Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] Le prestataire a travaillé durant 26 ans pour la compagnie X en tant que représentant des ventes de produits sanitaires. Un jour, il a tenté d’obtenir des échantillons pour un client en se servant d’un autre compte-client suite à un premier refus du département du service à la clientèle. L’employeur a décidé de mener une enquête à propos des agissements du prestataire. À l’issue de l’enquête, l’employeur a décidé de congédier le prestataire pour manquement grave.

[3] Le prestataire a soumis une demande de prestations d’assurance-emploi en novembre 2018, peu de temps après son congédiement. La Commission de l’assurance-emploi (la Commission) a accepté sa demande et débuté le versement des prestations.

[4] L’employeur conteste la décision de la Commission et soutient que le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite et que par conséquent, il devait être exclu du bénéfice des prestations.

Questions préliminaires

[5] L’appelante ne s’est pas présentée à l’audience. Les notes aux dossiers indiquent que le représentant de l’appelante a communiqué avec le Tribunal quelques jours avant l’audience pour signifier que le dossier était complet pour eux et qu’ils n’avaient rien à ajouter. Basé sur ces informations, le Tribunal est convaincu que l’appelante a reçu l’avis d’audience et qu’elle a fait le choix conscient de ne pas se présenter. Par conséquent, le Tribunal a procédé à l’audience en l’absence de l’appelante sous l’autorité de l’article 12 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[6] Le Tribunal doit déterminer si le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

Analyse

[7] De façon générale, l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) prévoit qu’un prestataire qui perd son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestations.

Question en litige : L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison de sa propre inconduite?

[8] Chaque cas est un cas d’espèce et doit être analysé selon ses faits particuliers. En matière d’inconduite, le fardeau de preuve repose sur l’employeur et la Commission qui doivent démontrer selon la prépondérance des probabilités que la preuve supporte l’inconduite reprochée (Lepretre c Canada (PG), 2011 CAF 30; Canada (PG) c Granstrom, 2003 CAF 485 ;Crichlow A-562-97).

[9] Pour les raisons qui suivent, je conclus en l’espèce que l’appelant n’a pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

[10] Avant de pouvoir déterminer si certains gestes ou comportements constituent de l’inconduite, je dois d’abord me poser la question si les actes reprochés ont bel et bien été commis par le prestataire. En effet, pour que le Tribunal puisse conclure à l’inconduite, il doit disposer des faits pertinents et d’une preuve suffisamment circonstanciée pour lui permettre, d’abord, de savoir comment l’employé a agi et, ensuite, de juger si ce comportement constituait de l’inconduite (Meunier A-130-96). En l’espèce, l’incident qui a mené au congédiement du prestataire est admis. Ce dernier ne nie pas avoir agi tel que le reproche son employeur.

[11] Lors de l’audience, il a relaté les circonstances de l’incident en question de façon claire et logique. Je retiens de la preuve que le prestataire était représentant des ventes de produits sanitaires pour X. Il venait d’obtenir un nouveau département chez son plus gros client, ce qui représentait un gain significatif pour la compagnie et son portfolio. Il avait travaillé fort pour obtenir l’ajout de ce département du client durant environ deux ans. Malheureusement, suite à la première livraison de produits de son nouveau client, ce dernier l’a contacté pour l’informer de son mécontentement du fait qu’il y avait quelques items manquants dans l’envoi. Le prestataire a voulu rectifier la situation le plus rapidement possible et a fait sa propre enquête auprès des services de livraison. Il n’a jamais pu vraiment savoir où l’erreur s’était glissée ou si la marchandise avait réellement été livrée, mais il affirme ne pas douter des dires de son client que la commande n’était pas complète. Le prestataire voulant entretenir le lien de confiance avec son nouveau client a alors tenté de chercher des solutions pour rectifier la situation. C’est dans cet esprit qu’il a cru bon de commander des échantillons du matériel manquant pour les fournir au client. Il affirme que la commande d’échantillon est une pratique courante dans son métier. Il s’est alors adressé au service à la clientèle de X en leur faisant part de la situation précise et pour commander ces items en échantillons à titre promotionnel, lesquels allaient être déduits de sa paie comme c’est la pratique habituelle. Cependant, les employés du service à la clientèle ont refusé cette transaction.

[12] Le prestataire affirme avoir alors tenté de contacter la chef d’équipe du service à la clientèle pour lui demander son aide dans ce dossier en lui laissant savoir qu’il tentait de regagner la confiance de son client. Il n’a jamais eu de retour d’appel. Le prestataire affirme qu’il vivait de la pression de son client et donc qu’il a tenté de commander les items en échantillons promotionnels à partir d’un autre compte client. Cette transaction a aussi été refusée et le prestataire a été convoqué par son patron au département des ventes (X) pour une rencontre avec le vice-président des ventes de X (X). Lors de cette rencontre du 1er novembre 2018, le prestataire a été informé qu’il était suspendu sans solde pour fin d’enquête.  Il dit avoir expliqué la situation en détail, mais que ses patrons se sont montrés fermés à son idée et ont exprimé leur désaccord avec la façon dont il avait voulu régler la situation. Le 15 novembre suivant, le prestataire a été convoqué à nouveau par X et X. X lui a laissé soir qu’il avait mal agi en demandant deux fois les échantillons et le prestataire a été congédié.

[13] Je dois donc analyser si les agissements du prestataire tel que décrit ci-haut constituent de l’inconduite au sens de la Loi. Le mot «inconduite » n’est pas défini comme tel dans la Loi, mais les tribunaux ont établi au fil de la jurisprudence des principes servant de guide aux décideurs. Il s’agit largement d’une question de circonstances (Bedell A-1716-83). Pour en arriver à une conclusion d’inconduite, le Tribunal doit analyser les faits et en arriver à la conclusion que le manquement reproché est d’une telle portée que son auteur pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiement (Locke 2003 CAF 262; Cartier 2001 CAF 274; Gauthier, A-6-98; Meunier, A-130-96).

[14] Dans l’affaire Canada (Procureur général) c Hastings (2007 CAF 372), la Cour réaffirme les principes de Tucker, A-381-85 sur la notion d’inconduite et la nécessité que l’élément psychologique soit présent. Ainsi la Cour a établi qu’il « (…) y a inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié. »

[15] Sur cet aspect fondamental de la notion d’inconduite, je ne suis pas satisfaite que dans ses circonstances bien précises, le prestataire pouvait normalement prévoir que ses messages seraient susceptibles de provoquer son congédiement. Les gestes du prestataire de tenter de contourner le système pour arriver à ses fins et obtenir une solution pour la satisfaction de son client étaient peut-être répréhensibles. Cependant, un geste répréhensible ne mène pas automatiquement à une conclusion d’inconduite en assurance-emploi. L’état d’esprit du prestataire est pertinent dans la présente analyse (Locke, 2003 FCA 262) et le témoignage du prestataire a su me convaincre qu’il n’aurait jamais pu s’imaginer que ses manœuvres afin de pouvoir remplacer les produits perdus à son client lui feraient possiblement perdre son emploi. Au contraire, je retiens de la preuve qu’il était plutôt en « mode solution ».

[16] Il est admis qu’aucune politique de l’employeur n’encadre la pratique de commande d’échantillons promotionnels par les représentants. Le prestataire n’a donc pas délibérément transgressé une règle puisque cette règle n’existait pas. En ce qui a trait au code d’éthique de l’employeur, j’en ai pris connaissance et je ne saurais conclure qu’une ou des dispositions ont été violées. L’employeur soutient que le prestataire a manqué à son devoir de loyauté. Je suis d’accord avec la Commission que les exemples donnés dans la politique de l’employeur menant à un congédiement immédiat sont de nature très différente des agissements du prestataire (vol, fraude, malversation, drogue, alcool, etc.). La situation véhiculée par le prestataire n’est pas assimilable à ce type de manque de loyauté selon moi. Je retiens de plus de la preuve que le prestataire n’a pas manqué d’intégrité dans la conduite des affaires. Il a plutôt demandé de l’aide et expliqué sa situation en toute transparence en croyant obtenir la collaboration du département du service à la clientèle. C’est en se retrouvant sans aide ni ressource qu’il a tenté de trouver seul une façon de fournir la totalité de la commande de son client. Il était d’ailleurs prêt à débourser de sa poche la petite somme que représentait la commande.

[17] Je note que le code d’éthique souligne par ailleurs l’importance des clients, fournisseurs et partenaires à sa section 4.2. Il indique qu’«il demeure essentiel et primordial de tout mettre en œuvre afin de continuer à entretenir de bonnes relations avec les clients, fournisseurs et autre partenariat de l’entreprise et à leur fournir un service hors pair, à la hauteur de la réputation du X. […] Chacun des membres du personnel doit : considérer les clients comme étant la priorité et la raison d’être du X et faire en sorte que leur satisfaction demeure une priorité dans le respect des règles et des directives internes….». Considérant le fait qu’aucune directive interne ou règle à propos des échantillons promotionnels et de la situation particulière du prestataire et de son client, il me semble que le prestataire a justement agi dans l’intérêt supérieur de la satisfaction de son client et afin d’entretenir des bonnes relations. Ainsi, comment aurait-il pu s’attendre à être congédié suite à ses tentatives de maintenir les bonnes relations avec son nouveau client de qui il vivait de la pression ?

[18] Le prestataire s’est dit extrêmement surpris de ce dénouement après 26 ans de loyaux services, pour des actions faites de bonne foi et selon lui, dans l’intérêt de l’employeur. Il a répété à maintes reprises qu’il a cru bien faire. Par conséquent, il est difficile de conclure que l’appelant savait ou aurait dû savoir que ses gestes étaient susceptibles de causer son congédiement. Au contraire, le prestataire croyait agir dans le meilleur intérêt de se employeur et de son client, dans un souci de garder la confiance de part et d’autre. Je ne décèle aucune insouciance dans le comportement du prestataire. J’accepte sa déclaration à l’effet qu’après 26 ans de services et à 60 ans, il n’aurait jamais délibérément fait quoi que ce soit pour mettre son emploi en danger. Il était à quelques années à peine de sa retraite et savait très bien qu’il est difficile de se trouver un emploi à son âge.

[19] Il n’est pas de mon rôle de juger ou de me prononcer sur la sanction imposée par l’employeur au prestataire. L’employeur a exercé son droit de gérance et si le prestataire n’est pas d’accord avec la mesure imposée, il peut exercer à son tour les recours qui s’offrent à lui auprès d’autres instances. Cela étant, je suis tout de même d’avis que l’employeur n’a pas démontré que le manquement du prestataire était tel qu’il aurait dû savoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiement. Par conséquent, l’employeur n’a pas rencontré son fardeau de preuve.

Conclusion

[20] L’appel est rejeté.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 7 mai 2019

Téléconférence

Y. D., mis en cause

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.