Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant travaillait depuis quelques mois pour X en tant que journalier. Ses fonctions étaient de faire du lavage de maçonnerie. En tant que jeune adulte, il avait comme but d’intégrer le domaine de la construction pour y faire carrière. Suite à un affichage, il a postulé et obtenu un emploi chez X pour le poste de manœuvre dans l’industrie de la construction, incluant l’obtention du certificat de compétence de la Commission de la construction du Québec (CCQ). Une fois à cet emploi, il a démissionné de son poste chez X.

[3] Les choses n’ont pas tourné comme l’appelant l’espérait et il a été mis à pied pour manque de travail environ deux mois suivant son embauche. La Commission de l’assurance-emploi (la Commission) a décidé que l’appelant n’était pas justifié de quitter son emploi parce qu’il n’a pas démontré avoir épuisé toutes les solutions raisonnables avant de quitter.

Questions en litige

[4] Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’appelant avait-il l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat?
  2. Le départ volontaire de l’appelant constituait-il la seule solution raisonnable dans ses circonstances?

Analyse

[5] La question globale qui doit être analysée par le Tribunal est si l’appelant était fondé à quitter son emploi selon la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). L’appelant a admis en preuve qu’il a bel et bien quitté son emploi. En règle générale, une personne qui quitte son emploi de façon volontaire est exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (article 30 de la Loi). Le Tribunal reconnait cependant que parfois une personne peut être fondée à quitter volontairement son emploi et être éligible aux prestations d’assurance-emploi. C’est à elle de faire cette démonstration.

[6] Le paragraphe 29 c) de la Loi énonce une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent justifier le fait qu’une personne quitte volontairement son emploi. Je me suis penchée sur les motifs de départ de l’appelante dans mon analyse en répondant aux questions suivantes :

Question en litige no 1 : L’appelant avait-il l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat?

[7] Parmi les circonstances pouvant rendre une personne justifiée de quitter son emploi, on retrouve au sous-paragraphe 29 c) vi) de la Loi la situation où une personne quitte son emploi lorsqu’elle a l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

[8] Pour les raisons qui suivent, je conclus que l’appelant rempli les conditions du sous-paragraphe 29 c) vi) et avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat. J’estime par conséquent que son départ était justifié.

[9] L’appelant travaillait comme journalier pour X. Il faisait entre 30 et 40 heures d’ouvrage par semaine. L’appelant a indiqué qu’il aimait son travail, mais que son souhait était d’intégrer le domaine de la construction. Il a de plus indiqué qu’il savait que le domaine de la construction offrait de bien meilleures conditions, notamment des avantages sociaux, un salaire plus élevé et des vacances ainsi que plus de possibilités de faire des tâches intéressantes. Un ami qui travaillait déjà pour X lui aurait alors fait part que l’employeur cherchait des manoeuvres. L’appelant a aussi vu une annonce d’offre d’emploi sur la page de la compagnie sur le site web Facebook.

[10] L’appelant a indiqué avoir contacté X et s’est fait dire de se présenter le soir même. L’appelant indique qu’il a rencontré X et X, les propriétaires de l’entreprise. La rencontre a duré une dizaine de minutes. L’appelant affirme que les deux propriétaires lui ont expliqué qu’ils avaient besoin de manœuvres, particulièrement dans la décontamination de l’amiante et qu’ils avaient beaucoup d’ouvrage pour lui pour plusieurs mois à venir. Ils lui auraient ensuite expliqué qu’il ferait d’abord les 150 heures nécessaires pour obtenir ses cartes de la CCQ, mais qu’il n’avait pas à s’inquiéter, qu’il y aurait beaucoup de travail pour lui.

[11] L’appelant a commencé pour le X le 22 juin 2018, soit quelques jours suivant la rencontre. L’appelant affirme avoir complété une formation en décontamination d’amiante le 21 juin 2018, avant même de débuter son emploi, ce qui était indépendant de son attestation de manœuvre qu’il allait obtenir seulement une fois ses 150 heures de travail réalisés. Il travaillait 40 heures par semaine affecté à un chantier de construction. Après avoir combiné ses deux emplois durant environ une semaine, l’appelant a décidé de quitter X.

[12] L’appelant a obtenu sa carte de compétence de manœuvre de la CCQ au cours de l’été, une fois ses 150 heures complétées. Il a continué à travailler. L’appelant a expliqué au Tribunal une situation survenue vers la fin du mois d’août 2018 qui laisse croire qu’un froid s’est créé entre l’employeur et l’appelant. L’employeur affirme que suite à des problèmes d’assiduité, l’appelant a été relayé au bas de la liste d’appel. Ce dernier s’est fait mettre à pied pour manque de travail. Il appert que l’employeur a en quelque sorte boudé l’appelant puisque ce dernier est convaincu qu’il y avait toujours suffisamment d’ouvrage pour le faire travailler. Selon la preuve, incluant le témoignage de l’appelant, il semble que l’attitude de ce dernier n’ait pas été à son meilleur, mais aucune conclusion ne doit être tirée à cet effet puisque cet incident n’est pas pertinent pour le présent litige. Il contribue cependant à établir le contexte de l’appelant. Selon cette preuve, j’accepte que l’appelant ait perdu son emploi de chez X en raison d’un concours de circonstances et non en raison de la nature saisonnière de l’emploi. J’accepte qu’il y avait toujours du travail disponible pour X mais qu’il ait été affecté à d’autres employés.

[13] La Commission soutient que l’appelant n’était pas fondé de quitter son emploi pour X. Elle est d’avis que l’appelant a accepté un emploi avec une garantie de 150 heures seulement afin d’obtenir sa carte de compétence. Elle estime que l’appelant a pris un grand risque en espérant pouvoir travailler suivant sa garantie de 150 heures. En fin, la Commission soutien qu’en quittant un emploi stable pour un emploi saisonnier ne constitue pas une justification au sens de la Loi pour quitter un emploi.

[14] Je ne suis pas d’accord avec le raisonnement de la Commission. Premièrement, l’appelant a attendu avant de quitter son emploi chez X d’être officiellement à l’emploi de X durant une semaine complète. J’estime qu’il a donc agi avec diligence. De plus, j’accepte que l’appelant ait quitté un emploi saisonnier pour un autre emploi saisonnier. On ne peut donc pas dire que l’appelant s’est placé dans une situation plus précaire avec un employeur qu’avec l’autre. Je suis en fait d’avis qu’il s’agit du contraire. L’appelant a fait le saut dans le domaine de la construction non seulement parce qu’il souhaitait améliorer ses conditions de travail, mais aussi parce qu’il a répondu à une annonce et des discussions survenues avec l’employeur à l’effet qu’il y avait beaucoup d’ouvrage dans le domaine. Il s’est fait confirmer de vive voix lors de sa rencontre avec l’employeur qu’il n’avait pas à s’inquiéter de ne pas travailler. J’accorde aussi un poids significatif à l’offre d’emploi déposé en preuve ou on peut lire que X cherche des manœuvres en décontamination pour un an et plus. Cette preuve concrète vient corroborer la version de l’appelant et contredire la déclaration de l’employeur à la Commission. Je comprends que l’employeur n’a pas voulu se commettre en affirmant avoir garanti des heures à l’appelant. Cependant, il est plus que probable que l’employeur ait réellement laissé croire à l’appelant qu’il n’y avait aucune raison qu’il se retrouve en manque de travail.

[15] Je retiens donc de la preuve que bien qu’il ne lui avait offert aucune garantie, l’employeur chez X avait laisser entendre à l’appelant qu’il aurait de l’ouvrage pour plusieurs mois et peut-être même à l’année. J’estime que la conception à l’effet que l’industrie de la construction est saisonnière devient de plus en plus désuète. Il s’avère que de plus en plus de travailleurs de cette industrie travaillent à l’année sans interruption saisonnière. L’appelant a d’ailleurs témoigné à l’effet que X avait des contrats durant toute l’année et qu’il est donc possible d’y travailler à l’année. C’est d’ailleurs ce que à quoi l’appelant l’attendait.

[16] L’appelant a affirmé qu’il n’aurait jamais quitté X s’il avait su que l’emploi pour X allait lui garantir seulement 150 heures.

[17] J’accorde un poids significatif au témoignage de l’appelant qui a expliqué sa situation en détail sans apparence d’exagération ou d’embellissement. J’accorde aussi un poids significatif au fait que l’appelant avait toutes les raisons de croire qu’il quittait un emploi d’entrée de gamme pour un emploi à meilleures conditions qui allait durer plus d’un an. Il ne s’agissait donc pas réellement d’un emploi saisonnier comme le prétend la Commission.

[18] Je retiens de la preuve que l’appelant avait bel et bien l’assurance d’un autre emploi, qu’il a exercé durant plusieurs semaines. Les perspectives de ce nouvel emploi étaient intéressantes et prometteuses. S’il n’était pas un emploi permanent comme tel, l’employeur lui avait tout de même fait croire qu’il n’avait pas à s’inquiéter de se retrouver sans emploi. J’estime que ce point est important. Je suis d’avis qu’il est de la responsabilité de tout assuré d’assurance-emploi de ne pas provoquer délibérément la réalisation du risque de chômage. En l’espèce, j’estime que ce n’est pas du tout le cas pour l’appelant. Il a été diligent en ne quittant pas son emploi chez X avant d’avoir formellement un emploi avec X. Il avait donc plus que l’assurance raisonnable d’un autre emploi, il en avait la certitude. Il a donc respecté ses obligations d’assuré.

[19] Je suis d’accord avec l’appelant que ce qui se passe après l’embauche d’une personne ne peut être retenu contre elle. Or, lorsqu’une personne avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi et que plus tard, elle se retrouve malgré elle en situation de chômage, elle ne peut être pénalisée pour des circonstances hors de son contrôle. Je note d’ailleurs que le Guide de la détermination de l’admissibilité qui n’a pas force da Loi, mais qui s’avère un outil de travail de la Commission fort utile indique que « Le seul fait que l’emploi ne se soit pas concrétisé ou qu’il se soit avéré par la suite n’être que de courte durée, ne jouera pas contre la personne qui a agi de bonne foi. » Cette application de la Loi est d’ailleurs confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Tanguay, A-1458-84.

[20] J’estime en l’espèce que l’appelant a agi de bonne foi. Malgré que son attitude face à la situation qui a mené à sa mise à pied pour manque de travail me laisse perplexe, cela ne change rien au fait que lorsqu’il a quitté son emploi chez X, il l’a fait de bonne foi en ayant l’assurance de s’être trouvé un emploi meilleur qui allait lui offrir du travail pour longtemps.

[21] Sur la balance des probabilités, je conclus que l’appelant rencontre les exigences du sous-paragraphe 29 c) vi) de la Loi et que son départ volontaire était justifié.

[22] L’appelant a soutenu qu’en cas de preuve équivalente, il fallait accorder le bénéfice du doute à l’appelant en application de l’article 49.1 de la Loi. Le Tribunal souhaite rappeler que l’article 49(2) de la Loi prévoit que la Commission doive accorder le bénéfice du doute au prestataire lorsque les éléments de preuve présentés de part et d’autre sont équivalents. Cet article concerne les règles de preuve auxquelles la Commission soit se conformer, mais qui ne s’applique nullement au Tribunal. Il serait une erreur pour le Tribunal de s’approprier cet article.

Question en litige no 2 : Le départ volontaire de l’appelant constituait-il la seule solution raisonnable dans ses circonstances?

[23] En général, afin de déterminer si une personne était fondée à quitter son emploi, cette dernière ne doit pas seulement démontrer qu’elle a quitté en raison d’exceptions indiquées à l’alinéa 29 (c) de la Loi. Elle doit de plus démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas (Canada (Procureur général) c Patel, 2010 CAF 95 (Patel), Bell, A-450-95, Landry, A-1210-92). En effet, le juge Létourneau dans la décision Hernandez rappelle qu’en conjonction avec les exceptions citées à l’article 29 de la Loi, il est impératif de considérer si le fait de quitter volontairement son emploi constituait la seule solution raisonnable et que de ne pas le faire constituerait une erreur de droit (Hernandez, 2007 CAF 320).

[24] Cependant, j’estime que la notion de seule solution raisonnable ne s’applique pas à une personne qui quitte son emploi ayant eu l’assurance raisonnable d’un autre emploi. La raison à cette exception est simplement que de fait, il est difficile, voire impossible, de soutenir ou de conclure qu’une personne qui quitte volontairement son emploi pour en occuper un autre l’a fait nécessairement parce que son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas, ce qui a été reconnu par la Cour d’appel fédérale (Marier, 2013 CAF 39; Langlois, 2008 CAF 18; Campeau, 2006 CAF 376).

[25] Comme j’ai conclu que l’appelant avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat, je ne traiterai pas davantage de la notion de seule solution raisonnable.

Conclusion

[26] L’appel est accueilli.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 24 avril 2019

Téléconférence

N. D., appelant

Maxime Gilbert, représentant de l’appelant

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