Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] A. S. (appelant) a été embauché comme analyste financier dans une banque canadienne, dans le cadre d’un contrat temporaire du 23 juillet au 31 octobre 2018. Le premier jour de son contrat, l’appelant a demandé un congé non payé du 7 août au 30 août 2018 pour participer à un pèlerinage religieux à la Mecque, appelé hadj. Sa gestionnaire a approuvé le congé de sorte que l’appelant a pris les dispositions pour son voyage. Une semaine plus tard, la gestionnaire de l’appelant a revu sa décision et lui a dit que le congé n’avait pas été approuvé puisque son superviseur avait refusé la demande.

[3] Après avoir tenté en vain de faire changer la décision de l’employeur, l’appelant a quand même fait le voyage. Après qu’il eût constaté son absence au travail du 7 au 10 août, l’employeur de l’appelant lui a envoyé une lettre le 10 août 2018 l’avisant qu’il était considéré comme ayant abandonné son emploi. L’appelant a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE) régulières le 5 septembre 2018. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (l’« intimée ») a exclu l’appelant du bénéfice des prestations à compter du 7 août 2018 au motif qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification le 7 août 2018.

[4] L’appelant fait valoir qu’il n’a pas quitté volontairement son emploi. Il affirme qu’au lieu de donner suite à sa demande de congé religieux, son employeur a exercé des pressions sur lui pour qu’il démissionne. Lorsqu’il a refusé de démissionner et qu’il a quand même pris le congé prévu, l’employeur l’a congédié. L’appelant affirme que sa foi l’obligeait à assister au pèlerinage et à accompagner sa sœur pendant le voyage puisqu’elle n’était pas autorisée à y prendre part sans être accompagnée d’un homme de sa famille. Il soutient que son employeur a fait preuve de discrimination fondée sur la religion à son égard en formulant des commentaires discriminatoires et en refusant sa demande de congé sans aucune tentative pour satisfaire à sa demande.

Questions en litige

[5] Question 1 : L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi?

[6]  Question 2 : Dans l’affirmative, l’appelant était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

Analyse

[7]  Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations d’AE s’il quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas page 1.

[8]  Il incombe à l’intimée de prouver que l’appelant a quitté volontairement son emploi. Le fardeau de la preuve passe ensuite à l’appelant qui doit établir qu’il était fondé à le faire, en démontrant que compte tenu de toutes les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son casNote de bas page 2.

[9]  L’objectif de la Loi sur l’assurance-emploi est d’indemniser les personnes qui ont perdu leur emploi involontairement et qui se retrouvent sans emploiNote de bas page 3.

Question 1 : L’appelant a-t-il quitté volontairement son emploi?

[10] Oui. J’estime que l’appelant a quitté volontairement son emploi le 7 août 2018.

[11] Pour déterminer si un employé a quitté volontairement son emploi, la question à se poser est la suivante : l’employé avait-il le choix de rester ou de partirNote de bas page 4?

[12] L’appelant soutient qu’il n’a pas quitté son emploi. Il a demandé un congé pour motifs religieux et l’employeur a refusé de le lui accorder. Il affirme que son employeur a exercé des pressions sur lui pour qu’il démissionne, et lorsqu’il a refusé de le faire et qu’il a pris congé malgré tout, son employeur l’a congédié.

[13] L’intimée fait valoir que c’est l’appelant qui a provoqué la cessation d’emploi en abandonnant son emploi après que sa demande de congé lui a été refusée par l’employeur.

[14] L’employeur a indiqué sur le relevé d’emploi (RE) daté du 27 août 2018 que le motif pour lequel il avait été produit était « départ volontaire »Note de bas page 5.

[15] L’employeur a envoyé une lettre à l’appelant le 10 août 2018. La lettre indique que le 18 juillet 2018, l’appelant s’est engagé à occuper un poste temporaire de trois mois du 23 juillet au 31 octobre 2018, et qu’il n’a pas été question de la demande de congé pendant l’entrevue. La lettre mentionne aussi que le deuxième jour du contrat, l’appelant a demandé un congé de quatre semaines. Compte tenu des besoins opérationnels de l’entreprise et de la durée excessive de cette demande de congé qui empêcherait l’appelant de respecter le tiers du contrat temporaire de trois mois, sa demande de congé a été refusée par sa gestionnaire le 30 juillet 2018. La lettre précise que l’appelant a été informé par sa gestionnaire que s’il décidait de s’absenter du travail sans autorisation, l’employeur considérerait son absence intentionnelle et non autorisée comme un abandon d’emploi. La lettre indique que le 3 août 2018, l’appelant a annoncé à sa gestionnaire qu’il avait décidé de prendre congé, malgré le refus de sa demande de congé. La lettre indique aussi que l’appelant s’est absenté du travail du 7 au 10 août 2018 et que l’employeur a considéré que l’appelant avait abandonné son emploi, à compter du 10 août 2018Note de bas page 6.

[16] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il n’avait pas démissionné, mais qu’il avait été congédié à tort parce qu’il s’était acquitté de son obligation religieuse d’assister au hadj, et que ce congédiement était fondé sur la haine et la discrimination à l’égard de sa foi religieuse. L’appelant a déclaré qu’il avait déjà travaillé pour cet employeur dans le cadre de deux contrats antérieurs. À la mi-juillet 2018, il avait été embauché pour commencer un nouveau contrat de trois mois le 23 juillet 2018 à titre d’analyste financier. Pendant l’entrevue, sa gestionnaire, la vice-présidente adjointe, lui a dit qu’il n’y avait pas beaucoup de travail en ce moment, mais qu’en octobre ce serait plus occupé. Elle lui a dit qu’il deviendrait permanent lorsqu’ils auraient un nouveau budget. Au cours de l’entrevue, il n’y a pas eu de discussion au sujet des congés auxquels il aurait droit pendant la durée de son contrat. Cependant, l’appelant avait accumulé trois jours de vacances lors de ses contrats précédents et il croyait qu’il avait aussi droit aux jours fériés pendant la durée de son contrat. L’appelant avait déjà prévu d’aller en pèlerinage religieux avant son entrevue, mais il n’avait pas encore réservé son voyage. Il n’a pas mentionné ses plans de voyage lors de l’entrevue parce qu’il s’agissait d’une courte entrevue, qu’il était excité à l’idée d’obtenir le poste et que la question des vacances n’avait pas été soulevée.

[17] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré que le 23 juillet 2018, le premier jour de son contrat, et non pas le deuxième comme l’a indiqué l’employeur dans sa lettre du 10 août 2018, il a demandé à sa gestionnaire la permission de prendre un congé non payé du 7 au 30 août 2018 pour un pèlerinage religieux à la Mecque. Elle a regardé le calendrier et a répondu qu’il n’y avait pas de problème. Elle ne lui a rien dit à propos d’une autre approbation qui serait nécessaire.

[18] Le même jour, après avoir reçu l’approbation de sa gestionnaire, l’appelant a réservé son voyage. L’appelant a confirmé que son plan était d’aller en voyage avec sa sœur et un groupe. Il a expliqué que selon les règles du hadj, sa sœur n’était pas autorisée à se rendre au hadj sans être accompagnée par un homme de sa famille immédiate et qu’il n’y avait aucun autre homme de la famille qui faisait le voyage. Il n’a pas acheté d’assurance annulation de voyage.

[19] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré que le 30 juillet 2018, sa gestionnaire lui avait appris qu’il ne pourrait prendre congé parce que son superviseur en avait décidé ainsi. Il lui a dit qu’il avait réservé le voyage pour se rendre au hadj et lui a parlé du hadj. L’appelant a aussi déclaré que sa gestionnaire avait répondu [traduction] « si nous avions su que vous étiez passionné par l’Islam, nous ne vous aurions pas embauché. Vous devez démissionner. » L’appelant a répondu qu’il n’avait pas à démissionner parce qu’il pratiquait sa foi. Elle a dit : [traduction] « Nous ne prendrons pas des mesures d’adaptation pour votre foi et la meilleure option pour vous est de démissionner. » Il a répondu que ce n’était pas juste. Sa gestionnaire lui a dit que les Ressources humaines étaient au courant de la situation et qu’il pouvait leur parler. Elle a ajouté qu’il serait congédié. L’appelant a fait remarquer que la gestionnaire n’a pas dit qu’il serait congédié s’il partait en voyage. Elle a seulement dit : [traduction] « nous allons vous congédier ». Cela a été dit après la discussion sur le hadj. Il a senti que l’employeur souhaitait le congédier simplement parce qu’il pratiquait l’islam, et non parce qu’il avait l’intention de partir en voyage. L’appelant a déclaré qu’il conteste l’information contenue dans la lettre de l’employeur du 10 août 2018 selon laquelle sa gestionnaire lui avait dit qu’il « abandonnait » son emploi s’il y allait. Il a déclaré que la première fois qu’il a entendu parler d’« abandon » c’est lorsqu’il a lu la lettre du 10 août 2018.

[20] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’après sa conversation avec sa gestionnaire, il a ensuite parlé à deux conseillères en relations de travail du service des ressources humaines et leur a tout expliqué. Elles lui ont conseillé de parler de nouveau à sa gestionnaire. Il lui a reparlé le 1er août 2018 et lui a demandé si elle voulait de la documentation à propos du voyage. Elle lui a dit que ce n’était pas nécessaire et que rien ne pourrait changer ce qu’elle avait dit la dernière fois. Il est retourné voir les conseillères en relations de travail qui lui ont organisé une rencontre avec E. M., le gestionnaire principal des Opérations et des relations de travail. L’appelant a déclaré qu’il avait expliqué à E. M. la raison pour laquelle il faisait ce voyage et E. M. lui a répondu qu’ils ne prenaient pas de mesures pour satisfaire toutes les religions. L’appelant lui a dit qu’il allait déposer une plainte à la Commission des droits de la personne. Il a raconté qu’E. M. lui a dit qu’il détestait que ça finisse comme ça. L’appelant a dit qu’il n’avait pas encore déposé de plainte en matière de droits de la personne.

[21] L’appelant a déclaré qu’après la rencontre il a envoyé un courriel à E. M. le 3 août 2018. Le courriel mentionnait ceci :

[Traduction]

« Je vais au pèlerinage/Hadj, qui est une obligation religieuse, le 7 août, et je reviens le 30 août 2018. X le savait déjà et l’a approuvé le lundi 23 juillet, puis elle est revenue sur sa décision le lundi 30 juillet. J’ai donné tous les détails à X et X au cours de notre rencontre plus tôt cette semaineNote de bas page 7. »

[22] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il s’était envoyé à lui-même une copie du courriel, car il voulait garder une trace de ce qu’il avait dit à l’employeur à propos de ses obligations religieuses. Il n’a reçu aucune réponse à son courriel et l’appelant a entrepris son voyage le 7 août 2018.

[23] J’estime que l’intimée s’est acquittée de son fardeau de prouver que l’appelant a quitté volontairement son emploi le 7 août 2018. Bien que je comprenne que l’appelant n’était pas d’accord avec son employeur qui lui a refusé sa demande de congé, il ne fait aucun doute que l’appelant savait que, même si sa gestionnaire avait initialement approuvé le congé le 23 juillet 2018, la demande de congé avait été annulée le 30 juillet 2018, avant son départ. L’appelant n’a pas contesté le fait que le congé avait été révoqué. Il a clairement indiqué dans son courriel du 3 août 2018 à E. M. qu’il avait l’intention de prendre le congé quand même, ce qu’il a fait le 7 août 2018. L’appelant avait le choix de prendre ou non ce congé et il a choisi de partir en congé.

[24] L’événement déclencheur de la perte d’emploi a été le geste volontaire que l’appelant a posé en choisissant de prendre le congé, sachant pourtant que son employeur n’avait pas approuvé ce congé. Dans une situation semblable où un prestataire avait demandé un congé qui n’avait pas été approuvé et était quand même parti, la Cour d’appel fédérale a statué que le prestataire avait quitté volontairement son emploiNote de bas page 8. Rien n’indique que si l’appelant n’avait pas pris le congé, que son emploi n’aurait pas continué jusqu’à la fin du contrat. L’employeur n’a congédié l’appelant que le 10 août 2018, soit après que l’appelant eût pris son congé et qu’il se fut absenté du travail du 7 au 10 août 2018.

Question 2 : L’appelant était-il fondé à quitter volontairement son emploi?

[25] Non. J’estime qu’aucune des raisons invoquées par l’appelant pour expliquer son départ ne constitue une justification. J’ai également examiné la question de savoir si le cumul de ces raisons constituait une justification et j’ai conclu que ce n’était pas le cas.

[26] Le critère servant à déterminer si l’employé avait une justification consiste à se demander si, eu égard à toutes les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, l’appelant n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploiNote de bas page 9. L’alinéa 29(c) de la Loi dresse une liste non exhaustive de diverses circonstances qui peuvent être prises en compte pour déterminer si un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi.

[27] L’intimée allègue que l’appelant a fait le choix personnel de quitter son emploi en raison de sa propre interprétation de ses obligations religieuses. Il n’a pas réussi à prouver qu’il était fondé à quitter son emploi au sens de la Loi parce que, considérant toutes les circonstances, il existait des solutions de rechange raisonnables à son départ. Une solution raisonnable aurait été de discuter de la possibilité de prendre une plus courte période de congé, qui lui aurait tout de même permis de faire le pèlerinage à la Mecque. Autrement, l’appelant aurait pu retarder sa participation au hadj à plus tard.

[28] L’appelant soutient qu’il a quitté son emploi pour de nombreuses raisons : 1) Sa religion l’obligeait à effectuer un pèlerinage; 2) Son employeur a fait preuve de discrimination fondée sur la religion à son égard en faisant des commentaires discriminatoires et en refusant sa demande de congé sans tenter d’y donner suite; 3) Le congé avait été initialement approuvé par l’employeur et, en se fondant sur cette approbation, il avait réservé son voyage; 4) Il avait l’obligation de prendre soin de sa sœur pendant le voyage.

[29] Je vais maintenant déterminer si l’appelant était fondé à quitter son emploi pour ces raisons.

L’appelant était-il fondé à quitter son emploi parce que sa religion l’obligeait à effectuer un pèlerinage au moment où il l’a fait?

[30] Non. J’estime que la religion de l’appelant ne l’obligeait pas à effectuer un pèlerinage au moment où il l’a fait. Il a plutôt fait le choix personnel de s’y rendre à ce moment. Des solutions raisonnables s’offraient à lui, notamment celle de voir si l’employeur aurait autorisé un congé plus court ou encore celle de remettre ce voyage à une autre année. Par conséquent, il n’a pas prouvé qu’il était fondé à quitter son emploi pour cette raison.

[31] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré que le hadj est une obligation religieuse qu’il doit satisfaire pour sa foi. Il a expliqué qu’il s’agit de l’un des cinq piliers de l’Islam et qu’il a lieu chaque année à un moment précis d’un mois du calendrier religieux. Il a jouté qu’il n’aurait pas pu remettre son voyage à un moment différent de l’année parce qu’il n’a pas de contrôle sur le calendrier religieux. Il ne pouvait pas remettre son voyage à une autre année parce que cela équivaudrait à lui dire d’abandonner sa religion.

[32] Les notes de l’intimée du 18 octobre 2018 mentionnent que l’appelant a informé l’intimée que ses croyances religieuses l’obligeaient à effectuer un pèlerinage pour participer à cette cérémonie une fois dans sa vieNote de bas page 10. Le 11 décembre 2018, l’appelant a informé l’intimée que tous les musulmans sont tenus d’entreprendre le pèlerinage à la Mecque [traduction] « dès qu’ils sont en mesure de faire financièrement et physiquement » le voyage. Il a insisté sur le fait que le hadj n’est pas un choix personnel, mais une obligation religieuse qui est au centre de sa foiNote de bas page 11.

[33] Les notes de l’intimée du 11 décembre 2018, indiquent que l’appelant a avisé qu’il n’attendrait pas pour faire le hadj à une date ultérieure parce que selon son interprétation de ses obligations, il devait effectuer le pèlerinage dès que ses économies le lui permettaient. Il a précisé que [traduction] « c’était fondé sur ce qui se passe au début du hadj, pas sur les conséquences ». Il a raconté que la deuxième raison pour laquelle il ne souhaitait pas faire le hadj à une date ultérieure était qu’il avait planifié de se rendre là-bas avec sa sœur et que, selon les lois qui gouvernent le hadj, les femmes sont autorisées à entreprendre le pèlerinage uniquement si elles sont accompagnées par un homme de sa famille immédiate. L’intimée a demandé à l’appelant de lui fournir de la documentation qui démontrerait qu’il est tenu de faire le pèlerinage dès qu’il est financièrement en mesure de le faire, et que le choix de ne pas le retarder n’était pas une préférence personnelle.

[34] Pour établir qu’il s’est rendu en pèlerinage, l’appelant a fourni ses cartes d’embarquement à l’intimée, lesquelles montraient qu’il a quitté Toronto le 7 août 2018 et qu’il est arrivé à Djedda le 8 août 2018. Les cartes montraient aussi que l’appelant a quitté Djedda le 29 août 2018 et qu’il est arrivé à Toronto le 30 août 2018Note de bas page 12.

[35] L’appelant a aussi fourni à l’intimée le passage suivant du Coran qui explique le hadj : « Coran 3:96-97 La première Maison qui ait été édifiée pour les gens, c’est bien celle de Bakka (la Mecque) bénie et une bonne direction pour l’univers. Là sont des signes évidents, parmi lesquels l’endroit où Ibrahim (Abraham) s’est tenu debout; et quiconque y entre est en sécurité. Et c’est un devoir envers Allah pour les gens qui ont les moyens, d’aller faire le pèlerinage de la Maison. Et quiconque ne croit pas … Allah Se passe largement des mondesNote de bas page 13. » L’appelant a déclaré que le Coran dit la même chose pour la prière, [traduction] « pour ceux qui en sont capables ». Il a affirmé que le passage du Coran ne vise pas ceux qui ont la permission d’y aller. Il s’agit plutôt des personnes qui sont physiquement capables d’y aller.

[36] J’estime que la religion de l’appelant l’obligeait à se rendre au hadj à un moment donné de sa vie, comme il l’a indiqué pour la première fois à l’intimée le 18 octobre 2018. Cependant, selon moi, sa religion ne l’obligeait pas à faire le pèlerinage au moment précis où il l’a fait. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer cette conclusion. L’extrait du Coran que l’appelant a fourni fait référence à l’obligation de faire le hadj [traduction] « pour ceux qui sont capables d’entreprendre le voyage. » L’appelant affirme que, selon son interprétation, cela signifie que les gens doivent entreprendre le hadj dès qu’ils en ont les moyens financiers et physiques. Toutefois, une simple lecture de la citation n’appuie pas cette interprétation. Elle ne dit pas [traduction] « dès qu’ils en sont capables », elle dit « pour ceux qui en sont capables ».

[37] Je reconnais que la citation fournie par l’appelant est tirée d’un document religieux et qu’elle laisse place à l’interprétation. Cependant, l’appelant lui-même a fourni des renseignements incohérents sur la nature exacte de son obligation religieuse en ce qui concerne le moment où le hadj doit être accompli. Il a d’abord informé l’intimée le 11 octobre 2018 que son obligation religieuse était d’aller au hadj une fois dans sa vie. Ensuite, le 11 décembre 2018, il a informé l’intimée qu’il devait le faire [traduction] « dès que ses économies le lui permettraient ». L’appelant n’a pas été en mesure de préciser dans son témoignage pourquoi il devait aller au hadj au cours de cette année précise qu’il avait choisie, mais il a précisé que de lui dire de ne pas y aller à ce moment-là, c’était comme de lui dire d’abandonner sa religion. L’appelant n’a fourni aucun élément de preuve indiquant que son interprétation proposée de l’exigence de temps pour exécuter le hadj était une interprétation acceptée dans sa religion. Par conséquent, je considère comme un fait établi que l’obligation religieuse de l’appelant consistait à effectuer le hadj une fois dans sa vie. Je ne suis pas convaincue, selon la preuve fournie, que la religion de l’appelant l’obligeait à se rendre au hadj au moment où il l’a fait ou qu’il n’aurait pu, sans offenser sa religion, reporter le voyage à une autre année.

[38] L’appelant a aussi déclaré que c’est une règle du hadj qui exige que sa sœur soit accompagnée par un homme de sa famille pour pouvoir y aller, et qu’aucun autre homme de sa famille ne participait à ce voyage.

[39] L’intimée fait valoir que la législation ne reconnaît pas le droit d’une personne à quitter son emploi pour appuyer les convictions religieuses et les croyances d’une autre personne.

[40] J’accepte le témoignage de l’appelant selon lequel sa sœur ne pourrait se rendre au hadj sans lui. Toutefois, je partage l’opinion de l’intimée voulant que la question consiste à déterminer si l’appelant était tenu par sa religion de participer au hadj au moment où il l’a fait, et non de déterminer si sa sœur était en mesure de participer au hadj. L’interdiction pour sa sœur de participer au hadj sans la présence d’un homme de sa famille n’équivaut pas, selon moi, à une obligation religieuse imposant à l’appelant de se rendre au hadj.

[41] Après avoir établi que l’appelant n’était pas tenu d’entreprendre un pèlerinage au hadj au moment précis où il l’a fait, j’estime qu’il a fait un choix personnel de s’y rendre au moment où il l’a fait. Compte tenu des circonstances, j’estime que des solutions de rechange raisonnables s’offraient à lui, soit celle de demander un congé plus court à l’employeur ou, si ce n’était pas possible, de reporter le pèlerinage à une autre année.

L’appelant était-il fondé à quitter son emploi parce qu’il était victime de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

[42] Non. L’appelant n’a pas établi qu’il était victime de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Je ne suis pas convaincue que sa situation correspond à celle prévue au sous-alinéa 29(c)(iii) de la Loi.

[43] L’appelant affirme que son employeur a fait preuve de discrimination fondée sur la religion à son égard en faisant des commentaires discriminatoires, et en lui refusant sa demande de congé sans essayer d’y donner suite.

[44] La LCDP s’applique aux employeurs sous réglementation fédérale. L’appelant travaillait pour une banque, soit un employeur sous réglementation fédérale. J’accepte donc que ses dispositions s’appliquent à l’employeur de l’appelant.

[45] La religion est un motif de distinction illicite dans toutes les questions liées à l’emploiNote de bas page 14.

Des commentaires discriminatoires ont-ils été formulés?

[46] Non. J’estime que la preuve ne permet pas de conclure que des commentaires discriminatoires ont été faits à l’appelant.

[47] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré que le 30 juillet 2018, après que sa gestionnaire a annulé son congé, il lui a dit qu’il avait réservé son voyage pour aller participer au hadj et lui a expliqué en quoi consistait le hadj. L’appelant a déclaré que sa gestionnaire avait répondu : [traduction] « si nous avions su que vous étiez passionné par l’Islam, nous ne vous aurions pas embauché. Vous devez partir. » L’appelant a répondu qu’il n’avait pas à partir du seul fait qu’il pratiquait sa religion. Il a ajouté que sa gestionnaire lui avait répondu : [traduction] « Nous ne prendrons pas de mesures pour vous permettre de pratiquer votre foi, et démissionner est la meilleure option pour vous. » Elle lui a aussi dit que les représentants des Ressources humaines étaient au courant de la situation et qu’ils allaient le congédier. L’appelant a affirmé qu’il sentait que l’employeur voulait le congédier seulement parce qu’il pratiquait l’Islam, et non parce qu’il avait l’intention de partir en voyage. L’appelant a aussi déclaré qu’après avoir expliqué à E. M., le gestionnaire principal des Opérations et des relations de travail, la raison pour laquelle il partait en voyage, E. M. lui a dit qu’ils ne prenaient pas des mesures pour faciliter la pratique de toutes les religions. L’appelant lui a répondu qu’il allait déposer une plainte à la Commission des droits de la personne. L’appelant a déclaré qu’il n’avait pas encore déposé de plainte.

[48] Je conviens que les commentaires ci-dessus semblent directement discriminatoires à l’endroit de l’appelant en raison de sa religion. Ils laissent entendre que les personnes de confession musulmane, comme l’appelant, sont traitées différemment des employés d’autres religions en ce qui concerne les pratiques d’embauche et les mesures d’adaptation.

[49] Toutefois, je n’accepte pas le témoignage de l’appelant selon lequel les commentaires ci‑dessus lui étaient adressés. Je ne crois pas que le témoignage de l’appelant soit crédible à cet égard. L’appelant n’a jamais fait mention des commentaires de la gestionnaire ou d’E. M. dans ses multiples discussions avec l’intimée. L’appelant a déclaré que c’était parce que l’intimée ne l’avait jamais interrogé à ce propos et qu’il se concentrait principalement sur le congédiement et non sur ce qui s’était passé au travail. Cependant, je remarque que l’appelant n’a pas mentionné ces commentaires dans sa demande de révision ni dans son avis d’appel. Il a plutôt fait référence au fait que le congé avait été révoqué et au fait qu’il serait congédié s’il prenait ce congé.

[50] J’ai aussi examiné le courriel que l’appelant a envoyé à E. M. le 3 août 2018. L’appelant a déclaré qu’il avait envoyé ce courriel pour garder une preuve de ce qu’il avait dit à l’employeur à propos de ses obligations religieuses. Toutefois, ce courriel n’aborde pas la question de ces commentaires discriminatoires. Compte tenu du fait que l’appelant n’a pas soulevé ces commentaires auparavant, malgré de multiples occasions de le faire, je n’accepte pas le témoignage de l’appelant selon lequel ces commentaires ont été formulés.

L’employeur a-t-il fait preuve de discrimination en refusant la demande de congé de l’appelant sans tenter d’y donner suite?

[51] Non. L’appelant n’était pas tenu par sa religion de prendre le congé au moment où il l’a fait. Par conséquent, j’estime que l’employeur n’a pas fait preuve de discrimination fondée sur la religion à son égard en refusant la demande de congé sans tenter d’y donner suite.

[52] L’appelant soutient que l’employeur n’avait aucune raison de refuser sa demande de congé et que l’employeur n’a jamais tenté de prendre des mesures d’adaptation en lui suggérant de raccourcir éventuellement son voyage.

[53] Il a déclaré que sa gestionnaire avait d’abord approuvé son congé après avoir regardé le calendrier. De plus, il n’a pas demandé quatre semaines de congé équivalant à un tiers de son contrat comme l’affirme l’employeur dans sa lettre du 10 août 2018. Il a plutôt demandé un congé du 7 au 30 août 2018, soit moins du tiers de son contrat. Il a déclaré que l’information contenue dans la lettre de l’employeur du 10 août 2018 selon laquelle l’employeur ne pouvait donner suite à sa demande de congé en raison des besoins opérationnels de l’entreprise et de la durée excessive du congé demandé, contredit l’information qui lui a été donnée lors de l’entrevue voulant qu’il n’y avait pas beaucoup de travail et que les employés ne seraient pas très occupés avant la fin de l’année, soit en octobre.

[54] L’appelant a déclaré que son employeur était au courant que sa demande concernait un congé pour raison religieuse et qu’il n’a pas tenté de prendre des mesures pour donner suite à sa demande. Personne ne lui a dit que la durée de son voyage constituait un problème. Il a ajouté que si son employeur lui avait dit que la durée du voyage constituait un problème, il aurait consulté son imam à la mosquée et la compagnie aérienne pour voir si un voyage plus court était possible. Si c’était possible d’un point de vue religieux et logistique, il aurait essayé d’abréger le voyage. Toutefois, comme l’employeur n’a pas mentionné la durée du voyage, il n’a pas cherché à savoir si un voyage plus court était une possibilité.

[55] J’accepte le témoignage de l’appelant selon lequel il a dit à sa gestionnaire et au conseiller en relations de travail que la demande de congé avait été présentée dans le but d’effectuer un pèlerinage religieux. Il a également confirmé la nature religieuse de sa demande dans son courriel à E. M. le 3 août 2018Note de bas page 15.

[56] J’accepte aussi le témoignage de l’appelant selon lequel l’employeur n’a pas tenté de prendre des mesures pour donner suite à la demande de congé de l’appelant. Conformément à son témoignage, l’appelant a informé l’intimée le 11 décembre 2018 qu’il n’y avait jamais eu de conversation avec l’employeur pour tenter de trouver une solution pour donner suite à sa demande, par exemple en réduisant la durée de son absence ou en décalant les semaines pendant lesquelles il était absent. On lui a seulement dit qu’il ne pouvait pas se rendre là-basNote de bas page 16.

[57] En outre, il n’y a rien dans la lettre de l’employeur du 10 août 2018 au sujet des tentatives de donner suite à sa demande ou même de la reconnaissance de l’objet religieux de sa demande.

[58] Cependant, j’estime que le refus de la demande de congé sans tentative d’y donner suite ne constitue pas de la discrimination fondée sur la religion. L’employeur n’a pas empêché l’observance religieuse de l’appelant en refusant le congé sans tenter de prendre des mesures pour satisfaire sa demande, car la preuve fournie par l’appelant ne démontrait pas que sa religion l’obligeait à se rendre au hadj au moment où il l’a fait. Il a fait le choix personnel de s’y rendre à ce moment-là. Par conséquent, l’employeur n’était pas tenu de satisfaire à sa demande.

L’appelant était-il fondé à quitter son emploi parce que le congé avait été initialement approuvé et qu’il avait réservé son voyage en se fondant sur cette approbation?

[59] Non. Même si l’employeur avait initialement approuvé le congé et l’avait ensuite révoqué une semaine plus tard, j’estime que d’autres solutions raisonnables s’offraient à lui malgré le fait qu’il avait réservé son voyage en se fondant sur l’approbation initiale.

[60] J’admets la preuve produite par l’appelant selon laquelle son congé avait été initialement approuvé le 23 juillet 2018 et ensuite révoqué une semaine plus tard par sa gestionnaire. L’appelant a soulevé cette question dans son courriel du 3 août 2018 adressé à E. M., et rien dans la lettre de l’employeur du 10 août 2018 ne conteste ce fait. Le témoignage de l’appelant sur ce point était aussi conforme à l’information fournie à l’intimée concernant l’approbation initiale en date du 23 juillet 2018.

[61] Bien que je reconnaisse que la révocation du congé a placé l’appelant dans une situation difficile parce qu’il avait déjà réservé son voyage, je conclus que l’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi. Des solutions raisonnables autres que de quitter son emploi s’offraient à lui, notamment de parler à l’employeur pour voir si un voyage plus court aurait été possible et, dans le cas contraire, il aurait pu annuler complètement le voyage. Comme il n’avait pas souscrit d’assurance annulation, l’appelant aurait peut-être subi une perte financière en annulant le voyage, mais même à la lumière d’une perte financière éventuelle, j’estime que c’était quand même une solution de rechange raisonnable à la perte totale de son emploi.

L’appelant était-il fondé à quitter son emploi parce qu’il avait l’obligation de prendre soin d’un proche parent?

[62] Non. J’estime que l’appelant n’avait pas l’obligation de prendre soin de sa sœur et par conséquent qu’il n’était pas fondé à quitter son emploi pour ce motif. Il n’a pas établi que sa situation correspond à celle prévue au sous-alinéa 29(c)(v) de la Loi.

[63] L’appelant fait valoir qu’il avait l’obligation de « prendre soin » de sa sœur en l’accompagnant dans ce voyage, car les règles du hadj exigeaient qu’elle soit accompagnée par un homme de sa famille. Aucun autre homme de sa famille ne participait à ce voyage.

[64] J’accepte le témoignage de l’appelant selon lequel les règles du hadj exigeaient que sa sœur soit accompagnée d’un homme de sa famille pour y assister et qu’aucun autre homme de sa famille ne participait au voyage. Toutefois, j’estime que l’obligation de prendre soin d’un proche parent, telle qu’énoncée au sous-alinéa 29(c)(v), va bien au-delà du simple accompagnement d’un membre de la famille.

[65] « Prendre soin » n’est pas défini dans la Loi. Cependant, selon le dictionnaire Oxford en ligne, cela signifie [traduction] « fournir ce qui est nécessaire à la santé, au bien-être, à l’entretien et à la protection d’une personne ou d’une chose ». Ces définitions de « prendre soin » concernent la notion de fournir ce qui est nécessaire à la santé et à la protection d’une personne. J’estime que c’est ce que l’on entend par « prendre soin » dans le sous-alinéa 29(c)(v) de la Loi.

[66] L’appelant a fait le choix personnel d’accompagner sa sœur au hadj. Une solution de rechange raisonnable pour l’appelant, dans ces circonstances, aurait été de parler à l’employeur de la possibilité de prendre un congé plus court et, à défaut, de reporter le voyage à une autre année alors qu’ils auraient pu tous deux y aller. Il n’a donc pas démontré qu’il était fondé à quitter son emploi pour accompagner sa sœur en voyage.

Le cumul des motifs invoqués par l’appelant pour quitter son emploi constitue-t-il une justification au sens de la Loi?

[67] Non. J’estime qu’il n’en est rien. L’appelant a décidé d’aller en pèlerinage parce qu’il s’était fié à l’approbation donnée par son employeur le 23 juillet 2018 et avait réservé son voyage, qu’il souhaitait accompagner sa sœur, car elle ne pouvait partir sans lui et qu’il voulait aussi effectuer le hadj à ce moment-là. Même si l’appelant avait de bonnes raisons personnelles de vouloir partir en voyage, elles ne constituent pas pour autant une justification au sens de la Loi. Après avoir analysé toutes les circonstances cumulativement, je conclus que l’appelant avait tout de même la possibilité raisonnable de voir si l’employeur approuverait un congé plus court ou, si cela n’était pas permis, de reporter le voyage à une autre année.

Conclusion

[68] L’appel est rejeté. L’appelant n’a pas prouvé qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi. J’estime qu’il disposait de solutions de rechange raisonnables, compte tenu de toutes les circonstances.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparution :

Le 18 mars 2019

Téléconférence

Asiful Siddique, Appelant

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