Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté. La Commission a prouvé que le prestataire a quitté volontairement son emploi. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, le prestataire n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le départ constituait la seule solution raisonnable. 

Aperçu

[2] Le prestataire travaillait comme conducteur de grand routier en Ontario et exploitait une entreprise possédant des ensembles tracteur-remorque avec différents itinéraires au Canada et aux États-Unis. Le prestataire s’est plaint à plusieurs reprises à son patron que la cabine de son camion sentait la fumée d’échappement, laquelle, selon lui, était causée par une fuite dans le système d’échappement. Pour faire suffisamment d’argent, le prestataire conduisait le nombre d’heures et de jours maximal permis jusqu’à [traduction] « l’épuisement professionnel », selon ses propres mots. Il a pris deux semaines de congé puis a quitté le jour suivant son retour au travail. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a exclu le prestataire du bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi (AE) parce qu’elle a déterminé qu’il a volontairement quitté son emploi sans justification. Le prestataire a fait une demande de révision, mais la Commission a maintenu sa décision. Le prestataire a interjeté appel de la décision découlant la révision de la Commission devant le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

Question en litige no 1 : Le prestataire a-t-il quitté volontairement son emploi?

Question en litige 2 : Si oui, le prestataire était-il fondé à quitter son emploi?

Analyse

[3] Une personne prestataire est exclue du bénéfice de prestations d’AE s’il a quitté volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1.

[4] Il revient à la Commission de prouver que le départ était volontaire et, une fois la preuve établie, le fardeau de la preuve passe au prestataire qui doit alors démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi. Le fardeau de la preuve, dans la présente cause, est la prépondérance des probabilités, cela veut dire « qu’il est plus probable qu’improbable » que les faits se soient produits tels qu’ils ont été décrits.

Question en litige no 1 : Le prestataire a-t-il quitté volontairement son emploi?

[5] Oui, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, le prestataire a effectivement quitté volontairement son emploi. Pour déterminer si une personne prestataire a quitté son emploi, la question à se poser est de savoir si le prestataire avait le choix entre rester ou quitter son emploiNote de bas de page 2.

[6] Le prestataire a déclaré qu’il a conduit le camion de son employeur vers la province où il vit et qu’il a ensuite pris deux semaines de congé. Alors qu’il rapportait le camion en Ontario pour continuer son travail, celui-ci est tombé en panne sur la route 401 dans cette province. Le jour suivant, au garage, il a parlé à son patron. Le prestataire a déclaré avoir dit à son patron qu’il y avait quelque chose de différent en lui et qu’il croyait qu’il avait le syndrome de l’épuisement professionnel du camionneur. Il a alors demandé à son patron s’il pouvait le mettre à pied jusqu’à ce que les choses s’arrangent. Le patron a refusé. Le prestataire a déclaré que son patron avait reconnu qu’il serait bénéfique pour le prestataire de ne pas faire de camionnage jusqu’à ce qu’il comprenne ce qui lui arrive. Le prestataire lui a ensuite dit qu’il démissionnerait et qu’il prendrait l’avion pour retourner dans sa province. De ce fait, même si l’employeur a accepté que le prestataire ne fasse pas de camionnage pendant un certain temps afin de résoudre ses problèmes, j’estime que ce dernier a amorcé la séparation avec son employeur lorsqu’il a choisi de quitter son emploi après le rejet de sa demande de mise à pied. Par conséquent, je conclus que le prestataire a volontairement quitté son emploi.

Question en litige 2 : Si oui, l’appelant était-il fondé à quitter son emploi?

[7] Non, je juge que le prestataire n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi au moment où il l’a fait.

[8] Pour prouver s’il était fondé à quitter son emploi, le prestataire doit démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, il n’avait aucune autre solution raisonnable que celle de partir compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 3.

[9] La Loi énumère quelques situationsNote de bas de page 4 que je dois considérer pour déterminer si un prestataire a prouvé qu’il a quitté son emploi sans justification. Cependant, les circonstances énumérées ne sont pas les seules permettant de démontrer l’existence d’une justification. Le prestataire doit prouver que ses circonstances, qu’elles soient énumérées dans la Loi ou non, démontrent qu’il est plus probable qu’improbable qu’il était fondé à quitter son emploi. Même quand une des circonstances énumérées existe, le prestataire doit quand même prouver que le départ constituait la seule solution raisonnable et je dois, de mon côté, « tenir compte de toutes les circonstancesNote de bas de page 5 ».

[10] Une des circonstances à considérer est « conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécuritéNote de bas de page 6 ». Pour celle-ci, je dois juger si le fait pour le prestataire de quitter volontairement son emploi parce qu’il avait peur de conditions de travail dangereuses était la seule solution raisonnable qui s’offrait à luiNote de bas de page 7.

[11] Le prestataire a déclaré qu’il avait pris les dispositions nécessaires pour travailler pour cet employeur quand il était aux études dans sa province d’origine alors qu’il apprenait à conduire des camions gros porteurs. Il a pris l’avion pour l’Ontario et a commencé à conduire le camion d’une entreprise. Il vivait dans la cabine du camion, où il y avait un compartiment-lit, car il n’avait pas de résidence en Ontario. Le prestataire a travaillé pour l’employeur du 24 juin au 23 octobre 2018, et, pendant cette période, il a passé un total de trois nuits hors de son camion, alors qu’il est resté chez des membres de la famille. Le prestataire a déclaré qu’il n’avait pas apporté son auto en Ontario et que son seul moyen de transport était son camion.

[12] Le prestataire a déclaré que quand il a commencé à travailler pour cette entreprise, il pouvait déjà sentir les fumées d’échappement dans la cabine de son camion. Il a affirmé qu’il y avait une fuite dans le système d’échappement située à deux pieds sous l’entrée d’air de la cabine du camion. Lorsque le camion était en mouvement, l’air qui entrait faisait diminuer l’odeur. Quand il s’arrêtait à un relais routier pour la nuit, il faisait marcher le moteur de son camion pour faire fonctionner l’air climatisé de la cabine pendant qu’il dormait. Le prestataire a déclaré qu’il se réveillait le matin en s’estimant chanceux de n’être pas mort dans son sommeil. Le prestataire a fourni des images du moteur du camion sur lesquelles il affirme que l’on pouvait voir la fuite du tuyau d’échappement. Après l’audience, le prestataire a fourni une série de messages texte entre lui-même et un ancien employé de la compagnie qui a conduit le même camion. Les messages texte comprenaient des images du moteur et l’ancien employé y suggérait que le collecteur était absent ou que le problème provenait du joint d’étanchéité. Le prestataire a affirmé qu’il a mentionné à plusieurs reprises qu’il y avait une odeur de fumée d’échappement dans le camion et qu’il lui a demandé de faire réparer le camion. Il a aussi déclaré qu’un collègue est venu dans la cabine du camion avec sa conjointe et que celle-ci avait remarqué l’odeur. Il a affirmé que la conjointe du collègue avait envoyé un message texte au patron pour lui demander de faire réparer la fuite. Le prestataire a affirmé qu’une semaine plus tard, il avait demandé à son patron de faire rentrer le camion au garage pour faire réparer la fuite du tuyau d’échappement et que celui-ci avait accepté. Il a aussi déclaré que quand il a apporté le camion au garage le jour suivant, il s’est rendu compte qu’aucun rendez-vous n’avait été pris pour effectuer la réparation. 

[13] Le prestataire a déclaré qu’il recevait en salaire un certain pourcentage de la valeur de la cargaison qu’il livrait. S’il tirait une remorque à fond plat, il devait prendre le temps de fixer la cargaison. Il a déclaré qu’à trois occasions, il a subi un coup de chaleur alors qu’il fixait celle-ci. Le prestataire a déclaré que ses heures de travail étaient régulées par le ministère des Transports. Ses heures de camionnage étaient enregistrées dans un carnet de route numérique. Quand il conduisait aux États-Unis, il était limité à 11 heures de camionnage par jour. Au Canada, il était limité à 13 heures par jour. Quand il traversait la frontière entre les deux pays, c’était les limites de camionnage du pays de destination qui s’appliquaient. En plus de la limite quotidienne, le prestataire devait respecter la limite de 70 heures de conduite sur une période de 7 jours. Le prestataire a déclaré que parce qu’il était payé en fonction de son chargement, il travaillait le plus d’heures possibles. Il travaillait jusqu’à ce que [traduction] « son carnet de route soit rempli », ce qui signifiait qu’il ne pouvait plus conduire parce qu’il avait atteint la limite quotidienne ou la limite de 70 heures. Le plus long congé qu’il a pris quand il travaillait avait duré 36 heures et cela était dû à des contraintes réglementaires. Il était censé prendre une pause de 30 minutes, mais il a choisi de seulement en prendre 15, parce qu’il ne pouvait pas perdre de temps. 

[14] Le prestataire a déclaré qu’il était nécessaire de garder les courtiers heureux. Les courtiers sont les gens qui ont conclu des marchés avec l’entreprise pour transporter des cargaisons. Le prestataire a déclaré que même si Google Maps indiquait la distance et le temps d’un itinéraire, les clients ne réalisaient pas toujours que la journée de travail était limitée par la loi. Ils étaient donc parfois contrariés quand la cargaison n’arrivait pas au moment où ils pensaient qu’elle aurait dû arriver. Le prestataire a affirmé qu’il avait un horaire de « chargement à chargement » et qu’il devait toujours se dépêcher pour livrer la marchandise. Il trouvait cela stressant. Il voulait gagner le plus d’argent possible, alors il prenait le plus de cargaisons possible. Les seuls congés qu’il a pris étaient ceux que lui imposait la loi. Une fois, il a conduit 12 jours d’affilée. Le prestataire a déclaré dans son appel qu’il perdait de l’argent quand il allait aux États-Unis avec son camion, parce qu’il était payé en dollars canadiens, mais qu’il devait payer avec de l’argent américain ses repas prêts à manger. Le taux de change de 70 % rend ses achats en argent américain beaucoup plus chers que ses achats faits au Canada. Il vivait dans la partie dans la cabine où se trouvait le compartiment-lit, et il ne pouvait pas cuisiner lui-même ses repas. Le prestataire a aussi déclaré que le coût de l’accès Internet était très élevé. 

[15] Le prestataire a déclaré qu’il a un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et qu’il avait arrêté sa médication en 2000. Il affirme qu’en raison de difficultés financières causées par la perte de son emploi il y a quelques années, il a développé des problèmes de santé mentale, dont des pensées d’automutilation. Le prestataire a déclaré qu’il suivait une thérapie pour ses problèmes de santé mentale. Le prestataire a affirmé qu’il recevait aussi de l’aide d’un non-professionnel de la santé pour apprendre à rediriger ses pensées. Le prestataire a déclaré qu’il se sentait extrêmement seul quand il était sur la route. Il engageait la conversation avec des étrangers quand il s’arrêtait. Le prestataire a déclaré que quand il a quitté son emploi, il se sentait comme dans un brouillard. Il a expliqué qu’alors qu’il continuait à travailler, il a commencé à sentir dans la même pièce sombre qu’avant, à l’époque où il voulait s’automutiler. Le prestataire a déclaré qu’on lui a appris à se retirer des situations où il y avait un risque qu’il se blesse. Il a dit que quand il est retourné chez lui, les membres de sa famille et ses amis lui ont dit qu’il n’avait pas l’air de s’aimer et il a pris un mois à se rétablir. 

[16] Le prestataire a déclaré qu’en octobre 2018, il a transporté une cargaison vers sa province et qu’il a alors pris deux semaines de congé, en laissant le camion de l’entreprise chez lui. Il en a profité pour consulter un médecin à sa clinique habituelle. Il voyait ce médecin pour la première fois. Le prestataire a affirmé qu’il lui a expliqué comment il se sentait. Il a déclaré que le médecin lui avait dit qu’il n’avait pas les compétences professionnelles pour l’aider et qu’il l’a alors dirigé vers un psychologue pour que celui-ci évalue s’il devait prendre des médicaments pour traiter son TDAH. Il a pris un rendez-vous avec le psychologue en novembre 2018. Le prestataire a déclaré que la médecin ne lui a pas recommandé de traitement, elle ne lui a pas recommandé non plus de conserver ou de quitter son travail. 

[17] Le prestataire a déclaré qu’il a rapporté le camion en Ontario. Alors qu’il conduisait sur l’autoroute 401, le camion a commencé à perdre de la vitesse et il s’est rangé sur le bord de la route. Il a pu le refaire marcher et l’a apporté à un garage. Après avoir stationné le camion, de la fumée a commencé à sortir du capot. Il a déclaré qu’il a regardé sous le capot et qu’il a vu la fuite du tuyau d’échappement. Le prestataire a rencontré son patron le jour suivant au garage où se trouvait le camion. Il lui a alors dit qu’il allait démissionner. 

[18] La Commission a soutenu que les allégations du prestataire selon lesquelles la mécanique du camion n’était pas en bon état et que l’employeur ait refusé de l’envoyer au garage est réfuté par la preuve de l’employeur selon laquelle le camion avait passé avec succès l’inspection de sécurité obligatoire et qu’il avait été envoyé au garage avant que le client ne quitte son emploi. La Commission a aussi soutenu que les raisons données par le prestataire selon lesquelles il devait payer sa nourriture et ses données cellulaires quand il travaillait aux États-Unis et qu’il n’était pas remboursé par l’employeur pour son GPS ont toutes été réfutées par l’employeur. 

[19] L’employeur a dit à la Commission que l’entreprise n’assume pas les frais des repas et qu’il pouvait déduire ces dépenses de son impôt sur le revenu. Les phares du camion étaient en ordre de marche et c’est le prestataire qui a refusé de conduire la nuit en raison de ses problèmes de concentration. Pour ce qui est de la consommation de données, l’employeur a dit au prestataire de s’acheter un forfait, et qu’il en paierait la moitié. L’employeur lui avait proposé d’acheter une adhésion d’un an à une chaîne de relais routier nationale. L’application logicielle, au nom de Keep Trucking [sic], que le prestataire devait utiliser offrait un nombre limité de données et les autres conducteurs n’avaient aucun problème à l’utiliser.

[20] La Commission a soutenu que le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi parce qu’il n’a pas épuisé toutes les autres solutions raisonnables avant de quitter son emploi. La Commission a déclaré que parmi les solutions raisonnables autres que celle de partir il y avait les suivantes : prendre une période de congé pour passer du temps en famille et recevoir un traitement médical pour ses problèmes de santé; retourner travailler ensuite et choisir de prendre moins de cargaisons jusqu’à ce qu’il soit capable de se trouver un travail qui lui convient. Aussi, à défaut d’être capable de retourner faire du camionnage de grand routier, il aurait pu fournir une preuve médicale à cet effet. De plus, la Commission a soutenu que le prestataire aurait pu communiquer avec une autorité réglementaire s’il estimait que le camion était toujours non sécuritaire après avoir été inspecté et autorisé à reprendre la route. 

[21] Le prestataire a déclaré que lorsqu’on lui a expliqué le travail, on avait évité de lui dire bien des choses, et que s’il avait su d’avance les conditions dans lesquelles il allait travailler, il n’aurait pas accepté le travail. Il a affirmé qu’il avait discuté de la question du Wi-Fi avec l’employeur et qu’il y avait accès dans certains relais routiers avec des frais partagés avec son employeur. Il a déclaré que lors de son embauche, il avait été convenu que les frais associés aux repas ne seraient pas assumés par l’employeur. 

[22] Le prestataire a affirmé que lorsqu’il a quitté son emploi, il ne pouvait plus continuer ainsi. Il a affirmé qu’après ce qui s’est passé avec son employeur, il a cru que ce dernier avait coupé les ponts avec lui. Le prestataire a affirmé que s’il avait fait une demande de prestations de maladie de l’AE, il aurait été obligé de retourner travailler pour son employeur, et que c’est la raison pour laquelle il n’a pas demandé de congé autorisé. Le prestataire a soutenu que le fait de prendre moins de cargaisons ne constituait pas une solution raisonnable en raison de son état mental. Selon lui, il était préférable pour sa santé et celle des autres qu’il ne soit pas sur la route. Le prestataire a déclaré qu’il avait demandé à son patron de le mettre à pied, mais qu’il avait refusé. 

[23] La preuve du prestataire indique qu’il travaillait autant d’heures qu’il lui était possible de le faire, et qu’il se sentait [traduction] « brûlé » au point où il avait subi une réapparition de ses précédents problèmes de santé mentale et des pensées d’automutilation. J’estime qu’il aurait été raisonnable que le prestataire demande une période de congé, ou qu’il prenne moins de cargaisons pour avoir du temps pour pouvoir s’occuper de ses problèmes et passer moins de temps, en général, sur la route. 

[24] Le prestataire a fait de nombreuses références à l’existence d’une fuite dans le tuyau d’échappement qui, selon lui, faisait entrer le gaz d’échappement dans la cabine du camion. L’employeur a fourni trois factures décrivant les réparations qui ont été faites sur le camion conduit par le prestataire. Le dossier d’appel contient un élément de preuve démontrant que le camion a subi une inspection avant que le prestataire ne commence à travailler et que le camion avait été conduit par les personnes responsables de son entretien. Deux de ces factures concernaient des réparations faites avant que le prestataire ne commence à travailler. Une des factures, datée du 19 avril 2018, démontre qu’un essai routier a été fait dans le cadre du travail. Une autre d’entre elles, datée du 4 mai 2018, concernait une [traduction] « inspection de sécurité annuelle ». Elle énumère un certain nombre de réparations apportées au camion. Aucune preuve ne démontre qu’une fuite dans le tuyau d’échappement a été découverte à l’une ou l’autre de ces occasions. Une facture, datée du 10 septembre 2018, concernant des réparations faites pendant que le prestataire travaillait, décrit la raison de la visite au garage comme suit : [traduction] « Camion diminué [sic], aucune restauration [sic] ne sera réalisée. » Le prestataire a déclaré qu’il était au garage, situé à New Castle, au Delaware, le 9 septembre 2018, pendant la réparation du camion. La facture pour la réparation du 9 septembre 2018 se trouve dans le dossier d’appel et elle prouve que le prestataire a payé la réparation et qu’il a été plus tard remboursé par l’employeur. La facture contenait une note anonyme écrite à la main indiquant [traduction] « Camion au garage pour réparation. Vérification de toutes les fuites demandée. Aucune fuite n’a été trouvée comme vous pouvez le voir dans le résumé. Cela a eu lieu juste avant qu’il quitte son emploi ». Le prestataire affirme qu’au garage, le 9 septembre 2018, il a informé le mécanicien de la fuite du tuyau d’échappement. Il a soutenu que le mécanicien lui avait dit [traduction] « ça fait dur » et que son patron lui a dit que ce serait réparé lorsqu’il reviendrait en Ontario. Le camion a aussi été conduit par un mécanicien pendant la réparation du 9 septembre 2018. Rien n’indique sur la facture que la raison de la visite au garage était la fuite du tuyau d’échappement. Rien n’indique non plus qu’il y avait une fuite du tuyau d’échappement à ce moment ou qu’une réparation a été effectuée sur une fuite du tuyau d’échappement. Selon moi, il n’est ni raisonnable ni probable qu’un mécanicien, après avoir été mis au courant d’une fuite du tuyau d’échappement et avoir commenté la chose, laisse une personne repartir avec le véhicule. L’employeur a dit à la commission qu’en plus des réparations indiquées sur les factures qu’il a fournies à la Commission, le prestataire a aussi apporté le camion quatre jours avant de quitter son emploi à un endroit en Nouvelle-Écosse pour y faire changer un filtre à carburant, et qu’il n’y avait pas de fuite dans le tuyau d’échappement à ce moment. Le prestataire n’a pas fait référence à la fuite du tuyau d’échappement dans la raison qu’il a fourni pour avoir quitté son emploi quand il a rempli sa demande de prestations d’AE. Il a déclaré qu’il ne pensait pas que c’était pertinent de le mentionner. 

[25] Le prestataire a affirmé qu’il n’a signalé les problèmes du camion à aucune autorité réglementaire parce que s’il avait signalé un problème, son patron aurait fini par le savoir et qu’il l’aurait probablement congédié. J’estime qu’il aurait été raisonnable que le prestataire signale le problème de fuite à une autorité réglementaire. Selon moi, en ne le faisant pas, le prestataire n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le fait de quitter son emploi en raison de ses craintes concernant le tuyau d’échappement était la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui.

[26] Lorsqu’une personne prestataire cite des raisons de santé pour justifier le fait d’avoir quitté son emploi, je dois trancher en me fondant sur le fait de savoir si, en raison de la santé du prestataire, la seule solution raisonnable consistait à quitter son emploi. La preuve médicale ne doit pas obligatoirement prendre la forme d’un certificat remis par un médecin. Elle peut prendre plusieurs formes, il peut s’agir d’une preuve verbale ou écrite provenant de la personne elle‑même, d’un spécialiste ou d’autres personnesNote de bas de page 8. L’existence ou l’absence d’un certificat médical est une question de preuve. En présence d’une preuve médicale, la preuve soutenant la position du prestataire pourrait être plus solide qu’en l’absence de celle-ci. Par contre, je reste ouvert, même en l’absence d’un certificat médical, à la possibilité de conclure qu’une personne était fondée à quitter son emploiNote de bas de page 9.

[27] À l’audience, le prestataire a déclaré qu’il était dans le brouillard à l’époque où il a quitté son emploi. Il a expliqué qu’il se sentait comme s’il venait juste de se réveiller le matin. Il a déclaré qu’il n’a pas cherché de l’aide médicale en Ontario parce qu’il n’avait pas de moyen de transport pour se rendre à l’hôpital et pas de carte provinciale de soin de santé. Il est bel et bien allé chercher de l’aide médicale pendant ses deux semaines de congé dans sa province d’origine. Il a soutenu que dans son esprit, au moment où il a quitté, c’était soit il quittait son emploi, soit il s’automutilait. Le prestataire a déclaré qu’il a éprouvé des problèmes de santé similaires quelques années auparavant et qu’il avait suivi un traitement. Il se souvenait que pendant son traitement, il a signé un contrat stipulant qu’il ne s’automutilerait pas avant son prochain rendez‑vous. Lorsqu’il était dans sa province d’origine, il n’a pas été satisfait du résultat de la visite qu’il a fait chez le médecin. Il a déclaré qu’il a essayé de contacter son ancien médecin dans la ville où il vivait auparavant, mais que c’était comme [traduction] « crier à un mur ». Le médecin qu’a consulté le prestataire dans sa province d’origine ne lui a pas recommandé de quitter son emploi. Il a plutôt organisé une rencontre avec psychologue, le mois suivant, pour qu’il évalue son TDAH et détermine s’il devait reprendre sa médication. Il n’y a pas d’élément de preuve démontrant que le prestataire a déclaré à son médecin ou à quiconque à l’époque à laquelle il a laissé son emploi que s’il n’avait pas quitté son emploi il se serait automutilé. Le prestataire a affirmé qu’il n’a pas cherché de preuve médicale pour démontrer qu’il était incapable de retourner faire du camionnage de grand routier pour des raisons de santé parce qu’il ne voulait pas quitter complètement le camionnage, mais seulement cet emploi en particulier. J’admets le témoignage du prestataire selon lequel il sentait qu’il ne pouvait pas rester à son emploi parce que cela affectait sa santé mentalement. J’admets aussi qu’il a eu de la difficulté à accéder aux soins de santé mentale dont il avait besoin pour éviter ses pensées d’autodestruction. Toutefois, j’estime que le prestataire n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que ces raisons faisaient en sorte qu’il n’avait pas de choix raisonnable autre que celui de quitter son emploi au moment où il l’a fait. Le prestataire avait la solution raisonnable d’aller chercher de l’aide médicale, notamment en organisant son transport vers des cliniques locales en Ontario pour se faire évaluer. 

[28] Il y a une distinction à faire entre « avoir un motif valable » et « avoir une justification » pour quitter volontairement son emploi. Il n’est pas suffisant pour une partie prestataire de prouver qu’elle avait raison de quitter son emploi; agir de façon raisonnable peut constituer un « motif valable », mais cela ne constitue pas une « justification ». Il faut démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnableNote de bas de page 10. Le terme « justification » n’est pas synonyme de « raison » ou « motifNote de bas de page 11 ». Bien que le prestataire ait pu avoir l’impression qu’il avait une bonne raison de quitter volontairement son emploi, avoir une bonne raison ne suffit pas nécessairement à satisfaire le critère « justificationNote de bas de page 12 ».

[29] Le prestataire a déclaré qu’il était prêt à faire les efforts nécessaires pour recommencer à conduire. Il a affirmé qu’il ne voulait pas arrêter le camionnage, mais seulement quitter cet emploi en particulier. Même si le prestataire a donné de bonnes raisons pour quitter cet emploi, notamment pour préserver sa santé mentale, je juge qu’il n’a pas prouvé que le départ constituait la seule solution raisonnable. Le prestataire avait la solution raisonnable de demander une période de congé ou de prendre moins de cargaisons, de signaler la fuite du tuyau d’échappement à un organisme réglementaire ou d’aller chercher de l’aide médicale, notamment en organisant son transport vers des cliniques locales en Ontario pour se faire évaluer. Il n’a recouru à aucune de ces solutions. Par conséquent, je conclus que la décision du prestataire de quitter son emploi ne satisfait pas le critère d’avoir une justification pour avoir quitté volontairement son emploi comme l’exigent la Loi et la jurisprudence décrite ci-haut.

Conclusion

[30] L’appel est rejeté.

 

Date de l’audience :

Le 9 avril 2019

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparution :

C. K., appelant

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