Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. Le prestataire a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

Aperçu

[2] Le prestataire a travaillé pendant neuf mois comme manœuvre et coupeur de carottes dans une mine éloignée. Durant son emploi, il n’a reçu aucune information sur sa paie ni aucun détail sur les déductions faites sur son salaire. Le prestataire avait également des préoccupations en matière de sécurité concernant le manque de formation à cet égard, l’utilisation d’équipement non sécuritaire et le manque de respect des normes de sécurité générales dans le milieu de travail. Il a quitté son emploi ainsi que le site de travail lorsque son superviseur a insisté pour qu’il reste seul pour y travailler.

[3] La Commission a exclu le prestataire du bénéfice des prestations parce qu’elle a conclu qu’il avait volontairement quitté son emploi chez X sans justification. Le prestataire interjette maintenant appel de la décision de révision de la Commission devant le Tribunal de la sécurité sociale et allègue qu’il était fondé à quitter son emploi.

Questions

Question no 1 : Le prestataire a-t-il volontairement quitté son emploi chez X?

Question no 2 : Dans l’affirmative, le prestataire était-il fondé à quitter son emploi parce qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable en raison de problèmes liés à sa paie et de ses préoccupations en matière de sécurité au travail?

Analyse

[4] Un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il quitte volontairement un emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il peut toutefois établir qu’il était fondé à quitter son emploi s’il arrive à prouver que, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 2.

[5] La Commission a le fardeau de prouver que le départ était volontaire. Ensuite, le fardeau est renversé et le prestataire doit prouver qu’il était fondé à quitter son emploiNote de bas de page 3. Le fardeau de la preuve que le prestataire et la Commission doivent tous deux respecter est celui de la prépondérance des probabilités, ce qui veut dire qu’il doit être « plus probable que le contraire » que les événements se soient produits comme ils ont été décrits.

Question no 1 : Le prestataire a-t-il volontairement quitté son emploi chez X?

[6] Je conclus que le prestataire a quitté son emploi volontairement.

[7] Le prestataire a déclaré à la Commission ainsi qu’au Tribunal qu’il avait quitté son emploi. Ces déclarations sont corroborées par les deux dossiers d’emploi du prestataire provenant de X, dans lesquels il est également indiqué qu’il a quitté son emploi.

[8] Le prestataire a déclaré que le 24 octobre 2017, il travaillait avec un géologue à la mine X. Il a mentionné que comme il n’y avait plus beaucoup de nourriture et de carburant sur le site de travail, le géologue lui a dit qu’il allait se rendre au village le plus près pour faire des provisions. Le géologue a demandé au prestataire de continuer à travailler pendant son absence. Le prestataire a déclaré l’avoir informé qu’il ne voulait pas travailler seul à la mine, car il trouvait cela dangereux. Il a indiqué avoir quitté les lieux pour ne pas avoir à travailler seul. Par conséquent, je conclus que le prestataire avait le choix de rester et de travailler dans la mine ou de quitter son emploi. Il a choisi de quitter son emploi volontairementNote de bas de page 4.

Question no 2 : Le prestataire était-il fondé à quitter son emploi parce qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable en raison de problèmes liés à sa paie et de ses préoccupations en matière de sécurité au travail?

[9] Je conclus que le prestataire était fondé à quitter son emploi.

[10] Un prestataire démontre qu’il était fondé à quitter son emploi lorsqu’il arrive à prouver que, selon la prépondérance des probabilités, il s’agissait de la seule solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 5.

[11] La Loi dresse une liste non exhaustive de circonstances à prendre en considération pour déterminer si un prestataire est fondé à quitter son emploiNote de bas de page 6. Un prestataire dont la situation ne correspond pas à l’une des circonstances énumérées dans la loi peut néanmoins prouver qu’il était fondé à quitter son emploi en démontrant que, compte tenu de toutes les circonstances, il n’avait pas d’autre solution raisonnableNote de bas de page 7.

[12] Le prestataire a soutenu qu’il était fondé à quitter son emploi en raison de préoccupations en matière de sécurité au travail et de problèmes liés à la paie.

Préoccupations en matière de sécurité

[13] Le prestataire a soulevé plusieurs préoccupations en matière de sécurité au travail. Celles‑ci concernent trois points principaux : le manque de formation, l’utilisation d’équipement non sécuritaire et des normes de sécurité au travail inadéquates. Le prestataire a soutenu que son employeur ne lui avait pas fourni de formation sur l’utilisation sécuritaire de plusieurs véhicules qu’il utilisait régulièrement dans son travail. Il a déclaré qu’il était tenu de conduire un quatre‑roues, un bobcat et un bateau sans avoir préalablement reçu de formation. Il devait conduire des camions sur le lieu de travail, même s’il ne possédait pas de permis de camionneur. Le prestataire a également déclaré qu’il n’avait pas reçu de formation en premiers soins, même s’il travaillait dans un site éloigné. En outre, il a affirmé qu’il travaillait avec de l’équipement non sécuritaire. À titre d’exemples, il a indiqué qu’il devait couper des échantillons carottés avec une scie à chaîne qui n’était pas munie de verrouillage de sécurité et qu’il était forcé de conduire un bobcat sous la pluie, même si le véhicule n’avait pas de fenêtres. Lorsque le prestataire exécutait ses tâches de découpage de carottes, il travaillait dans une petite baraque mal aérée qu’il devait quitter périodiquement pour respirer de l’air frais. Concernant les normes de sécurité générales en milieu de travail, le prestataire a déclaré qu’il avait pour instruction de faire de la prospection en parcourant des kilomètres dans le bois sans posséder de licence de prospection. Il a également affirmé qu’à plusieurs reprises, il était laissé à lui-même sur le site de travail, ce qui posait de sérieux problèmes de sécurité parce qu’il n’y avait personne pour l’aider en cas de blessure. Le prestataire a mentionné avoir parlé de ces préoccupations avec les deux géologues qui travaillaient sur le site avec lui et qui étaient ses superviseurs immédiats. Il a mentionné qu’ils ont balayé ses préoccupations du revers de la main, lui disant qu’il avait été élevé dans le bois et qu’il devrait donc être habitué à travailler dans un environnement comme celui de la mine. Le prestataire a ajouté qu’il avait essayé de parler de ses préoccupations avec le chef de la direction de la mine. Toutefois, ce dernier travaillait à Toronto et était difficile à joindre. Le prestataire a indiqué qu’il a réussi à soulever ses préoccupations auprès du chef de la direction lors d’une de ses rares visites à la mine, mais qu’aucune formation ne lui a été offerte et qu’aucun changement n’a été apporté par la suite. Selon le prestataire, le chef de la direction a fait peu de cas de ses préoccupations et a mentionné qu’il n’y avait pas vraiment de problème puisque personne n’était là pour faire le suivi des violations.

[14] Je conclus que les conditions de travail sur le site de travail du prestataire n’étaient pas sécuritaires et qu’il a soulevé des préoccupations non seulement auprès de ses superviseurs immédiats, mais aussi auprès du chef de la direction de l’entreprise. J’accepte le témoignage du prestataire concernant ces préoccupations en matière de sécurité parce qu’il s’est exprimé de façon franche et directe. Lorsque j’ai demandé des éclaircissements sur les questions de sécurité, il a répondu par des exemples détaillés expliquant pourquoi il croyait que les normes de sécurité au travail n’étaient pas respectées. De plus, le prestataire a déclaré qu’il avait déjà travaillé dans des endroits éloignés par le passé et qu’il était habitué à travailler sous une supervision minime. À mon avis, le fait qu’il ait une expérience dans des lieux de travail éloignés renforce l’authenticité de ses préoccupations en matière de sécurité au travail.

Préoccupations relatives à la paie/rémunération

[15] Le prestataire a déclaré avoir été payé 150 $ par jour pour le travail effectué. Ce montant représentait 15 $ de l’heure pour dix heures de travail par jour. Il a affirmé avoir accompli différentes tâches durant son emploi chez X, mais il a toujours cru que son salaire resterait le même. Le prestataire a déclaré ne pas avoir reçu de talons de paie durant la période d’emploi et avoir eu peu d’information sur la façon dont sa paie était calculée ou sur le nombre d’heures pris en compte à des fins de rémunération. Il recevait sa paie par dépôt direct dans son compte bancaire, mais aucun détail sur le paiement. Il a affirmé avoir initialement reçu un montant net de 150 $ par jour, mais que plus tard, sa paie faisait l’objet de déductions. Selon ses dires, ces déductions ont fait en sorte que sa paie est passée d’un montant net de 150 $ par jour à un montant net d’environ 110 $ à 120 $ par jour. Le prestataire ne comprenait pas pourquoi son salaire avait diminué puisqu’il était censé être payé au même taux pour toutes les tâches effectuées. Il a ajouté que ses heures supplémentaires ne lui ont pas été payées, même s’il a parfois travaillé plus de dix heures par jour. Il a déclaré qu’on lui devait environ 160 heures supplémentaires. En outre, il a été payé en retard à de nombreuses occasions. Le prestataire a affirmé avoir parlé de ces préoccupations avec le chef de la direction en mai 2017, lequel lui aurait répondu que son employeur était en voie de mettre un nouveau système comptable en place. On lui a dit d’être patient et que des changements seraient bientôt apportés. Le prestataire a déclaré à l’audience qu’il n’avait jamais reçu de ventilation détaillée de sa paie et qu’il attendait toujours une copie de ses déclarations T4. Il a ajouté qu’avant de recevoir ses dossiers d’emploi, il ne savait pas qu’il avait été embauché à la fois comme manœuvre et comme coupeur de carottes. Il croyait que le seul poste qu’il occupait était celui de coupeur de carottes, même s’il accomplissait plusieurs tâches dans le cadre de ce rôle.

[16] L’employeur a déclaré qu’au départ, le prestataire était un employé occasionnel à la mine. Il ne travaillait que quelques jours par semaine comme manœuvre lorsque des travaux généraux devaient être effectués. Le prestataire a ensuite été embauché comme employé régulier. L’employeur a affirmé qu’à ce titre, son salaire était assujetti aux déductions obligatoires habituelles et que c’est ce qui expliquait la réduction de son salaire net.

[17] Je conclus qu’il y avait un manque de transparence dans la paie et la rémunération du prestataire. Je souscris au témoignage du prestataire selon lequel il ne pouvait voir les montants déduits de sa paie ou les détails de sa rémunération générale. Sa position est corroborée par le manque de détails contenus dans les deux dossiers d’emploi remplis par l’employeur. Ni le dossier pour le poste de manœuvre ni celui pour le poste de coupeur de carottes ne contient une ventilation des revenus assurables par période de paie. De plus, le dossier d’emploi pour le poste de manœuvre n’indique pas la date du premier jour de travail du prestataire, mais seulement la date du dernier jour de travail et de la dernière période de paie. Le document indique le revenu assurable total, mais il est ensuite indiqué que le prestataire n’a pas accumulé d’heures assurables.

Autres solutions raisonnables

[18] Ayant examiné les deux motifs de départ du prestataire, je conclus que ce dernier a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi.

[19] Le prestataire fait valoir que, dans les circonstances, il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi. La Commission a soutenu que le prestataire n’avait pas prouvé qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi parce qu’il n’avait pas épuisé toutes les autres solutions raisonnables. Elle a allégué que le prestataire n’avait pas épuisé les trois autres solutions raisonnables avant de quitter son emploi. Selon elle, le prestataire aurait dû discuter de ses préoccupations relatives à sa paie et à la sécurité avec son employeur et tenter de régler les problèmes, déposer une plainte auprès de la Commission des relations de travail et trouver un autre emploi avant de quitter le sien.

[20] Premièrement, je n’accepte pas l’argument de la Commission selon lequel le prestataire n’a pas discuté de ses préoccupations ni tenté de les régler puisqu’il a témoigné en détail des discussions qu’il a eues avec la direction concernant ces préoccupations. Le prestataire a déclaré avoir parlé avec son superviseur immédiat à la mine et n’avoir reçu aucun soutien. Il a également indiqué avoir appelé le chef de la direction de l’entreprise pour s’informer au sujet de sa paie et obtenir des détails sur les déductions effectuées. Le prestataire a affirmé qu’on lui a garanti qu’il obtiendrait des éclaircissements lorsque des changements seraient apportés au système comptable. Toutefois, cela ne s’est jamais fait. En outre, le prestataire a déclaré avoir soulevé des préoccupations en matière de sécurité auprès du géologue de la mine et avoir parlé au chef de la direction à au moins une occasion, lors d’une de ses visites. Ses préoccupations ont été balayées du revers de la main. La Commission n’a pas fourni d’élément de preuve pour contredire le témoignage du prestataire selon lequel il a effectivement parlé de ses préoccupations avec l’employeur. En conséquence, je conclus que le prestataire a tenté de régler ses préoccupations concernant sa paie et la sécurité sur le lieu de travail avec son employeur et qu’il a épuisé ce recoursNote de bas de page 8.

[21] Deuxièmement, je n’accepte pas l’argument de la Commission selon lequel le prestataire aurait dû déposer une plainte auprès d’une commission des relations de travail ou trouver un autre emploi avant de quitter le sien. À mon avis, ces deux options n’étaient pas raisonnables étant donné que son lieu de travail était éloigné et étant donné ce qui s’est passé le jour du départ du prestataire.

[22] Le prestataire a déclaré que la mine était située dans le bois, à environ 15 kilomètres de X (Manitoba), le village le plus près. Pour se rendre au site de travail à partir de X, la ville la plus près dans la région, il faut prendre un chemin de gravier sur environ 78 kilomètres, puis une route forestière sur encore 25 kilomètres. Le prestataire a déclaré qu’il pouvait travailler à la mine pendant 21 jours, puis partir pendant sept jours. Il s’agit là de l’horaire de travail qu’avait le prestataire durant la majeure partie de la période où il travaillait. Il a indiqué qu’il ne possédait pas de téléphone cellulaire ni d’ordinateur portatif et qu’il n’avait pas accès à Internet lorsqu’il travaillait à la mine.

[23] Je conclus qu’il n’était pas raisonnable d’exiger que le prestataire dépose une plainte auprès d’une commission des relations de travail alors qu’il travaillait si loin et qu’il n’avait pas moyen de le faire. De plus, le prestataire a affirmé qu’il devait travailler pour avoir un revenu et accumuler des heures assurables et que, par conséquent, il ne voulait pas avoir de problème avec son employeur en déposant une plainte. Le témoignage du prestataire à cet égard était sincère et il espérait réellement que l’employeur corrige la situation et soit plus transparent à propos des déductions faites sur sa paie.

[24] De même, étant donné les très courtes périodes durant lesquelles le prestataire était absent du lieu de travail, je ne suis pas en accord avec la position de la Commission selon laquelle trouver un autre emploi avant de quitter le sien était une autre solution raisonnable. La preuve démontre que le prestataire était en région éloignée pendant de longues périodes et qu’il n’aurait pas pu chercher un emploi activement. Le prestataire n’était pas non plus en mesure de chercher un emploi, de communiquer avec des employeurs potentiels et d’organiser des entrevues.

[25] Enfin, les circonstances entourant le départ soudain du prestataire étayent ma conclusion selon laquelle la seule solution raisonnable pour le prestataire était de quitter son emploi. Le prestataire a déclaré que le 24 octobre 2017, son superviseur lui a ordonné de travailler seul sur le site pendant qu’il allait chercher des provisions. Il a indiqué avoir parlé à son superviseur et l’avoir informé qu’il ne voulait pas rester seul sur le site parce que cela n’était pas sécuritaire. Le prestataire a fait remarquer à son superviseur que s’il se blessait, personne ne pourrait l’aider. Il a également affirmé qu’il aurait pu rencontrer des animaux sauvages pendant qu’il travaillait seul et que cela le rendait inconfortable. Malgré l’opposition du prestataire, le superviseur a insisté pour qu’il reste sur le site pour y travailler. Le prestataire a déclaré qu’il a décidé de quitter son emploi ainsi que le site de travail afin d’assurer sa propre sécurité. Il est monté à l’arrière du camion de son superviseur et s’est rendu au village avec lui. J’accepte le témoignage du prestataire concernant les circonstances entourant son départ parce qu’il est crédible. En outre, son témoignage est corroboré par les renseignements qui figurent dans sa première demande de prestations d’assurance-emploi. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait d’autres remarques à faire concernant les circonstances et les raisons pour lesquelles il a quitté son emploi, le prestataire a déclaré qu’à [traduction] « plusieurs reprises, l’employeur [l]’a fait travailler seul sur le site, ce qui n’était pas sécuritaire ».

[26] Par conséquent, je conclus que le prestataire ne devrait pas être exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi parce qu’il a prouvé qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi.

Conclusion

[27] L’appel est accueilli.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Parties présentes :

Le 4 avril 2019

Téléconférence

J. C., appelant
Amanda Fleury, représentante de l’appelant

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