Assurance-emploi (AE)

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Décision et motifs

Décision

[1] Le Tribunal rejette l’appel.

Aperçu

[2] L’appelant, L. P. (prestataire), est actionnaire à 33 1/3 % dans une entreprise pour laquelle il travaille à titre de salarié. L’entreprise se spécialise dans le domaine de la construction depuis le 20 août 2015, date de l’obtention de sa licence de la Régie du bâtiment du Québec. La Commission a déterminé que le prestataire n’était pas en chômage durant sa période de prestations, puisqu’il était impliqué de façon importante dans l’entreprise. Le prestataire a demandé à la Commission de procéder à une révision, mais celle-ci a maintenu sa décision initiale. Le prestataire a interjeté appel devant la division générale du Tribunal.

[3] La division générale a conclu que l’ensemble des facteurs démontraient que le prestataire n’exploitait pas son entreprise d’une manière si limitée de sorte que cet emploi ou cette activité ne constituerait pas normalement son principal moyen de subsistance.

[4] Le Tribunal a accordé la permission d’en appeler au prestataire. Le prestataire fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, puisque celle-ci repose sur des possibilités et non sur des faits. Il soutient également que la division générale a erré dans son interprétation de l’article 30 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement sur l’AE).

[5] Le Tribunal doit décider si la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit et si elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Le Tribunal rejette l’appel.

Questions en litige

Question en litige no 1 : Est-ce que la division générale a erré dans son appréciation des six facteurs énoncés à l’article 30(3) du Règlement sur l’AEet en concluant que le prestataire n’avait pas démontré que son niveau d’implication dans son entreprise était dans une mesure si limitée qu’elle ne pouvait constituer son principal moyen de subsistance?

Question en litige no 2 : Est-ce que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

Question en litige no 3 : Est-ce que la décision sur l’assurabilité de l’Agence du Revenu du Canada (ARC) pouvait lier la Commission sur la question d’admissibilité du prestataire aux prestations?

Analyse

Mandat de la division d’appel

[7] La Cour d’appel fédérale a déterminé que la division d’appel n’avait d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.Note de bas de page 1

[8] La division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale et n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.Note de bas de page 2

[9] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Remarques préliminaires

[10] Tel que souligné par la division générale, il appartenait au prestataire à faire la preuve de son admissibilité. Le Tribunal ne peut retenir l’argument du prestataire à l’effet que la Commission a refusé de la preuve lors de son enquête puisqu’il a eu l’opportunité de présenter pleinement sa cause devant la division générale. Le Tribunal se doit de considérer la preuve présentée à la division générale afin de rendre sa décision.

Question en litige no 1 : Est-ce que la division générale a erré dans son appréciation des six facteurs énoncés à l’article 30(3) du Règlement sur l’AE et en concluant que le prestataire n’avait pas démontré que son niveau d’implication dans son entreprise était dans une mesure si limitée qu’elle ne pouvait constituer son principal moyen de subsistance?

Question en litige no 2 : Est-ce que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

[11] La division générale a jugé de la preuve, et en tenant compte des six facteurs énoncés à l’article 30(3) du Règlement sur l’AE, que le prestataire n’avait pas démontré que son niveau d’implication dans son entreprise était dans une mesure si limitée qu’elle ne pouvait constituer son principal moyen de subsistance.

[12] Le prestataire fait valoir que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, puisque celle-ci repose sur des possibilités et non sur des faits. Il soutient également que la division générale a erré dans son interprétation de l’article 30 du Règlement sur l’AE.

[13] Plus particulièrement, le prestataire fait valoir que la preuve devant la division générale a démontré qu’il consacrait très peu de temps à son entreprise et que celle-ci a erré en considérant la profitabilité future de l’entreprise. Suite à l’évaluation des facteurs de l’article 30(2) du Règlement sur l’AE, il soutient quela division générale aurait dû conclure que le prestataire, pendant sa période de prestations, exploitait une entreprise dans une mesure si limitée que cette activité ne pouvait constituer son principal moyen de subsistance.

[14] Un prestataire qui exploite sa propre entreprise au sens du Règlement sur l’AE est présumé travailler une semaine entière de travail à moins qu’il puisse démontrer que son niveau d’implication dans cette entreprise est si limité qu’une personne ne pourrait normalement compter sur cette activité comme principal moyen de subsistance.

[15] Le test de la mesure limitée du travail indépendant ou de l’exploitation d’une entreprise exige de savoir si un tel emploi ou une telle exploitation, de façon objective, est exécuté dans une mesure à ce point limitée que le prestataire n’en ferait pas normalement son principal moyen de subsistance.

[16] La jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale a établi qu’il y a lieu de procéder à une analyse globale des six critères, sans accorder de prépondérance à l’un ou plusieurs d’entre eux, et que chaque dossier doit être évalué selon le mérite.Note de bas de page 3

[17] Le Tribunal est d’avis que le texte du Règlement sur l’AE doit être considéré dans sa totalité, car une personne pourrait consacrer peu de temps à son entreprise et néanmoins en faire son principal moyen de subsistance. De plus, le fait de ne pas générer un revenu suffisant ne veut pas nécessairement dire que le prestataire est sans emploi.

[18] L’article 30(3) du Règlement sur l’AE détaille les six facteurs à considérer pour déterminer si l’exploitation de l’entreprise est à ce point limitée que le prestataire n’en ferait pas normalement son principal moyen de subsistance. Les circonstances qui permettent de déterminer si le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise dans la mesure décrite au paragraphe (2) sont les suivantes :

  1. le temps qu’il y consacre;
  2. la nature et le montant du capital et des autres ressources investis;
  3. la réussite ou l’échec financiers de l’emploi ou de l’entreprise;
  4. le maintien de l’emploi ou de l’entreprise;
  5. la nature de l’emploi ou de l’entreprise;
  6. l’intention et la volonté du prestataire de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi.

[19] Il n’est pas contesté que le prestataire a enregistré une entreprise en date du 18 février 2015 sous le nom X. L’entreprise œuvre dans le domaine de la construction et détient une licence de la Régie du bâtiment (RBQ) depuis le 20 août 2015. Les trois actionnaires de l’entreprise, qui sont également répondants auprès de la RBQ, sont le prestataire, X et X, qui possèdent chacun 33 1/3% des actions. L’entreprise procède son propre site internet qui indique que depuis 2014, les trois actionnaires ont procédé à la création de l’entreprise X. L’entreprise a recours à un comptable et assume des frais de publicité. Les trois actionnaires n’ont pas travaillé pour un autre employeur depuis la création de l’entreprise.

a) Le temps consacré

[20] La division générale a conclu que le temps consacré à l’entreprise par le prestataire n’était pas dans une mesure limitée.

[21] La division générale a déterminé que le prestataire investissait du temps dans son entreprise en travaillant, en préparant des soumissions, en faisant l’achat de matériel et en préparant les contrats à venir. Le site internet de l’entreprise ne laisse aucunement sous-entendre que l’entreprise est saisonnière. Il y est indiqué que l’entreprise offre des services de rénovation intérieure et extérieure et qu’elle peut être rejointe de façon quasi-instantanée.

[22] Les états financiers mensuels de l’entreprise démontrent de l’activité, entre autres, des ventes, des achats de matériaux, des frais de publicité, de frais de réparations de camion, ainsi que des frais de déplacement et de repas pendant les périodes de prestations.

[23] La division générale a conclu qu’il ressortait de la preuve que le prestataire était manifestement investit dans l’entreprise même s’il a témoigné consacrer qu’un minimum de temps à l’entreprise pendant les périodes de prestations.

b) La nature et le montant du capital et des autres ressources investis

[24] La division générale a déterminé que le prestataire avait investi environ 10 000$ dans l’entreprise en transférant la propriété de ses outils vers l’entreprise. Le bilan démontre que le prestataire a investi un important montant dans l’entreprise. De plus, l’entreprise bénéficie d’une marge de crédit d'environ 50 000$ dans l’éventualité d’un gros contrat.

c) La réussite ou l’échec financier de l’emploi ou de l’entreprise

[25] La division générale a conclu que l’entreprise était une réussite et que l’entreprise était en pleine expansion avec des ventes à la hausse pour les années 2016 et 2017. La compagnie n'a aucune dette, sauf une dette à long terme aux administrateurs. Le site internet de l’entreprise souligne que celle-ci est en constante évolution depuis sa fondation. Le prestataire travaille d’ailleurs pour l’entreprise depuis sa création en 2015.

[26] Le Tribunal est d’avis que la division générale n’a pas erré dans son interprétation de l’article 30(3) du Règlement sur l’AE en considérant la viabilité de l'entreprise au-delà de la période des prestations.

d) Le maintien de l’emploi ou de l’entreprise

[27] La division générale a pris note que l’entreprise est exploitée depuis le mois d’août 2015 et elle est la principale source de revenus du prestataire. De plus, la preuve démontre que les ventes sont à la hausse. Certains indices démontrent le maintien de l’entreprise, à savoir, le recours à un comptable, l’utilisation d’un site internet, d’une ligne commerciale et l’usage de publicité.

e) La nature de l’emploi ou de l’entreprise

[28] Le prestataire occupait un emploi au sein de l’entreprise de même nature que celui qu’il avait occupé auparavant.L’entreprise œuvre dans le domaine de la construction et le prestataire possède 33 1/3 % des parts dans l’entreprise. Le prestataire est charpentier-menuisier. Le site internet de l’entreprise souligne que le prestataire a œuvré pendant six ans pour une entreprise du domaine de la construction avant de s’investir dans la création de sa propre entreprise.

f) L’intention et la volonté du prestataire de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi

[29] La division générale a constaté que le prestataire avait l’intention et la volonté de travailler et d’accepter un autre emploi lorsqu’il n’avait pas de contrat pour son entreprise. Elle a retenu du témoignage du prestataire qu’il aurait préféré aller travailler pour un autre employeur que d’être en chômage. De plus, la preuve démontre que le prestataire a postulé pour des emplois dans le domaine de la construction et dans le domaine de la restauration. Il n’a cependant jamais travaillé pour un autre employeur depuis la création de l’entreprise.

Application de l’article 30(2) du Règlement sur l’AE

[30] L’application par la division générale du test objectif prévu à l’article 30(2) du Règlement sur l’AE à la situation du prestataire nous révèle qu’au moins quatre des facteurs pertinents nous dirigent vers la conclusion que l’engagement du prestataire dans l’entreprise pendant sa période de prestations n’était pas dans une mesure si limitée. La division générale a conclu de la preuve que l'implication du prestataire était suffisamment importante pour en faire son principal moyen de subsistance.

[31] Le Tribunal en vient à la conclusion que la décision de la division générale sur l’état de chômage du prestataire repose sur les éléments de preuve portés à sa connaissance, et qu’il s’agit d’une décision conforme aux dispositions législatives et à la jurisprudence.

[32] Ce moyen d’appel du prestataire ne peut donc être retenu par le Tribunal.

Question en litige no 3 : Est-ce que la décision sur l’assurabilité de l’ARC pouvait lier la Commission sur la question d’admissibilité du prestataire aux prestations?

[33] Devant la division générale, le prestataire a fait valoir dans son argumentation écrite que puisqu’il détenait un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE), il était admissible au bénéfice des prestations.

[34] Le Tribunal se doit de suivre les enseignements de la Cour d’appel fédérale qui a déjà spécifiquement répondu à la question soulevée dans le cadre du présent appel.Note de bas de page 4

[35] La Cour d’appel fédérale nous a enseigné que la Commission doit franchir deux opérations successives lorsqu’elle étudie une demande de prestations d’assurance-emploi d’un prestataire. Elle doit d’abord déterminer si le prestataire occupait un emploi assurable pendant la période de référence et par la suite établir une période de prestations pour le prestataire pendant laquelle son admissibilité sera vérifiée.

[36] Une fois la première étape concernant l’assurabilité du prestataire franchie, comme dans le présent dossier avec la décision de l’ARC, la Commission doit établir à son profit une période de prestations et des prestations lui sont dès lors payables, pour chaque semaine de chômage comprise dans la période de prestations.Note de bas de page 5 Une semaine de chômage, pour un prestataire, est une semaine pendant laquelle il n’effectue pas une semaine entière de travail.Note de bas de page 6

[37] L’article 30(1) du Règlement sur l’AE prévoit que le prestataire est considéré comme ayant effectué une semaine entière de travail lorsque, durant la semaine, il exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son compte, soit à titre d’associé ou de cointéressé, ou lorsque, durant cette même semaine, il exerce un autre emploi dans lequel il détermine lui-même ses heures de travail.

[38] L’article 30(2) 30(2) du Règlement sur l’AE prévoit que lorsque le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise selon le paragraphe (1) dans une mesure si limitée que cet emploi ou cette activité ne constituerait pas normalement le principal moyen de subsistance d’une personne, il n’est pas considéré, à l’égard de cet emploi ou de cette activité, comme ayant effectué une semaine entière de travail.

[39] L’assurabilité et l’admissibilité aux prestations sont deux facteurs que la Commission doit évaluer eu égard à deux périodes différentes. Le Parlement a décidé que l’analyse des deux facteurs en questions se ferait selon des règles différentes lesquelles ne doivent pas être mélangées, le processus d’assurabilité étant distinct de celui de l’admissibilité.

[40] Nul doute que la question de l’assurabilité doit être décidé par l’ARC selon les termes de l’article 90 de la Loi sur L’AE, et par la Cour Canadienne de l’impôt en cas d’appel, et se réfère à la période de référence, alors que la question d’admissibilité doit être décidée par la Commission et par la division générale en cas d’appel, et se réfère à la période de prestations.

[41] Le Tribunal est d’avis que la décision sur l’assurabilité de l’ARC ne pouvait lier la Commission sur la question de l’admissibilité du prestataire aux prestations.

Conclusion

[42] Pour les motifs précédemment mentionnés, le Tribunal rejette l’appel du prestataire.

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparution :

20 juin 2019

Vidéoconférence

France Simard, représentante de l’appelant
L. P., appelant

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