Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] La prorogation du délai de demande de permission d’en appeler est refusée.

Aperçu

[2] S. K. est la prestataire en l’espèce. Travailleuse saisonnière, elle demande fréquemment des prestations régulières d’assurance-emploi (AE) les mois d’été. En 2016 cependant, elle a retiré sa demande initiale de prestations régulières quelques jours après l’avoir présentée. Elle pensait avoir trouvé un nouvel emploi, mais celui‑ci n’est jamais devenu réalité.

[3] La prestataire pourrait avoir été admissible à ces prestations ordinaires l’été de 2016, mais elle ne les a pas redemandées avant décembre 2017, c que devait suivre le dépôt d’une demande officielle en juin 2018. En se fondant sur les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi, elle a ainsi demandé que sa demande de juin 2018 soit antidatée au 26 juin 2016, date à laquelle elle avait cessé de travailler cet été‑là.

[4] Toutefois, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a refusé sa demande d’antidatation, affirmant qu’elle n’avait pas donné de motif valable pour justifier toute la période de retard à demander des prestations entre juin 2016 et juin 2018. La prestataire a contesté la décision, mais la Commission l’a maintenue. L’intéressée a appelé de la décision en réexamen de la Commission à la division générale du Tribunal, mais celle‑ci a rejeté son appel.

[5] La prestataire désire maintenant appeler de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal, mais elle a un premier obstacle à franchir avant que le dossier ne puisse aller de l’avant. Plus précisément, la demande de permission d’en appeler à la division d’appel a été déposée après le délai de 30 jours, d’où la nécessité d’une prorogation du délai de dépôt.

[6] Malheureusement pour l’intéressée, je crois devoir refuser la prorogation. Voici mes raisons :

Questions en litige

[7] Pour prendre cette décision, je me suis attaché aux questions suivantes :

  1. La demande de la prestataire à la division d’appel a‑t-elle été déposée en retard?
  2. Devrais‑je accorder à la prestataire une prorogation du délai de dépôt de la demande?

Analyse

Question 1 : La demande de la prestataire à la division d’appel a‑t-elle été déposée en retard?

[8] Oui, la prestataire est en retard.

[9] Les demandes doivent être présentées à la division d’appel dans les 30 jours suivant la réception de la décision de la division générale, mais la division d’appel peut accorder une prorogation là où la demande accuse un retard de moins d’un anNote de bas de page 1.

[10] Dans la présente affaire, la décision de la division générale a été communiquée à la prestataire par courrier électronique le 6 décembre 2018. Ainsi, la demande de celle‑ci à la division d’appel devait avoir été produite au plus tard le 7 janvier 2019, mais le Tribunal l’a reçue le 16 avril de la même année avec donc plus de trois mois de retard.

[11] Pour tout dire, l’intéressée n’a pas respecté la date limite de dépôt, mais une prorogation du délai est possible dans son cas.

Question 2 : La prestataire devrait-elle se voir accorder une prorogation du délai de dépôt de sa demande?

[12] Non, la prestataire ne respecte pas les critères juridiques pour l’obtention de la prorogation.

[13] Pour trancher la question, j’ai soupesé les quatre facteurs suivantsNote de bas de page 2 :

  1. La prestataire a‑t-elle manifesté l’intention constante de poursuivre son appel?
  2. A‑t-elle donné une explication raisonnable du retard?
  3. Une autre partie subira‑t-elle un préjudice par l’octroi de la prorogation?
  4. Y a‑t‑il là une cause défendable en appel?

[14] La prestataire a répondu à ces questions dans la demande qu’elle a adressée à la division d’appelNote de bas de page 3. Elle n’a pas à satisfaire aux quatre critères, puisque la considération qui doit primer est celle de l’intérêt de la justiceNote de bas de page 4.

Intention constante manifestée de poursuivre l’appel

[15] Les dossiers du Tribunal indiquent que, le 17 décembre 2018 et le 11 avril 2019, la prestataire (ou son représentant) a dit au personnel du Tribunal qu’elle prévoyait appeler de la décision de la division générale. Entre ces dates cependant, elle a présenté une demande d’annulation ou de modification de la décision de cette division.

[16] Je ne sais donc au juste si elle a maintenu son intention de poursuivre l’appel tout au long de la période considérée. Il se pourrait, par exemple, qu’elle ait renoncé un certain temps à cette intention lorsqu’elle a produit sa demande d’annulation ou de modification. Toutefois, je suis prêt pour l’instant à convenir que c critère a été respecté.

Explication raisonnable du retard

[17] Dans la lettre accompagnant la décision de la division générale, le Tribunal a avisé la prestataire qu’elle avait 30 jours pour appeler de cette décision. L’intéressée a néanmoins expliqué avoir reporté le dépôt de sa demande à la division d’appel parce que voulant d’abord une décision sur sa demande d’annulation ou de modification.

[18] La demande d’annulation ou de modification ne devrait pas l’avoir empêchée de déposer en temps utile sa demande à la division d’appel. Elle pourrait avoir déposé les deux en demandant que son dossier soit mis en attente jusqu’à c que la division générale tranche l’autre question (ce qui en tout état de cause est l’usage au Tribunal).

[19] Je conclus donc que c critère n’a pas été respecté.

Préjudice causé à une autre partie

[20] Vu les ressources de la Commission et la disponibilité des documents utiles, je ne vois pas de raison évidente pour laquelle la capacité de la Commission à répondre à l’appel serait indûment touchée par la prorogation.

Cause défendable

[21] À mon avis, la prestataire n’a pas de cause défendable en appel. Pour expliquer cette conclusion, je dois d’abord exposer quelques faits généraux de plus.

[22] La prestataire a présenté une demande de prestations régulières de l’assurance-emploi les étés de 2015, 2016 et 2017 (et peut-être d’autres étés). Comme je l’ai mentionné, elle a toutefois retiré sa demande initiale de prestations ordinaires en 2016 quelques jours après l’avoir présentée. Elle pensait avoir trouvé un nouvel emploi, mais la chose n’est pas devenue réalité. Ainsi, la prestataire était sans travail à l’été de 2016, mais elle n’a jamais reçu de prestations d’assurance-emploi pour cette période.

[23] En mai 2017 cependant, la Commission l’a avisée qu’elle aurait à rembourser une partie des prestations d’assurance-emploi qu’elle avait reçues à l’été de 2015. Cela l’a incitée à obtenir le 25 mai 2017 un historique détaillé des prestations qu’elle avait reçues. En examinant c relevé, s’est rendu compte qu’elle n’avait pas reçu de prestations pendant l’été de 2016.

[24] La prestataire a accepté la responsabilité du trop-payé de 2015, mais a donné une explication de son erreur. La Commission lui a néanmoins infligé une pénalité. Le 4 décembre 2017, l’intéressée lui a demandé de réviser sa décision en c sens. Au même moment, elle a soulevé la question des prestations manquées à l’été de 2016 en demandant à la Commission de se servir de ces prestations pour réduire le montant de son trop-payé. Elle a continué à insister sur c point, bien que la Commission n’en ait pas tenu compte outre mesure.

[25] La prestataire a appelé de la décision de la Commission à la division générale du TribunalNote de bas de page 5. Elle a eu gain de cause sur la question de la pénalité, mais cette division a jugé ne pas avoir compétence dans la question des prestations servies à l’été de 2016, parce que la Commission n’avait pas tranché cette questionNote de bas de page 6.

[26] La prestataire a demandé au téléphone à la Commission comment elle pourrait obtenir une décision concernant les prestations qu’elle avait manquées à l’été de 2016. On lui a dit de présenter une nouvelle demande initiale de prestations régulières d’assurance-emploi et de solliciter une antidatation au 26 juin 2016, c qu’elle a fait le 7 juin 2018Note de bas de page 7.

[27] La Commission n’en a pas moins refusé sa demande d’antidatation en disant qu’elle n’avait pas donné de motif valable pour justifier toute la période de retard de juin 2016 à juin 2018Note de bas de page 8. Elle a maintenu sa décision en réexamen. Le 5 décembre 2018, la division générale n’a pas fait droit à l’appel interjeté par la prestataire de la décision en réexamenNote de bas de page 9. Ce sont là la question et la décision qui font l’objet de la présente demande à la division d’appel.

[28] La demande d’antidatation de la prestataire est régie par l’article 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi :

Demande initiale tardive

10(4) Lorsque le prestataire présente une demande initiale de prestations après le premier jour où il remplissait les conditions requises pour la présenter, la demande doit être considérée comme ayant été présentée à une date antérieure si le prestataire démontre qu’à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations et qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

[29] Dans sa décision, la division générale a délimité la période visée comme comprise entre le 26 juin 2016 et le 7 juin 2018. Une autre exigence s’appliquait : « Un prestataire est tenu de démontrer qu’il s’est conduit comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans des circonstances semblables pendant toute la durée de la période de retardNote de bas de page 10. »

[30] Aux fins de son analyse, la division générale a scindé la période en cause en trois sous-périodes :

  1. période du 26 juin 2016 (dernier jour de travail de l’intéressée) au 25 mai 2017 où la prestataire a reçu un relevé des prestations servies et constaté ne pas avoir reçu de prestations à l’été de 2016;
  2. période du 25 mai au 4 décembre 2017 où elle a porté cette question à l’attention de la Commission;
  3. période du 4 décembre 2017 au 7 juin 2018 où elle a présenté sa demande de prestations.

[31] À la fin, la division générale a conclu que la prestataire avait montré un motif valable pour justifier la troisième sous-période de retard, mais non les deux premières. Elle n’a donc pu accorder l’antidatation.

[32] Pour appeler avec succès de la décision de la division générale, la prestataire doit maintenant établir que celle‑ci a commis une ou plusieurs erreurs reconnues (moyens d’appel) à l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[33] Dans sa demande à la division d’appel, la prestataire allègue que la décision de celle‑ci est entachée d’une erreur de droit. Elle fait valoir en particulier que la division générale n’a pas tenu compte des mesures raisonnables qu’elle avait prises pour essayer de résoudre la question dans la période ayant précédé le dépôt de sa demande en juin 2018. Elle soutient enfin que cette même division générale a mal délimité la période visée.

[34] À mon avis, les arguments de la prestataire ne créent pas une cause défendable en appel. Mentionnons en particulier que la période d’intérêt délimitée par la division générale — période du 26 juin 2016 au 7 juin 2018 — était manifestement la bonne suivant l’article 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi. En fait, l’intéressée n’a pas invoqué de dispositions de la loi pouvant autoriser l’utilisation d’une autre période.

[35] J’ajoute que l’ensemble des lettres, des conversations téléphoniques, des mesures et autres actions que la prestataire allègue avoir été négligées par la division générale semblent se rattacher à la troisième sous-période. Toutefois, la division générale convenait que la prestataire avait agi raisonnablement pendant cette sous-période. Ce qui est contesté, c’est le caractère raisonnable des gestes de la prestataire dans les deux premières sous-périodes. Pourtant, aucun des arguments de l’intéressée en appel ne se rapporte à ces autres sous-périodes.

[36] J’ai conclu que les arguments avancés par la prestataire ne créent pas de cause défendable en appel, mais je n’oublie pas pour autant les décisions où la Cour fédérale a mis en garde la division d’appel contre un examen trop strict des demandes qui lui sont adressées. La division d’appel devrait plutôt s’attacher au dossier sous-jacent pour juger si la division générale a mal interprété la preuve ou omis de dûment considérer des éléments de preuveNote de bas de page 11.

[37] Après avoir examiné le dossier documentaire et la décision faisant l’objet de l’appel, je suis persuadé que la division générale ne s’est pas trompée au moment d’interpréter ou de dûment considérer tout élément de preuve.

[38] Pour toutes ces raisons, je juge que la prestataire n’a pas de cause défendable en appel.

Conclusion sur la prorogation du délai

[39] Bien que les facteurs qui précèdent soient assez bien équilibrés, je dois aussi regarder dans l’ensemble c que pourrait exiger l’intérêt de la justice. À cet égard, je reconnais que le refus de la prorogation signifie que l’appel de la prestataire s’arrête là, mais je dois mettre cet aspect en balance avec le souci de voir dans quelle mesure l’intérêt de la justice serait servi si on laissait l’appel se poursuivre même sans chances raisonnables de succès.

[40] Je connais des affaires où les tribunaux ont accordé une importance particulière au facteur de la cause défendable et je juge que c facteur mérite de recevoir un poids important dans la présente affaireNote de bas de page 12.

[41] Après avoir examiné les quatre critères qui précèdent et l’intérêt de la justice, j’ai jugé bon de refuser la prorogation du délai nécessaire de dépôt de la demande de la prestataire à la division d’appel.

Conclusion

[42] J’ai toute sympathie pour la situation de la prestataire, mais j’ai conclu ne pas pouvoir accorder la prorogation dont elle a besoin pour que le dossier aille de l’avant.

[43] La demande de prorogation du délai est rejetée.

Représentant :

X, pour la demanderesse

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.