Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelant n’a pas démontré qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi; il est par conséquent exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi (prestations d’AE).

Aperçu

[2] L’appelant a présenté une demande de prestations d’AE le 29 janvier 2019. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a imposé une exclusion à l’égard de sa demande, jugeant qu’il avait quitté volontairement son emploi chez X sans justification. L’appelant a fait valoir qu’il avait démissionné parce que les employés d’une autre unité de travail avaient obtenu une augmentation de salaire, alors que lui n’en avait reçu aucune. Ainsi, il estimait que l’employeur exerçait de la discrimination parce que l’unité dont il faisait partie était syndiquée et que celle ayant obtenu l’augmentation ne l’était pas. Pour lui, cette situation était intolérable et rendait son emploi chez X trop déprimant pour qu’il continue d’y travailler. La Commission maintenait cependant l’exclusion à l’égard de sa demande de prestations d’AE, alors il a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions préliminaires

[3] Au départ, la procédure d’appel a été considéré comme étant potentiellement fondé sur la Charte, c’est-à-dire un appel dans lequel l’appelant ferait valoir, d’une part, que les droits et libertés qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés avaient été enfreints lors du traitement de sa demande de prestations d’AE, ou d’autre part, qu’il avait subi de la discrimination fondée sur un motif illicite au regard de la Charte. Le Tribunal a communiqué avec l’appelant pour lui fournir des instructions concernant les exigences à respecter pour présenter des arguments fondés sur la Charte. L’appelant avait jusqu’au 10 juin 2019 pour déposer un avis de question constitutionnelle, conformément à l’article 20(1)(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

[4] Le 9 mai 2019, l’appelant a informé le Tribunal de son intention d’invoquer la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (la Charte québécoise) pour appuyer sa position en appel, et non la Charte canadienne des droits et libertés(voir GD5-2). Ce faisant, puisque la Charte québécoise n’est pas un instrument constitutionnel, l’appelant n’était pas tenu de déposer l’avis de question constitutionnelle qu’exige l’article 20(1)(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale pour aller de l’avant en appel. Ensuite, la procédure a été remise dans la voie d’appel normale pour examen par le Tribunal.

Question en litige

[5] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations d’AE parce qu’il a quitté volontairement son emploi chez X sans justification?

Analyse

[6] Le prestataire qui quitte son emploi volontairement est exclu du bénéfice des prestations d’AE, à moins qu’il ne puisse établir qu’il était fondé à le faire en raison d’une « justification » : article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (LAE). L’appelant est fondé à quitter son emploi si, compte tenu des circonstances, selon la prépondérance des probabilités, son départ constitue la seule solution raisonnable (voir White,2011 CAF 190; Macleod,2010 CAF 301; Imram,2008 CAF 17; Astronomo,A-141-97; Tanguay,A-1458-84).

[7] Il incombe d’abord à la Commission de démontrer que l’appelant a quitté son emploi volontairement; une fois qu’elle s’est acquittée de ce fardeau, il incombe alors à l’appelant de démontrer qu’il était « fondé » à quitter son emploi (voir White, précité; Patel,A-274-09).

[8] Le Tribunal conclut que l’appelant a mis fin à sa relation d’emploi avec X de sa propre initiative lorsqu’il a démissionné, au terme de sa dernière journée de travail, le 23 janvier 2019. Dans sa demande de prestations d’AE, l’appelant a déclaré avoir laissé son emploi en raison d’un changement à ses fonctions (GD3-7) et parce que l’employeur avait augmenté le salaire des employés de l’unité de surveillance, [traduction] « qui ne sont pas syndiqués », ce qui rendait le travail [traduction] « plus stressant et injuste » (GD3-9). La lettre de démission non datée de l’appelant figure à GD3-37. Son dernier jour de travail rémunéré était le 23 janvier 2019 (voir le dossier d’emploi à GD3-26).

[9] Il incombe donc à l’appelant de démontrer que la seule solution raisonnable, dans son cas, était de quitter son emploi au moment où il l’a fait.

[10] Le Tribunal doit tenir compte du critère juridique établi aux articles 29 et 30 de la LAE ainsi que des circonstances auxquelles renvoie l’article 29(c), pour ensuite décider si l’une d’entre elles existait au moment où l’appelant a quitté son emploi. Selon la décision Lamonde,A‑566‑04, il faut examiner les circonstances telles qu’elles existaient le jour où l’appelant a quitté son emploi, soit le 23 janvier 2019 en l’espèce. Pour que le Tribunal puisse conclure que l’appelant était « fondé » à quitter son emploi, il n’est pas nécessaire que les circonstances en question correspondent en tous points à l’un des facteurs énumérés à l’article 29(c). Le critère approprié consiste à se demander si, selon la prépondérance des probabilités, le départ de l’appelant constituait la seule solution raisonnable dans son cas, compte tenu de toutes les circonstances, notamment celles précisées aux articles 29(c)(i) à (xiv) de la LAE (voir Canada (Procureur général) c Landry (1993), 2 CCEL (2d) 92 (CAF)).

[11] L’appelant a prétendu qu’il était fondé à quitter son emploi parce qu’il avait été victime de discrimination en ne recevant pas d’augmentation de salaire en raison de son statut d’employé syndiqué, forme de discrimination qui est par ailleurs interdite aux termes de l’article 9 de la Charte québécoise. Selon lui, l’article 9 de la Charte québécoise établit qu’il était fondé à quitter son emploi, ce qui lui donne droit aux prestations d’AE.

Première question : l’appelant était-il fondé à quitter son emploi chez X parce qu’il avait été victime de discrimination sur la base de son appartenance à un syndicat?

[12] L’appelant a prétendu avoir droit aux prestations d’AE sur le fondement de la Charte québécoise (GD2-1). Dans ses observations écrites concernant la Charte québécoise (GD5), l’appelant a déclaré qu’il était fondé à quitter son emploi au sens de l’article 29(c)(xi) de la LAE en raison de « pratiques de l’employeur contraires au droit ». Il a déclaré (GD5-2) que la règle de droit qu’il invoque est celle prescrite à l’article 19 de la Charte québécoise, lequel prévoit que « [t]out employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit. » L’appelant fait valoir qu’X a exercé une discrimination illicite à son endroit en ne lui accordant pas une augmentation de salaire en raison de son appartenance à un syndicat, ce qui va à l’encontre de l’article 19 de la Charte québécoise.

[13] Bien que la LAE prévoie que le prestataire peut être fondé à quitter volontairement son emploi lorsque les pratiques de l’employeur sont contraires au droit (voir l’article 29(c)(xi)), le Tribunal n’a pas compétence en ce qui a trait à la Charte québécoise et ne peut tirer de conclusions en regard de celle-ci.

[14] Si l’appelant croit que son employeur a enfreint les droits que lui garantit la Charte québécoise, son recours consiste à déposer une plainte auprès de la Commission constituée par la Charte québécoise, laquelle est chargée d’enquêter sur les allégations de discrimination fondée sur des motifs illicites aux termes de la Charte québécoise.

[15] Le Tribunal ne tire donc aucune conclusion quant à savoir si X a enfreint les droits consacrés à l’article 19 de la Charte québécoise dans le cas de l’appelant.

[16] En l’espèce, le Tribunal peut seulement trancher la question de savoir si l’appelant doit être exclu du bénéfice des prestations d’AE en application des articles 29 et 30 de la LAE.

[17] D’abord, le Tribunal s’est demandé si l’appelant était fondé à quitter son emploi chez X parce que son employeur s’était livré à des pratiques contraires au droit au sens de l’article 29(c)(xi) de la LAE.

[18] Le Tribunal conclut que de telles circonstances n’existaient pas dans le cas de l’appelant. En effet, rien ne prouve qu’X s’est livrée à quelque pratique que ce soit susceptible de constituer un acte de nature criminelle ou quasi criminelle, ni qu’elle a obligé l’appelant à poser un acte illégal ou contraire aux normes réglementaires en matière de santé et de sécurité au travail. Rien ne prouve non plus que l’employeur a refusé de verser à l’appelant son salaire ou de se conformer aux dispositions de la convention collective en vigueur. L’appelant n’a donc pas réussi à démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi chez X du fait que son employeur avait adopté des pratiques contraires au droit.

[19] Ensuite, le Tribunal s’est demandé si l’appelant était fondé à quitter son emploi parce qu’il avait été victime de discrimination en raison de son appartenance à un syndicat au sens de l’article 29(c)(xii) de la LAE.

[20] Au vu de la preuve produite par l’appelant, laquelle est résumée ci-après aux paragraphes 20 à 31, le Tribunal conclut que de telles circonstances n’existaient pas dans son cas.

La preuve de l’appelant

[21] L’appelant a expliqué que son titre de poste était passé de [traduction] « Soutien technique » à [traduction] « Expérience client », mais que son salaire était demeuré le même malgré l’élargissement de ses fonctions (GD3-9 et GD3-27). Ces changements avaient eu lieu une année avant qu’il démissionne et son syndicat tentait alors de négocier une augmentation salariale correspondante (GD3-9 et GD3-27). L’employeur avait par ailleurs augmenté le salaire des employés de l’unité de surveillance, et ce, selon l’appelant, [traduction] « parce qu’eux [n’étaient] pas syndiqués » (GD3-9).

[22] À l’époque, l’appelant avait discuté de la situation avec le gestionnaire de son équipe, qui l’avait alors invité à consulter d’autres unités afin de voir si elles souhaitent qu’il travaille pour elles, mais l’appelant n’a fait aucune démarche en ce sens, vu l’absence d’occasions d’emploi (GD10) et le gel d’embauche pour doter de nouveaux postes (GD3-13), mais aussi parce que cela ne l’intéressait pas (GD3-27). Il avait aussi parlé de la situation à son représentant syndical en juillet 2018 et s’était alors fait dire d’attendre jusqu’en octobre pour voir si son salaire augmenterait en raison de la charge de travail additionnelle, mais l’appelant a finalement attendu jusqu’au 22 janvier 2019 et rien n’a changé, alors il a démissionné (GD11 et GD3-27).

[23] L’appelant n’a pas déposé de grief ni tenté d’obtenir quelque réparation que ce soit sous le régime de la convention collective avant de démissionner (GD3-12 et GD3-27).

[24] Devant la Commission, l’appelant a soutenu que le syndicat (mais pas pour autant son employeur) lui avait promis que son salaire allait augmenter (GD3-27 et GD3-38). Cependant, il avait reçu un courriel de l’employeur le 14 janvier 2019 par lequel on l’informait que les taux de rémunération et l’embauche étaient gelés en raison de la situation financière dans laquelle se trouvait l’entreprise. Il n’a plus communiqué avec son syndicat après ce courriel, l’ayant fait auparavant et ne souhaitant plus le faire de nouveau (GD3-27).

[25] L’appelant a témoigné qu’environ une semaine avant de démissionner, il avait appris que les employés de l’unité de surveillance avaient reçu une augmentation de salaire et étaient alors mieux rémunérés que les employés de son unité. Il n’a toutefois pas tenté d’obtenir conseil concernant ses droits auprès de quelque autorité que ce soit en dehors de l’entreprise avant de démissionner (GD3-27). Il a certes cherché d’autre travail, mais il ne pouvait attendre de trouver un autre emploi avant de démissionner, car le travail était trop stressant et éprouvant mentalement du fait qu’il n’avait pas reçu d’augmentation (GD3-27).

[26] Aucun médecin ne lui a conseillé de quitter son emploi (GD3-27).

[27] Devant la Commission, l’appelant a affirmé que la situation était un cauchemar et que sa décision était prise : il ne voulait plus travailler pour l’entreprise (GD3-27).

[28] À l’audience, l’appelant a dit qu’il ne souhaitait plus continuer à travailler dans de telles conditions, puisqu’il avait été à l’emploi chez X pendant trois ans sans augmentation salariale et qu’il estimait que sa charge de travail était supérieure à celle des employés de l’unité de surveillance ayant reçu une augmentation. L’augmentation en question avait fait monter le salaire des employés de l’unité de surveillance (qui ne sont pas membres du syndicat) au taux de 18 $ l’heure, tandis que l’appelant (qui était membre du syndicat) gagnait 16,61 $ l’heure après trois années de service (GD3-34). Voici ce qu’il a affirmé :

[Traduction]

« J’estimais qu’on me punissait parce que j’exerçais mon droit d’être syndiqué, ce qui me faisait sentir sous-estimé, non apprécié et indésirable. C’est un sentiment horrible de faire connaissance avec de nouveaux collègues lorsqu’ils vous demandent quelle est la rémunération dans votre unité, sachant qu’ils gagnent plus que vous. Cela rendait mon emploi chez X déprimant et intolérable. Je ne pouvais plus travailler dans de telles conditions et je n’avais donc d’autre choix que de démissionner. » (GD3-34)

[29] Pour sa part, l’employeur a affirmé devant la Commission que l’appelant avait démissionné parce qu’il ne pouvait plus continuer à travailler dans des conditions qu’il estimait injustes et stressantes (GD3-29). L’employeur a produit une copie de la lettre de démission de l’appelant (GD3-37), laquelle est rédigée de la façon suivante :

[Traduction]

« Bonjour M.,

J’aimerais tout d’abord vous remercier pour votre soutien et votre gentillesse à mon endroit tout au long de mon emploi chez X, mais je sens que le temps est venu pour moi de passer à autre chose. Mes sentiments à l’égard de l’entreprise ont changé depuis qu’X a acheté X. Bien des choses ont changé dans l’entreprise, notamment mon travail au Soutien technique qui est maintenant du service à la clientèle et le fait que l’entreprise a augmenté le salaire des employés de l’unité de surveillance sans considération pour mon unité. Je vous remets donc ma démission, car je ne peux continuer à travailler dans de telles conditions que j’estime être injustes et stressantes. Je ne saurais vous remercier assez, M., mais je crois que c’est ce qui sera le mieux pour moi pour l’avenir. Prenez soin de vous. Amitiés.

P.S. Pourrai-je faire appel à vous comme référence professionnelle lorsque je postulerai à un autre emploi? »

[30] À l’entrevue pour sa demande de révision, l’appelant a dit à la Commission qu’il avait laissé son emploi parce que les employés d’une autre unité avaient reçu une augmentation de salaire, alors que lui n’en avait reçu aucune (GD3-38). L’appelant estimait que la charge de travail des employés de l’autre unité était inférieure à celle de son unité et que, par conséquent, leur augmentation était injustifiée. Il estimait aussi que les employés de l’autre unité avaient reçu une augmentation parce qu’ils n’étaient pas syndiqués (tandis que les employés de son unité, eux, l’étaient). Toutefois, étant donné qu’il était membre du syndicat, il n’a pas déposé de grief ni porté plainte au sujet de discrimination devant la commission des normes du travail (GD3-38).

[31] Dans son avis d’appel, l’appelant a réitéré ses allégations selon lesquelles il avait subi de la discrimination :

[Traduction]

« Je crois avoir été puni sur le plan salarial pour avoir exercé mon droit d’être syndiqué. Mon employeur a décidé d’augmenter le salaire des employés de l’unité de surveillance, qui ne font pas partie du syndicat, juste pour punir les employés syndiqués. J’ai commencé à travailler chez X en 2016 et, à l’époque, la rémunération de base pour les employés de l’unité de surveillance était de 14 $ l’heure, alors que celle des employés de mon unité, Soutien technique, était de 16 $ l’heure. Peu de temps avant que je démissionne, le salaire de base des employés de l’unité de surveillance est passé à 18 $ l’heure, tandis que le nôtre est demeuré à 16 $ l’heure. En plus de cela, le nom de mon unité est devenu « Expérience client » et des tâches de facturation et de service à la clientèle ont été ajoutées aux tâches de soutien technique, et ce, sans rémunération compensatoire pour le travail supplémentaire. Lorsque j’en ai parlé à l’employeur, je me suis fait dire que les employés de l’unité de surveillance avaient reçu une augmentation de salaire parce qu’ils ne font pas partie du syndicat et qu’ils attendent de voir ce qui arrivera avec notre syndicat avant d’en devenir membres. La personne m’a offert de rencontrer des personnes dans d’autres unités, mais, le 14 janvier, j’ai reçu un courriel de l’unité des finances dans lequel on nous informait qu’il y aurait un gel d’embauche pour tous les postes de l’entreprise. Je crois que je n’avais d’autre choix que de démissionner de mon poste et de me chercher un autre travail, plutôt que de conserver un emploi sans avenir et sans possibilités d’avancement professionnel. Lorsque j’ai été contraint de démissionner, après trois ans de service, ma rémunération était de 16,61 $ l’heure.

Voici un hyperlien vers une décision dans laquelle X a été trouvée coupable d’actes antisyndicaux envers des employés (hyperlien au site Internet).

Compte tenu du passé, il n’est pas surprenant qu’X fasse la vie dure aux employés syndiqués. » (GD2-5)

[32] Voici ce qu’a affirmé l’appelant dans son témoignage :

  1. L’acte discriminatoire était l’omission d’X d’augmenter son salaire après avoir changé son titre de poste et élargi ses fonctions, environ un an avant qu’il démissionne, et le fait qu’elle avait augmenté le salaire des employés d’une unité de travail non syndiquée dont la charge de travail était inférieure à la sienne.
  2. Il a droit à un salaire égal pour un travail égal. En offrant un salaire supérieur aux employés de l’unité non syndiquée, alors que leur charge de travail était inférieure à la sienne, l’employeur avait enfreint la règle du salaire égal pour un travail égal, ce qui équivaut à de la discrimination.
  3. Il était fondé à quitter son emploi parce qu’il avait droit à un salaire égal pour un travail égal et qu’il n’était pas tenu d’accepter de telles conditions de travail.
  4. Il ne savait pas qu’il pouvait déposer un grief ou faire part de ses préoccupations devant la commission provinciale des relations de travail.
  5. Il a fait part de la situation à son superviseur et cela aurait dû suffire.
  6. Il invoque la Charte québécoise et déclare [traduction] « la loi me protège ».

[33] Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas réussi à démontrer qu’il n’avait d’autre choix que de laisser son emploi le 23 janvier 2019 parce qu’X exerçait de la discrimination en raison de son appartenance à un syndicat.

[34] L’appelant n’a pas réussi à démontrer qu’il avait subi un traitement injuste ou préjudiciable parce qu’il était membre d’un syndicat. Le simple fait que les employés de l’unité de surveillance avaient reçu une augmentation salariale, alors que les employés syndiqués de son unité n’en avaient pas encore reçu, ne constitue pas une preuve de discrimination fondée sur l’appartenance à un syndicat. Contrairement aux employés non syndiqués de l’unité de surveillance, les employés syndiqués doivent négocier les augmentations salariales par le truchement du syndicat et conformément aux dispositions de la convention collective. Il s’agit d’une procédure formelle qui prend du temps – en effet, il ne suffit pas de se plaindre auprès de son superviseur pour obtenir une augmentation. Pourtant, l’appelant a parlé avec son syndicat une seule fois, en juillet 2018. Il n’a jamais consulté son représentant syndical par la suite et, en janvier 2019, il a démissionné sans se prévaloir de la procédure de grief prévue dans la convention collective et avant la fin des négociations entre le syndicat et l’employeur en vue d’une augmentation salariale pour les employés syndiqués – y compris l’appelant ([traduction] « … ils attendent de voir ce qui arrivera avec notre syndicat … », à GD2-5). En tant que membre du syndicat, l’appelant avait la responsabilité de participer pleinement à la procédure de négociation collective avant d’alléguer de la discrimination fondée sur l’appartenance à un syndicat.

[35] Une solution raisonnable que l’appelant aurait pu envisager était de continuer à travailler et de déposer un grief en passant par son représentant syndical. Une autre solution raisonnable aurait été de continuer à travailler et de porter plainte au sujet de son salaire devant la commission provinciale des relations de travail ou la commission constituée pour enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits garantis par la Charte québécoise. Enfin, une autre solution raisonnable aurait été de continuer à travailler jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi convenable ailleurs.

[36] L’appelant n’a choisi aucune de ces solutions raisonnables.

[37] En définitive, le Tribunal juge que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer qu’il subissait de la discrimination fondée sur l’appartenance à un syndicat au sens de l’article 29(c)(xii) de la LAE et que la seule solution raisonnable consistait à laisser son emploi comme il l’a fait le 23 janvier 2019. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas démontré qu’il était justifié à quitter son emploi chez X le 23 janvier 2019 pour cause de discrimination en raison de son appartenance au syndicat.

Deuxième question : l’appelant était-il fondé à quitter son emploi chez X en raison d’un changement à ses fonctions?

[38] L’article 29(c)(ix) de la LAE prévoit qu’un employé en fondé à quitter son emploi lorsqu’il y a « modification importante des fonctions » et que le départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas.

[39] Le Tribunal conclut que de telles circonstances n’existaient pas dans le cas de l’appelant.

[40] La Cour d’appel fédérale a jugé qu’un prestataire peut être fondé à quitter son poste lorsque les modalités d’emploi changent de façon considérable (Lapointe c CEIC, A-133-95). Le fait de démissionner a été jugé justifié dans des cas où l’employeur avait agi de façon unilatérale en apportant des modifications importantes aux modalités d’emploi qui existaient avant la démission de l’employé (voir Lapointe, précité, et Horslen, A-517-94) ou lorsque l’employeur avait refusé de respecter les modalités d’emploi (voir la décision CUB 17491).

[41] En l’espèce, l’appelant a commencé à travailler chez X le 22 février 2016 (GD3-7) au poste [traduction] « Soutien technique ». Ses fonctions comprenaient celles-ci : gérer les appels entrants et sortants, fournir du soutien technique aux clients de systèmes de sécurité, fixer des rendez-vous pour les demandes de services, traiter les signaux d’alarme conformément à la procédure de l’entreprise et aider les nouveaux clients à comprendre et utiliser leur système d’alarme (GD3-27).

[42] En janvier 2018, environ un an avant que l’appelant démissionne, son titre de poste est devenu « Expérience client » et il était dès lors chargé de fonctions additionnelles, dont assister les clients pour des questions liées à la facturation, les aider à effectuer le paiement de leurs factures par téléphone ou en ligne, de même que gérer leurs plaintes et faire les suivis nécessaires (GD3-27). Selon l’appelant, le changement à ses fonctions était dû au fait que l’entreprise souhaitait que tous ses agents soient en mesure de traiter tous les types d’appels entrants, qu’il s’agisse de soutien technique ou de service à la clientèle, et ce, afin d’éviter de transférer les appels d’une unité à une autre et d’améliorer la qualité du service à la clientèle (GD3-9 et GD3‑27).

[43] Aucun changement n’a cependant été apporté à l’horaire de travail de l’appelant, ni aux heures qu’il était tenu de travailler, ni à son salaire (GD3-27).

[44] Le mot « importante » à l’article 29(c)(ix) signifie que le changement apporté par l’employeur doit être d’une certaine importance; il doit s’agir d’une modification qui sort de l’ordinaire. À plus forte raison, les changements mineurs apportés aux fonctions ne constituent pas un motif valable pour quitter un emploi.

[45] Les nouvelles fonctions qui ont accompagné le changement au titre de poste de l’appelant ne constituent pas une modification « importante », car elles n’ont pas changé la nature de ses responsabilités chez X. En effet, il a continué à être employé pour assumer des responsabilités de soutien pour répondre aux demandes des clients. D’ailleurs, rien ne prouve que l’appelant ait refusé à quelque moment que ce soit d’exécuter les fonctions de sa liste de tâches élargie. En clair, il souhaitait simplement obtenir un salaire plus élevé, car il estimait que la portée de ses responsabilités de soutien avait été élargie et que l’augmentation de 16 $ à 16,61 $ l’heure en trois années d’emploi chez X était insuffisante. Voyant que l’augmentation salariale souhaitée ne viendrait pas immédiatement, le gestionnaire de son équipe lui a dit qu’il pouvait aller consulter d’autres unités pour explorer d’autres postes au sein d’X, mais aucune occasion d’emploi n’était offerte à ce moment-là et cela ne l’intéressait pas de toute façon (GD3-27). Par conséquent, il est raisonnable pour le Tribunal de conclure que l’appelant ne s’opposait pas à ses nouvelles fonctions.

[46] Le Tribunal conclut donc que l’appelant n’a pas démontré qu’X avait modifié ses fonctions de façon importante.

[47] De plus, le Tribunal conclut que la démission de l’appelant ne constituait pas l’unique solution raisonnable en réponse à la modification de ses fonctions. Certes, les nouvelles fonctions signifiaient que l’appelant était tenu de répondre à des demandes de clients plus diversifiées qu’auparavant, mais sa réponse à cela – démissionner, parce que son salaire n’avait pas augmenté, contrairement à celui des employés d’une autre unité – n’était pas raisonnable. Cela est particulièrement vrai, étant donné que l’appelant était un employé syndiqué et que, pour cette raison, il pouvait se prévaloir des mécanismes et du soutien de son syndicat pour régler son différend, c’est-à-dire la procédure de grief et la négociation contractuelle. Comme je l’ai mentionné précédemment, une des solutions raisonnables que l’appelant aurait pu envisager était de continuer à travailler et de déposer un grief en passant par son représentant syndical pour exiger une augmentation de salaire. Une autre solution raisonnable aurait été de continuer à travailler et de porter plainte au sujet de son salaire devant la commission provinciale des relations de travail ou la commission constituée pour enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits garantis par la Charte québécoise. Enfin, une autre solution raisonnable aurait été de continuer à travailler jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi convenable ailleurs – surtout compte tenu du fait qu’il avait exercé ses nouvelles fonctions pendant une année déjà.

[48] L’appelant n’a choisi aucune de ces solutions raisonnables.

[49] En définitive, le Tribunal juge que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’X avait modifié ses fonctions de façon importante au sens de l’article 29(c)(ix) de la LAE et que la seule solution raisonnable dans son cas était de démissionner comme il l’a fait le 23 janvier 2019. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas démontré qu’il était justifié à quitter son emploi chez X le 23 janvier 2019 en raison d’une modification importante de ses fonctions.

Troisième question : l’appelant était-il fondé à quitter son emploi chez X parce que son environnement de travail était devenu intolérable?

[50] Le Tribunal a examiné la prétention de l’appelant selon laquelle l’injustice de l’augmentation salariale des employés de l’unité de surveillance rendait son environnement de travail intolérable et il n’avait eu d’autre choix que de démissionner une semaine après en avoir eu connaissance.

[51] Les conditions de travail que déplorait l’appelant ne constitueront un motif valable que dans la mesure où elles étaient si manifestement intolérables que ce dernier n’avait d’autre choix que de démissionner.

[52] Pour les motifs formulés à l’égard des deux premières questions ci-dessus, le Tribunal conclut que les circonstances décrites par l’appelant ne lui permettent pas d’établir que la seule solution raisonnable dans son cas était de démissionner et qu’il était donc fondé à quitter volontairement son emploi chez X. En effet, même si l’appelant était bel et bien fâché en raison de l’augmentation de salaire accordée aux employés de l’unité de surveillance et qu’il estimait cette augmentation injuste, voire discriminatoire, cela en soi ne révèle aucun aspect de son environnement de travail qui puisse être considéré comme « manifestement intolérable ». Pour que ses conditions de travail puissent être qualifiées de « manifestement intolérables », l’appelant doit faire état d’une insatisfaction allant au-delà d’un simple mécontentement à l’égard de ses tâches ou de son salaire. De plus, pour démontrer que l’environnement de travail était devenu intolérable, l’appelant ne peut se fonder uniquement sur des hypothèses.

[53] Le Tribunal conclut que les conditions de travail de l’appelant en date du 23 janvier 2019 n’étaient pas manifestement intolérables et qu’une solution raisonnable pour lui aurait été de continuer à travailler et de déposer un grief en passant par son représentant syndical. Une autre solution raisonnable aurait été de continuer à travailler et de porter plainte au sujet de son salaire devant la Commission des relations du travail de la province ou la Commission constituée pour enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits garantis par la Charte québécoise. Enfin, une autre solution raisonnable aurait été de continuer à travailler jusqu’à ce qu’il se trouve un autre emploi convenable ailleurs.

[54] L’appelant n’a choisi aucune de ces solutions raisonnables.

[55] Il existe une obligation importante pour les prestataires de chercher des solutions afin de remédier à des conditions de travail jugées intolérables avant de démissionner (voir les décisions CUB 57005, 57605 et 57628) et le Tribunal conclut qu’une telle obligation incombait à l’appelant en date du 23 janvier 2019 – surtout étant donné qu’il était membre d’un syndicat. Le fait que l’appelant a laissé son emploi sans entamer quelque mesure que ce soit pour se prévaloir des mécanismes de grief du syndicat, et ce avant que celui-ci ait mené à terme les négociations en vue d’une augmentation salariale, indique que l’appelant ne souhaitait pas chercher de solution.

[56] Aussi, le Tribunal ne saurait faire fi de la déclaration que l’appelant a faite dans sa lettre de démission selon laquelle [traduction] « le temps [était] venu pour [lui] de passer à autre chose » (GD3-37) ou de celle dans ses documents d’appel selon laquelle il croyait que sa seule solution consistait à se [traduction] « chercher un autre travail, plutôt que de conserver un emploi sans avenir et sans possibilités d’avancement professionnel » (GD2-5). Le Tribunal reconnaît que l’appelant estime qu’il avait amplement raison de démissionner de chez X et qu’il s’agissait de la bonne chose à faire dans son cas. Le Tribunal reconnaît également que la décision de laisser un emploi pour des raisons personnelles, telles que souhaiter se trouver un meilleur emploi (comme l’a affirmé l’appelant), peuvent en effet constituer de bons motifs pour démissionner. Cependant, la Cour d’appel fédérale a statué sans équivoque sur la différence qui existe entre un bon motif et un « motif valable » au sens de la loi (Laughland,2003 CAF 129) ainsi que sur la possibilité qu’un prestataire ait un bon motif pour démissionner sans pour autant qu’il s’agisse d’un « motif valable » au sens de l’article 29 de la LAI (Vairumuthu, 2009 CAF 277).

[57] Le Tribunal juge que l’appelant a pris la décision de quitter son emploi chez X pour des raisons personnelles. Le Tribunal reconnaît que l’appelant souhaitait quitter un emploi qu’il estimait « sans avenir », mais ce dernier ne peut s’attendre à ce que les personnes qui contribuent au fonds de l’assurance-emploi assument les coûts de sa décision unilatérale de laisser son emploi afin d’en trouver un meilleur. Le Tribunal conclut que, malgré la croyance de l’appelant selon laquelle il était traité injustement chez X, une solution raisonnable pour lui aurait été de continuer à travailler chez X en faisant des recherches jusqu’à ce qu’il obtienne un autre emploi convenable ailleurs. L’appelant n’a pas choisi cette solution raisonnable (ni aucune de celles relevées au paragraphe 53 ci-dessus). Par conséquent, l’appelant n’a pas réussi à démontrer que la seule solution raisonnable dans son cas consistait à quitter son emploi.

[58] En définitive, le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas démontré qu’il était justifié à quitter son emploi chez X le 23 janvier 2019 en raison de conditions de travail manifestement intolérables.

Conclusion

[59] En somme, le Tribunal juge que l’appelant n’a pas démontré que la seule solution raisonnable dans son cas consistait à laisser son emploi chez X le 23 janvier 2019. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas démontré qu’il était justifié à quitter volontairement son emploi et qu’il est donc exclu du bénéfice des prestations d’AE aux termes de l’article 30 de la LAE.

[60] L’appel est rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparution :

Le 10 juin 2019

Téléconférence

A. L., appelant

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