Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelant, P. S. (le prestataire), a quitté son emploi au motif qu’il a cru que son superviseur X le traitait différemment en le critiquant. Il a estimé, d’une part, que X entretenait des préjugés à son égard parce qu’il était un immigrant originaire du Moyen-Orient et, d’autre part, que les critiques étaient injustifiées. Lorsque le prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, l’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission), a rejeté sa demande. Elle a conclu que le prestataire avait quitté volontairement son emploi sans justification et qu’il était donc exclu du bénéfice des prestations.

[3] À la demande du prestataire, la Commission a réexaminé sa décision. Dans la décision rendue à l’issue de ce réexamen, elle a maintenu la décision initiale. Le prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, qui a rejeté l’appel. L’appelant interjette maintenant appel devant la division d’appel.

[4] J’ai relevé plusieurs erreurs dans la décision de la division générale et j’ai rendu la décision que cette dernière aurait dû rendre. Malheureusement, même après avoir corrigé les erreurs de la division générale, je dois arriver au même résultat. L’appel est par conséquent rejeté.

Questions préliminaires

[5] Au cours de l’audience tenue devant la division d’appel, l’employeur a fait référence à des observations qui, croyait-il, avaient été soumises à la division générale, mais que je n’ai pu trouver dans le dossier de la division générale. Le prestataire a affirmé ne pas avoir vu les documents non plus. L’employeur a reconnu que les documents contenaient des éléments de preuve et des arguments.

[6] Comme je ne voulais négliger aucun des éléments de preuve qui avaient été présentés à la division générale, j’ai ordonné à l’employeur d’envoyer une copie des documents au Tribunal; un agent du Tribunal examinerait le dossier de la division générale et déterminerait si ces documents avaient été reçus. Je me suis engagé à ce que le Tribunal fasse parvenir au prestataire une copie de ces documents s’ils avaient été soumis à la division générale.

[7] Conformément à mes directives, l’employeur a transmis une copie du document au Tribunal. Au terme de son enquête, le Tribunal en est arrivé à la conclusion que la division générale n’avait pas reçu ce document, ce qui signifie que celui-ci constitue une nouvelle preuve. La division d’appel ne peut prendre en considération de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à la division généraleNote de bas de page 1. Je n’ai pas vu ni examiné le nouveau document, et je n’en tiendrai pas compte. Il n’est donc pas nécessaire que le Tribunal en envoie une copie au prestataire.

Questions en litige

[8] L’utilisation de l’expression « prétendument » par la division générale soulève-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas, sans tenir compte de « toutes les circonstances »?

[10] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas sans tenir compte de son témoignage?

Analyse

[11] La division d’appel ne peut modifier une décision de la division générale que si elle peut conclure que cette dernière a commis l’un des types d’erreurs décrits par les « moyens d’appel » prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

[12] Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Première question en litige : L’utilisation de l’expression « prétendument » par la division générale soulève-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

[13] Le membre de la division d’appel a accordé la permission d’en appeler au motif qu’il a conclu à l’existence de motifs de soutenir qu’il se peut que la division générale ait fait preuve de partialité. Les motifs en question reposaient sur la déclaration de la division générale selon laquelle X avait « prétendument fait le commentaire ». Ce même commentaire a été décrit ailleurs dans la décision comme étant un commentaire « négatif »Note de bas de page 2 ou un commentaire « manquant de délicatesse »Note de bas de page 3.

[14] L’allégation de partialité est fondée sur la remise en cause apparente par le membre de ce qui aurait dû être considéré comme étant un fait établi, puisqu’il a décrit ce fait comme étant une allégation seulement. L’employeur n’a pas contesté que X a fait un commentaire déplacé ou que le prestataire pourrait avoir entendu le commentaire, et il n’y a aucune autre preuve venant contredire cette prétention. L’employeur a déclaré qu’il n’est pas au courant du commentaire en particulier que le prestataire mentionne dans sa demande de prestations. Il n’est au courant que des commentaires généraux formulés sur le Moyen-Orient, qu’il juge « déplacés compte tenu de l’auditoire ». L’employeur a déclaré qu’il avait cru comprendre que ces commentaires avaient été formulés au cours d’une conversation informelle et qu’ils ne visaient pas le prestataireNote de bas de page 4. Dans une deuxième conversation qu’il a eue avec la Commission, l’employeur a de nouveau reconnu que X avait fait un commentaire « déplacé » à un autre travailleur, X, au sujet des gens du Moyen-Orient, et que X croyait que le prestataire était suffisamment proche pour entendre le commentaireNote de bas de page 5.

[15] Pour conclure que le membre était partial au point où cela va à l’encontre de la justice naturelle, je devrais conclure que le prestataire avait une « crainte raisonnable de partialité ». Les tribunaux ont défini la crainte raisonnable de partialité comme étant une situation où une personne bien renseignée qui examine l’affaire de façon réaliste et pratique et étudie la question en profondeur pencherait davantage pour la thèse que le décideur n’a pas tranché la question de façon équitable.

[16] Bien que le membre de la division d’appel ait conclu qu’il y avait des motifs de soutenir que le prestataire avait une crainte raisonnable de partialité en raison de l’utilisation par le membre du descripteur « prétendument », je ne peux en arriver à la même conclusion selon la norme de la prépondérance des probabilités. Dans l’exposé des faits appelé « Aperçu » de la décision, la division générale a déclaré catégoriquement qu’un commentaire négatif avait été fait par un superviseur à un collègue en septembre 2017 au sujet des immigrants de première génération originaires du Moyen-OrientNote de bas de page 6. À la lecture de la décision dans son ensemble, y compris de cette déclaration initiale, et après avoir réfléchi à la question, une personne raisonnable serait susceptible de penser que le membre a utilisé le terme « prétendument » de façon vague davantage qu’il a remis en question sans raison la preuve que X a fait un quelconque commentaire au sujet de la première génération d’immigrants du Moyen-Orient.

[17] Compte tenu de cette déclaration initiale claire, je conclus qu’il est probable que le membre ait voulu décrire l’essence des commentaires comme étant « allégués » davantage qu’il ait fait allusion au fait que les commentaires ont été faits. Le membre de la division générale aurait raisonnablement pu décrire la substance réelle des commentaires comme étant « allégués » sans laisser croire à l’existence de quelque parti pris que ce soit. L’employeur et le prestataire sont d’accord pour dire qu’il n’était pas approprié que X fasse des commentaires sur les gens du Moyen-Orient alors que le prestataire pouvait l’entendre, mais le prestataire a fourni l’unique version de ce que X a dit. L’employeur n’a pu se mettre d’accord avec le prestataire sur ce que X a effectivement dit.

[18] De plus, le prestataire n’a pas été tout à fait cohérent en ce qui concerne ce que X a dit. Il décrit les commentaires dans sa demande de prestations d’assurance-emploi comme étant [traduction] « des commentaires négatifs sur [le prestataire] comme étant un immigrant de première génération et sur [ses] antécédents comme étant originaire du Moyen-Orient »Note de bas de page 7. Cette description a qualifié les commentaires de négatifs, sans fournir quelque détail que ce soit. Lors de la discussion qu’il a eue avec la Commission le 26 février, le prestataire a expliqué que les commentaires portaient sur la façon dont les immigrants de première génération du Moyen-Orient ne s’intègrent pas à la société canadienne et incluaient une référence à l’attentat terroriste du 11 septembreNote de bas de page 8. Lors d’une conversation tenue le 27 mars avec la Commission, le prestataire a déclaré que X avait dit que « les immigrants du Moyen-Orient ont une culture reculée et qu’ils ne s’assimilent pas »Note de bas de page 9. Dans le cadre de cet échange, il n’a rien dit sur le fait que X avait associé les immigrants du Moyen-Orient au terrorisme, mais il a ajouté que X avait décrit la culture des immigrants du Moyen-Orient comme étant reculée. Il semble également que le prestataire ne fasse pas de distinction entre le fait de « s’intégrer » à la société et le fait d’être « assimilé » à la société. Quoi que l’on ait pu dire dans ce sens, l’on ne sait trop ce qui était implicite ou ce que l’on voulait dire. Dans le témoignage qu’il a donné sous serment, le prestataire reprend l’essence de sa demande initiale, ne fournissant pas plus de détails à la division générale, si ce n’est que X a pris part à une conversation « dénigrant » les immigrants de première génération du Moyen-OrientNote de bas de page 10.

[19] Je conclus que l’utilisation du terme « prétendument » par la division générale ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité et que cette dernière n’a donc pas commis d’erreur sous le régime de l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le MEDS.

Deuxième question en litige : La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas, sans tenir compte de « toutes les circonstances »?

[20] Pour déterminer si le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable, la division générale doit tenir compte de toutes les circonstances, notamment celles qui sont énumérées aux sous-alinéas 29c)(i) à 29c)(xiv) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). La division générale a conclu que le prestataire avait quitté son emploi parce qu’il ne pouvait pas travailler avec le superviseur qui avait fait le commentaire déplacé initialement et qui avait continué de faire d’autres remarques désobligeantes non précisées. Toutefois, la division générale n’a pas analysé si les actions de X constituaient du harcèlement au sens du sous-alinéa 29c)(i), de la discrimination au sens du sous-alinéa 29c)(iii) ou des relations conflictuelles avec un superviseur, dont la cause n’est pas essentiellement imputable au prestataire, au sens du sous-alinéa 29c)(x) de la Loi sur l’AE.

[21] Le prestataire a témoigné qu’il est un immigrant de première génération originaire du Moyen-Orient et que son superviseur, X, a fait une remarque dénigrant les immigrants de première génération qui sont originaires du Moyen-Orient. Cette remarque a été faite en sa présence et il croit que X le visait en faisant cette remarque. Le prestataire a également témoigné que X avait toujours tenu des propos désobligeants au sujet de son rendementNote de bas de page 11 et l’avait blâmé sans raison pour des choses qui pourraient mal tournerNote de bas de page 12, ce qui de l’avis du prestataire n’était pas justifié. Après avoir entendu les commentaires négatifs de X au sujet des immigrants du Moyen-Orient en septembre, le prestataire a considéré le comportement de X à son égard à la lumière de la partialité apparente dont ce dernier faisait preuve à l’encontre des personnes de son origine ethniqueNote de bas de page 13. Cela incluait un incident au cours duquel le prestataire a cru que le superviseur l’accusait de sabotageNote de bas de page 14, ce qui apparemment a été la dernière insulte, après quoi le prestataire a démissionné.

[22] La question de savoir si la situation du prestataire constitue du harcèlement ou de la discrimination est discutable, étant donné qu’il n’y a eu qu’une seule occasion où il a entendu des commentaires racistes/préjudiciables qu’il a cru lui être adressés et qu’il a continué à travailler pendant plusieurs mois par la suite. Il a témoigné devant la division générale qu’il n’aurait pas quitté son emploi s’il avait pu continuer de relever de son directeur habituel plutôt que de X, qui a fait les commentaires que le prestataire a entendus. Cela laisse entendre que le milieu de travail n’a pas permis ou encouragé le harcèlement ou la discrimination de façon plus générale. Toutefois, j’accepte qu’il y a une preuve que les circonstances décrites au sous-alinéa 29c)(x) existaient (relations conflictuelles avec un superviseur) et que c’est là le principal facteur ayant amené le prestataire à partir.

[23] Il en découle que la division générale devait nécessairement examiner la preuve relative aux relations conflictuelles avec un superviseur et analyser l’effet de ces relations conflictuelles sur les solutions raisonnables autres que le départ qui étaient ouvertes au prestataire. La division générale ne l’a pas fait. En omettant de tenir compte de toutes les circonstances, et plus particulièrement du sous-alinéa 29c)(x), la division générale a commis une erreur de droit aux termes de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

Troisième question en litige : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion erronée selon laquelle le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas, sans tenir compte de son témoignage?

[24] Le prestataire a soutenu que la division générale avait complètement fait fi de ses observations figurant dans la pièce GD9. Essentiellement, la pièce GD9 reprend l’argument du prestataire devant la division de réexamen. Elle compte douze pages, dans lesquelles est décrite l’insatisfaction générale du prestataire quant à la façon dont il a été traité par l’employeur et à la décision de la Commission. Elle inclut un certain nombre de citations tirées du dossier de la Commission, par opposition à sa propre version des faits.

[25] Comme je l’ai expliqué au prestataire, la division générale n’est pas tenue de faire référence à ses divers arguments par numéro de document ou de la manière dont il les a présentés. La division générale doit tenir compte des questions juridiques qui découlent de l’appel et de la preuve pertinente pour trancher ces questions. Par conséquent, j’ai demandé au prestataire d’indiquer ce dont, plus précisément, à son avis la division générale avait fait fi ou à quel égard elle s’était trompée, et si cela avait été présenté dans la pièce GD9 ou devant la division générale sous une autre forme.

[26] Le prestataire n’a fait valoir qu’une seule erreur. La division générale a déclaré à deux reprises dans sa décision que le prestataire n’avait pas réellement entendu le commentaire déplacé du superviseur, mais qu’il en avait été informé par d’autresNote de bas de page 15. Or, le prestataire a déclaré que ce n’était pas ce qu’il avait dit dans son témoignage. Ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 6 de la pièce GD9, le prestataire a affirmé qu’il avait bel et bien entendu les premiers commentaires négatifs.

[27] Cette affirmation a également été largement appuyée par d’autres éléments de preuve présentés à la division générale. Bien qu’il ait admis à la Commission qu’il avait initialement dit à l’employeur qu’il n’avait pas entendu ce qui avait été dit (ce qui est conforme à la déclaration du directeur généralNote de bas de page 16), le prestataire a également expliqué que ce n’était pas parce que c’était vrai, mais parce qu’il [traduction] « ne voulait pas aggraver la situation »Note de bas de page 17. Il a clairement témoigné devant la division générale qu’il avait bel et bien entendu les commentaires de X de la bouche de ce dernier et qu’à son avis, X souhaitait qu’il l’entendeNote de bas de page 18. Le membre a même reformulé la preuve du prestataire à son intention : « Vous l’avez entendu. »Note de bas de page 19 La Commission prend en note le fait que le prestataire a dit que X, en faisant le commentaire, [traduction] « a fait abstraction du fait qu’[il] [était] là », et qu’il a dit à la Commission qu’il avait entendu les commentairesNote de bas de page 20. La Commission note également qu’un témoin des commentaires (X) a fait part à l’employeur de ses préoccupations au sujet des commentaires parce qu’il [traduction] « savait que le prestataire était à portée de voix »Note de bas de page 21.

[28] La division générale s’est manifestement trompée sur ce fait en particulier. La question de savoir si le prestataire a entendu les commentaires est pertinente pour déterminer si X souhaitait qu’il les entende, et donc pertinente aussi pour déterminer si le prestataire était justifié de considérer le lieu de travail comme étant toxique ou de considérer les autres remarques négatives de X comme étant l’expression d’un préjudice, par opposition à une préoccupation concernant de véritables problèmes de rendement. Le fait que le prestataire puisse dire qu’il savait personnellement que les commentaires avaient été faits et comment ils avaient été faits est pertinent pour déterminer si lui et X entretenaient des relations conflictuelles, dont la cause était essentiellement imputable à ce dernier. La question de savoir si le prestataire estimait qu’il serait traité équitablement à son lieu de travail est également pertinente quant au type de solutions de rechange à son départ qui auraient pu être raisonnables. Je conclus donc que la décision de la division générale est fondée, du moins en partie, sur cette erreur de fait, et que la division générale a commis une erreur sous le régime de l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS.

Conclusion

[29] L’appel est rejeté. J’ai conclu que la division générale avait commis des erreurs dans le cadre des moyens d’appel et, par conséquent, j’ai rendu la décision qu’elle aurait dû rendre pour corriger ces erreurs. Je dois tout de même confirmer la décision de la division générale.

Réparation

[30] La division générale a présenté des observations dans lesquelles elle a reconnu qu’il y avait des motifs d’interjeter appel de sa décision. Elle a recommandé que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour réexamen.

[31] En vertu de l’article 59 de la Loi sur le MEDS, j’ai le pouvoir de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen. J’ai aussi le pouvoir de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale. Je conclus que le dossier est complet quant aux questions à trancher. J’ai donc rendu la décision que la division générale aurait dû rendre.

[32] En vertu de l’article 29c) de la Loi sur l’AE, un prestataire n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi s’il est « fondé » à quitter volontairement son emploi.

[33] La division générale n’a pas explicitement confirmé que la Commission s’était acquittée du fardeau de prouver que le prestataire avait quitté volontairement son emploi. Toutefois, je note que le prestataire n’a pas contesté non plus qu’il a quitté volontairement son emploi. De plus, lorsque le prestataire a remis sa démission, l’employeur a fait un effort pour le convaincre de rester, ce que le prestataire a refusé de faire. Le critère du départ volontaire est simple : le prestataire avait-il le choix de rester ou de partir?Note de bas de page 22 Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire avait un tel choix et qu’il a donc quitté volontairement son emploi.

[34] Ayant conclu que le prestataire a quitté volontairement son emploi, je dois ensuite déterminer s’il était fondé à le faire. Il incombe à ce prestataire de prouver qu’au moment de son départ, celui-ci constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas de page 23. Aux termes de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE, le prestataire établit qu’il est « fondé » si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas. L’alinéa 29c) énumère également un certain nombre de circonstances qui, si elles sont présentes, doivent être prises en considération pour déterminer si le départ du prestataire constitue la seule solution raisonnable dans son cas.

[35] Tel qu’il a été mentionné précédemment, la preuve présentée à la division générale justifie l’examen dans une certaine mesure de trois des circonstances énumérées. Ces circonstances sont le « harcèlement » au sens du sous-alinéa 29c)(i), la « discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne », ainsi que le prévoit le sous-alinéa 29c)(iii), ou les « relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur », au sens du sous-alinéa 29c)(x) de la Loi sur l’AE. Aucune des autres circonstances énumérées ne semble s’appliquer à l’égard du prestataire, et la preuve n’indique aucune circonstance non mentionnée qui pourrait être pertinente relativement au départ du prestataire et à la question de savoir si ce départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

Harcèlement et discrimination

[36] À une occasion en septembre ou octobre 2018Note de bas de page 24, le prestataire a entendu X faire des remarques négatives au sujet de la première génération d’immigrants du Moyen-Orient, et il a cru que X souhaitait qu’il entende ces remarques. Selon le prestataire, X l’a accusé à plusieurs reprises de commettre des erreurs alors qu’il était sans reproche, tant avant qu’après que le prestataire eut entendu les remarques. Toutefois, après avoir entendu les remarques, le prestataire a estimé que X le ciblait uniquement parce qu'il était un immigrant du Moyen-Orient. Dans le seul autre incident qu’il a relevé, le prestataire a eu l’impression que X lui avait reproché un problème lié au serveur d’ordinateur. Selon le témoignage qu’il a donné devant la division générale, le prestataire a cru que X l’accusait de sabotage. Selon les notes de la Commission, le prestataire estimait que X tentait de le détruire.

[37] Le prestataire a jugé que la réponse habituelle de son directeur aux commentaires de X n’était pas efficace. Même si ce n’est pas le prestataire, mais un collègue du prestataire qui a effectivement signalé les commentaires au directeur, le prestataire affirme que ce dernier n’a rien fait pour régler l’incident des commentaires.

[38] Le directeur a décidé d’interviewer séparément chaque personne présente au moment où les remarques ont été faites. Le prestataire a admis que, lorsqu’il a été interrogé par le directeur, il a dit qu’il n’avait pas entendu les commentaires, mais il a expliqué qu’il avait dit cela parce qu’il ne voulait pas aggraver la situation. De même, le prestataire n’avait pas confronté X au sujet des commentaires initialement parce qu’il estimait que cela ne donnerait rien et qu’il leur aurait simplement [traduction] « donné l’impression qu’ils montraient qu’il avait raison »Note de bas de page 25.

[39] Le directeur a confirmé que le prestataire lui avait assuré qu’il n’avait pas entendu les remarques, qu’il [traduction] « n’avait même pas tenu compte [des remarques] » et qu’il était satisfait de la réponse de l’employeur. Le directeur estimait que le problème avait été régléNote de bas de page 26. Par ailleurs, le directeur savait que le prestataire estimait que X l’attaquait et qu’il n’aimait pas suivre les directives de X. En réponse, le directeur a dit qu’il s’agissait d’une petite entreprise et qu’il ne pouvait pas transférer le prestataire. Il a permis que ce dernier puisse lui rendre des comptes plutôt qu’à X et travaille indépendamment de X avec peu d’interaction. Le directeur a dit qu’il devait subir un traitement contre le cancer un jour toutes les trois semaines, mais qu’il était par ailleurs disponible au bureau.

[40] Le prestataire a dit que le directeur n’était habituellement pas disponible. Selon le prestataire, le directeur n’était au bureau qu’un jour ou deux par semaine, car il ressentait les effets secondaires de ses traitements médicaux. Le prestataire a dit qu’il n’avait d’autre choix que de travailler avec X en l’absence du directeur. Il a déclaré qu’on l’avait forcé à démissionner, qu’on le provoquait constamment pour qu’il réagisseNote de bas de page 27. Le prestataire a dit qu’il y avait de nombreux exemples de réactions négatives à son endroit, mais il a également confirmé que X n’avait fait aucun autre commentaire déplacé ou offensant après que le directeur était intervenuNote de bas de page 28, et qu’il n’avait identifié personne d’autre l’ayant harcelé de quelque façon que ce soit. En dehors de l’incident lié au serveur informatique, le prestataire n’a pas donné d’exemples précis d’autres incidents de conflit avec X.

[41] Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer une conclusion, selon la prépondérance des probabilités, selon laquelle le prestataire a été harcelé. À mon avis, pour qu’il y ait harcèlement, il doit y avoir un comportement indésirable et offensant qui persiste au fil du temps. Le prestataire a pu être victime de harcèlement avant l’intervention du directeur, mais il a fourni peu d’éléments de preuve à cet égard. Selon le prestataire, l’incident survenu au mois de septembre ou d’octobre, au cours duquel il a entendu les commentaires de X, est le [traduction] « principal incident qui l’a amené à démissionner »Note de bas de page 29. Après l’intervention du directeur, X n’a fait aucun autre commentaire à la connaissance du prestataire. Le directeur a dit qu’il avait demandé à plusieurs reprises au prestataire s’il avait quelque chose à dire et que le prestataire n’avait jamais soulevé de problèmesNote de bas de page 30, bien qu’il ait dit qu’il ne se souvenait pas de celaNote de bas de page 31.

[42] Même si les commentaires et les actions de X pouvaient être considérés comme constituant un harcèlement, le directeur a répondu de manière raisonnable à la plainte initiale, il a exprimé le désir de tenir compte de la volonté du prestataire de prendre ses distances à l’égard de X, dans les limites du milieu de travailNote de bas de page 32—ce que le prestataire a confirméNote de bas de page 33, et le directeur semblait être disposé à être informé d’autres incidents. Bien que le prestataire ait affirmé que l’hostilité s’est accrue après l’incident, il n’y a aucune preuve que la direction en a été informée. Le prestataire affirme qu’il a entendu des commentaires semblables d’autres personnes au bureau, mais il n’a fourni aucun détail ni aucun exemple, si ce n’est son souvenir d’une occasion où il a entendu [traduction] « quelqu’un dire quelque chose au sujet du Moyen-Orient »Note de bas de page 34.

[43] Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve non plus permettant de conclure à l’existence d’une discrimination fondée sur un motif de distinction illicite. La discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique ou nationale est interdite en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce qui inclut toute discrimination contre le prestataire parce qu’il est un immigrant originaire du Moyen-Orient. Toutefois, la division générale n’a été saisie d’aucune preuve d’une politique ou d’une pratique discriminatoire de l’employeur, et la preuve laisse entendre que l’employeur semblait prendre au sérieux la plainte d’un tiers concernant des commentaires qui étaient offensants pour le prestataire. Il n’y a aucune preuve qu’il était plus difficile pour le prestataire d’accéder à des installations ou à des possibilités dans le cadre de son emploi en raison de sa race ou de son origine ethnique ou nationale ou que, dans le cadre de son emploi, l’employeur a par ailleurs traité le prestataire « différemment à son détriment »Note de bas de page 35 pour un motif illicite.

Relations conflictuelles avec le superviseur

[44] J’accepte que le prestataire a eu des relations conflictuelles avec X, son superviseur. Je suis convaincu qu’il était raisonnable pour le prestataire de conclure que X avait une opinion négative de lui, et j’accepte le témoignage du prestataire selon lequel X trouvait continuellement à redire sur son travail. L’employeur a dit à la Commission qu’il n’avait aucun problème avec le rendement du prestataireNote de bas de page 36 et j’accepte donc également que le prestataire était en grande partie compétent. Le prestataire n’a pas décrit bon nombre de ses interactions avec X et il est impossible de déterminer si la perception qu’a le prestataire de l’attitude de X à son égard est juste, mais le directeur confirme qu’il savait que le prestataire n’était pas satisfait de travailler avec X. Il est plausible que le prestataire ait démissionné parce qu’il avait l’impression qu’il ne pouvait plus travailler pour X ou avec lui. Il n’y a aucune preuve réfutant les affirmations du prestataire selon lesquelles sa relation avec X était conflictuelle, et je suis convaincu que la cause était essentiellement imputable à X.

[45] Je me pencherai maintenant sur la question de savoir si les relations conflictuelles qu’entretenait le prestataire avec son superviseur influent sur la question de savoir si le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Dans sa décision, la division générale a cerné plusieurs mesures qu’elle considérait comme étant des solutions raisonnables de rechange au départ et qui étaient ouvertes au prestataire. Notamment, il aurait pu conserver son emploi pendant qu’il en cherchait un autre, il aurait pu communiquer avec la haute direction et les Ressources humaines au sujet de ses préoccupations d’alors, ou encore il aurait pu demander un congé.

Conserver son emploi

[46] S’il était toujours raisonnable de conserver son emploi tout en cherchant un autre emploi, il n’y aurait vraisemblablement aucune circonstance dans laquelle un prestataire pourrait être fondé à quitter son emploi. La question de savoir si le fait de conserver un emploi constitue une solution de rechange raisonnable au départ dépend des circonstances. À cette fin, il faudrait tenir compte de la mesure dans laquelle ces circonstances professionnelles causent ou pourraient causer des difficultés ou des préjudices physiques, psychologiques, économiques ou autres au prestataire, et de la période pendant laquelle on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’un prestataire continue de subir ces difficultés ou préjudices, ou des risques de préjudice.

[47] En l’espèce, je conclus qu’il aurait été raisonnable que le prestataire conserve son emploi encore quelques temps pendant qu’il cherchait du travail. Le prestataire risquait certainement d’être l’objet d’autres critiques injustes de la part de X, ce qui a sans doute été rendu plus désagréable par sa conviction que X le traitait différemment en raison de sa race ou de son ethnicité. Toutefois, la décision du prestataire de quitter son emploi n’était pas urgente. Il est revenu de vacances, a remarqué que X était toujours là, a ressenti la « tension »Note de bas de page 37 et a décidé qu’il en avait assez. Le prestataire avait démontré sa capacité de tolérer le même genre de tension pendant au moins six semaines après l’incident (mesuré de la mi-octobre au début de décembre) avant même de commencer sa recherche d’un autre emploi. Si l’incident s’est produit à la mi-octobre (et non en septembre), le prestataire a quitté son emploi environ trois mois après l’incident, et il a continué de se reporter à cet incident en particulier pour justifier son départ. Il n’a fourni aucun détail véritable au sujet d’autres difficultés qu’il aurait éprouvées au travail dans l’intervalle. Par conséquent, je ne crois pas que les difficultés qu’il a éprouvées au travail aient atteint le point où l’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il continue de travailler. Le fait de conserver son emploi tout en cherchant un autre emploi demeurait une solution de rechange raisonnable à son départ.

Discuter avec la direction

[48] La division générale a également suggéré que le prestataire pourrait s’adresser à la haute direction ou au service des ressources humaines (RH) comme solution de rechange raisonnable à son départ. Le prestataire a reconnu qu’il savait qu’il pouvait communiquer avec les RH de l’employeur ou déposer une plainte auprès des RH, mais il a rejeté cette stratégie parce qu’il croyait que X était ami avec le personnel des RH. Il ne pensait pas que cela n’aiderait pas sa situationNote de bas de page 38 et il ne voulait pas créer de frictions inutilesNote de bas de page 39. Le prestataire n’a pas dit ce qui l’a amené à croire que X avait des amis au sein des RH, ni que personne au sein des RH ne pourrait l’aider en raison de cette amitié.

[49] L’approche du prestataire pour ce qui est de soulever la question à l’interne auprès des RH est semblable à son approche à l’égard de la plainte initiale : Il n’a pas confronté X au sujet des commentaires initialement. Il n’a pas signalé les commentaires au directeur ni dit à ce dernier qu’il était contrarié par les commentaires lorsque le directeur a fait enquête. Selon le directeur, le prestataire ne lui a pas parlé de problèmes continus, même lorsqu’il lui a posé la question.

[50] Dans Canada (Procureur général) c Hernandez Note de bas de page 40, le prestataire a quitté son emploi sans même discuter de la possibilité que ses conditions de travail soient modifiées, et il a été conclu qu’il n’avait pas épuisé les solutions raisonnables de rechange au départ. Ces circonstances sont quelque peu différentes parce que le prestataire et le directeur ont discuté de la possibilité d’apporter des changements aux conditions de travail du prestataire. Le directeur a déclaré qu’il avait précédemment offert de minimiser l’interaction du prestataire avec X et avait dit que les [traduction] « problèmes [du prestataire avec X] pouvaient être réglés »Note de bas de page 41. Bien qu’il ait dit qu’il ne se souvenait pas de l’offre du directeur, le prestataire n’a pas contesté que le directeur avait pu faire l’offre. À mon avis, une telle offre est conforme à l’approche adoptée par le directeur à l’égard des préoccupations du prestataire en général, et j’accepte que le directeur a offert de prendre des mesures d’adaptation. Toutefois, selon le prestataire, il ne voulait pas du tout travailler avec XNote de bas de page 42, et le directeur a dit qu’il n’avait pas accepté son offreNote de bas de page 43.

[51] Le prestataire ne s’est pas non plus adressé aux RH ou à d’autres cadres supérieurs pour demander des mesures d’adaptation supplémentaires. Quoi qu’il en soit, le prestataire a dit à un moment donné à la Commission qu’il [traduction] « aurait pu faire abstraction de la situation si le directeur avait été au bureau plus souvent »Note de bas de page 44, mais qu’il était [traduction] « impossible de n’avoir eu aucune interaction avec X »Note de bas de page 45. Il a témoigné que lorsqu’il lui a demandé de reconsidérer sa décision de partir, le directeur n’était pas disposé à s’engager à modifier les circonstances de travail du prestataire de manière à dissiper ses préoccupationsNote de bas de page 46.

[52] Qu’il soit raisonnable ou non de s’attendre à ce que le prestataire s’adresse spécifiquement aux RH ou s’adresse à la « haute direction », ce qui est clair, c’est que le prestataire n’a pas tiré parti des diverses possibilités au sein de la structure de gestion de l’employeur pour soulever et régler ses préoccupations. Même si l’employeur ne pouvait pas ou ne voulait pas offrir l’assurance que le prestataire n’aurait aucune interaction avec X, je conclus qu’il n’était pas raisonnable que le prestataire ait démissionné sans d’abord collaborer avec le directeur relativement à un plan visant à minimiser ou à atténuer le conflit du prestataire ou ses interactions avec X. Je conclus que le prestataire aurait pu régler ses préoccupations à l’interne et qu’il n’a pas épuisé les solutions raisonnables qui s’offraient à lui avant de quitter son emploi.

Demande de congé

[53] La division générale a également conclu que le prestataire aurait pu demander un congé comme solution de rechange raisonnable à son départ. Étant donné que j’ai déjà accepté que le prestataire avait deux solutions raisonnables de rechange à son départ, je ne me pencherai pas sur la question de savoir s’il aurait pu raisonnablement prendre un congé, puis retourner travailler dans les circonstances mêmes l’ayant amené à demander le congé.

[54] J’ai également examiné la question de savoir si la perception de harcèlement et de discrimination du prestataire, combinée à ses relations conflictuelles avec X, a créé une situation dans laquelle son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Je conclus que non. D’après son propre témoignage, il est clair que le prestataire aurait pu continuer à travailler n’eût été son refus de travailler sous la supervision de X ou à ses côtés. L’incident qui s’est produit avec X avait eu lieu plusieurs mois plus tôt, et il ne s’était pas reproduit. Il a cru que X cherchait à le détruire, mais il avait maintenu une bonne relation avec son directeur régulier. Le climat de travail n’était pas « toxique » au sens objectif.

[55] Compte tenu de toutes les circonstances, je conclus encore qu’il aurait été raisonnable pour le prestataire de tenter avec son directeur de minimiser ses interactions avec X et de conserver son emploi tout en cherchant un autre emploi. Le prestataire n’a pas établi que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas, et je conclus donc qu’il n’était pas fondé à quitter son emploi au sens de l’alinéa 29c) de la Loi sur le MEDS.

 

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 28 février 2019

Téléconférence

Appelant, P. S.

Représentant de l’appelant, Brad Fernandez

Brad Fernandez, représentant de la personne morale mise en cause, X

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