation pourrait potentiellement donner lieu à une indemnisation qui n’est pas pour une perte de revenus parce que le caractère de mauvaise foi du congédiement est une faute donnant elle‑même ouverture à un droit d’action, en dehors du congédiement lui-même.

[32] Par conséquent, j’estime que la déclaration étaye la conclusion qu’il y avait deux catégories d’indemnisation demandées, c’est‑à‑dire l’indemnisation liée au congédiement lui‑même et l’indemnisation liée spécifiquement au caractère de mauvaise foi du congédiement. Les divers types d’indemnisation demandés dans la déclaration sont conformes à la répartition des paiements figurant dans le règlement amiable entre l’allocation de retraite et les dommages‑intérêts généraux. Les faits allégués dans la déclaration servent de fondement à une réclamation pour préjudice moral se rapportant au congédiement de mauvaise foi. Ces faits sont expressément plaidés au paragraphe 15 de la déclaration.

[33] Le témoignage de l’appelante portant sur les circonstances qui ont mené à son congédiement cadre avec le fait qu’elle demande une indemnisation pour préjudice moral ainsi qu’une indemnisation pour perte de revenus et avantages sociaux de l’employeur. Elle décrit le sentiment de dévastation qu’elle a ressenti lorsqu’elle a été escortée à l’extérieur de l’immeuble sans enquête en bonne et due forme sur les faits, sans même être autorisée à aller chercher ses effets personnels. Elle a expliqué comment tout cela avait influé sur sa santé mentale compte tenu de ses 27 années de services pour son employeur. Elle a déclaré qu’elle ne pouvait pas manger ni dormir. Ses cheveux tombaient. Elle était anxieuse et inquiète et avait demandé l’aide de son médecin et de son pasteur. Je prends acte de l’argument de l’intimée selon lequel si les dommages‑intérêts généraux étaient versés en raison d’un grand stress mental, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que l’appelante demande une aide professionnelle pour l’aider à faire face à sa détresse. Elle l’a fait. Elle a cherché de l’aide auprès de son médecin de famille et de son pasteur.

[34] J’accepte également le témoignage crédible de l’appelante voulant qu’elle ait compris que le paiement de dommages‑intérêts généraux représentait les dommages-intérêts pour préjudice moral. Il s’agit d’éléments de preuve non sollicités, et une telle caractérisation est conforme à la description des faits de l’appelante se rapportant à son congédiement. Il n’y a aucune preuve directe de l’employeur quant à son intention en ce qui concerne le paiement de dommages‑intérêts généraux et ce qu’il visait à compenser. Toutefois, l’appelante a déclaré que l’employeur avait rédigé l’entente et que celui‑ci lui avait dit lors de la médiation que le paiement de dommages‑intérêts généraux avait pour but de l’indemniser pour leur dureté à son endroit.

[35] Enfin, j’ai tenu compte de l’information de la conseil de l’appelante à propos de l’établissement des sommes. L’appelante a assisté à la médiation avec sa conseil et déclaré que cela était exact. J’accepte que le montant de l’« allocation de retraite » était fondé sur les calculs des limites auxquelles l’appelante pouvait s’attendre à avoir droit comme indemnité de préavis, indemnité de départ et autres avantages sociaux. J’accepte également que le montant des dommages‑intérêts généraux était fondé sur un examen de la jurisprudence et de ce qui était raisonnable dans les circonstances.

[36] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je suis convaincue que le paiement de dommages‑intérêts généraux avait pour but d’indemniser l’appelante pour le préjudice moral attribuable au caractère de mauvaise foi du congédiement. Le règlement amiable prévoit un paiement de dommages‑intérêts généraux sans retenues d’impôt ni remboursement de prestations d’assurance‑emploi, ce qui indique que les parties voulaient que les dommages‑intérêts généraux servent à indemniser l’appelante pour une perte autre qu’une perte de revenus ou de gains. La déclaration comprend une demande de dommages-intérêts punitifs, exemplaires et majorés attribuable au caractère de mauvaise foi du congédiement et décrit le stress mental de l’appelante résultant de la manière dont le congédiement a été fait. Le témoignage de l’appelante en ce qui concerne la façon dont elle a été congédiée étaye les allégations contenues dans la demande. En outre, l’appelante a déclaré qu’elle croyait que les dommages‑intérêts généraux devaient représenter une indemnisation pour préjudice moral, et ce témoignage n’a pas été contredit.

[37] L’appelante a prouvé que le paiement de dommages‑intérêts généraux, en raison de circonstances particulières, constituait une indemnisation pour certaines autres dépenses ou pertes et qu’il n’avait donc pas valeur de rémunération au sens de l’article 35 du Règlement. Le paiement de dommages‑intérêts généraux visait à indemniser l’appelante pour le préjudice moral lié au caractère de mauvaise foi du congédiement.

[38] Comme le paiement de dommages‑intérêts généraux de 10 000 $ n’a pas valeur de rémunération, il ne doit pas être réparti sur la période de prestations de l’appelante.

Conclusion

[39] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 13 mars 2019

Téléconférence

E. L., Appelante

Zietoon Vaezzadeh, Représentante de l’appelante

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