Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée en réexamen à la division générale conformément aux motifs et aux directives de la présente décision.

Aperçu

[2] L’appelante, E. R., a travaillé à temps partiel en 2015 dans un magasin de détail en Alberta. Elle a entrepris en août 2015 une formation de technicienne en soins médicaux d’urgence, mais maintient avoir été disponible pour travailler et avoir avisé son employeur de sa disponibilité. Elle a travaillé un seul quart d’octobre à décembre 2015 et a donné sa démission le 22 décembre cette année‑là. Elle a déménagé de l’Alberta en Ontario en janvier 2016 et demandé des prestations en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi.

[3] L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a jugé que la prestataire avait volontairement quitté son emploi sans motif valable et a refusé sa demande.

[4] La prestataire a appelé de la décision de l’intimée à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Cette division a jugé que l’appelante avait quitté volontairement son emploi pour pouvoir retourner chez elle en Ontario et reprendre les études. Elle a aussi estimé qu’elle avait d’autres choix raisonnables que de quitter son emploi comme elle l’a fait et que, par conséquent, elle n’avait pas de motif valable pour partir volontairement.

[5] La permission d’appeler de la décision de la division générale à la division d’appel a été accordée au motif que la division générale avait pu commettre dans sa décision des erreurs susceptibles de révision.

[6] L’appel est accueilli parce que la division générale a commis une grave erreur dans ses conclusions de fait, ainsi qu’une erreur mixte de fait et de droit.

Questions en litige

[7] La division générale a-t-elle porté atteinte à un principe de justice naturelle en prenant une décision malgré l’absence de l’appelante à l’audience?

[8] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle aurait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, plus précisément

  1. en concluant que l’appelante avait été incapable d’accepter du travail à cause de ses études;
  2. en concluant qu’elle avait quitté son emploi pour retourner à l’école en Ontario?

[9] Si la division générale a commis une erreur susceptible de révision, la division d’appel devrait-elle lui renvoyer la décision en réexamen ou peut-elle rendre la décision qu’aurait dû prendre la division générale?

Analyse

[10] L’appelante prétend que la division générale a porté atteinte à un principe de justice naturelle, a commis des erreurs de droit et s’est gravement trompée dans ses conclusions de fait. Selon elle, les faits ne confirment pas qu’elle ait volontairement quitté son emploi sans motif valable. L’intéressée fait valoir que la division générale a négligé la preuve selon laquelle elle avait quitté son emploi à cause d’une combinaison de facteurs (modification de ses fonctions et obligation de prendre soin de la famille immédiate). Qui plus est, comme elle n’a pu être présente à l’audience, elle n’a pas eu la possibilité d’exposer pleinement sa cause et la division générale a tiré une déduction défavorable de la preuve documentaire sans lui donner la chance de réagir.

[11] L’appelante était présente à l’audience devant la division d’appel et était représentée par un avocat. L’intimée, bien qu’avisée de l’audience, a choisi de ne pas participer et de s’en remettre à ses seules observations écritesFootnote 1.

[12] L’intimée est d’avis que la division générale n’a pas commis d’erreur en procédant à l’audition de la cause malgré l’absence de l’appelante et qu’elle a appliqué le bon critère juridique aux faits en l’espèce. Elle ajoute : [traduction] « Il aurait sans doute été préférable que la division générale expose plus en détail son processus décisionnel, mais que l’analyse ait été brève ne veut pas dire qu’elle [a commis des erreurs susceptibles de révision]Footnote 2. »

[13] Les seuls moyens d’appel à la division d’appel sont les suivants : la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ou encore a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceFootnote 3.

[14] La division d’appel n’a pas à faire preuve de déférence envers la division générale dans les questions de justice naturelle, de compétence et de droitFootnote 4. Qui plus est, la division d’appel peut estimer que la division générale a commis une erreur de droit, que celle‑ci ressorte ou non à la lecture du dossierFootnote 5.

[15] L’appel devant la division générale visait la question de savoir si l’appelante avait volontairement quitté son emploi sans motif valable, ce qui est une question mixte de fait et de droit.

[16] Lorsqu’une erreur mixte de fait et de droit commise par la division générale fait voir une question juridique isolable, la division d’appel peut intervenir en vertu de l’article 58(1) de la Loi sur le ministère de l’emploi et du Développement social (LMEDS)Footnote 6.

[17] L’appel devant la division d’appel fait intervenir des questions distinctes d’erreurs de droit et d’erreurs graves de fait qui, individuellement, montrent une question juridique isolable.

[18] Un prestataire de l’assurance-emploi peut être exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans motif valableFootnote 7. La charge revient à la Commission de l’assurance-emploi du Canada de démontrer que le départ était volontaire. Une fois établi ce caractère volontaire, le prestataire doit à son tour démontrer avoir eu un motif valable pour partir.

Question 1 : La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle en rendant sa décision malgré l’absence de l’appelante à l’audience?

[19] J’estime que la division générale n’a pas porté atteinte à un principe de justice naturelle en rendant sa décision malgré l’absence de l’appelante à l’audience.

[20] Le conseil de l’appelante fait valoir que celle‑ci n’a pas eu la pleine possibilité d’exposer sa cause et que, de ce fait, la division générale n’a pas respecté un principe de justice naturelle.

[21] L’appelante avait été avisée de l’audience, mais elle en était aux derniers stades de sa grossesse et ne jouissait pas de l’aide d’un défenseur dans le processus d’appel. Elle a été incapable d’assister à l’audience de la division générale le 5 septembre 2018 et n’a pas pris contact avec le Tribunal avant novembre de la même année. Elle a expliqué avoir eu un bébé en septembre 2018 et avoir eu des complications postnatales. Elle a ensuite retenu les services d’un avocat pour l’assister.

[22] Peut-on considérer qu’une situation où l’appelant n’a pas demandé de remise de séance, n’a pas assisté à l’audience et n’a pas pris contact avec le Tribunal avant deux mois après l’audience constitue un défaut de la part de la division générale de lui donner la pleine possibilité d’exposer sa cause?

[23] À l’audience, le conseil de l’appelante convenait qu’il était raisonnable que le ou la membre de la division générale procède à l’audition de la cause dans les circonstances qui lui étaient connues. Il reste que, en décidant d’ainsi procéder au lieu de remettre la séance, le membre a pris une décision avec pour conséquence que l’appelante était dans l’impossibilité de répondre aux préoccupations de la division générale au sujet d’incohérences de la preuve ou de sa crédibilité. Ces deux éléments ont été à la base de la décision prise par cette même division générale de rejeter l’appel.

[24] Il est malheureux que l’appelante n’ait pu être présente parce qu’ayant des problèmes plus immédiats et n’étant pas représentée, mais la division générale n’a pas porté atteinte à un principe de justice naturelle en poursuivant la séance et en rendant sa décision.

[25] L’appelante a admis la chose à l’audience devant la division d’appel. Elle fait essentiellement valoir que la division générale a commis une erreur de droit et de graves erreurs de fait, parce qu’elle a tiré des déductions défavorables sans lui donner la chance de répondre à toute préoccupation au sujet de sa propre crédibilité ou des incohérences de la preuve documentaire.

Question 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qui a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[26] J’estime que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[27] L’appelante ne conteste pas avoir quitté son emploi volontairement, mais elle prétend avoir eu un motif valable parce que l’employeur lui avait donné un seul quart de travail en trois mois (modification de ses fonctions) et qu’elle avait l’obligation de prendre soin de ses frères et sœurs au domicile de sa mère en Ontario.

a) La division générale a-t-elle conclu à tort que l’appelante avait été incapable d’accepter du travail à cause de ses études?

[28] Le relevé d’emploi produit par l’employeur indique que l’appelante a travaillé en juillet, août et septembre 2015Footnote 8 et que, par la suite, elle a eu un seul quart de travail le 18 octobre 2015 pour une durée de 4 à 5 heuresFootnote 9. Elle n’a pas eu de quarts en novembre ni en décembre. Elle s’est entretenue avec son employeur le 20 décembre 2015 et a donné sa démission le 22 décembre.

[29] Il existe des éléments de preuve contradictoires au sujet des raisons pour lesquelles l’appelante n’a pas fait plus de quarts. L’employeur a dit qu’elle était incapable d’accepter les quarts qui lui étaient offerts. L’intéressée voit plutôt dans le fait que l’employeur ait trop recruté et soit désorganisé (il avait perdu les formulaires de disponibilité de l’appelante) la raison pour laquelle elle a manqué de quarts de travail.

[30] L’employeur a confirmé avoir trop recruté et être limité dans l’attribution des heures de travail à son personnel, mais la division générale a préféré sa version (l’appelante n’était pas disponible pour des quarts de travail) à la version de l’appelante (l’employeur avait trop recruté et était désorganisé), parce que l’intéressée avait auparavant déclaré que ses études ne lui permettraient pas d’être constamment disponible cinq jours par semaine. La division générale a jugé que l’appelante était incapable d’accepter les quarts qui lui étaient offerts à cause de la formation qu’elle suivait.

[31] Cette conclusion de fait a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale. Celle‑ci a négligé le témoignage selon lequel l’employeur avait trop recruté et avait un nombre limité de quarts pour son personnel à temps partiel. Elle a également négligé le témoignage selon lequel la prestataire avait travaillé les trois premiers mois (août, septembre et octobre) de sa formation de technicienne en soins médicaux d’urgence et avait demandé plus de quarts à l’employeur. Elle a en outre tiré la déduction que, comme elle avait affirmé que ses études ni lui permettraient pas d’être constamment disponible cinq jours par semaine, l’appelante était responsable de son manque de travail.

b) La division générale a-t-elle conclu à tort que l’appelante avait quitté son emploi pour retourner à l’école en Ontario?

[32] Sur la question de savoir si l’appelante avait l’obligation de prendre soin d’un membre de sa famille immédiate, la division générale n’a attaché aucune importance à ce motif du déménagement en Ontario parce que l’appelante n’avait pas invoqué ce motif avant d’appeler de la décision en réexamen.

[33] La division générale a adopté la version de l’intimée selon laquelle l’appelante était revenue chez elle en Ontario pour reprendre les études. C’est là une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[34] L’appelante s’est réinstallée en Ontario en janvier 2016. Elle a déclaré en novembre 2017 étudier à plein temps à l’université et ne pas travailler. Rien ne prouve dans le dossier d’appel qu’elle soit retourné à l’école lorsqu’elle a déménagé dans cette province en janvier 2016 ou qu’un retour à l’école en Ontario ait joué comme facteur lorsqu’elle a démissionné de son poste dans un magasin de détail en Alberta. La seule preuve sur un retour aux études en Ontario appartient à une période postérieure de plus d’un an et demi à son déménagement.

[35] La division générale a fondé sa décision sur les graves erreurs de fait déjà constatées.

[36] Si la définition de « motif valable » relève du droit, sa détermination est fonction des conclusions de fait tirées selon toutes les circonstances de l’affaire. En fondant son application de la définition sur de graves erreurs de fait, la division générale a aussi commis une erreur mixte de fait et de droit.

Question 3 : Si la division générale a commis une erreur susceptible de révision, la division d’appel devrait-elle lui renvoyer la question en réexamen ou peut-elle rendre la décision qu’aurait dû rendre la division générale?

[37] L’appelante n’a pas participé à une audience avec la pleine possibilité d’exposer sa cause. La démarche de recherche des faits de la division générale n’était pas assez complète.

[38] De plus, l’appelante soutient ne pas avoir eu la chance d’expliquer toute incohérence dont serait entachée la preuve documentaire. Et il existe bel et bien des lacunes dans la preuve.

[39] Dans ces circonstances, il ne conviendrait pas que je rende la décision qu’aurait dû rendre la division générale.

[40] Il est préférable que l’affaire soit renvoyée à la division générale.

Conclusion

[41] L’appel est accueilli en vertu des articles 58(1)(b) et (c)de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[42] L’affaire est renvoyée en réexamen à la division générale conformément aux présents motifs et décision.

Représentant :

Lawrence Burns, pour l’appelante

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