Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante travaille en tant que préposée aux bénéficiaires en résidence pour personnes âgées depuis le mois d’octobre 2004. Durant ces 15 dernières années, elle a travaillé pour le seul et même employeur. En septembre 2018, l’employeur a suspendu l’appelante pour une durée de 3 mois pour maltraitance envers une résidente de la résidence pour personnes âgées où elle travaille.

[3] L’appelante a fait sa demande de prestations d’assurance-emploi pour la durée de sa suspension. La Commission de l’assurance-emploi (la Commission) l’a exclue du bénéfice des prestations parce qu’elle juge que l’appelante a été suspendue en raison de sa propre inconduite.

Question en litige

[4] Le Tribunal doit décider si l’appelante a été suspendue de son emploi en raison de sa propre inconduite au sens de la Loi.

Analyse

[5] De façon générale, l’article 31 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) indique qu’un prestataire qui est suspendu de son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestations. Le fardeau de preuve repose sur la Commission qui doit démontrer selon la prépondérance des probabilités que la preuve supporte l’inconduite reprochée (Crichlow A-562-97).

Question en litige: L’appelante a-t-elle été suspendue en raison de sa propre inconduite?

[6] Le mot « inconduite » n’est pas défini comme tel dans la Loi, mais les tribunaux ont établi au fil de la jurisprudence des principes servant de guide aux décideurs. Il s’agit largement d’une question de circonstances (Bedell A-1716-83). En matière d’inconduite, le Tribunal doit analyser les faits et en arriver à la conclusion que le manquement reproché est d’une telle portée que son auteur pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer des mesures disciplinaires allant jusqu’au congédiement (Locke 2003 CAF 262; Cartier 2001 CAF 274; Gauthier, A-6-98).

[7] Dans le présent cas et pour les raisons qui suivent, j’estime que l’appelante a été suspendue en raison de sa propre inconduite.

[8] En l’espèce, le 21 août 2018, les membres de la famille de la résidente ont déposé une plainte à l’employeur à propos d’événements survenus le 10 août 2018 dans la chambre de la patiente. L’employeur a mené son enquête et conclu que l’appelante avait fait preuve de maltraitance intentionnelle grave à l’égard de X, une résidente.

[9] Avant de pouvoir déterminer si certains gestes ou comportements constituent de l’inconduite, j’ai d’abord dû me poser la question si les actes reprochés ont bel et bien été commis par l’appelante. L’opinion de l’employeur ou son interprétation des événements ne lie le Tribunal d’aucune façon. Je dois poser mes propres conclusions selon la Loi sur l’assurance-emploi. En effet, pour que le Tribunal puisse conclure à l’inconduite, il doit disposer des faits pertinents et d’une preuve suffisamment circonstanciée pour lui permettre, d’abord, de savoir comment l’employée a agi et, ensuite, de juger si ce comportement constituait de l’inconduite (Meunier A-130-96).

[10] L’employeur affirme avoir une preuve vidéo provenant d’une caméra cachée et installée par la famille de la résidente. La preuve vidéo n’a pas été déposée en preuve. Cependant, un verbatim décrivant les événements du 10 août 2018 a été fourni à l’appelante par son employeur et déposé en preuve au dossier d’appel.

[11] À l’audience, l’appelante a décrit les événements du 10 août 2018 tels qu’elle se souvenait. Elle a même fait une courte simulation des événements pour le Tribunal, tentant de démontrer sa conduite. Lorsqu’interrogée à propos du verbatim, l’appelante a reconnu être d’accord avec ce qui y est rapporté. Basé sur cette preuve, je conclue que le comportement de l’appelante a été tel que décrit au verbatim, considérant quelques nuances apportées par cette dernière. Notamment, j’accepte l’argument de l’appelante à l’effet qu’il peut être difficile d’évaluer à partir d’une bande vidéo la force, comme par exemple lorsqu’elle tenait les mains de la patiente. Le verbatim ne peut donc pas décrire parfaitement la conduite et l’intensité de certaines actions. Mais de façon globale, l’appelante a admis que sa conduite était celle décrite au verbatim. Je retiens par conséquent de la preuve que l’appelante a crié et/ou parlé fort à la résidente, qu’elle l’a empoignée par le bras pour la lever contre son gré, qu’elle a serré les doigts de la résidente pour qu’elle lâche les siens, qu’elle lui a tenu les mains pour se protéger et aussi pour permettre à son collègue de faire la toilette à la résidente. Je retiens de plus que l’appelante et son collègue ont continué à faire leurs tâches de soins même si la résidente était agitée, agressive et qu’elle criait de la laisser.

[12] Est-ce qu’une telle conduite constitue de l’inconduite? J’estime que oui. D’abord, je note que l’appelante a admis que sa conduite n’avait pas été la meilleure. Elle a admis qu’elle avait depuis changé son approche et amélioré son comportement en utilisant plus de communication auprès des résidents. Il est raisonnable de croire qu’il est admis que les gestes de l’appelante étaient répréhensibles puisqu’elle a abordé la situation avec force plutôt qu’avec douceur.

[13] Cependant, une conduite répréhensible ne mène pas automatiquement à une conclusion d’inconduite (Locke 2003 FCA 262). Dans l’affaire Tucker A-381-85, la Cour a établi que pour « (…) constituer de l’inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement. » La conduite répréhensible doit constituer un manquement d’une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer une mesure disciplinaire (Meunier, A-130-96).

[14] Dans l’affaire Hastings 2007 CAF 372, la Cour réaffirme les principes de Tucker sur la notion d’inconduite et la nécessité que l’élément psychologique soit présent. Ainsi la Cour a établi qu’il « (…) y a inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié». Bien qu’il n’y ait pas de congédiement en l’espèce, le même raisonnement s’applique à une suspension.

[15] Or, je suis d’avis que considérant la nature du travail de l’appelante, elle aurait dû savoir que sa conduite auprès de X le soir du 10 août 2018 n’était pas compatible avec les attentes de son employeur et par le fait même pouvait mettre son emploi à risque.

[16] J’estime qu’il est implicite que le rôle de préposé aux bénéficiaires implique les soins de personnes vulnérables et que par conséquent, un préposé est attendu à fournir les soins nécessaires de façon bienveillante, exempts de cris et d’utilisation de la force. L’appelante ayant œuvré dans ce domaine et pour le même employeur depuis les quinze dernières années, elle aurait dû savoir que le type de conduite répréhensible qu’elle a eu n’est pas toléré.

[17] En plus d’être implicite, je retiens de la preuve que l’employeur avait une politique claire à propos du type de conduite de l’appelante. La politique du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal pour contrer la maltraitance envers les aînés vulnérables édicte des principes à respecter par toute personne amenée à côtoyer un aîné ou toute personne hébergée vulnérable. Cette politique s’applique entre autres aux préposés aux bénéficiaires. Il est admis par l’appelante que X était une personne âgée hébergée vulnérable. La Politique indique clairement la tolérance zéro face à toute forme d’abus. Elle indique aussi que la maltraitance peut être intentionnelle ou non intentionnelle. J’estime en l’espèce que la maltraitance n’était pas intentionnelle en ce sens que l’appelante ne voulait pas nécessairement causer de tort à la résidente. Elle voulait simplement procéder à l’hygiène de la résidente, ce qui était nécessaire en raison de ses selles.

[18] J’estime cependant qu’il y a eu maltraitance selon la politique de l’employeur puisqu’il y a eu des gestes physiques de contention de la résidente de façon brusque. S’il est difficile d’évaluer la force des mouvements sur une bande vidéo telle que je l’ai mentionné plus haut, il était possible pour l’employeur de constater que les gestes de l’appelante étaient brusques. Cela se traduit dans le verbatim auquel l’appelante ne s’oppose pas. La politique de l’employeur prévoit que les services offerts de façon brusque constituent de la violence et par le fait même de la maltraitance. Il en est de même pour la maltraitance physique telle que le rudoiement. J’estime que d’avoir pris la résidente par le bras pour la lever alors qu’elle refusait et criait « Ayoye, ayoye » reflète du rudoiement, ce qui est prohibé par la politique. La politique décrit la violence comme faisant agir une personne contre sa volonté, en employant la force et/ou l’intimidation. Je retiens de la preuve que la résidente ne voulait pas se lever et coopérer pour faire sa toilette, ce qui a mené l’appelante à employer la force pour faire agir la résidente contre sa volonté. Cela constitue de la maltraitance au sens de la politique de l’employeur.

[19] Finalement, j’estime que l’appelante a enfreint la politique contre la maltraitance psychologique en criant/parlant fort à la résidente. L’appelante a expliqué à sa défense qu’il s’agissait d’une technique pour attirer l’attention de la résidente afin que son collègue puisse procéder à la déshabiller et faire ses soins. C’est possible. Mais l’appelante aurait dû savoir que cette technique n’était plus d’actualité puisque contraire à la politique de l’employeur. Je retiens de plus du verbatim que l’appelante s’est parfois adressée à la résidente de façon infantilisante, humiliante et dénigrante. Par exemple, lorsqu’elle a dit à deux reprises à la résidente que cette dernière avait besoin d’aide, que si elle était capable, elle serait chez elle. J’estime ces propos infantilisants et dénigrants.

[20] Je retiens aussi de la preuve, la roue de l’approche relationnelle qui est un outil complémentaire à la politique nationale pour contrer la maltraitance auprès des personnes vulnérables et qui reflète les attentes de bientraitance en CHSLD. Le document indique les comportements attendus des intervenants auprès des personnes vulnérables telles que les personnes âgées qui ont besoin de soins comme X en l’espèce. Chaleur humaine, douceur dans la voix et dans les gestes, empathie, écoute active, patience et ouverture sont des comportements auxquels on s’attend. Selon la preuve, incluant le témoignage de l’appelante, je ne peux malheureusement que conclure qu’elle n’a pas appliqué ce type d’approche.

[21] Lors de l’audience, à la question « que devez-vous faire lorsqu’une résidente est trop agitée ou agressive? », l’appelante a répondu que les préposés aux bénéficiaires doivent dans ces cas demander l’assistance de l’infirmière qui peut administrer de la médication en cas de besoin pour calmer les résidents. À la question « pourquoi vous ne l’avez pas fait dans ce cas-ci? » elle a répondu en avoir parlé à l’infirmière. Cette dernière lui aurait dit que X avait déjà eu ses médicaments, qu’ils la connaissaient bien, de la laisser et de retourner plus tard si elle était trop agitée. Il appert que l’appelante et son collègue n’ont pas suivi ces consignes et ont insisté pour faire la toilette de la résidente malgré ses cris et son refus de collaborer. J’estime qu’il y a là un élément d’insouciance frôlant le caractère délibéré.

[22] Je comprends l’exaspération qui peut parfois envahir le personnel de préposés aux bénéficiaires en raison des résidents difficiles pouvant être agressifs et violents. En l’espèce, j’accepte que la résidente était dans une mauvaise journée et qu’elle ne coopérait pas du tout avec le personnel. Cependant, la consigne est claire et les attentes des préposés sont élevées pour une conduite en douceur, avec écoute et patience. J’estime que l’appelante connaissait ces exigences reliées à son métier ainsi que les attentes contre la maltraitance. Bien que je sois d’avis que l’appelante n’a pas infligé la maltraitance de façon à causer du tort intentionnellement, j’estime que d’avoir adopté un comportement contraire aux politiques implicites et explicites de l’employeur démontre de l’insouciance propre à l’inconduite au sens de la Loi.

[23] L’appelante a consciemment et délibérément agi contrairement à la conduite attendue de sa part. J’estime que si elle n’a pas intentionnellement voulu causer de maltraitance à l’appelante, elle a tout de même volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement et sur la sauvegarde de son emploi. L’appelante soutient avoir offert des explications pour justifier les gestes reprochés. Cependant, je ne suis pas satisfaite que les explications justifient un comportement contraire à la politique de l’employeur. La politique indiquant une tolérance zéro me laisse croire que de crier ou d’employer la force n’est jamais justifié et que l’appelante le savait très bien.

[24] Je conclus que la conduite ayant mené à la suspension était consciente et délibérée puisque l’appelante savait ou aurait dû savoir que sa conduite était susceptible de mener vers une mesure disciplinaire, mais elle l’a tout de même adoptée. Ce type de comportement constitue de l’inconduite au sens de la Loi (Mishibinijima c Canada (P.G.), 2007 CAF 36). Par conséquent, j’estime que l’appelante a elle-même provoqué le risque de se retrouver en situation de chômage, ce qui est contre l’esprit du régime d’assurance-emploi.

[25] Je note de plus que la question n’est pas à savoir si la sanction était justifiée (Fakhari A-732-95). Il se peut que l’employeur ait une raison tout à fait valable de suspendre l’emploi d’un individu durant 3 mois tout comme il se peut que la suspension soit excessive. Dans les deux cas, cela ne signifie pas pour autant il y ait présence d’inconduite en matière d’assurance-emploi. Je ne me prononcerai donc pas sur la cohérence de la sanction. Si l’appelante juge qu’elle a été réprimandée trop sévèrement, elle peut exercer les recours à sa disposition auprès d’autres tribunaux qui possèdent juridiction à cet effet. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait avec le dépôt d’un grief contre l’employeur pour lequel la procédure est toujours en cours.

[26] L’appelante a soutenu qu’en cas de preuve équivalente, il fallait accorder le bénéfice du doute à l’appelante en application de l’article 49.1 de la Loi. Le Tribunal souhaite rappeler que l’article 49(2) de la Loi prévoit que la Commission doive accorder le bénéfice du doute au prestataire lorsque les éléments de preuve présentés de part et d’autre sont équivalents. Cet article concerne les règles de preuve auxquelles la Commission soit se conformer, mais qui ne s’applique nullement au Tribunal. Il serait une erreur pour le Tribunal de s’approprier cet article

[27] En se basant sur la totalité de la preuve présentée, je conclus que l’appelante a été suspendue de son emploi en raison de sa propre inconduite au sens de la Loi. Ainsi, une exclusion s’applique en vertu de l’article 31 de la Loi sur l’assurance-emploi.

Conclusion

[28] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

29 avril 2019

En personne

A. C., appelant
Vanessa Collin-Lavoie, représentante de l’appelant
X, observatrice
X, observatrice

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