Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appelante n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi, car elle n’était pas fondée à quitter volontairement son emploi.

[2] L’appelante n’a pas sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses en ce qui concerne sa cessation d’emploi. La pénalité est annulée.

[3] L’avis de violation est annulé.

Aperçu

[4] L’appelante, B. M., a travaillé pour l’entreprise X pendant de nombreuses années. Son emploi pour cet employeur a pris fin le 28 juillet 2017, lorsque les activités de l’entreprise ont été prises en charge par la firme XX. L’appelante a automatiquement été transférée dans la nouvelle entreprise et a commencé à travailler pour son nouvel employeur le 5 août 2017.L’appelante a effectué une demi-journée de travail puis a quitté les lieux. Elle soutient qu’elle était incapable de travailler debout toute la journée comme son nouvel employeur lui demandait de le faire. L’appelante a immédiatement présenté une demande de prestations d’assurance-emploi.

[5] C’est la Commission de l’assurance-emploi du Canada qui a procédé à l’examen de cette demande. Elle a conclu que l’appelante n’était pas justifiée de quitter son emploi, car le départ ne constituait pas la seule solution raisonnable. L’appelante a donc été exclue du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. La Commission a aussi imposé à l’appelante une pénalité de 816$ et un avis de violation très grave pour avoir sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses concernant sa cessation d’emploi.

[6] L’appelante conteste maintenant la décision rendue par la Commission devant le Tribunal. Elle soutient que son nouvel employeur l’a forcé à quitter en lui imposant une modification importante de ses conditions de travail. Elle fait aussi valoir qu’elle n’a pas fait de fausses déclarations en connaissance de cause.

Questions en litige

[7] L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi chez X?

[8] Si oui, l’appelante était-elle justifiée de quitter son emploi? Autrement dit, est-ce que le départ constituait la seule solution raisonnable pour l’appelante?

[9] La Commission pouvait-elle imposer à l’appelante une pénalité pour avoir sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse?

[10] La Commission pouvait-elle imposer à l’appelante un avis de violation très grave pour avoir sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse?

Analyse

Premier litige : le départ volontaire

[11] Un prestataire ne peut pas recevoir de prestations d’assurance-emploi s’il quitte volontairement son emploi sans justification. On considère qu’un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi s’il démontre que le départ constitue la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances.Note de bas de page 1

L’appelante a-t-elle quitté volontairement son emploi chez X?

[12] Afin de répondre à cette question, il convient de faire un bref résumé des faits non contestés :

  1. L’appelante a travaillé pour X, une entreprise qui présente les dégustations dans les magasins X, pendant plus de 24 ans.
  2. Son emploi pour cet employeur a pris fin le 28 juillet 2017, lorsque les activités de l’entreprise dans les magasins X ont été prises en charge par X. Le poste de l’appelante a automatiquement été transféré dans la nouvelle entreprise.
  3. L’appelante utilisait un tabouret pour s’asseoir à tous les jours depuis trois ans lorsqu’elle présentait les dégustations. Un peu avant le transfert des activités, les employés ont été avisés que le nouvel employeur ne leur permettrait plus de s’asseoir sur un tabouret pour travailler.
  4. L’appelante devait reprendre le travail pour son nouvel employeur le 5 août 2017, au même magasin X où elle avait l’habitude de travailler.
  5. Elle s’est présentée au travail et a tenté de faire sa journée sans tabouret, mais elle en a été incapable en raison de douleurs importantes aux jambes. Elle a quitté en milieu de journée et a avisé son employeur qu’elle reviendrait si elle pouvait s’asseoir sur un tabouret pour travailler, comme elle le faisait auparavant. L’appelante n’est jamais revenue au travail.

[13] L’appelante considère qu’elle n’a pas quitté son emploi volontairement, mais qu’elle a plutôt été forcée de quitter son emploi en raison du changement déraisonnable dans ses conditions de travail imposé par son nouvel employeur.

[14] La question de savoir si l’appelante a quitté volontairement son emploi est une question simple : je dois me demander si celle-ci avait le choix de conserver ou de quitter son emploiNote de bas de page 2.

[15] Je reconnais que l’appelante n’a pas provoqué le changement de politique qui l’a incité à quitter. Mais l’appelante n’a pas non plus été congédiée ou mise à pied de son emploi : elle a choisi de quitter les lieux de travail de son propre gré, en plein milieu de sa première journée pour son nouvel employeur, alors qu’elle avait malgré tout la possibilité de rester en poste.Note de bas de page 3

[16] Je considère que l’appelante a quitté volontairement son emploi.

L’appelante était-elle justifiée de quitter son emploi? Autrement dit, est-ce que le départ constituait la seule solution raisonnable pour l’appelante?

[17] Je considère que l’appelante n’était pas justifiée de quitter son emploi, et ce, pour les raisons qui suivent.

[18] D’emblée, je reconnais que le changement d’employeur a engendré des modifications dans les conditions de travail de l’appelante. Celle-ci a des limitations fonctionnelles et, en raison de douleurs aux jambes, elle devait travailler assise sur un tabouret fourni par son employeur précédent pendant la majorité de ses quarts de travail au cours des trois dernières années.

[19] Lorsque les activités de l’entreprise X ont été transférées à X, les employés de l’ancienne entreprise ont été mutés dans la nouvelle entité. Les employés n’ont pas vraiment eu leur mot à dire; leurs emplois ont été transférés, et ils sont devenus automatiquement assujettis aux règles de leur nouveau patron.

[20] Or, les manières de faire du nouvel employeur étaient assez différentes de celles de l’ancien employeur. X interdisait notamment aux employés de travailler assis sur un tabouret pour présenter les dégustations. Ceci signifie que l’appelante devait maintenant effectuer l’ensemble de ses quarts de travail debout et immobile.

[21] L’appelante ne pouvait pas s’accommoder facilement de ces nouvelles exigences. Elle a 73 ans et souffre d’une arthrose sévère; elle ne peut tout simplement pas travailler debout pendant huit heures sans s’asseoir.

[22] Le matin du 5 août 2017, l’appelante s’est présentée au travail pour son nouvel employeur et a tenté d’effectuer une journée de travail entière, debout et sans tabouret. Elle n’a pas réussi. Au bout de quatre heures, l’appelante souffrait de douleurs. Elle a dû se résoudre à quitter les lieux. Elle n’est jamais retournée au travail par la suite, sauf pour y récupérer son dernier chèque de paye.

[23] Compte tenu de ce qui précède, je reconnais que l’appelante avait peut-être une bonne raison de quitter son emploi. Toutefois, lorsqu’il est question de déterminer si un prestataire était fondé à quitter son emploi, la question n’est pas de savoir si le prestataire a agi raisonnablement en quittant son emploi.Note de bas de page 4 Je dois plutôt me demander si le départ constituait la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances.

[24] Or, j’estime que l’appelante n’a pas fait la démonstration que le départ constituait la seule solution raisonnable.

[25] D’abord, les exigences du nouvel employeur n’étaient pas une surprise. L’appelante et ses collègues ont été rencontrés avant de débuter leur emploi pour X, et ils ont été avisés qu’ils ne pourraient plus utiliser de tabouret pour travaillerNote de bas de page 5. L’appelante avait donc le temps de consulter son employeur et d’examiner les solutions de rechange.

[26] Ensuite, l’employeur a répété à maintes reprises qu’il était disposé à fournir un tabouret aux employés qui présentaient un certificat médical faisant état d’une incapacité.

[27] Lors de l’audience, l’appelante a déclaré qu’elle ne savait pas qu’elle aurait pu obtenir un tabouret et conserver son emploi en fournissant un certificat médical à son employeur. À mes yeux, cette affirmation est peu plausible. En effet, ceci contredit les déclarations antérieures faites par l’appelante elle-même à la Commission, ainsi que les déclarations de l’employeurNote de bas de page 6, qui tendent toutes deux à démontrer que l’appelante était au courant de la nécessité de présenter un certificat médical pour obtenir un tabouret. De plus, l’appelante a elle-même consulté un médecin pour obtenir un certificat médical quelques semaines après son départ. Le certificat médical au dossier mentionne explicitement que l’appelante a besoin d’un tabouret pour travailler.Note de bas de page 7 Ceci démontre que l’appelante était au courant qu’elle pourrait obtenir un tabouret si elle présentait ce certificat médical à son employeur, autrement, cette information n’apparaitrait pas sur le document. Il convient aussi de noter que l’appelante n’a jamais soumis ce certificat médical à son employeur.

[28] Ainsi, l’appelante aurait pu continuer de travailler pour son employeur avec l’aide d’un tabouret si elle avait présenté le certificat médical, et tout porte à croire qu’elle le savait. Je constate d’ailleurs que l’employeur a été plutôt patient, puisqu’il a attendu jusqu’au 22 septembre avant de conclure que l’appelante ne voulait plus occuper son poste et de fermer son dossier d’employée.Note de bas de page 8

[29] L’appelante soutient que l’employeur n’est jamais entré en contact avec elle après son départ pour faire un suivi concernant son statut. L’employeur, de son côté, soutient qu’il a contacté l’appelante à plusieurs reprises pour savoir où en étaient ses démarches. Quoi qu’il en soit, je considère qu’il incombait à l’appelante de faire des démarches pour conserver son emploi si elle le souhaitait, puisque c’est elle qui a quitté son poste le 5 août 2017. Je ne retiens pas les arguments de l’appelante voulant qu’elle n’était pas capable de contacter son employeur, car le numéro de téléphone avait changé. La preuve démontre que l’appelante avait d’autres moyens de contacter son employeur que par téléphone (par MessengerNote de bas de page 9). De plus, l’appelante aurait pu se rendre sur les lieux de son travail si elle voulait parler à quelqu’un en charge.

[30] Je reconnais que la nouvelle directive de l’employeur interdisant les tabourets était stricte. En effet, il s’agissait d’un changement important par rapport à l’ancienne pratique, et ce changement était susceptible d’affecter un grand nombre d’employés. Je considère toutefois que la mise en place de cette directive faisait partie du droit de gérance du nouvel employeur et qu’il n’y a rien de déraisonnable à demander à des employés de travailler debout. D’ailleurs, un grand nombre d’employés œuvrant dans le monde des services doivent travailler debout pendant leur quart de travail. L’employeur était d’ailleurs disposé à accommoder les employés qui ne pouvaient pas respecter la directive, sur présentation d’un certificat médical.

[31] En somme, je considère que l’appelante avait d’autres solutions raisonnables à sa disposition que de quitter son emploi. Par exemple, elle aurait pu présenter le certificat médical exigé par son employeur afin d’obtenir un tabouret pendant ses quarts de travail.

[32] De plus, puisque l’appelante savait déjà depuis un certain temps qu’elle pourrait ne plus avoir de tabouret pour travailler dès le mois d’août, elle aurait pu entamer la recherche d’un emploi répondant mieux à ses limitations fonctionnelles avant de quitter.Note de bas de page 10

[33] Je conclus que l’appelante n’a pas démontré que le départ de son emploi constituait la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances. L’appelante n’était donc pas fondée à quitter son emploi et n’a pas droit aux prestations. L’appel sur cette question est rejeté.

Deuxième litige : La pénalité

La Commission pouvait-elle imposer à l’appelante une pénalité pour avoir sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse?

[34] La Commission peut infliger une pénalité à un prestataire qui a fait sciemment des déclarations fausses ou trompeuses lors d’une demande de prestations ou a fourni des renseignements qu’il savait faux ou trompeurs.Note de bas de page 11 C’est la Commission qui doit démontrer que le prestataire a fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse.Note de bas de page 12

[35] Afin de déterminer si une fausse déclaration a été faite « sciemment », je dois déterminer si l’appelante avait la connaissance subjective du fait qu’elle faisait une déclaration fausse ou trompeuse.

[36] Pour déterminer si l’appelante avait la connaissance subjective de faire une fausse déclaration, je peux prendre en compte le bon sens et les facteurs objectifs. Par exemple, s’il ressort de la preuve que l’appelante a répondu à tort à une question très simple en formulant ses demandes de prestations, c’est elle qui a le fardeau d’expliquer pourquoi les réponses incorrectes ont été fournies.Note de bas de page 13

[37] Dans le présent dossier, la Commission a imposé à l’appelante une pénalité de 816$ pour avoir sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses. Plus précisément, l’intimée reproche à l’appelante d’avoir omis de déclarer son départ de chez X lorsqu’elle remplissait ses déclarations électroniques bimensuelles.

[38] La preuve au dossier démontre effectivement que l’appelante a répondu non à la question «Avez-vous cessé de travailler pour un employeur pendant la période visée par cette déclaration?» dans sa déclaration couvrant la période du 30 juillet au 12 août 2017.Note de bas de page 14 Puisque l’appelante a cessé de travailler pour X le 5 août, je constate qu’il y a bel et bien une fausse déclaration dans ce dossier. L’appelante aurait dû répondre à la question par l’affirmative.

[39] J’estime toutefois que cette fausse déclaration n’a pas été faite en connaissance de cause. En effet, l’appelante est entrée au travail le 5 août 2017 afin de tenter de travailler debout pour une journée entière au service de son nouvel employeur, mais elle n’a pas réussi. Elle a seulement été en mesure de faire quelques heures, puis a quitté le travail en raison de douleurs aux jambes.

[40] L’appelante soutient qu’elle voyait cette demi-journée comme un essai raté. Elle ne croyait pas qu’elle avait véritablement travaillé pour X ni qu’elle serait rémunérée par son nouvel employeur pour son temps. Elle a donc répondu « non » en remplissant sa déclaration, car elle considérait que son emploi avait pris fin le 28 juillet 2017, lors de la fin des activités de l’entreprise X.

[41]  À mes yeux, les explications de l’appelante sont plausibles. De plus, je reconnais qu’il peut y avoir eu confusion chez l’appelante quant à la marche à suivre vis-à-vis sa demande de prestations d’assurance-emploi. Sa situation était inhabituelle, et l’appelante a été très peu informée des tenants et aboutissants du transfert des activités de son ancien employeur vers le nouveau.

[42] Je considère que l’appelante n’a pas sciemment fait de fausses déclarations à la Commission. L’appel sur cette question est accueilli et la pénalité est annulée.

Troisième litige : L’avis de violation

La Commission pouvait-elle imposer à l’appelante un avis de violation très grave pour avoir sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse?

[43] La Commission dispose du pouvoir discrétionnaire d’imposer un avis de violation au prestataire qui a reçu une pénalité pour avoir sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses. Le Tribunal ne pourra intervenir dans la décision de la Commission d’émettre un avis de violation que s’il détermine que le pouvoir discrétionnaire de la Commission a été utilisé de manière non judiciaire.Note de bas de page 15

[44] La Loi établit clairement qu’un avis de violation peut seulement être imposé à un prestataire qui a perpétré un acte délictueux (comme une fausse déclaration faite sciemment) et qui a reçu une pénalité pour cet acte délictueuxNote de bas de page 16. Autrement dit, s’il n’y a pas de pénalité, il ne peut pas y avoir d’avis de violation.

[45] Le Tribunal a précédemment déterminé que la pénalité imposée à l’appelante devait être annulée, puisque celle-ci n’avait pas sciemment fait de fausses déclarations. Puisque la pénalité a été annulée, l’appelante ne rencontre donc plus les conditions pour recevoir un avis de violation.

[46] L’appel sur cette question est accueilli et l’avis de violation doit être annulé.

Conclusion

[47] En ce qui concerne le départ volontaire, l’appel est rejeté.

[48] En ce qui concerne la pénalité, l’appel est accueilli. La pénalité est annulée.

[49] En ce qui concerne l’avis de violation, l’appel est accueilli. L’avis de violation est annulé.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

28 juin 2019

En personne

B. M., appelante
Me. Jean-Christian Blais, représentant de l’appelante

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